Jean Morly

 

 

Amants cachés

 

L'homme-machine et la machine humaine

 

 

Roman

 

 

 Gilles, Marie-Claude et Roland

 

— Mademoiselle, dit Gilles. Voulez-vous que je vous apporte un de ces amuse-gueule du buffet. Il y a beaucoup d'amateurs, mais je peux me glisser dans la foule pour vous en apporter quelques-uns.

— C'est gentil, dit Marie-Claude, mais si j'en crois ce que j'entends, ils sont épicés, et j'évite les épices, car je n'en ai pas l'habitude, et ils agressent mes papilles.

— Vous n'avez donc pas l'addiction au poivre ou au sel, de la plupart de ceux qui nous entourent 

— Je n'ai pas cette addiction-là. Je ne poivre pas et aime peu salé.

— Comme moi. Je mange au restaurant universitaire d'à côté, car c'est le seul qui laisse les épices, le sel et les sauces, à disposition sur les tables, sans les ajouter d'office dans les plats. Je trouve tout très bon, alors que mes voisins estiment que c'est fade en n'ajoutant rien.

— Je vais aussi à ce restaurant quand je ne mange pas chez moi. Nous avons les mêmes goûts. Les grands chefs de cuisine ne feront pas fortune avec nous. Ils développent les addictions alimentaires en utilisant trop l'alcool et les épices. Le bien manger et le bien boire qu'ils préconisent, sont mauvais pour la santé. L'eau et les plats simples de ma grand-mère sont préférables. Elle a fait école dans la famille. Je suis comme elle. Le résultat est que ce que j'aime n'a pas de goût pour ceux qui nous entourent.

— Oui. Cela explique que vous n'avez pas une grande soif. Puis-je vous débarrasser de votre verre ?

— Non, dit Marie-Claude. Je préfère garder mon verre à la main... Mais, n'avez-vous pas aussi le vôtre qui est plein ?

— Je le prends quand on me l'offre, mais je ne bois pas. Je respecte les conventions. Il est possible de laisser de la boisson dans le verre. Par contre, refuser ne se fait pas. C'est du gâchis, mais je ne veux pas offenser mes hôtes. Ils ont des convictions sur la façon de boire, qui ne me gênent pas trop s'ils ne m'obligent pas à boire.

— Oui. Passons inaperçus. Je fais comme vous. Je me promène avec le verre plein, et je le repose quand je pars. Comme cela, personne ne m'en propose un autre ou de compléter le contenu. J'ai renoncé à expliquer que je ne bois pas. Celui qui boit ne me comprend pas. Tout le monde boit, en dehors de nous.

— Êtes-vous non-buveuse en permanence ?

— Comme vous apparemment. Buvez-vous parfois de l'alcool ?

— Jamais. Le résultat est que l'alcool, même dilué, me brûle la bouche. Mes papilles n'y sont pas plus habituées qu'aux épices. Ceux qui boivent de l'alcool neutralisent les goûts forts, en en diminuant la sensation. Ils perdent toutes les subtilités des goûts délicats, et sont obligés de forcer la dose. D'où la vogue des épices fortes qui servent à compenser l'usage de l'alcool. Je préfère les mets sans épices et avoir le goût non perturbé que les bébés ont à la naissance.

— Je réagis comme vous. Je suis heureuse de ne pas être seule à être encore bébé. Ceux qui nous entourent boivent beaucoup trop. Vous êtes comme moi : je suis isolée par mon mode de vie, et différente des autres. Parfois, je désespère de notre société qui nous marginalise. Vous êtes un rayon de soleil. J'aimerais vous connaître un peu mieux.

— Moi aussi, dit Gilles. Avez-vous un moment libre ?

— Posez votre verre à côté du mien, dit Marie-Claude. Venez chez moi. Ce n'est pas loin. Nous pourrons parler. Je ne vous offrirai ni café, ni thé. Je n'en ai pas chez moi.

— Je n'en ai pas l'addiction, dit Gilles.

*

Marie-Claude invite Gilles. La plupart des garçons ne lui plaisent pas, car leurs idées et leurs habitudes ne sont pas en accord avec les siennes. Elle a fini par se ranger aux avis de sa grand-mère, qui lui serine ses principes : ceux qui boivent et fument sont rarement intéressants :

 

— Éloigne-toi de ceux qui se laissent aller, ma petite-fille. Sinon, un jour ou l'autre, tu te mordras les doigts de les avoir fréquentés. Réserve-toi pour ceux qui n'ont pas d'addiction, et soigne-les. Tu t'en trouveras bien.

 

Grand-mère radote un peu, mais, ses parents ont suivi les conseils de grand-mère. Marie-Claude a constaté avec les individus qu'elle a plus ou moins côtoyés, que grand-mère a raison : les addictions gâtent tout. Les garçons sont décevants, comparés à ses parents. Marie-Claude recherche donc un garçon sans addiction, mais elle n'a pas encore trouvé celui lui convenant. Pourtant, elle est prête à tolérer qu'il ne soit pas parfait. Elle va étudier sérieusement le cas de Gilles, car grand-mère pourrait l'accepter.

*

— C'est royal, chez vous, dit Gilles. Vous avez une maison splendide. J'habite chez mes parents, mais je n'ai qu'une petite chambre où je peux à peine me retourner. Vous devez bien travailler ici, avec tout le confort.

— Ma maison est très grande. Je vous ferai visiter. Il y a beaucoup de pièces. J'ai tout cet espace pour moi, car mes parents sont morts dans un accident. C'est même trop. Je n'utilise pas tout, mais je suis bien ici.

— On entre facilement chez vous. La porte n'était pas fermée. Ce n'est pas prudent. Vous pouvez vous faire attaquer. N'avez-vous pas peur que je profite de la situation ?

— Auriez-vous cette idée ?

— Bien sûr. Je suis un homme, et vous une séduisante jeune fille dont les idées me plaisent. Comprenez ce que je peux ressentir.

— Je comprends. Je constate que vous n'avez pas profité de la situation, et je vous en remercie. Mais je ne vous aurais pas amené ici sans avoir assuré mes arrières. Au moindre mauvais geste, vous auriez eu à en pâtir. Je suis protégée.

— Par quoi ?

— Il y a une surveillance sophistiquée avec alarme. Actuellement elle fonctionne. Tout est enregistré de vos faits et gestes puisque je ne l'ai pas neutralisée. J'ai plusieurs façons de la commander, mais je n'ai pas à vous le divulguer. Cela fait partie de la sécurité. Il y a une autre protection, assez efficace.

— Laquelle ?

— Je ne suis pas seule. Il suffit que j'appelle... Roland ! Viens ici !

 

Roland apparaît près de la porte. Il attend les ordres de Marie-Claude.

 

— Va-t'en, dit Marie-Claude.

 

Roland tourne les talons et sort.

L'apparition de Roland intrigue Gilles. Il s'attendait à être seul avec Marie-Claude, et Roland est un beau jeune homme qui doit avoir à peu près leur âge. Elle le tutoie. C'est donc un intime. Il était émoustillé d'être avec Marie-Claude. La présence de Roland est une douche froide. L'intimité qu'il savourait n'y est plus. Gilles s'informe.

 

— Est-ce votre copain ?

— Non, dit Marie-Claude. Je n'ai pas de copain. Roland est mon serviteur. Il était déjà là du temps de mes parents. Je l'ai gardé. Il est handicapé mental. Il ne sait que servir. Il me sert.

 

Un handicapé mental ! Gilles est inquiet.

 

— N'est-il pas dangereux ?

— Il n'a jamais manifesté d'agressivité à mon égard. Il est neutre si on ne l'attaque pas. Vous êtes certainement plus dangereux que lui, car je ne l'excite pas, alors que je mettrais ma main au feu que vous l'êtes. Mais je ne vous le reproche pas : vous êtes un homme et moi une femme. Nous sommes soumis aux lois de la nature. Roland n'est pas ordinaire. Je peux même me promener nue dans la maison près de lui. Il ne réagit pas.

— Est-ce un eunuque ?

— Non. Il a un sexe normal, mais, il ne sait pas ce qu'est une femme. Ma vue, mon contact et mes odeurs ne le troublent pas. Je n'ai pas besoin de fermer la salle de bain et ma chambre. À l'institution d'où il sort, ils l'ont vérifié avant de m'autoriser à vivre près de lui. Comme il est inoffensif, je peux l'avoir avec moi sans accompagnateur. Roland est comme un androïde, un de ces robots peu doué du cerveau, mais ayant une bonne mécanique. J'ai eu beaucoup de mal à en faire un serviteur, mais je suis assez contente du résultat. Il fait ce que je lui commande, mais il ne sait pas tout faire. Je le perfectionne quand j'ai le temps. Il est adaptable.

— De quelle façon ?

— La meilleure méthode consiste à lui montrer, dix fois, vingt fois, trente fois, et souvent plus. La patience est nécessaire, mais payante. Le guider est aussi possible, mais plus laborieux. Lui expliquer est très difficile. Il n'assimile pas tout, et lentement, mais quand il a enregistré un comportement, il peut le répéter à l'infini. Il n'est pas doué pour les initiatives. D'ailleurs, je préfère qu'il n'en ait pas. Je sais ce qu'il peut faire. Je dirige, et il n'y a pas de surprise. Il est mon gentil esclave. Je l'utilise à ma convenance pour ce qu'il sait faire. Il s'occupe de la maison. Il porte mes paquets. Quand je pars en promenade, il m'accompagne, et les garçons ne me suivent pas. Je fais de grandes marches avec lui. Au cinéma, il ne comprend rien au film, mais il reste près de moi et me protège des voisins par sa présence. Quand je voyage, je peux l'emmener, ou le confier aux bons soins de la voisine, ou encore le ramener à l'institution. Je suis contente qu'il soit avec moi. Vous voyez. J'ai pu vous faire venir ici sans trop vous connaître. Roland est pratique. Il dissuade les importuns. Il est près de nous, mais nous pouvons l'oublier, comme un objet ou un animal familier. Il n'est pas gênant. Actuellement, il doit être dans un cycle de nettoyage. Si je ne l'interromps pas, il va l'exécuter jusqu'au bout, et il recommencera quand il aura fini. La maison est propre. Il ne casse plus rien. Mon androïde est bien dressé. Il fonctionne à ma convenance.

— Avez-vous des sentiments pour lui ?

— Tout dépend de ce que vous entendez par sentiments. Je ne considère pas Roland comme étant un homme. On peut aimer une mécanique ou une automobile parce qu'on la possède ou qu'on la voudrait, mais ce ne sont pas des sentiments. Par contre, j'aime être parvenue à l'utiliser comme je l'ai voulu. J'ai mes habitudes avec lui, et je tiens à lui. Je n'aimerais pas m'en séparer. Il est avec moi, dans la vie courante. Je me sens tenue de continuer à le guider. Il ne se laisse pas guider par d'autres aussi facilement. Il les comprend mal. Avant d'arriver ici, il ne savait pas faire grand-chose. Son éducation était rudimentaire, car il demandait trop de temps à ceux qui avaient à s'en occuper. Il savait à peine parler avec un vocabulaire réduit à quelques mots. Il était passif, ce qui n'encourageait pas à la perfectionner. Il n'y a qu'avec moi qu'il est parvenu à avoir une vie acceptable pour son entourage, dans la propreté et le respect de ses particularités.

— A-t-il des sentiments ?

— Je ne crois pas. Je ne lui en connais pas, mais il m'obéit.

— Aime-t-il la musique ?

— Qu'aime-t-il ? Il n'exprime jamais aucun plaisir. Il n'est pas sourd. La musique ne le dérange pas. Un signal musical peut se transformer en ordre si je l'associe à une action qu'il a comprise.

— Je vois à peu près ce qu'il est. Il peut seulement être conditionné.

— Oui, et par moi presque uniquement, et difficilement.

— Vous en occupez-vous pour une raison précise ? Est-ce un parent ?

— Non, mais ses parents l'ont abandonné. Il vient de l'institution pour handicapés qui est à deux pas d'ici. Il m'a été confié, car j'ai bien voulu m'en occuper, et ils considèrent qu'il est mieux ici qu'à l'institution. Là-bas, ils ne sont pas tous méchants, mais il est bousculé par ceux qui ne le respectent pas, et qui s'attaquent à lui vicieusement. Sa vie ici est plus calme. Je l'ai donc avec moi... Comme nous ne sommes pas venus pour Roland, mais pour faire connaissance, avez-vous d'autres questions importantes sur lui ?

— Pas pour le moment, dit Gilles.

— Nous pouvons donc oublier un peu Roland, et échanger des renseignements sur nous. N'est-ce pas ? Dites-moi ? Pourquoi n'aimez-vous pas l'alcool ? Votre religion vous l'interdit-elle ? Est-ce par principe ?

— Oui et non, dit Gilles. Maman m'a toujours dit de me méfier de l'alcool. Elle trouvait que papa buvait trop. Elle l'a persuadé de s'arrêter. Ce qui fait tourner la tête n'est pas bon. Elle m'a convaincu de ne pas boire, et je trouve l'alcool mauvais. Et vous ? Pourquoi ne l'aimez-vous pas ?

— D'abord, mes parents ne buvaient pas, dit Marie-Claude. J'avais leur exemple, comme vous. Ensuite, ils sont morts, tués par un alcoolique inconscient. La logique m'écarte de l'alcool. Voyant les ravages causés par l'alcool, j'ai fait le vœu de ne jamais boire une goutte d'alcool sans y être obligée.

— C'est une bonne résolution. Je commence à mieux vous situer. Pourquoi m'avez-vous invité ?

— Il n'y a pas beaucoup de garçons ne buvant jamais d'alcool. J'évite ceux qui boivent, donc pratiquement tout le monde. Vous êtes l'exception. En conséquence, je me renseigne sur vous. J'aime la compagnie.

— Est-ce une avance ?

— Vous pouvez le considérer comme tel, car je suis seule, mais cette tentative est peut-être prématurée, car je ne vous connais pas assez, et mes principes ne concordent pas nécessairement avec les vôtres. J'ai besoin d'informations sur vous. Mais, mettez-vous à ma place ! Je suis ici en tête à tête avec Roland. Il est bien gentil, et il ne boit pas, mais il n'y a pas de dialogue avec lui. Croyez-vous que je vais rester éternellement sans compagnon ? Allez-vous de votre côté rester sans compagne ? Pourquoi m'avez-vous abordée ? Les garçons sont aussi attirés vers les filles. La raison n'est-elle pas l'attirance sexuelle ?

— Je l'avoue, mais je souhaite une pure jeune fille n'ayant pas traîné avec tous les garçons. Je ne m'engage pas avec une fille douteuse qui veut me racoler.

— Est-ce pour moi que vous le dites ? Je ne suis pas douteuse, et je ne racole pas au hasard. Je suis seule avec Roland. J'ai des certificats médicaux pour prouver ma bonne santé. Je passe périodiquement une visite médicale en même temps que Roland, et il est très suivi par l'institution. Je ne traîne pas avec les garçons puisque j'évite les buveurs. Je travaille et je vis ici, sans amoureux. Personne ne m'aime. Je suis prête à aimer un garçon convenable sans addiction. Je ne vais pas me fourvoyer avec ceux qui boivent, fument ou se droguent. Je réclame de garder Roland, mais Roland n'est plus une grosse charge. C'est plutôt le contraire puisqu'il me sert. Je ne lui consacre que mon temps perdu. Je suis prête à essayer de vivre ici avec vous, si rien ne s'y oppose, en copine sérieuse. Je suis franche. Est-ce que ça vous intéresse ? Moi : oui. Bien sûr, si nous trouvons une raison de conflits, nous nous séparons. Je ne m'impose pas, mais je préfère la compagnie d'un garçon sérieux à celle de Roland. Il n'est pas très intellectuel et se passe fort bien de moi. Il peut fonctionner en serviteur.

— Si j'ai bien compris, vous êtes sans copain, et vous désirez en savoir plus sur moi.

— Oui. C'est ça. Je cherche un copain, mais il ne faut pas d'anicroche. Vous êtes une possibilité. Je ne raterai pas l'occasion de me mettre avec un garçon qui semble répondre au profil que je cherche. Je vous proposerai même le mariage si tout se passe bien, mais c'est un engagement à vie à traiter sérieusement. N'allons pas trop vite. Je souhaite avoir de bons renseignements sur vous, donc, vous tester le mieux possible, pour savoir si je vous garde ou si nous nous séparons.

— Je ne suis pas contre le mariage, mais encore faut-il que vous me plaisiez. C'est un plus certain que vous soyez sans addiction. Vous êtes la seule à ma connaissance ici. Comment pourrais-je vivre avec une femme qui boit ? Mais êtes-vous une innocente sexuelle ? Il est important de connaître votre comportement.

— Bien. Je me dévoile, puisque vous le souhaitez. Je ne suis pas innocente du tout. J'ai eu une éducation sexuelle complète. Je connais le sexe de l'homme et celui de la femme. Je me masturbe volontairement, et je sais comment je fonctionne. Je ne suis pas vierge puisque j'ai des orgasmes, mais je n'ai jamais été enceinte.

— Un simple frottement peut déclencher des orgasmes chez une vierge. Vous êtes donc vierge, même avec orgasmes. La masturbation n'enlève pas la virginité non plus.

— C'est vous qui le décidez, mais le passage est bien ouvert, débarrassé de tout reste d'hymen, et état de fonctionner. Je mets des tampons quand je suis indisposée. Le médecin m'examine en ouvrant avec son spéculum, et fait des prélèvements comme à une femme ordinaire. En tout cas, je suis libre, et je cherche un mari. Si vous êtes libre, voulez-vous essayer de vous mettre avec moi ? Je vous loge ici si vous voulez. J'ai des chambres inoccupées.

— Une chambre indépendante me plairait. Ce serait pratique ici. Mes parents n'y sont pas opposés si ce n'est pas trop cher.

— Je ne vais pas vous faire payer, puisque je vous renvoie si vous ne me plaisez pas.

— Je propose de venir ici, dans une chambre séparée, sans relations sexuelles. Si tout se passait bien, nous aviserions. En vivant l'un près de l'autre, nous saurons si ce projet est réalisable. Ne m'en demandez pas plus.

— Très bien, dit Marie-Claude. Je vous remercie. C'est ce que j'allais proposer. Nous déciderons quand nous nous connaîtrons mieux. Prendrons-nous nos repas ensemble quand ce sera possible ?

— Oui, dit Gilles, et nous commencerons par des fiançailles après la période probatoire si nous envisageons de continuer ensemble. Je vous présenterai à mes parents.

— Est-il indispensable de se fiancer ? C'est un reste du passé. Êtes-vous traditionaliste ? Les fiançailles se font de moins en moins.

— Mes parents et moi n'envisageons pas autre chose. Ils seraient outrés si je ne m'y pliais pas. Ils suivent la tradition de la famille. Ils se sont fiancés avant de se marier. Je tiens à leur faire plaisir. C'est l'officialisation de la liaison possible. Vous mettrez une bague de fiançailles pour qu'on sache que vous m'êtes réservée.

— Je n'aime pas les bijoux, rétorque Marie-Claude, et encore moins les bagues, un nid à microbes difficile à nettoyer. Je ne me réserve pas. Je reste libre de disposer de moi. Si je me fiance, coucherez-vous avec moi ou faudra-t-il attendre le mariage ?

— Coucher ensemble est mal toléré, dit Gilles, même si les fiançailles sont une promesse ferme. Avant le mariage, c'est interdit, car vous perdriez votre virginité sans que nous soyons assurés du mariage. Nous nous marierons dans les règles. Si nous rencontrons des difficultés au préalable, je ne vous aurai pas déflorée. Un autre aura la place et ne pourra pas m'en vouloir s'il se fiance avec vous. De mon côté, je pourrais rechercher une autre femme vierge.

— Je suis déflorée, sans hymen.

— Vous pouvez être vierge sans hymen.

— Bon. Admettons que je suis vierge puisque vous y tenez. Passons à vous. Vous masturbez-vous comme moi ?

— Oui, dit Gilles. Mes parents ne s'y opposent pas. J'en tire du plaisir. Je n'ai pas de femme à ma disposition.

— Mais, êtes-vous vierge ?

— Il se trouve que oui. Je pourrais ne pas l'être, ce qui ne gênerait pas pour les fiançailles. La tradition tolère que le fiancé ait eu quelques expériences. Pour les femmes, elle est plus sévère. C'est compréhensible.

— Incompréhensible pour moi, dit Marie-Claude. Je suis pour la liberté de la femme et l'égalité avec l'homme. Heureusement que la masturbation ne compte pas, sans quoi, elle pourrait m'éliminer auprès de vous.

— Oui, dit Gilles, mais en principe, on ne parle pas de la masturbation. Elle est cachée.

— Pourquoi me l'avez-vous dit ?

— Parce que vous m'avez parlé de la vôtre qui est en principe plus cachée que la mienne. Nous sommes à égalité.

— Je ne me marie pas avec un homme que je n'ai pas essayé, dit Marie-Claude. Si ça ne va pas, je ne veux pas de vous.

— Et moi, dit Gilles, je n'accepte pas une femme qui n'est pas vierge.

— C'est incompatible. Nous ne pouvons donc pas envisager de nous lier.

— Effectivement.

— Nous pouvons nous dire adieu.

— Oui, dit Gilles. Adieu.

— J'ai quand même raison de vouloir vous essayer, dit Marie-Claude. Je ne vais pas dans l'inconnu.

— Mes parents seraient horrifiés si ma femme n'était pas vierge.

— Mais pour vous, ce ne serait pas gênant.

— Pas pour eux.

— Vous n'êtes pas obligé de leur dire.

— Voudriez-vous que je leur cache ?

— C'est quand même vous le plus concerné. Vous m'avez dit que le fiancé a le droit d'aller avec d'autres filles.

— Oui, mais en le cachant. Ce ne sont que de petites expériences de mise en forme.

— Vous pouvez donc m'essayer en le cachant.

— Mais vous ne seriez plus vierge.

— Si je me donne à un autre homme, je ne suis plus vierge. Si vous ne le savez pas, je peux me marier avec vous. Je vous trompe un peu, mais ni, vu ni connu. Tout se passe comme si j'étais vierge. Vous ne pouvez pas vous apercevoir de mon manque de virginité. Je suis en faute pour vous, mais pas pour moi, et il n'y a que moi à le savoir, donc, je m'en moque. Vous voyez que c'est absurde d'exiger la virginité réelle. Il suffit de la virginité affichée. Ai-je raison ?

— Sans doute, mais vous m'embrouillez. La tradition n'est pas toujours logique, mais il est bon de la respecter. Par exemple, la tradition bannit la brutalité. C'est quand même bien.

— Je ne souhaite pas être battue, dit Marie-Claude. Cette tradition me convient, mais votre tradition est toute en apparence dans le cas du mariage, et avec des dérogations. Faites tout dans les règles, en apparence pour vos parents, et ce qui est logique avec moi.

— Je préfère suivre les règles sans réfléchir. Ce que vous proposez ne m'enchante pas.

— Moi non plus, mais que faire d'autre ? Avez-vous mieux ?

— En réfléchissant, dit Gilles, je suis ici jusqu'à la prochaine rentrée scolaire, mais ensuite, je dois poursuivre mes études ailleurs durant plusieurs années. Nous serons séparés jusqu'à ce que je revienne en dehors de quelques courtes périodes. Si je me fiance avec vous, nous nous marierons à mon retour. Je vous promets de ne pas chercher ailleurs. Notre avenir se présenterait bien.

— Je ne me fiance pas sans essai préalable.

— L'exigez-vous ?

— Me voyez-vous attendre deux ou trois ans sans assurance d'être satisfaite ensuite ? Je ne me lie pas dans l'inconnu. Je peux trouver un autre que vous d'ici là. Et d'abord, m'aimez-vous ? Si ce n'est pas le cas, inutile de continuer. Avez-vous envie de moi ?

— Cela, je peux vous l'assurer.

— Uniquement avec moi ?

— Non, pour être honnête. Les envies ne se commandent pas toutes. Avec certaines femmes, j'en ai.

— Comment faites-vous pour tenir ?

— J'ai appris à tenir avec les addictions. Je résiste aux propositions qui me sont faites de boire ou de fumer. C'est pareil pour l'amour. Je peux m'en passer. Je m'en passe, même si j'en ai envie. J'attends la fille qui me plaira.

— Moi aussi, je peux me passer d'amour, mais c'est l'avenir qui m'intéresse, et je ne veux pas le rater, et l'avenir réclame l'amour.

— Je suis de votre avis.

— Si nous voulons assurer l'avenir, dit Marie-Claude, il y a des concessions à faire dans le présent. Je vous concède de ménager vos parents et de nous fiancer comme ils le désirent, en sauvant la face. Concédez-moi l'essai.

— Oui, dit Gilles, mais observons-nous d'abord. Inutile de prévoir trop à l'avance si nous ne nous plaisons pas. Il faut aussi limiter le temps que nous passons l'un avec l'autre. Mes études sont primordiales. Mon travail ne doit pas être perturbé.

— Le mien non plus, mais nous pouvons travailler ici ensemble, et nous observer dans les temps morts.

— J'avertis mes parents que je m'installe avec vous pour travailler.

— Bien, dit Marie-Claude.

*

 

Gilles et Marie-Claude passent deux semaines l'un près de l'autre, dans la journée, quand les études le permettent, à travailler, à s'observer, à comparer leurs goûts, à chercher des causes de discorde. Ils n'ont que des vétilles à se reprocher. Ils sont assez intelligents pour tolérer des différences secondaires, et constater que l'accord est bon sans être exceptionnel. Ils passent à l'étape suivante, et s'essaient pendant une semaine puisqu'ils envisagent une suite. Marie-Claude dirige les relations intimes, et Gilles se laisse faire, désirant ne pas déplaire à Marie-Claude. Ils rencontrent quelques problèmes de préservatifs qui se froissent, mais ils surmontent la difficulté. Ils se fiancent, ce qui demande une autre semaine pour la cérémonie familiale. Ils ont alors l'accord des parents pour habiter ensemble, mais dans des chambres séparées. Pendant les quelques mois qui suivent, Marie-Claude rejoint toujours Gilles dans son lit. Malheureusement, comme prévu, ils doivent se séparer, car les études ne se déroulent pas toutes sur place pour Gilles. Pendant au moins deux ou trois années, Gilles sera absent la plupart du temps. Il faudra attendre le retour de Gilles pour le mariage, avec quelques courtes périodes de retrouvailles.

*

 

 

 Gilles, Martine, son père et Marie-Claude

 

— Papa, dit Martine. Mon copain va bientôt être obligé de partir. Tu sais que nous nous quittons puisque je reste ici. As-tu toutes les informations sur le nouveau copain que je souhaite ? Je t'ai donné le temps que tu réclamais. Tu devrais les avoir.

— Je ne m'y suis pris, ni trop tôt, ni trop tard. J'ai fait diligence, et j'ai eu le temps. J'ai employé deux détectives, et ils ont bien travaillé. J'en ai eu pour des heures à lire leurs comptes-rendus. J'ai désormais les dossiers à jour sur tous ceux qui t'environnent. Nous nous sommes concentrés sur les plus crédibles en éliminant d'emblée ceux qui n'avaient pas le profil voulu. Aucun de ceux que j'ai retenus n'a d'addiction ou n'est brutal. Il ne reste que la crème, ceux avec qui tu ne risques rien, mais tu as moins de choix que pour ton premier copain.

— Pourquoi ?

— Les années passent ! Tu es plus vieille. Quelques années de plus, et tout change. Ceux qui t'entourent sont plus vieux. Ils ont donc souvent une copine. Il n'y a pas que toi pour vouloir un copain.

— Qui as-tu sélectionné ?

— Je n'ai pas retenu ceux qui sont toujours fourrés avec leur copine, et qui n'ont pas l'air de vouloir en changer, mais je peux les rajouter si tu veux batailler pour prendre le dessus.

— Non. Ne les gardons pas.

— J'ai quand même une liste de ceux dont la copine n'est pas sur place, car tu peux te faufiler près de l'un d'eux si tu t'y prends bien.

— Je ne veux pas me faufiler. Les garçons libres me suffiront.

— Il n'y en a pas sans addiction, sauf si tu acceptes un garçon beaucoup plus jeune que toi, ou qui n'est pas dans ton entourage immédiat. Il y a aussi des célibataires endurcis. Il faudrait alors que j'élargisse ma recherche et que tu attendes. Comme tu n'envisages pas encore de te marier tout de suite avec le prochain copain, un garçon qui a déjà eu une copine est plus indiqué. Ton copain actuel te quitte facilement parce qu'il a connu d'autres filles avant toi et qu'il pense en retrouver là où il va. Un garçon assez ouvert comme lui, me semble préférable à un garçon de ton âge qui ne sait pas ce qu'est une femme. Il est en général polarisé sur les études ou autre chose, et ne s'occupe pas des filles ou en a peur. Si tu n'es pas dans son optique, tu ne l'intéresses pas. Il me semble plus facile de t'orienter vers un de ceux dont la copine n'est pas avec lui. S'il ne voit la copine qu'une ou deux fois par an, il est alors pratiquement sans copine. Ce sont ceux que j'ai sélectionnés, à défaut de garçons libres intéressants.

— Bon, dit Martine. Je préfère ceux qui sont libres et il n'y en a pas. Mais même si tu n'as pas raison, je n'ai pas le choix, car je ne vais pas traîner des semaines ou des mois à la recherche du copain idéal mariable que je ne suis pas sûre de trouver. Je n'ai pas de temps à perdre. Un amant provisoire comme celui que je quitte fera l'affaire. Alors, qui me proposes-tu ?

— Je t'ai préparé trois dossiers. Je place Gilles en premier si tu n'envisages pas le mariage avec lui, car il n'est pas bon pour les affaires. Il n'est pratiquement jamais avec sa copine, car elle habite loin d'ici. Il ne devrait pas la revoir souvent. En plus, la copine a un amant qu'elle cache, et qui s'occupe d'elle quand Gilles est absent. Elle peut se passer de Gilles, donc ne viendra pas souvent ici. Gilles a plus besoin d'amour qu'elle. Tu peux en profiter. Que penses-tu de Gilles ? Tu le connais.

— Je croyais Gilles libre. Il aurait donc une copine.

— Oui. Je le croyais aussi d'après son comportement ici en célibataire libre. En réalité, il est fiancé chez lui. Le détective a découvert qu'il cache ici cette fiancée, sans doute pour être plus libre. Cela te donne de l'espoir.

— Si Gilles n'est pas mariable à cause des affaires, il ne peut être qu'amant, et il faudra que je le renvoie pour me marier. Je dois donc négocier la séparation avant de m'engager. S'il garde sa fiancée, ce sera plus facile. N'oublie pas de me chercher mon mari. Ce n'est pas urgent, mais ne me fais pas trop patienter. J'admets qu'il doit être bon en affaires, mais où vas-tu le trouver ? Me garantis-tu un mari comme tu le souhaites ? Si ce n'est pas le cas, je fais l'impasse sur les affaires. Je peux les mener seule avec toi. Gilles pourrait alors me convenir si sa copine le lâche.

— Attends un peu. Je trouverai ton futur mari. J'en suis certain. Je suis un écrivain reconnu pour la valeur de mes ouvrages en économie. J'ai contacté l'école qui prépare aux affaires. Ils m'acceptent comme professeur. Parmi les étudiants, il y aura celui qu'il me faut. C'est le meilleur vivier. Ils éliminent ceux qui ne sont pas doués. J'en choisirai un comme collaborateur, et un autre pour toi, ou le même. Tu vois, je pense à toi, mais pour le moment, je t'oriente vers Gilles. Tu ne m'as pas répondu s'il t'intéresse.

— Je ne savais pas que Gilles avait une copine, dit Martine, car il est seul ici. Qu'il soit bien, ne m'étonne pas. Il est un de mes préférés, mais comme j'ai encore mon copain, je ne l'ai pas entrepris, et j'attendais ton avis. Tu confirmes qu'il n'a pas d'addiction. Il m'intéresse. J'ai parfois l'impression que son regard me cherche, ou que je le trouble quand je suis avec lui. Il ne doit pas être trop difficile de le persuader de venir avec moi. Il ne sait pas que j'ai un copain. Je ne le montre pas, et il doit me croire libre. Tu m'as toujours dit de cacher mon copain.

— Il est préférable de cacher les amants, tout comme on cache sa fortune. Cela évite les jalousies. Es-tu gênée de ne pas avoir des bijoux, de manger à la cantine comme les autres, de n'avoir que des vêtements ordinaires, et de n'avoir qu'un petit local pour mettre tes affaires ? Comme tu es bien organisée, avec le minimum de dépenses, tu évites les innombrables garçons qui n'en voudraient qu'à ton argent. Quand tu seras installée, et en couple, tu feras comme tu voudras. Tu pourras paraître.

— Oui, papa, mais je ne tiens pas à paraître. Je ne réclame pas un surplus matériel, et je suis assez sollicitée par ceux qui ignorent notre richesse. Mais j'ai besoin d'un lit pour être avec mon copain la nuit, et je me passerais difficilement d'un copain. Gilles me tente, mais que sais-tu sur sa copine ? S'il accepte que sa copine aille avec un autre, il n'est pas jaloux, et il peut m'accepter, même s'il découvre que j'ai eu un copain juste avant lui. C'est une bonne garantie.

— Le détective s'est employé à en savoir le plus possible sur la copine Marie-Claude, qui est une fille tout à fait normale et gentille. Nous avons repéré deux liaisons qu'elle a eues avant Gilles. L'une n'a pas duré. Elle a plaqué rapidement le garçon. Avec l'autre, c'est plus particulier. Marie-Claude vit seule dans sa maison depuis que ses parents sont morts dans un accident. Elle est secondée par un handicapé mental depuis plusieurs années. Ses parents l'employaient pour les travaux de la maison et le logeaient. Elle l'a gardé à leur mort. Elle s'est fiancée avec Gilles. Quand Gilles est là, elle va avec lui, mais son employé couche avec elle actuellement. Ils ne s'affichent pas. L'employé est un amant secret, mais le détective est certain de la liaison. Si tu prends la place ici, ce serait équilibré, et arrangerait tout le monde.

— Je vais tâter Gilles, dit Martine. Comment le détective sait qu'elle couche avec l'employé ?

— Il a exploré les poubelles. Elles contenaient des boîtes de pilules contraceptives et de préservatifs, et des préservatifs fraîchement utilisés. Le seul homme de la maison étant l'employé, il n'y a guère de doute sur la liaison. D'après le nombre de préservatifs, elle a une activité sexuelle régulière et soutenue.

— Et l'autre liaison ?

— Elle n'a pas duré et a cessé. Le détective a retrouvé le garçon qui n'a pas apprécié que Marie-Claude le renvoie. Il lui en a dit tout le mal possible, y compris des choses fausses. Il a déversé sa bile. Une traînée d'après lui, bonne au lit, mais idiote. La liaison est pratiquement certaine, car le détective a vu des photographies de lui, prises par Marie-Claude.

— Où ça ?

— Dans des albums gardés par Marie-Claude. Tu les verras dans le dossier, mal reproduites, mais sans ambiguïté. Le détective a identifié le garçon grâce au visage sur les images.

— Marie-Claude est-elle idiote ?

— Elle a de très bons résultats scolaires.

— Je voulais dire idiote de garder des images compromettantes ?

— Ces images ne sont pas compromettantes. Ne les compare pas à celles des magazines. Regarde-les. Elles sont annotées dans le dossier. Ce sont des souvenirs, seulement des images anodines en petit nombre. Que Gilles ou un autre les aient vues n'a rien de compromettant. C'est un visage anonyme pour celui qui regarde, noyé au milieu des images de la famille et de l'employé. Il est probable que Gilles ignore cette liaison de quelques jours. Le détective l'a repéré, car il n'est pas accompagné d'un nom comme les membres de la famille ou les amis proches. Il a enquêté intelligemment.

— Tu as raison. Se tromper sur la valeur d'un garçon est courant. Elle a bien réagi en s'en débarrassant. J'ai fait comme elle avec mes premiers. Ce genre de liaison est sans importance. Il fait partie de l'éducation sexuelle. Heureusement que je t'ai pour sélectionner ceux que je peux aimer.

— Dans le cas présent, il est compromettant d'aller fouiller dans des affaires personnelles. Les façons de ce détective ne me satisfont pas complètement, mais je l'ai fait pour toi. Il a outrepassé ce que je souhaitais. Je ne le voyais pas s'introduire chez Marie-Claude comme un cambrioleur. Il en savait assez avec les poubelles. Espérons qu'il n'en résultera rien de mauvais. Y a-t-il d'autres amants possibles ? Aucune trace dans les albums. Ils n'existent sans doute pas. Il n'y a que l'employé et ce garçon. Je te passe le dossier. Gilles n'a apparemment aucune autre liaison que Marie-Claude. Il semble désirer des filles sans addiction, comme toi.

*

 

— Vous êtes triste, dit Martine à Gilles. Êtes-vous malade ? Il faut vous soigner.

— J'ai reçu de mauvaises nouvelles. Excusez-moi. Elles me dépriment. J'ai un peu mal à la tête, mais ça va passer. J'ai pris un peu d'aspirine.

— Un décès ?

— Non. C'est ma fiancée qui m'écrit. Elle va avec un autre. J'en suis ahuri. Je ne le savais pas.

— Loin des yeux, loin du cœur. Vous êtes ici presque en permanence et sans elle, depuis plusieurs mois. Elle a dû trouver que vous partiez trop longtemps et que vous l'abandonniez. Ce n'est pas facile pour une femme d'être délaissée par son fiancé. Je comprends votre tristesse, mais vous êtes ici, comme moi, pour encore un bon bout de temps. Mettez-vous à sa place. Moi, j'ai un copain de j'aime bien. Il va partir. Je vous assure que je me demande comment je vais réagir. Ne plus l'avoir avec moi va me poser des problèmes. J'ai des habitudes à changer. Je comprends votre fiancée.

— Votre copain part-il pour longtemps ?

— Oh oui ! Il ne reviendra pas, dit Martine. Il a fini ici. Je suis obligée d'envisager un autre copain ou de m'en passer. J'en souhaite un, comme moi, sans addiction. Heureusement, papa m'aide à trouver en prenant des renseignements sur les garçons. Je peux donc m'orienter plus facilement. Faites comme moi. Prenez une autre copine et oubliez la fiancée.

— Ce n'est pas si simple, dit Gilles.

— Pourquoi ?

— Voyez la lettre qu'elle m'a envoyée, et vous comprendrez.

— Ce sont vos affaires, vos secrets. Je ne veux pas être indiscrète.

— Vous êtes une fille équilibrée, puisque vous n'avez pas d'addiction. C'est assez rare. J'ai confiance en vous. Lisez, et n'en parlez à personne.

*

 

Mon chéri,

Je ne voudrais pas te faire de la peine, mais ma conscience m'y pousse. J'ai trop attendu avant de me décider, et, plus le temps passe, plus je me sens mal de t'avoir caché quelque chose. Te le dire est difficile oralement, car tu orientes la conversation de telle façon, que je n'arrive plus à te l'avouer. Pour ne pas te troubler, je n'ai jamais osé te parler de ce que j'avais fait avant de me mettre avec toi. Par écrit, c'est plus simple, car tu ne m'interromps pas.

Sache que je t'aime toujours et que rien ne m'en fera changer. La représentation que tu as de moi doit être conforme à la réalité. Si tu t'imagines autre chose, je ne suis pas digne de ton amour, car alors, je ne corresponds pas à ton idéal.

Voilà ce que tu dois savoir : avant toi, j'ai couché avec Roland pendant plus de trois ans. Ce n'est pas une petite aventure sans conséquence : il était toutes les nuits avec moi, et nous avons consommé de nombreuses boîtes de préservatifs. Je ne l'ai quitté que pour me mettre avec toi. Je t'ai laissé croire que j'étais vierge, mais ce n'était pas vrai. Je n'ai pas voulu te contredire. Tu n'as pas su la vérité, car je cachais ma liaison avec Roland. Personne n'était informé, même toi, car Roland est la discrétion même. Serviteur-modèle, il passe inaperçu. Ensuite, je n'ai pas eu le courage de te le révéler. Tu étais si fier que je t'aie apporté ma virginité ! J'étais la fiancée idéale, comme tu te l'imaginais. Je ne voyais pas comment t'informer. J'ai essayé de le faire, mais tu étais sourd. Dès que j'abordais la question, tu affirmais ma virginité. Suis-je encore vierge après toutes les nuits que nous avons partagées ? Je pourrais le soutenir auprès d'un tiers, puisque nous nous cachons. Tu n'as rien su. J'aurais pu ne rien te dire, mais je t'aime, et mon amour réclame la franchise. Si tes principes sont en opposition avec la réalité, tu devrais te séparer de moi. J'en serais meurtrie, mais je ne t'aurai pas trompé sur mon état réel. Tu peux retrouver une autre fiancée puisque tes principes te laissent le droit d'essayer des filles avant de te décider. Je n'aurai été qu'une passade, que je ne regrette pas.

Tant que j'ai été avec toi, je n'ai plus recherché Roland. Tu es tellement mieux ! Je le renvoyais quand il se manifestait, et il n'a jamais rien exigé de moi. Il est si obéissant qu'il est incapable de m'imposer la moindre chose. Si ça avait continué comme cela avec toi, j'aurais pu l'oublier, car je n'avais plus aucune raison d'aller dormir avec lui, et il était indifférent à ce que je sois avec toi. La situation a changé après ton départ. Ton avenir te l'imposait. Je ne t'ai pas retenu. Roland est incapable d'avoir de bonnes ou de mauvaises idées, et j'ai cédé à sa gentille présence innocente qui m'a toujours émue. Il accepte que je le masturbe, par n'importe quelle façon de le masser, et c'est indispensable pour son bien-être et la propreté. Je pensais à toi, à ton retour que je souhaitais proche, mais j'ai cédé à la facilité, car je n'y vois aucun mal, même si tu n'es pas d'accord. J'étais seule en cause, car Roland se masturbe indifféremment seul ou avec moi. J'ai toujours eu du plaisir à masturber Roland, et il en a besoin pour ne pas être dérangé dans son sommeil. Je le masturbe donc, pour son bien et le mien, et j'ai repris des habitudes. Je couche avec lui, et je l'aime, même si c'est moins que toi et d'une façon différente. Pour moi, Roland est comme un enfant que je dirige à ma guise. Je me suis dit qu'un peu plus ou un peu moins d'amour avec lui ne changeait rien à mon amour pour toi. Je t'ai toujours aimé plus que lui, mais sans ta personne, j'étais nerveuse, et il me calmait. Je vais régulièrement le voir et il m'accepte toujours. Comment faire autrement ? J'espère que tu comprends. C'est si facile de me masturber avec lui, plus facile que de me masturber seule. Pourquoi résisterais-je ? Il n'y a aucune contre-indication, car Roland est passif, comme un outil qu'on utilise au mieux. Cela ne concerne que moi. Je me masturbe très bien avec lui. C'est le plus efficace et agréable. Tu es intelligent. Son outil est exactement adapté à son usage. Il est meilleur que mes doigts. Ne pas l'utiliser me semble absurde. Tu devrais me comprendre, même si tu contestes mon point de vue. Ce n'est pas contre toi. Quand tu es là, tu neutralises Roland en prenant la place qui te revient, et tu me satisfais mieux que lui.

Je m'inquiète actuellement, car une personne inconnue s'intéresse à moi. Ma voisine m'a averti. Tu la connais. Elle est comme une concierge, car elle voit ma maison de chez elle, et elle observe constamment. C'est pratique qu'elle soit là, car elle me rend des services. Elle reçoit mes colis et s'occupe parfois de Roland. Elle sait que Roland est un handicapé, et je suis plus tranquille quand elle observe et qu'il est seul à la maison. Elle le voit dans le jardin, et elle me préviendrait s'il sortait. Jamais il ne l'a fait sans moi. Il a sa journée toute tracée en mon absence : il nettoie la maison et le jardin en suivant toujours le même cycle. Comme elle ne le voit pas à l'intérieur, la voisine m'a fait installer une surveillance dans les pièces, mais elle ne sert jamais, car Roland est réglé comme un métronome, et ne fait rien d'anormal. J'ai regardé deux ou trois fois les enregistrements, et j'ai négligé la surveillance superflue. Or, elle vient de me servir.

La voisine a repéré un homme assez bien habillé, qui est venu plusieurs fois fouiller mes poubelles pour prélever des sacs d'ordures, et les empiler dans sa grosse voiture, avant le passage des éboueurs. Il y a bien quelques pauvres hères qui prélèvent des objets récupérables, mais celui-là observait aussi ma maison et Roland. Il notait ce qui s'y passait, et quand j'entrais et sortais. Elle l'a vu s'introduire chez moi quand Roland était occupé au jardin. Je me suis souvenue de la surveillance. Elle avait fonctionné et déclenché une alarme de premier niveau que j'avais négligée, car Roland pouvait la provoquer. L'homme est allé fouiller dans mes affaires, mais n'a rien pris. Il a photographié mes papiers et mon album de photos. J'y suis avec toi, mais aussi avec Roland et mes proches. Rien à en dire. Je ne cache pas mes photos.

J'ai vu tout le parcours de ce fouineur chez moi. Il a seulement observé. Il n'a rien volé, que des images, sauf dans la poubelle. Mes papiers sont des papiers ordinaires, et mes photos n'ont rien d'artistique. Il a tout remis en place soigneusement. Ce n'est pas un voleur, mais il se renseigne sur moi. Je ne vois que tes parents pour le commanditer. C'est leur droit d'enquêter sur moi. Nous leur avons caché notre intimité à ta demande. Ils ignorent ce que je fais. Faut-il leur révéler ? Ce serait à toi de leur dire. Je doute que ma liaison avec Roland soit connue. Je te donne mon point de vue. Je préfère que tu saches tout sur moi, et tu en fais ce que tu veux. Je n'ai rien à t'imposer. Je suis contente de pouvoir, par écrit, enfin ne rien te cacher. Je te dis tout. J'ignore ce que ce fouineur peut déduire de ses observations, mais c'est l'occasion de me débarrasser du mensonge par omission sur ma virginité qui me taraude. Adieu virginité, adieu fidélité. Je respire mieux. Comme cela, tu sais à quoi t'en tenir si tu te maries avec moi. Tout est clair. J'ai aimé avant toi, de façon continue, pendant des années. Je me suis rodée à l'amour physique que j'ai pratiqué des centaines de fois avec Roland avant toi, en y prenant un plaisir que je ne nie pas. Depuis que tu es parti, je fais de nouveau l'amour avec Roland, mais pour ma stabilité, et non pour lui, puisqu'il s'en passe. Roland ne change rien. Je t'aime éperdument. Je me marie avec toi quand tu veux. J'ai un amant caché qui me satisfait quand tu n'es pas là, mais c'est toi que j'aime le plus, et Roland ne compte pas beaucoup dans notre relation, sauf que je le protégerai toujours. Je ne l'abandonnerai jamais. Je l'assisterai tant que je pourrai. Je suis très attachée à lui. Je ne veux pas le voir malheureux. Il dépend de moi. Le renvoyer serait un drame pour lui. Il aurait toutes ses habitudes à changer.

J'étais déjà adulte quand on a placé Roland chez mes parents pour lui donner un métier ou plutôt un point de chute. Son tuteur avait essayé plusieurs familles d'accueil, mais avec aucune il n'avait convenu. Son tuteur et l'institution nous ont choisis, car il n'y avait ni tabac, ni alcool, ni drogue chez nous, et ceux qui sont comme lui, sont fragiles de ce côté-là. Il faut les en protéger. Roland m'a plu. Il est resté jusqu'à maintenant. Il était gentil, serviable et très beau garçon. Je ne suis pas seule à être sensible à son physique, car les infirmières de l'institution l'aiment bien. Il faisait tout ce que je lui demandais, mais je n'abusais pas de mon pouvoir sur lui comme d'autres l'ont fait, si bien que j'étais pour lui la fille guide, à qui, il s'est habitué et qui ne l'agresse jamais.

En grandissant, j'ai eu envie d'amour. J'étais seule avec lui puisque mes parents étaient morts. Roland acceptait tout de moi sans jamais prendre d'initiative. Je l'ai pris dans mon lit, et il a bien voulu m'aimer physiquement au lieu de se masturber. Je l'aime, mais pas comme toi. Il n'a ni ton envergure, ni ton intelligence, ni tes sentiments. Je ne l'ai jamais envisagé comme mari. Il est toujours sous tutelle. Il tient bien la maison, et exécute ce que je lui demande, mais je ne lui donne aucune responsabilité. Je fais les courses. Il porte les paquets ou pousse le chariot quand il m'accompagne. Il marche avec moi. Il est commode comme amant parce qu'il est toujours à la maison, sauf quand je me promène avec lui. Je ne souhaite pas lui faire de mal. Je ne m'en sépare pas : où irait-il ? Avant que mes parents le prennent, il était brimé, pas toujours méchamment, mais par manque de réaction. Il s'est entiché de moi. Je le mène comme je veux, mais je le respecte, et il est libre avec moi. Il s'est effacé quand je t'ai rencontré, parce qu'il ne me réclame pas. Ne t'attaque pas à lui. Il ignore la jalousie. Si je vais avec lui, c'est de mon plein gré. C'est moi qui suis responsable de l'avoir repris pour combler le vide de ton absence.

Si tu m'acceptes encore comme cela, j'en serai très heureuse, mais si tu juges que ma conduite est indigne de toi, je comprendrai. Tout dépend de tes principes que je ne connais pas bien. Les miens le permettent, mais je respecte ta façon de voir. Elle est aussi légitime que la mienne, et tu as le droit de ne pas m'aimer. Je n'ai jamais voulu te tromper. Tu me conviens. Pourquoi irais-je avec Roland quand tu es là ? Je te suis fidèle quand tu es avec moi, mais je te remplace quand tu es loin et longtemps absent. Roland est là : je vais avec lui et je pense à toi. C'est sans danger. Il me masturbe en se masturbant. Tu acceptes la masturbation, mais c'est aussi de l'amour, au moins de mon côté, et tes principes ne me sont pas clairs là-dessus.

Je n'ai jamais pris de risque avec Roland. Ne t'inquiète pas. Ses tests médicaux ont toujours été aussi négatifs que les miens. Il est sain, et est moins exposé avec moi qu'à l'institution, où l'amour n'est pas très réglementé. Il ne quitte la maison qu'avec moi. Avec toi, je t'ai accepté sans préservatif, parce que j'étais ta promise, mais avec lui, en plus de la pilule que je n'oublie jamais, je lui en ai toujours mis, et ils ne se sont jamais percés ou froissés. Je savais qu'avec toi, si j'étais fécondée par inadvertance, tu te mariais tout de suite avec moi. J'ai accepté le risque d'avoir un enfant de toi avant mariage. Je n'ai jamais voulu du mariage avec Roland. Je ne voudrais pas d'enfants de lui. Je l'aime moins que toi, et d'un amour très différent du tien.

Ta petite fiancée qui souhaite que tu l'aimes encore malgré tout.

                              Marie-Claude.

*

— Qu'en pensez-vous ?

— Moi, dit Martine, je suis dans le cas de Marie-Claude. J'ai un copain, et j'espère me marier avec un autre. Ce copain ne se mariera pas avec moi. À votre place, je garderais Marie-Claude. Elle a des besoins sexuels comme toutes les femmes. Je ne vois rien de répréhensible dans son comportement. Faire l'amour est naturel, et elle prend les précautions habituelles. Je suis aussi fautive qu'elle, mais je ne me sens pas coupable. L'amour n'est pas condamnable dans notre pays. Sa pratique est libre. Dieu merci.

— Marie-Claude m'a caché son amant, dit Gilles.

— Par peur qu'il vous gêne, dit Martine. Il est peut-être mieux d'en parler, mais seriez-vous allé avec Marie-Claude en le sachant ?

— Non.

— Vous avez trouvé la raison de son silence. Il ne faut vous en prendre qu'à vous qu'elle l'ait caché. Vous deviez lui laisser supposer que vous étiez contre les amants. Elle l'a pressenti. Pour vous avoir, elle l'a caché. Elle vous aime. Personnellement, si un homme me demandait d'être vierge pour m'aimer, je le rejetterais. Elle ne l'a pas fait. Elle est meilleure que moi. Entre parenthèses, si vous désirez une vraie vierge, c'est une denrée rare. La plupart des femmes se masturbent, et je ne parle pas des hommes.

— Je ne souhaite pas que Marie-Claude me rejette, et j'approuve la masturbation. Je vais lui répondre que je l'aime malgré son amant.

— Ne lui posez pas de question sur son amant.

— Pourquoi ?

— Il est mieux caché que visible. Il n'a pas l'air gênant.

— Roland est probablement en train de faire l'amour avec Marie-Claude. Admettez-vous que celle qui sera ma femme puisse encore aller coucher avec Roland, moi le sachant ?

— Oui, quand vous n'êtes pas avec elle. Je suis comme Marie-Claude. J'aime ma liberté. Sans liberté sexuelle, la femme n'a pas de liberté. Elle vit sous contrainte et est esclave. Vous devez vous le mettre dans la tête. C'est fondamental. Elle ne va avec vous que si elle le veut bien. Elle n'a pas à vous rendre compte de ses actes. Si vous aimez Marie-Claude, vous devez lui accorder sa liberté, c'est-à-dire la laisser libre de faire ce qu'elle veut de son sexe, même dans le mariage. Son sexe est sa propriété, et non la vôtre. Ne séparez pas Marie-Claude de Roland. Il a besoin d'elle. Ne détruisez pas un équilibre presque parfait entre deux êtres qui s'apprécient. Si Marie-Claude vous aime, elle sera avec vous, et Roland dans l'ombre, sans aucune conséquence sur votre amour. Dans le cas contraire, elle vous quitterait. Profitez de ce qu'elle vous aime et soyez conciliant. Elle peut l'être pour vous. Vous avez la même liberté de votre côté. À vous de choisir si Marie-Claude vous convient, mais ne la critiquez pas. Elle est normale et Roland ne vous gênera pas. Elle est bien bonne de vouloir encore d'un garçon qui l'aurait voulue vierge. Je ne voudrais pas d'un garçon qui méprise une fille qui ne va pas qu'avec lui. Ce ne serait pas la peine de me solliciter.

— Vous défendez Marie-Claude, mais moi aussi. Pour m'écrire une lettre pareille, où elle m'avoue tout, je ne peux que l'admirer. Elle est sincère. Vous avez raison. Je ne conteste pas sa liberté sexuelle. Si Marie-Claude m'aime, il est normal qu'elle cherche à me garder.

— Vous la gardez avec son amant, avec l'amour qu'elle a pour vous et pour lui. Vous devez lui dire qu'il ne vous gêne pas et qu'il peut continuer avec elle. Gardez Roland avec vous. Ce serait cruel de les séparer.

— Je garderais Roland sous mon toit ?

— Roland sera votre employé. Il est à plein temps. C'est la place idéale pour un amant. Marie-Claude ne souhaite pas exposer son amant. On jaserait sur elle, ce qui est désagréable. En plus, cela touche son intimité. Ne l'obligez pas à vous en parler. Respectez sa pudeur. Elle vous en a dit assez dans sa lettre. Laissez-lui la liberté de vous en parler ou non. Si on révèle qu'elle a un amant caché, soutenez-la. Ne cherchez pas ce qu'elle fait quand elle n'est pas avec vous. Permettez-lui d'avoir tous les amants qu'elle désire sans mettre le nez dans ses affaires. Respectez sa liberté. Je suis plus fière qu'elle. Je n'irais jamais avec un garçon qui ne me respecte pas.

— Je la respecterai.

— Elle va pouvoir rester avec son amant. C'est le mieux pour elle et pour vous.

— Pour moi aussi ?

— Bien sûr. Vous savez ce qu'elle fait. Vous n'êtes pas dans l'incertitude. Elle est satisfaite du mieux possible quand vous la quittez. Si vous êtes intelligent, vous ne pouvez que souhaiter son bonheur si vous l'aimez. Toutes les fois que vous retournerez chez vous, Marie-Claude sera à vous. Elle vous privilégie. Que demander de plus ? Ne soyez pas jaloux du plaisir qu'elle peut avoir sans vous. Il ne rejaillit pas sur le vôtre.

— Vous avez une façon d'arranger les choses auquel je ne suis pas habitué.

— L'approuvez-vous ou non ?

— Je dois y réfléchir pour être certain, mais je crois approuver.

— Je vous aurais donc convaincu, dit Martine. Tant mieux. Vous verrez que tout va s'arranger. Je souhaite que vous réfléchissiez à autre chose. Marie-Claude réclame la liberté. Vous lui accordez. Vous pouvez aussi prendre la vôtre.

— Qu'entendez-vous par là ?

— Demandez-lui si elle vous permet de faire comme elle ?

— Dans quel but ?

— Si Marie-Claude vous l'accorde, vous m'intéressez.

— Comme amant caché ?

— Oui. Mon copain va bientôt partir pour toujours. Je suis potentiellement libre.

— Je vais demander à Marie-Claude.

— Merci de penser à moi, dit Martine.

— Comme une femme comprend mieux une autre femme qu'un homme, dit Gilles, et qu'il faut éviter les impairs, pouvez-vous m'aider à écrire la lettre à Marie-Claude ? Nous nous corrigerions mutuellement.

— Mais oui. Nous allons réaliser un brouillon ensemble.

*

 

Chère Marie-Claude,

Ta lettre m'a attristé. Tu ne dois pas te faire de souci. Je suis avec toi. Que tu aies un amant est facile à comprendre puisque je suis loin de toi, et je préfère comme toi qu'il reste caché. Roland est ton protégé. Il devient le nôtre. Nous n'avons pas à nous séparer si je t'aime et si tu m'aimes. Ce serait honteux de renvoyer Roland puisqu'il s'accorde avec toi mieux qu'avec tout autre. L'amour exclusif est un idéal encore enseigné, qui est facile à comprendre pour les gens simples. Il est devenu, pour des gens éduqués, un amour de façade réservé à ceux qui suivent la tradition. Tu n'es pas de ceux qui vivent dans le passé. Tu peux continuer avec Roland. Il n'y a rien de critiquable dans ce que tu as fait avec lui. Je n'y vois que bonté, une innocente bonté que j'admire en toi, et qui est bien rare.

J'ai dans ma famille des représentants de cette minorité arriérée. Une de mes cousines ne s'écarte jamais de la tradition. Elle prône la fidélité entre autres coutumes qu'elle suit aveuglément, et elle donne l'exemple. Une de ses filles la défend tout aussi aveuglément et sera comme elle. Elle est rigide, intraitable, et mène son mari à la baguette. Celui-ci n'ose rien lui rétorquer. Il file doux, et en aparté, il dit qu'il faut la prendre comme elle est, car s'il faisait mine de la contredire, elle s'acharnerait contre lui. Il se tient coi en sa présence et souhaite la paix. Ils ont deux autres enfants qui sont d'accord : leur mère a des œillères, et ils plaignent leur père. Moi aussi.

Ne prenons pas exemple sur cette cousine. Tu me donnes la preuve dans ta lettre que tu as dépassé cette façon étriquée de voir l'amour. Tu es moderne, et je souhaite que tu le sois. Tu as le droit d'aimer tous ceux que tu veux. Tu me dis que tu m'aimes plus que ton amant. Je t'aime aussi plus que d'autres filles. Si tu continues de m'aimer et que tu me places en premier, je me marierai avec toi.

J'ai appris qu'il a demandé des renseignements sur toi. C'est le père de Martine, une fille que je vois souvent, et qui souhaitait mieux connaître ma famille en vue d'un rapprochement possible. Elle connaît la situation, et aurait préféré que je sois libre, mais elle m'a proposé de se mettre ici avec moi, le temps que je serai ici, tout en respectant mon amour pour toi. Je ne le ferais qu'avec ton assentiment. Il n'est pas question pour moi de te cacher quelque chose.

 

Si tu étais moins loin, j'irais plus souvent te voir. Viens ici de temps en temps si tu peux, avec ou sans Roland.

Gilles.                  

*

 

— Tout me semble bon, dit Martine, même les cousins. Nous ne disons que la vérité. Ce serait trop sec sans eux. Dire qu'elle est moderne ne peut que la flatter. Nous verrons ce qu'elle répond.

*

 

Mademoiselle,

Je joins ce courrier à celui de Gilles, pour vous expliquer mes intentions. Je suis amie avec Gilles, car il est un des rares garçons d'ici à éviter les addictions. Nous aimons parler ensemble. Je suis un peu sa confidente, car Gilles doit trouver en moi l'écho de vous. Avec ce qu'il me dit de vous et par votre lettre qu'il m'a montrée, j'ai un aperçu de ce que vous êtes. Nous partageons les mêmes valeurs.

Gilles a été surpris et déstabilisé par votre infidélité venant de votre liaison avec Roland. Je lui remonte le moral, mais vous n'êtes plus celle qu'il s'imaginait. Je cherche à le persuader que votre comportement est logique, et qu'il serait absurde de rejeter un Roland qui me semble pratique. Je me montre en exemple, car je couche actuellement avec un copain qui va me quitter, et ma logique est de vouloir le remplacer, sans me lamenter. J'aime ce copain, mais quand il sera parti, j'aurai un autre amour que j'espère aussi bon.

Gilles ne savait pas comment vous répondre. Je l'ai aidé à rédiger sa lettre. Il vous aime. C'est certain. Il vous a été fidèle jusque-là, et il ne fera rien sans votre accord. Mes relations avec Gilles dépendent de vous. Je me conformerai à votre décision. Gilles a encore quelques réticences à raisonner comme nous, mais il se rapproche progressivement de nos idées, même si la tradition familiale le freine. Il admet maintenant que l'amour pour une personne n'empêche pas d'en aimer une autre. C'est votre cas et le mien, et désormais le sien. Il a évolué. C'est bien.

Si Gilles le désire, je me mettrai avec lui, de préférence discrètement, pour que vos fiançailles n'en soient pas perturbées, et parce que de mon côté, je n'ai pas envie d'étaler mes amours auprès de personnes qui le réprouveraient. Je ferais comme avec le copain que je quitte. Mes connaissances ignorent cette liaison. Ce serait l'analogue de ce que vous faites avec Roland.

Je n'envisage pas de me marier avec Gilles. Il est proche de celui que je souhaite, mais j'en suis encore à essayer de me familiariser avec l'amour et les hommes. Je n'ai pas encore terminé mon évolution. Avoir connu plusieurs partenaires, a l'avantage de permettre la comparaison. Je me laisse le temps de choisir. Prendre une décision actuellement est prématuré.

Les études nous ballottent d'une ville à une autre. Elles prédisposent à des amours de transition. Vous êtes ainsi loin de Gilles, et moi avec lui, mais bientôt Gilles sera à vous complètement. Quand Gilles sera en mesure de retourner près de vous, je me séparerai de lui. Nos destins divergeront. Son amour pour moi est moins fort que celui qu'il a pour vous. Il s'est rapproché de vous, logiquement, parce que vous le méritez. Il serait malheureux de vous séparer de lui, car il ne s'est pas engagé à la légère. Il apprécie votre valeur. En attendant la fin de nos études, je souhaite aimer Gilles, mais il est préférable qu'il reste votre fiancé.

Vous disposeriez en priorité de Gilles, et je m'effacerais devant vous. Je n'aurais que les restes, mais ces restes sont abondants, et correspondent à ce que j'envisage, Gilles devant être la majorité du temps ici.

Je vous ai exposé mon plan. Il est compatible avec la situation actuelle. Si Gilles est capable de coucher avec moi, il prouvera qu'il n'a pas d'addiction pour vous. Si vous répondez favorablement à Gilles en ce qui me concerne, j'en serai très heureuse.

Martine.           

 

Mon chéri,

Je suis contente de ta réaction. Je t'aime encore plus. Si tu as besoin de Martine comme moi de Roland, et même plus, va avec elle. Je serais soulagée de voir que tu peux te comporter comme moi. Il y a trop de gens qui ne comprennent pas l'amour, et en font une compétition où l'on élimine les autres. Je n'aime pas écraser les autres. J'ai la chance que tu penses comme moi que Roland n'est pas à abandonner. C'est merveilleux. J'espère que Martine n'est pas mieux que moi, mais si c'était ton plus grand amour, je m'effacerais. Ton bonheur passe avant le mien.

Marie-Claude.           

*

 

— Marie-Claude désire que je vous prenne comme amante, dit Gilles à Martine. Elle est soulagée de savoir que je songe à en avoir une. Elle reste avec moi. Le préservatif serait bien avec vous, mais je ne suis pas très chaud.

— Qu'avez-vous contre le préservatif ? Il est pratique et sécurisant.

— Il est inefficace. Ce moyen de contraception ne me convient pas. Je me désactive.

— C'est psychologique. Il faut vous rééduquer en vous apprenant à mettre le préservatif. On peut être malhabile, mais quand on a l'habitude, il est mis en une seconde. Au besoin, je peux vous le mettre. Je sais faire. S'en passer est absurde.

— Oui, mais avec Marie-Claude, j'ai déjà voulu me rééduquer. J'ai essayé plusieurs fois. Je le mets sans difficulté, et en une seconde, mais le résultat est toujours le même. Le préservatif ne préserve de rien. Il se ratatine, et relâche mon jus. Le préservatif est en chiffon, plein de sperme, et il déborde plus ou moins, salissant tout, quand il ne reste pas en elle si je suis parvenu à l'enfoncer. Il est désagréable et inefficace. Après quelques essais, Marie-Claude n'a plus voulu que je mette de préservatif et elle a pris la pilule. C'est plus sûr. Sans lui, tout va bien, mais il faut une autre contraception.

— Je ne comprends pas. Que se passe-t-il ? Pourquoi le préservatif ne fonctionne-t-il pas bien ? Avec mon copain, le sperme reste dans le préservatif quand il se retire et ne sort pas. C'est propre. Il se nettoie, et jette le préservatif. Votre préservatif se perce-t-il ? On dit que ça arrive.

— Non. C'est moi qui perds mon érection. Le préservatif se détache et se froisse. Il déborde et donc ne sert à rien. Je ne sais pas comment rééduquer mon érection. Elle s'arrête trop tôt. Le médecin me dit que ça peut s'arranger en m'y prenant mieux, en changeant le tempo, mais ça ne s'est pas arrangé avec Marie-Claude. Je salissais. Elle a donc supprimé le préservatif. Elle aurait pu mettre un préservatif féminin, mais nous aurions accepté une fécondation inopportune, qui aurait accéléré le mariage. La pilule de Marie-Claude semble efficace.

— Bon. C'est bien de m'avoir prévenue. Vous n'êtes pas malade. Gardez votre méthode et venez avec moi. Je prends déjà la pilule. J'aurais préféré le préservatif en plus, mais nous nous en passerons.

— Avez-vous un amant caché ?

— Vous ne devriez pas me le demander. Je quitte un copain, et je couchais avec lui. Je ne suis pas vierge du tout. Il était caché et le reste. Ne me questionnez pas sur lui. Il a droit à la tranquillité, tout comme il me donne ma tranquillité avec vous. Il disparaît de ma vie, et je disparais de la sienne. Nous effaçons le passé.

— Pas d'autre amant ?

— Encore une question à laquelle je ne devrais pas répondre. Apprenez à respecter Marie-Claude. Je n'en ai pas pour le moment. Je vous dirai si j'en prends un en plus de vous. Êtes-vous contant de savoir ?

— Oui... Quand j'irai chez moi, ma fiancée voudra de moi. Je vous tromperai, car je l'aime.

— Je ne suis pas jalouse, dit Martine. Vous faites ce que vous voulez avec elle. Que m'importe que vous soyez avec Marie-Claude quand vous ne pouvez pas être avec moi ? Aimez-la ! Marie-Claude n'est pas dangereuse. Il est normal qu'elle vous cajole quand elle peut le faire. Les circonstances nous dictent notre conduite. Adaptons-nous en souplesse, intelligemment. Quand vous ne serez plus disponible, je me réorienterai, et quand le temps sera venu, je me marierai.

— Pourquoi ne vous mariez-vous pas tout de suite ?

— Voulez-vous vous marier avec moi ?

— Non. Je me marierai avec Marie-Claude.

— Vous avez la réponse à votre question. Je n'ai que vous pour le moment comme mari possible, et vous n'êtes pas disponible. Il faut être deux pour se marier. D'ailleurs, papa souhaite que je me marie avec un garçon fort en affaires. L'êtes-vous ?

— Non.

— Encore une raison pour que je ne me marie pas avec vous.

— Pourquoi me voulez-vous comme amant ?

— Papa a de très bons renseignements sur vous. Il vous accepte comme amant pour moi. Je lui fais confiance. Vous êtes le premier dans la liste qu'il m'a fournie. M'acceptez-vous ? Si vous refusez mon offre, je vous oublie et je m'adresse au second. Mon temps est précieux. Répondez-moi. Je fais ce que vous voulez.

— Je vous accepte. Je serai votre amant caché.

— Un de mes amants. Je me réserve la possibilité d'en avoir d'autres.

— Cela va de soi.

*

 

 

 

— Papa, dit Martine. J'ai l'amant que tu m'as indiqué pour remplacer l'autre. J'ai achevé la transition. Sa Marie-Claude m'accepte et il couche avec moi.

— Te plaît-il ?

— Oui. Tu l'as bien choisi, et tu avais bien préparé le terrain. Le dossier a été très utile. Je n'ai eu aucun mal à ce qu'il vienne avec moi. Qu'il apprenne que sa fiancée le trompe a été génial. Il était parti pour lui être fidèle. Je l'ai fait basculer. Comment as-tu fait pour que Marie-Claude lui envoie une lettre ?

— Quelle lettre ?

— Une lettre où Marie-Claude révèle son amant caché parce qu'elle croit que Gilles va l'apprendre. Marie-Claude a pris les devants. Elle a écrit qu'elle avait un amant caché.

— Je croyais que Gilles savait que Marie-Claude était avec Roland. Il ignorait donc que Marie-Claude avait un amant.

— Il a été très surpris. Il la croyait vierge quand il l'a rencontrée. J'en ai profité pour me placer.

— Je soupçonne le détective de ne pas avoir été discret. Redonne-moi le dossier. Je vais vérifier les notes du détective. Il n'a pas dû se méfier. Je vais faire la lumière sur ce dérapage.

— C'est inutile, papa. Marie-Claude a découvert le détective par sa voisine et sa surveillance. Cela ne changera rien, mais ce n'est pas bien de l'avoir provoqué. Nous sommes responsables d'avoir envoyé le détective, ce qui a déclenché la lettre de Marie-Claude. Il aurait été préférable que Gilles ne sache pas que Marie-Claude avait un amant, puisqu'elle le cache.

— Ne sois pas trop sévère. J'ai mal dirigé mon détective, mais je ne considère pas que ce qui est arrivé soit mauvais. Tu es avec lui.

— J'ai honte de ce que nous avons fait.

— Avoue tout à ton amant pour te soulager. Dis-lui que je suis responsable de tout.

— Je cache mon amant, et je me cache aux yeux de tous. Tout doit rester caché. Je crois que Gilles est bien avec moi. Il est heureux. C'est le principal. Le résultat est bon, même si les moyens pour l'obtenir sont critiquables.

— Tu es seule juge.

*

 

Chère Marie-Claude,

J'attends avec impatience le moment où je pourrai être avec toi. Ici, tout va bien. Martine est une fille adorable, et je suis satisfait d'être avec elle, même si je préférerais être avec toi. Je suis sincère : elle te vaut presque ; elle me fait penser à toi, et je surmonte la séparation. C'est agréable de fréquenter une fille qui n'est pas jalouse que je t'aime plus qu'elle, et qui n'a pas d'addiction. Je te remercie d'avoir bien voulu que j'aille avec elle.

Quand j'étais avec toi, je n'ai pas bien observé Roland. C'était pour toi le serviteur-modèle qu'il suffit de guider sans lui donner de responsabilité. Je l'ai donc vu comme cela. Tu donnais des ordres et il exécutait. Je ne me serai jamais douté qu'il était ton amant. Moi, j'admire ton intelligence, ainsi que celle de Martine. Elle est très intelligente. Dans de nombreux domaines, elle m'est très supérieure. Martine m'aime principalement pour mon intelligence, et toi aussi. Roland n'est pas dans ce cas, et pourtant, tu l'aimes, mais par bonté si j'ai bien compris. Tu le protèges parce qu'il est fragile. Tu t'es prise d'amitié pour ce garçon qui dépend de toi. Je t'approuve, mais pourquoi est-ce allé jusqu'à l'amour ?

Je me pose des questions, mais je ne conteste pas ta liberté d'aimer, qui doit rester aussi pleine et entière que la mienne. Peux-tu m'expliquer ce qui t'a conduit à l'état actuel ? Je suis curieux de savoir.

J'espère que tu me recevras toujours aussi bien. Si Roland se comporte toujours avec moi comme quand j'étais avec toi, il ne me gêne pas, mais est-ce bien qu'il aille avec toi ?

Gilles.                        

*

 

Mon chéri,

Je t'attends, et tu seras bien reçu. Roland me permet de tenir. Tu as pu constater qu'il est un beau garçon si on fait abstraction de sa lenteur de pensée, et il fait bien l'amour. Il me masturbe mieux que moi. Il faut seulement ne pas le bousculer et avoir de la patience. Je lui explique simplement ce que je désire de lui, et, quand ce n'est pas compliqué, qu'il a repéré tous les gestes nécessaires, il exécute bien. La masturbation commune avec lui a été assez facile à obtenir, sans doute parce que ça fait partie des gestes instinctifs, au moins pour moi. Je l'ai guidé, et il a exécuté ce que je souhaitais, sans rien ajouter à ce qu'il avait appris, comme toujours. Il fait l'amour sur mon ordre, à ma convenance.

Pourquoi me suis-je mise à l'aimer ? Comment t'expliquer ? C'est une longue histoire. J'étais à peine adulte quand il est arrivé chez nous. Les années se sont accumulées, et je suis toujours avec lui.

Je suis tout de suite parvenue à diriger Roland. Mes parents passaient par moi pour obtenir quelque chose de lui. C'était facile. Il me comprenait, alors que les ordres des autres lui passaient par-dessus la tête. Roland s'est accroché doucement à moi. Il m'a suivie, parce que je le dirigeais. Par la douceur et la patience, j'obtiens tout. J'en ai fait ce que je voulais. Je me suis évertuée à ce qu'il tienne bien la maison, comme mes parents le souhaitaient, et j'en ai fait un serviteur-modèle.

Aux cours d'éducation sexuelle, j'ai appris les problèmes des garçons. Roland avait ces problèmes et se masturbait, ce qui en soi est normal puisque presque tous les hommes le font. Je lui ai appris à se masturber proprement tout seul, mais au début, il ne le faisait que salement, ce qui n'était pas hygiénique. Il souillait ses draps. J'ai dû rentrer dans son intimité, puisque c'était nécessaire. J'ai dû aussi lui apprendre la pudeur, car il se mettait nu facilement. Je lui ai montré que s'il pouvait se déshabiller à l'intérieur, il ne devait pas le faire à l'extérieur, car personne ne le faisait. Je m'habillais pour sortir, même quand il fait chaud. Il n'avait qu'à me copier, et il m'a copié. Je n'étais pas gênée quand j'étais nue avec lui.

J'étais devenue le guide de Roland. Avec d'autres personnes, il ne s'est jamais laissé aussi facilement guider. Elles s'énervent quand il ne fait pas ce qu'elles souhaitent. Il ne les écoute pas comme moi. Je continue de guider Roland.

Quand l'amour s'est emparé de moi, j'ai été attirée vers les garçons. Les garçons ont des antennes qui perçoivent cet état. Devinant mon trouble, ils m'ont assaillie. Je les ai repoussés. Ils n'étaient pas ceux que je désirais. Ils avaient trop de défauts. Ce n'est qu'avec toi que j'ai enfin compris que tu étais celui que j'attendais.

Le seul gros défaut de Roland est d'être débile. Dressé par moi, il n'a pas pris les défauts que je repousse. Je le trouvais mieux élevé et plus doux que tous ceux qui voulaient de moi. C'est sans doute qu'en le guidant, je suis parvenue à l'orienter vers ce que je souhaitais. Tu n'étais pas encore là. J'ai cédé à la tentation. Bien sûr, Roland n'est pas un mari possible pour moi. Je ne suis pas comme ces infirmières, pleines d'empathie et, tellement bonnes, qu'elles se sacrifient au malade qu'elles soignent en le prenant parfois pour mari. Je l'aime bien. Il fait ce que je veux, mais il n'a jamais de volonté affirmée. Tu es un homme véritable avec qui je parle et échange des idées. Avec Roland, le discours est à sens unique. Je pense qu'il n'est pas malheureux avec moi, mais je suis seule à diriger. J'utilise son corps, car le mien réclame, et que c'est facile et agréable. Il a le réflexe d'amour qui me communique le plaisir. Il suffit de masser, de démarrer son érection, de s'engager, et nous pouvons nous masser en commun jusqu'à l'aboutissement. Je profite de ses érections que j'arrive à déclencher. Je n'ai pas à me masturber seule puisqu'il est là quand je le souhaite. Il ne proteste pas quand je dors avec lui, et il ne réclame jamais. Il ne nous a jamais perturbés quand tu étais là. Que tu passes avant lui, ne le trouble pas. Quand tu étais là, il nous a vus faire l'amour ensemble, sans sourciller. Quand je fais l'amour avec toi et non avec lui, il a à évacuer sa production. Quand ce n'est pas moi qui le masturbe, il se masturbe à la main pour ne pas souiller, comme je lui ai appris. C'est équivalent pour lui. Il sait que chaque soir, il a à se masturber si je ne suis pas là. S'il se rebiffait en voulant t'évincer, je ne l'aimerais plus. Il retournerait à l'institution.

Voilà. Que te dire d'autre ? Roland est attaché à moi, non par les sentiments, mais par sa façon de vivre compatible avec la mienne. En un sens, il est mon œuvre. Sans moi, il n'existerait pas, et il serait bon pour finir tristement ses jours dans une maison spécialisée. Il est mieux à me suivre. Il est perdu quand je ne suis pas là. Je le garde avec moi parce qu'il est vivable. Il n'est pas gênant, même quand tu es là. Je ne sais pas ce que je ferais de lui si tu n'en voulais pas. Je n'ose pas l'envisager. Je tiens à ma liberté sexuelle. Je garde Roland puisqu'il la respecte.

Ta petite fiancée qui pense à toi.

Marie-Claude           

*

 

 

Chère Marie-Claude,

Pardonne-moi, mais j'ai du mal à comprendre tes relations avec Roland. Qu'est-il pour toi ? Un grand enfant que tu as adopté ou un amoureux de substitution ou encore autre chose ? Qui est Roland ?

Cela n'empêche pas que je t'aime.

Gilles.                        

*

 

 

Mon chéri,

Je conçois que Roland est difficile à situer, mais tu l'as vu avec moi, donc, tu sais comment je suis avec lui, et comment il se comporte quand je suis avec toi. Je ne sais pas encore qui il est exactement, mais pour t'éclairer, il faut connaître son histoire.

Roland étant débile, il a été mis très jeune dans une institution. Ils sont parvenus à le faire parler, mais avec un vocabulaire réduit à quelques mots. Il n'a jamais su, ni lire, ni compter, ni écrire. Par contre, il recopie assez bien un dessin et n'est pas maladroit. Il n'a jamais manifesté d'agressivité. Il se protège seulement mollement quand on l'attaque. Certaines activités répétitives lui plaisaient, comme balayer, mais on ne parvenait pas à lui en donner d'autres. À l'institution, il balayait la plupart du temps, mécaniquement, toute la journée. Ils ont cherché à l'utiliser à l'extérieur, mais ses employeurs successifs se sont tous lassés du balayage guidé par l'infirmier qui l'accompagnait. Papa l'a emprunté pour balayer à la maison durant une heure, et n'en aurait plus voulu si je n'avais pas été là. À la place de l'infirmier, qui s'est déchargé sur moi, j'ai dirigé Roland pour qu'il balaie aux bons endroits. Je lui donnais des bonbons, et il m'obéissait. Roland m'a intéressé, car il s'était mis à me singer, à balayer comme moi quand je lui prenais le balai des mains. J'ai demandé qu'il vienne balayer de temps en temps de façon que je satisfasse ma curiosité. Des vacances commençaient. Je devais partir avec mes parents. Ils ne pouvaient pas le prendre avec nous. Comme les parents ont vu que j'y tenais, ils sont partis sans nous, me disant de me débrouiller avec lui et l'infirmier accompagnateur. Quand j'en aurais eu assez, il n'y avait qu'à reconduire Roland à l'institution et les rejoindre. Ils m'ont téléphoné plusieurs fois pour savoir quand j'arriverais, mais je n'avais jamais fini avec Roland. Au début, il venait quelques heures avec l'infirmier. Ensuite, quand j'ai été habilitée à le prendre avec moi, l'infirmier ne restait plus. Il était inutile.

Roland ne se tenait pas bien à table. Je suis parvenue à ce qu'il fasse comme moi, en utilisant sa fourchette au lieu des doigts. J'étais très fière, car il avait comme réputation de ne savoir que balayer. Mes parents m'ont félicitée au téléphone. J'avais de l'influence sur Roland. J'ai essayé d'autres choses, et Roland me suivait ou essayait de me suivre. Cela ne marchait pas du premier coup, mais avec de la patience, je parvenais à le faire progresser.

L'institution a été avertie qu'il était possible de perfectionner Roland. Ils ont été étonnés. Ils avaient essayé, mais sans résultat important. Les infirmières arrivaient à le guider, mais il fallait être sur son dos constamment. Ils nous ont proposé de le garder avec nous le temps que nous voulions. Depuis, il est toujours resté ici, mais je peux encore le renvoyer à l'institution. Il a un tuteur qui s'occupe de lui, même s'il est toujours avec moi. Il nous a été confié, mais il est reconnu comme grave handicapé mental à vie, et l'administration est derrière pour le reprendre à sa charge si je ne le veux plus. Ils le suivent toujours médicalement, et le soignent quand il est malade.

Je n'ai jamais renvoyé Roland. Au début, quand je l'ai eu entièrement à ma charge, ça n'a pas été toujours drôle. J'avais trouvé un jouet, mais il avait des inconvénients. Roland avait des habitudes qui ne me plaisaient pas. Il était sale, sans hygiène si on ne l'assistait pas. J'ai bataillé pour qu'il devienne propre, car, sans cela, mes parents l'auraient rejeté. Il avait heureusement de la bonne volonté, au moins avec moi. L'institution nous avait prévenus. Il fallait s'en occuper comme d'un bébé, l'aider à s'habiller et se déshabiller en lui choisissant ses vêtements, et le laver en le surveillant, car il pouvait s'ébouillanter dans la baignoire ou la douche. Il n'avait pas de couches, mais il était bon d'être là quand il faisait ses besoins, pour l'empêcher de salir. Mes parents l'avaient pris pour un gros balayage, mais Roland ne leur plaisait pas. Ils ne voulaient pas le voir. J'avais obtenu de le garder, mais je devais m'en occuper seule. Ils escomptaient que je me lasserais. Je ne me suis pas lassée.

Roland se salissait vite. J'ai voulu laver mon bébé, car il ne savait pas le faire sans aide, mais il était plus grand que moi. Les mains étaient sales, mais pas seulement les mains, et c'était difficile à enlever. La douche ne suffisait pas. J'ai frotté pour que tout parte. J'ai dû aller dans les moindres recoins, pour qu'il soit bien propre. Je ne pouvais pas le laisser dans sa saleté. Ce n'était manifestement plus un bébé. J'ai cherché à ce qu'il se frotte lui-même, mais il voulait me laver quand je lui mettais l'éponge dans les mains, et j'étais toute mouillée. Je savais par l'institution qu'il n'attaquait pas les femmes, même proches. Alors, je me suis déshabillée et lavée devant lui. Chacun avec une éponge, il s'est lavé comme moi. Une seule séance n'a pas suffi. Il ne s'est lavé seul qu'au bout d'une trentaine de séances au moins, et en lui en donnant l'ordre. Il n'en prenait pas l'initiative, mais je n'avais plus à lui montrer. Je n'avais plus besoin de me déshabiller, et j'avais compris que la pudeur n'était pas indispensable avec lui.

Je me souviens de l'état où il laissait les toilettes après y être passé. Ce n'était pas joli, si je le laissais faire. Il fallait nettoyer, et j'ai nettoyé pour que mes parents ne s'en rendent pas compte, et qu'ils ne le renvoient pas. Je n'avais pas compris qu'il fallait l'assister de très près, comme l'infirmier, et celui-ci ne venait plus. Je lui ai d'abord appris à nettoyer après son passage, mais ce n'était pas la bonne solution. Il fallait toujours recommencer chaque fois. Le guider comme l'infirmier ne suffisait pas, car je n'étais pas toujours là. Étant souvent seul, il devait apprendre. Je suis parvenue à l'éduquer pour qu'il s'y prenne bien. La seule méthode efficace était de lui montrer comment je faisais moi-même. J'ai surmonté ma pudeur, comme pour lui apprendre à se laver. Comment faire autrement ? À force de répéter, de montrer où se placer sur la lunette en s'asseyant au lieu de se percher dessus, il a compris, mais nous avons vu comment nous étions faits. Je devais m'essuyer devant lui pour qu'il s'essuie, et bien lui montrer comment utiliser le papier. Comme je suis une femme, il va faire ses besoins encore maintenant comme une femme. Il ne déroule pas une quantité de papier pour s'essuyer, et il ne le jette pas n'importe où. Il ne bouche plus les canalisations. Il ne déclenche la chasse d'eau que quand il a fini. Je n'ai pas cherché à lui apprendre à pisser debout en visant bien. Je ne sais pas le montrer. Tout restant propre quand il s'assied comme moi, je suis satisfaite. Je ne lui ai pas encore tout appris.

Je lui avais donné un grand lit et sa chambre. J'ai préféré le masturber plutôt que laver les draps. Ce n'est que plus tard que je suis parvenue à ce qu'il se masturbe lui-même proprement. Ce n'était pas facile, car je ne pouvais pas lui montrer comment je faisais moi-même. Il ne pouvait pas me copier. C'est cette masturbation, que je lui imposais chaque soir qui m'a incité à me masturber avec lui. C'est toujours resté une double masturbation, neutre pour lui.

Au fil des ans, je lui ai montré tout ce qu'il y avait à faire pour entretenir de la maison. Par la parole, c'était plus laborieux. J'y ai consacré du temps, mais le résultat est là. Il est devenu un bon serviteur. Il sait faire ce que je lui ai montré et qui n'est pas trop compliqué. Il a un peu plus de vocabulaire. Il est encore capable de s'améliorer. Il arrive à préparer quelques plats de cuisine simple et à tenir la maison. Sans lui, je ne serais pas restée seule dans la maison après la mort de mes parents. Je suis heureuse d'avoir gardé la maison grâce à lui.

J'ai mis plusieurs années à obtenir un Roland que je considère convenable. Je l'ai formé, en essayant de le guider vers ce que je considère le meilleur. Je suis assez satisfaite du résultat. Roland est en grande partie mon œuvre, et bien plus utilisable qu'au début. Il n'est malheureusement pas intellectuel. Je le vois comme un robot, un androïde plutôt, avec un corps parfait que j'admire beaucoup, et un cerveau rudimentaire. Je l'ai dressé pour m'obéir et il s'acquitte bien des tâches que je lui ai fixées.

Pourquoi l'ai-je pris comme amant ? Tu souhaites savoir. Je n'ai pas dressé tout de suite Roland à la pudeur. Avec l'apprentissage à la propreté, il n'y avait plus aucune pudeur entre nous, et, passé les premiers moments pour moi, ça ne nous gênait ni l'un, ni l'autre. Je pouvais me frotter contre lui : il ne réagissait pas. Les parents étaient trop occupés pour savoir ce que nous faisions, et ils préféraient ignorer Roland. Ils étaient dans leur coin de maison ou au travail. Les rencontres se limitaient pratiquement aux repas. Ils avaient assisté à quelques-unes des séances de dressage, mais elles ne les passionnaient pas. Ils me laissaient faire et approuvaient les résultats du bout des lèvres, mais ils ne participaient pas. Dans la mesure où mes résultats d'études n'en souffraient pas, ils me passaient mes lubies. J'étais donc généralement seule avec Roland, et je l'ai été complètement quand ils sont morts. J'étais seule à programmer mon androïde comme je voulais. Je l'ai préservé des défauts qui m'horripilent chez la plupart des garçons et que tu n'as pas.

J'étais dans l'intimité de Roland. J'étais souvent nue à la maison avant qu'il arrive. J'en ai repris l'habitude, et il faisait comme moi. Il avait des érections, sans que je puisse toujours déterminer pourquoi elles se produisaient. Ma vue, même nue, n'en était pas l'origine. D'après le médecin de l'institution, je n'avais pas à m'en préoccuper. La masturbation quotidienne résolvait le problème. Je lui ai appris à se masturber proprement, ce qui limitait le nombre des érections et assurait la propreté. Il le faisait souvent devant moi. Je n'y ai vu aucun mal, mais c'est à partir de ce moment-là que je l'ai incité à la pudeur envers les autres. Il n'avait pas à s'exposer en dehors de la maison. J'ai réussi à lui faire comprendre. Je ne voulais pas d'ennuis avec les voisins et la police.

J'ai eu une période où je me suis intéressée aux garçons. Roland en avait le physique, mais il était étranger à l'amour. Comment me percevait-il ? Je ne savais pas. Je n'étais pas de son espèce. D'après l'institution, même s'il avait des érections et se masturbait, il était insensible sexuellement aux femmes. Quand j'étais nue devant lui, il ne réagissait pas. Mon androïde n'était pas un homme comme les autres. Je n'ai jamais eu à fermer la salle de bain ou ma chambre. Qu'il entre n'avait pas d'importance. Il était neutre. Les massages l'excitaient, mais pas ma présence. J'ai observé longtemps Roland. Il ne percevait pas que j'étais du sexe opposé. Moi, je savais, grâce aux copines, aux livres et à l'éducation sexuelle. Un jour, je me suis décidée. Je l'ai massé, comme pour un début de masturbation, j'ai posé un préservatif, et j'ai approché mon sexe du sien. Il a accepté que je le masse de cette façon, ainsi que les jours suivants. Mon androïde était capable de simuler l'amour. Moi, je n'ai pas simulé. J'étais, très réceptive ! Je me suis laissée aller. J'ai fait l'amour complètement. J'ai perdu ainsi ma virginité.

À partir de là, Roland est devenu mon amant. Je lui ai appris à me caresser, à m'embrasser. Il y est parvenu progressivement. Je lui indiquais les gestes qu'il devait faire. Je guidais sa main et ses lèvres. Je le caressais, et il copiait. J'ai eu ainsi avec lui les relations physiques que je lui avais apprises, mais il n'a jamais eu d'initiative. J'étais heureuse de ses caresses, mais il ne cherchait pas à me rendre heureuse comme toi. La signification des caresses lui était manifestement étrangère. Il caresse sur ordre. Je me suis perfectionnée à ton contact. J'ai appris une autre façon d'aimer, avec de nouvelles caresses. Quand j'ai repris avec lui, je l'ai perfectionné en amour en m'inspirant de toi. Je pense à toi quand je suis avec mon androïde. Il te copie bien, mais mécaniquement. Pour lui, ce n'est qu'une tâche répétitive comme les autres.

Mon amour pour Roland est celui que j'ai pour un robot. Il est perfectionné, mon robot, mais comment m'aime-t-il ? Je n'en sais rien. Remarque que je ne connais pas non plus l'amour que tu as pour moi, car je n'ai pas accès à tes pensées profondes, mais, à tes réactions avec moi, je soupçonne qu'il est assez fort, et tu me dis que tu m'aimes. Roland a l'amour pour moi que je suis parvenue à lui communiquer, mais c'est le tien par mon intermédiaire suivi du sien.

Tu m'as attribué de la bonté. Suis-je bonne d'avoir dressé un androïde que j'exploite à mon service ? Je suis indépendante, libre de mon sexe, et assistée par un androïde qui est mon jouet, et auquel je tiens comme à un enfant.

Si tu veux toujours être mon mari, je t'attends. Je t'aime.

Marie-Claude.           

*

 

 

 

— Que pensez-vous de cette lettre, dit Gilles à Martine ?

— Marie-Claude me plaît. Vous serez bien avec elle. Roland est désincarné. Vous ne pouvez pas être jaloux d'un androïde. Marie-Claude préfère l'original, un homme complet avec un cerveau, et non une mauvaise copie.

— Roland n'est pas désincarné. Il est de chair et d'os. Je n'arrive pas à me faire à ce que Marie-Claude couche avec lui.

— Vous couchez bien avec moi. N'est-ce pas pareil ?

— Vous m'avez pris par surprise. Jamais je n'aurais cru pouvoir faire ça. Je me suis laissé entraîner. Je ne voulais pas.

— Je sais pourquoi. Que vous a-t-on enseigné pendant votre jeunesse ? Avez-vous le droit d'aimer deux personnes ?

— Une seule, bien sûr. C'est la règle.

— Voilà l'origine de votre trouble. Vous avez été dressé de cette façon, avec cette règle. J'ai été dressée au contraire pour aimer sans limites, tous ceux que je peux aimer. Les enfants sont conditionnés par l'éducation. Quand ils sont devenus adultes, ils se guident sur des règles apprises qui ne sont pas universelles, d'où des conflits entre idéologies. Beaucoup de guerres viennent de là.

— Quelle est la bonne règle dans notre cas ?

— Bien malin qui pourra vous répondre objectivement. Il y a beaucoup de variantes.

— Dois-je vous quitter ?

— J'en serais désolée, mais vous êtes libre. Si vous appliquez vos principes, le monde se coupe en deux. Marie-Claude est de mon côté. Vous restez seul.

— Je préfère rester avec Marie-Claude, dit Gilles.

— Avec moi aussi ?

— Oui. Je ne reviens pas en arrière. Je vous garde toutes les deux. Je ne refuse pas le bonheur de vous avoir avec moi.

*

 

Chère Marie-Claude,

Qu'il est difficile te t'imaginer avec Roland. L'amour que tu as pour lui me dépasse, mais je le comprends à peu près. Quel amour a-t-il pour toi ou pour d'autres ? A-t-il besoin d'amour ?

Gilles.              

*

 

Mon Chéri,

Pour moi, Roland ne sait pas ce qu'est l'amour. Il se masturbe sans savoir à quoi cela correspond, et, avec moi, il se masturbe encore. Je ne suis d'ailleurs pas loin de faire comme lui. Je me masturbais avant d'aller avec lui, et je n'ai pas l'impression d'en faire beaucoup plus avec Roland. C'est simplement plus agréable. Avec un homme véritable, ce n'est pas pareil, car il a des sentiments, que Roland n'a manifestement pas. J'en veux pour preuve, ce que j'ai appris par l'institution.

Périodiquement, Roland passe une visite médicale obligatoire à l'institution. Je le conduis, et nous faisons le bilan de ses progrès. Il n'y va pas assez souvent pour avoir appris à subir cette visite. Ils étaient obligés de lui imposer des contrôles, comme des prélèvements sanguins, en le liant ou le tenant, ce qui provoquait des réactions de sauvegarde et d'effroi. Maintenant, à mon initiative, le médecin m'examine devant lui, et il se laisse examiner. Le médecin me fait une prise de sang, et il peut lui faire une prise de sang. Là où il me palpe, il peut le palper. Nous avons donc ensemble les mêmes contrôles médicaux, en parallèle. J'en profite donc, et c'est sérieux. Mes contrôles ne sont pas une simulation : on me les fait réellement, et je suis inscrite comme bénévole dans le personnel de l'institution. D'ailleurs, Roland ne serait peut-être pas trompé dans le cas contraire. Il vaut mieux que je passe la même visite médicale que lui. On me fait tous les tests possibles, comme à lui.

Le médecin est une dame. Les relations sont plus faciles qu'avec un homme. À ma première demande de garder Roland à la maison sans l'infirmier, elle m'a expliqué les difficultés à surmonter : assistance constante, en particulier, pour la propreté, les soins esthétiques comme le rasage, au lavage et au cabinet. Il y avait aussi les problèmes sexuels de Roland. À l'institution, les handicapés étaient autorisés, et même encouragés, à pratiquer les relations sexuelles, ce qui était bon pour leur moral quand ils trouvaient des partenaires. Roland en avait quelques-unes avec des infirmières, mais les relations n'étaient pas indispensables dans son cas, car il était passif en amour, et la partenaire devait le rechercher. Sans amour, il se masturbait. Pour éviter qu'il souille en se masturbant lui-même, ils avaient une manière propre de procéder, qu'ils m'ont apprise. En lui massant le sexe pour le masturber, on obtenait une érection suivie d'éjaculation. L'infirmier ou l'infirmière de garde était chargée de le masturber avant le coucher. Pour m'éviter une intimité délicate, l'une d'elles irait chez moi chaque soir pour procéder à l'opération.

Je n'avais pas à me préoccuper que Roland soit un homme, car il était insensible aux femmes, mais, après l'avis du médecin, j'étais un peu inquiète d'être seule avec lui. Ils me le livraient, et ils estimaient que tout se passerait bien avec moi, mais saurais-je être à la hauteur ? Roland allait-il me violer ? L'une des infirmières, une très jolie fille, est parvenue à me prouver qu'il était sans danger. Elle était venue chez moi, à la fin de son service à l'institution, et elle ne devait reprendre son travail que dans la matinée. Elle envisageait de ne pas retourner chez elle, car elle habitait loin, et il y avait peu de transports à cette heure. Elle préférait passer la nuit à l'institution, soit dans une chambre libre s'il y en avait une, soit avec l'infirmière de nuit, si la place n'était pas prise par le copain de sa collègue. Avant d'y aller, elle a téléphoné, mais il n'y avait pas de lit pour elle. Seul, un lit de camp inconfortable était disponible. Comme elle était ennuyée, je lui ai offert de passer la nuit chez moi. Elle a accepté. J'aurais pu la prendre avec moi, mais j'ai préféré lui offrir son lit. Quand elle a vu que je devais équiper un lit, elle m'a dit qu'il était plus simple qu'elle couche avec Roland, son lit étant large. Devant mon étonnement, elle m'a dit que ce ne serait pas la première fois. Les infirmières de service masturbaient Roland le soir sans difficulté. Il était, parmi les handicapés, un des plus gentils, le chouchou de plusieurs d'entre elles. Elles cherchaient à ce qu'il soit bien, et elles le défendaient contre les attaques de certains handicapés qui profitaient de sa passivité pour lui faire toutes les niches possibles. Il ne savait pas se défendre. Il subissait les méchancetés sans se plaindre, et on lui avait retiré l'usage de la sonnette pour appeler à l'aide, car il ne savait pas s'en servir. Comme des handicapés allaient le déranger jusque dans son lit, l'infirmière de garde de nuit offrait souvent à Roland de dormir avec elle, dans la chambre de garde, ce qui évitait d'aller faire la police près de Roland. Certaines infirmières utilisaient les possibilités amoureuses de Roland à leur profit, mais pour faire l'amour avec lui, il fallait détourner la masturbation vers une relation sexuelle. Roland n'imposait rien. Ce n'était pas un violeur. Cette infirmière est restée dans le vague sur celles qui étaient concernées. Je la voyais bien avoir fait l'amour avec Roland, mais je n'en étais pas certaine, et elle ne m'en a pas fait la démonstration.

 J'ai proposé à l'infirmière une chemise de nuit ou un pyjama, mais c'était inutile. Ne désirant pas faire l'amour, elle a d'abord masturbé Roland, s'est déshabillée, s'est collée contre Roland qui était déjà au lit, nu comme elle. Roland est resté imperturbable. Il était neutre, comme je l'ai toujours constaté par la suite. Roland faisait l'amour passivement, en se pliant à la volonté de sa partenaire. Il ne le ressentait pas comme une agression ou un plaisir, mais de la même façon que la masturbation : un soulagement le désactivant pour la nuit. Mon infirmière a bien dormi, avec Roland comme bouillotte.

 Curieuse, j'ai questionné les infirmières. Elles n'ont rien dit d'individuel. Elles sont restées dans le vague sur celles qui étaient concernées, mais elles ne m'ont pas caché qu'il y en avait plusieurs qui se faisaient plaisir avec Roland. Pour parvenir à faire l'amour, comme Roland ne prenait pas d'initiative, il fallait se disposer au-dessus de lui, et agir. Que je le prenne avec moi, les perturbait un peu, car elle en avait l'habitude, mais il était mieux avec moi qu'à l'institution. Si je l'utilisais comme les infirmières, je n'avais rien à craindre. Elles me le conseillaient, car Roland n'avait pas les fantaisies des hommes, et les inévitables ennuis qui en résultent. Il n'était pas jaloux, et d'un mutisme sécurisant.

J'ai pris le relais des infirmières après avoir appris les soins pour Roland. J'ai manié le rasoir électrique, coupé les cheveux et les ongles. Jamais Roland ne m'a attaquée. J'ai toujours su que je pouvais me masturber avec lui, comme les infirmières, mais j'ai mis du temps à me décider. C'était possible. J'étais tentée. J'ai longtemps hésité, mais ça me tournait dans la tête que je pouvais sans danger essayer. Je me demandais si j'avais le droit de faire l'amour avec lui. Il était de l'âge mental d'un petit enfant, donc incapable de décider de quoi que ce soit. Mais il avait un corps et un sexe adulte. Il avait un tuteur pour décider à sa place, mais ce tuteur faisait confiance à l'institution, et l'institution me faisait confiance, bien que de temps en temps, elle passe une inspection et continue les visites médicales. J'ai longtemps masturbé Roland, avant de lui apprendre à le faire proprement, et souvent, je l'ai masturbé encore, par plaisir, toutes les fois que j'en avais l'occasion, car j'aimais sentir l'épanouissement de son sexe dans ma main. Je ressentais cette masturbation au plus profond de moi, et je comprenais que des infirmières aient cédé à la tentation. Il ne faut pas croire à l'insensibilité des infirmières. Elles sont professionnelles, mais encore des femmes. Elles avaient fait l'amour avec lui, et il n'en avait pas été perturbé. C'était le principal. On ne pouvait pas en vouloir aux infirmières. Comme moi, en masturbant, elles faisaient attention à ne pas le blesser avec leurs ongles. En principe, elles auraient dû mettre des gants, mais elles préféraient toucher. Il ne souffrait, ni de la masturbation imposée, ni de l'amour. Il ne le réclamait pas, mais il en était capable. Il avait la nécessité d'éjaculer de temps en temps, mais sans préférence sur la méthode.

 Après la mort de mes parents, j'ai d'abord couché avec Roland pendant plusieurs mois, sans relation sexuelle. J'ai vite abandonné le pyjama, et je me suis collée contre lui, comme l'infirmière. J'avais sa chaleur, le contact de sa peau. La nuit, dans ma grande maison, il me sécurisait. Je pouvais tout explorer de son corps parfait. J'ai joui de sa proximité. Je ne cherchais pas à faire l'amour avec lui, mais j'avais des sensations étranges. Quand je le masturbais, avec sa verge dans ma main, je transposais par la pesée, et mon sexe réagissait. J'étais envahie par des hormones. C'est sans doute ce qui se passe pour ceux qui pratiquent la fellation. J'étais mûre pour la relation sexuelle. J'étais conditionnée physiquement à l'amour. Un jour, à l'image des infirmières, qui n'ont pas su plus résister que moi à l'appel de l'amour physique, j'ai remplacé la masturbation manuelle par la masturbation commune. Je ne savais pas comment m'y prendre, et Roland, toujours passif, ne m'aidait pas. J'ai persisté, car je n'étais pas plus bête que les infirmières, et elles y étaient arrivées. Elles avaient sans doute l'avantage sur moi d'avoir déjà pratiqué. J'ai tâtonné avant de trouver la méthode. Je ne cherche pas à me disculper. Je fais l'amour physique avec Roland, et je l'aime physiquement. C'est indéniable.

J'en déduis que Roland n'aime pas sexuellement comme nous. Il est un faux homme, sans aucun sentiment. D'ailleurs, être avec lui est très différent d'être avec toi. Tu dialogues, échanges des informations, et prends des initiatives. Ce n'est pas à sens unique.

 

Maintenant, venons à la virginité. Je t'ai dit l'avoir perdue avec Roland. Est-ce à ce moment-là ? Ce n'est pas certain. J'ai la sensation de l'avoir perdue petit à petit, en plusieurs fois. D'abord en me masturbant, puis avec Roland, puis avec un garçon que j'ai rapidement rejeté, puis avec toi. À chaque fois, c'était nouveau : du plaisir supplémentaire, mais aussi la sensation de découvrir autre chose. Je ne sais pas si je peux encore découvrir plus. La maternité, peut-être. Dans l'antiquité, au Moyen-Orient, la virginité ne se perdait que quand on avait un enfant, mais la jeune femme avait alors prouvé qu'elle pouvait enfanter. N'étant plus vierge, elle devenait plus attractive, car elle était une femme féconde. Une fille vierge n'était pas mariable, car impropre à donner des enfants.

Avec toi l'amour me semble complet. Maintenant que je suis de nouveau avec Roland, je pense à toi, et puisqu'il te copie bien physiquement, c'est encore de l'amour avec toi, mais je préfère l'original. Heureusement, Roland ne se formalise pas que je pense à toi. Il ne comprend pas que je puisse aimer, car je suis certaine qu'il ne comprend pas l'amour. J'ai essayé un véritable garçon avant toi. Je l'ai aimé au début. J'étais satisfaite. J'ai eu du plaisir, et plus qu'avec Roland, parce que c'était un homme véritable, et qu'il savait aimer. Je l'ai photographié pour avoir son image avec moi, comme la tienne qui m'accompagne maintenant. Je l'aimais donc, mais, au bout de quelques jours, il est revenu à moitié saoul d'une fête avec ses copains. Je n'ai pas supporté. Il me voulait, et j'étais incapable de lui résister, car il était énervé et plus fort que moi. Il allait me violer. J'ai appelé Roland. Il est venu à mon appel. Je me suis retranchée derrière lui, et il m'a sauvée. Qu'aurait fait Roland s'il avait été menacé ? Il ne sait pas se défendre. Je ne lui ai pas appris. Le garçon n'a pas osé se mesurer à lui. Il a disparu, et je ne l'ai jamais revu. Roland impressionne. Il est dissuasif. J'ai enseigné à Roland certaines manières du garçon qui m'avaient plu, comme j'ai fait ensuite avec les tiennes après ton départ. Roland est capable de copier, mais il n'a pas d'initiative. C'est toujours moi qui fais l'amour avec lui, à ma façon, et jamais lui. C'est toujours moi qui l'excite en le massant. Jamais il ne me demande. Je le masturbe avec mon sexe, comme je peux le faire avec ma main. Il réagit mécaniquement. Roland n'est pas un homme. C'est toi que je souhaite.

Si je ne te plais plus. Je ne t'oblige à rien. Tu me le dis, et je cherche ailleurs, mais je te regretterai. Ta copie me fait patienter. Fais de même avec Martine. Je te garde la place en t'attendant.

Marie-Claude.           

*

 

Chère Marie-Claude,

J'en apprends de belles ! Ainsi, tu ne t'es pas contenté de Roland avant moi. Ce que tu as fait avec ce copain est plus grave que ta liaison avec Roland, qui s'explique plus facilement. Pour moi, une jeune fille peut normalement se masturber, tout comme il m'est arrivé de le faire. J'admets que tu te masturbes avec Roland. Tu étais encore vierge en allant avec Roland. La situation a changé. Je ne suis plus celui à qui tu as donné ta virginité, mais c'est ce copain de quelques jours. Si je l'avais su, il est probable que j'aurais hésité à aller avec toi, car il est incontestable que la pureté que tu affichais a fortement joué en ta faveur. Tu étais parée de toute l'innocence des jeunes filles. J'en ai été séduit. Je déchante. Tu n'étais qu'une fille ordinaire. Avec Martine, c'est plus clair. Nous nous aimons, sans mystère. Je ne l'ai jamais nimbée d'auréoles.

Pardonne-moi de ma franchise.

Gilles.              

*

 

Cher Gilles,

J'ai été avec toi pendant une période qui a été la plus agréable de ma vie. Je t'ai aimé et je t'aime toujours, mais je me refuse à avoir une addiction pour toi. Je n'y succomberai pas. J'ai encore la tête froide. J'ai des principes rigides sur les addictions. Je n'irai jamais avec un homme qui boit ou fume. J'en ai connu un : ça suffit. Tu peux avoir d'aussi rigides principes que moi sur la virginité. Il faut en tirer les conséquences.

 Quand tu es parti, je ne t'ai pas suivi, malgré mon désir. Le travail a pris le pas sur l'amour. L'amour doit se maîtriser, et je le maîtrise. Je ne m'y adonne que quand c'est raisonnable. Je suis capable de m'en passer, mais non sous prétexte qu'une tradition contestable me l'interdise. Je dissimule l'amour que j'ai à ceux qui ne le supportent pas, pour ne pas les heurter et vivre en paix, mais j'agis suivant mes convictions dans les limites du raisonnable. Je réclame la liberté effective d'aimer, telle qu'elle est prévue par la loi. Je t'aime et j'aime Roland. Pour moi, c'est compatible, mais comme tes traditions empiètent sur ma liberté, et que tu contestes ma façon d'aimer, nous ne pouvons continuer ensemble.

Je constate que tu ne m'aimes plus beaucoup. Tu me ménages, mais il est évident que tu as évolué en découvrant la réalité. Au contact de Martine, tu as rencontré le véritable amour, dont je suis indigne. Je t'ai trompé. Tu n'as pas été le premier, et je dois en accepter les suites. Ai-je une excuse ? J'ai cherché l'homme qui pouvait me convenir. Je n'allais pas rester éternellement avec Roland, qui n'est pas un homme. J'aspirais à une vie normale avec un homme normal. J'admets avoir été naïve et imprudente. J'ai pris un copain qui me semblait bien. Il était tellement différent de Roland ! Il avait des sentiments, et les sentiments me manquaient. J'ai été séduite. J'ai découvert l'amour complet. J'étais sur un petit nuage. Ce n'est qu'au bout de quelques jours que j'ai compris mon erreur. Je réprouvais ce qu'il faisait. Il n'était pas celui que j'espérais. Je m'étais lourdement trompée. Je suis passée de l'amour au rejet. Je ne l'aime plus, et ceux qui sont comme lui non plus. J'ai maintenant horreur de ceux qui boivent de l'alcool. Allais-je me considérer comme finie, en suivant tes idées traditionnelles ? J'ai rebondi avec toi. Je t'ai aimé et je t'aime toujours. Il n'y en a pas beaucoup comme toi, sans addictions. Je te peine, car tu aurais voulu que je ne passe pas par ce copain pour m'intéresser à toi. Je comprends ta déception. Je ne suis pas la pure jeune fille que tu souhaitais et que tu méritais. J'ai aimé avant toi, complètement et bêtement, un être ignoble, et mon amour s'est fourvoyé par ignorance. Je suis indigne de toi. Martine est certainement mieux que moi. Il est normal que tu la préfères. Elle est plus droite que moi. Tu la mérites. Comme tu n'es pas à l'aise avec moi, il est normal que nous nous séparions. Il ne sert à rien de vouloir raccommoder ce qui est cassé.

Maintenant, je te libère des promesses que tu as pu me faire. Nos fiançailles sont rompues. Tu n'as pas à te préoccuper de mon avenir. Je l'assumerai seule. Je vais chercher un homme que j'aimerais et qui puisse m'accepter telle que je suis, en tolérant mes autres amours et ma virginité perdue. Quand tu reviendras ici, je n'irai pas t'importuner. Si tu aimes Martine, fais ta vie avec elle, si elle le souhaite. Je préfère la clarté à une situation ambiguë.

Marie-Claude.           

*

Gilles montre la lettre de Marie-Claude à Martine.

 

— Marie-Claude me rejette, dit Gilles. C'est fini avec elle.

— Vous n'allez pas abandonner cette fille ! Elle est parfaite. Vous savez exactement ce qu'elle pense : beaucoup de bien de vous. En plus, elle me tolère. Elle n'est pas jalouse du tout. C'est exceptionnel. Elle est intelligente. Elle conçoit l'amour comme moi. Vous devez la garder. Elle est précieuse.

— Comment procéder ?

— Tolérez son amour pour d'autres. Ne lui jetez plus vos traditions à la figure, et tout se passera bien.

— Mais elle rompt !

— Mais non. Une lettre de rupture est moins longue. Elle plaide la réconciliation. Je vous prépare la réponse.

*

 

Chère Marie-Claude,

Ne dramatise pas. Je t'aime toujours et je ne romps pas les fiançailles. Si j'avais su, tout se serait passé autrement, mais maintenant que je sais, je suis content de n'avoir pas su. Je t'aime et je tiens à toi. Mes principes peuvent s'accorder aux tiens. Tu as bien agi en me cachant ton copain et Roland, puisque le résultat est que nous nous aimons. Ils ne font pas d'ombre sur notre amour. J'aime aussi Martine qui est une très bonne amie. Nous n'avons pas l'addiction à l'amour de ceux qui ont l'amour exclusif. Notre pensée est plus forte que les incitations matérielles ou physiques. Ne te tourmente pas. Nous ferons notre vie ensemble. Tu es celle que je préfère. Ne compliquons une vie qui s'annonce bien pour nous deux.

À bientôt, mon amour.

Gilles.              

*

 

Mon chéri,

Te revoilà : intelligent et capable de surmonter les principes surannés et simplistes que la tradition t'a dictés. Il y a compatibilité entre nos amours actuels, car ils n'interfèrent pas entre eux. Quand tu es avec Martine, je peux être avec Roland. C'est équilibré, et bon pour nous tous. La société traditionaliste y trouve à redire et nous impose de nous cacher, mais rien ne s'y oppose, puisque la jalousie ne s'en mêle pas.

Martine a une bonne influence sur toi. Elle te fait évoluer dans mon sens. Tu peux venir ici avec elle. Si elle est vraiment hostile aux addictions, nous trouverons un arrangement. L'amour que tu as pour elle n'efface pas le mien.

Marie-Claude.           

*

 

Une nouvelle période s’ouvre pour Gilles ; il va de temps en temps rejoindre Marie-Claude chez elle, quand son travail le permet.

Trop occupée par son propre travail, Martine ne va pas avec Gilles chez Marie-Claude, et Marie-Claude ne rencontrera jamais Martine.

Dès la première fois que Gilles va retrouver Marie-Claude, Martine peut mesurer l'attachement qu'elle a pour Gilles. Il lui manque beaucoup. Elle ne pensait pas que ce serait aussi perturbant. Elle n'est pas faite pour une longue séparation. Depuis qu'elle aime, elle n'a jamais été quittée pendant plus de quelques jours, ni par son précédent amant, ni par Gilles, et le passage de l'un à l'autre s'est fait sans hiatus. Il y a même eu une période de recouvrement qu'elle a gérée au mieux. Elle a désappris à se masturber, et elle n'a pas envie d'y revenir. C'est avec joie qu'elle retrouve Gilles quand il revient.

De son côté, Gilles a une Marie-Claude amoureuse et toute à lui. Gilles est serein, car Roland ne pose pas de problème. Quand il se remet de nouveau avec Martine, il ne s'inquiète plus pour Marie-Claude. Les relations qu'elle a avec Roland sont de la masturbation renforcée, et rien d'autre. Il en est maintenant aussi persuadé que Marie-Claude. D'ailleurs, désormais convaincu par Martine de la légitimité de l'amour libre, il accepterait que l'amant de Marie-Claude soit un homme normal. Son seul point noir vient de ses parents ignorent que Marie-Claude a Roland comme amant, et que lui-même a Martine comme copine. Il est amant caché de deux filles. Ses parents adorent Marie-Claude, et la plaigne d'être séparée de Gilles. Comment Gilles supporte-t-il la séparation ? Ils sont fiers que Gilles et Marie-Claude aient suivi la tradition en se fiançant. Bien sûr, dans les fiançailles, il y a parfois de la difficulté à garder la virginité jusqu'au mariage, mais la séparation a l'avantage de le faciliter. Gilles acquiesce, et n'ose pas expliquer qu'il n'applique pas intégralement les consignes parentales.

Chaque fois, Martine voit arriver la date où Gilles doit revoir sa fiancée avec appréhension, et elle devient nerveuse. Elle subit une séparation difficile. Elle travaille plus lentement, et sa concentration est moins bonne. Elle comprend que Marie-Claude ait besoin de Roland, car les périodes où Marie-Claude est avec Gilles sont très courtes comparées à celles dont elle dispose. Elle n'est pas jalouse de Marie-Claude, mais elle regrette amèrement de ne pas avoir un amant entièrement disponible. Elle vit très mal les séparations.

Quand Gilles est chez Marie-Claude, Martine peut mesurer le besoin qu'elle a d'un amant. Elle souhaite plus de continuité, mais elle hésite à compléter avec un autre amant qui ne serait avec elle qu'en l'absence de Gilles. Un autre amant caché ordinaire n'est pas l'idéal dans la situation où elle se trouve. L'amant réclame aussi la continuité. Trouver celui qui comme Roland ne fonctionnerait que sur appel, lui semble difficile. Marie-Claude aurait-elle la bonne solution avec un Roland qui se substitue facilement à Gilles ? Martine ne va pas aller voler Roland à Marie-Claude. Martine aurait préféré un amant à plein temps, mais elle ne va pas quitter Gilles qui a besoin d'elle. Elle ira jusqu'au bout de son engagement avec lui, d'autant plus qu'elle n'a pas un grand choix d'amants acceptables. Elle n'envisage pas de remplacer Gilles pendant ses absences par des aventures ponctuelles. Ce serait facile, car elle est sollicitée, mais aucun garçon de son entourage ne lui plaît, et c'est source de trop d'ennuis. Raisonnablement, elle se contente de Gilles. Elle est la seule avec Roland a avoir des périodes d’abstinence, mais elle les supporte.

Martine et Gilles passent plusieurs années ensemble, et Marie-Claude est toujours la fiancée de Gilles qu'elle a avec elle de temps en temps. Chacun tient son rôle et respecte les autres.

*

 

Gilles vient de partir pour rejoindre Marie-Claude définitivement. Ils se marieront. Roland restera le bon serviteur que Gilles parviendra à diriger presque aussi bien que sa femme.

*


 

Martine et Alain

 

— Papa, dit Martine. Je suis enceinte.

— Je ne m’attendais pas à cette nouvelle. Ne voulais-tu pas attendre le mariage pour le devenir ?

— Je suis aussi surprise que toi, dit Martine. Que faire ?

— Voilà le problème à résoudre.

— Aide-moi. Tu sais résoudre tous les problèmes.

— Je suis bon en affaires, ma fille. En amour, c’est plus compliqué, mais je suis prêt à t’aider. Il me faut tous les éléments et tes souhaits. Pourquoi es-tu enceinte d’abord ? N’utilises-tu pas la contraception ?

— Je l’ai mal utilisée, papa, et en réfléchissant, j’ai compris pourquoi. Si c’était à refaire, cela ne m’arriverait pas. Je ne me reposerais pas uniquement sur des pilules, car je les oublie quand je change mes habitudes. Je suis la seule fautive. J'étais troublée par le départ de Gilles qui est parti plus tôt que prévu, et je pensais à la suite. J'aurais dû utiliser un préservatif féminin plus systématiquement ou marquer exactement sur un agenda toutes les pilules prises. Je ne savais plus si je les avais prises ou non. C'est trop répétitif pour qu'on se souvienne parfaitement.

— C’est déjà un résultat positif de comprendre ses erreurs. Je suppose que tu connais l’auteur de ton état.

— Effectivement. C’est Gilles, le seul avec qui j’ai fait l’amour depuis des années. Il est parti pour ne plus revenir, et je reste ici, avec nos affaires. Que ferais-je si j'allais là-bas en admettant qu'il me préfère à Marie-Claude ? Je moisirais dans mon coin. Il a voulu retourner là-bas, et avec raison. Qu'aurait-il fait ici ? Nos affaires ne l'intéressent pas. Le plus simple était de se séparer, ce que nous avons fait, et de repartir sur d'autres bases.

— Est-il au courant de ton état ?

— Non. Il est parti avant que je m’en rende compte. C'est la surprise totale.

— Envisages-tu de lui dire ?

— Non, papa. Je dois assumer mes erreurs. Je ne lui dis rien. Il n’est pas responsable. Je ne compte plus sur lui. Il a disparu, comme prévu. Je suis cachée pour lui. Ses parents m'ignorent. Je n'existe pas, là-bas.

— Il a bien un peu participé. Ton état peut l’intéresser.

— Il serait catastrophé, papa. Je suis l'unique responsable. Laisse-moi t’expliquer. J’étais avec lui parce qu’il partait pour se marier, et j’étais d’accord puisque je refusais le mariage avec lui. Il est normal qu’il fasse sa vie comme il l’entend. C’était sans moi. Il a tout arrangé là-bas. Marie-Claude l'attendait. Il doit être dans son lit. Je ne le verrai plus jamais. C’était nos derniers jours. Je me suis conduite comme une idiote. Il ne reviendra jamais ici. Je n’ai pas son adresse.

— Il a un nom permettant de le repérer. Dans le dossier, j'ai l'adresse de Marie-Claude.

— Oui, mais il n’est pas question que je le dérange. Sa vie est là-bas, et la mienne ici. Je l’ai aimé et je l’aime encore, mais c’est fini avec lui. Il n’a pas fauté. Je n’ai rien à lui reprocher. C’est moi qui ai fauté.

— Bien. J’ai compris. Ne le dérangeons pas. Gardes-tu l’enfant ?

— Oui, en souvenir. Laissons-le vivre. Je parviendrai bien à en faire quelque chose. Son père est très convenable. Il arrivera à un moment qui ne me gêne pas, et nous parviendrons à l'élever. Nous en avons les moyens. Je me ferai aider.

— Tu as caché ton amant, et je t’ai aidé à le cacher, mais un enfant ne se cache pas. Il sera la preuve que tu avais un amant caché. Tu n’es pas mariée. Il faudra affronter l’opinion ou trouver une autre solution.

— Quelle est celle qui te semble préférable ?

— Je suis d’accord avec toi en pensant que l’avortement n’est pas une bonne solution. Le rôle de grand-père me plairait. Mais comme tu le sais, tu as la même malédiction que moi. Tant qu’elle nous laisse tranquille, nous vivons normalement, mais elle peut se déclencher et t’emporter rapidement. Ma mère est morte, j’avais 13 ans, et mon frère cadet est mort avant elle. Soit l’hérédité prédispose, soit notre famille est victime d’un sort qui abrège nos vies. J’ai la chance de vivre encore, et toi aussi. Tu n’es pas certaine d’avoir d’autres enfants dans de bonnes conditions. Profites-tu d’être en forme pour mener celui-là à terme ? Profitons des aléas de la vie.

— Oui.

— Maintenant, qu’envisages-tu ? Prendre un autre amant, te marier ou rester sage ?

— Je n’étais pas trop pressée de me marier, donc, j’envisageais de prendre un autre amant en restant sage sans ce contretemps qui change la donne. Si le mariage rapide était maintenant possible avec un garçon que je puisse aimer, ce serait mieux. Il serait le père de l’enfant. En attendant, un amant peut être envisagé.

— As-tu un candidat ?

— Les seuls que je connaisse visent notre fortune. Je ne suis pas parvenue à la cacher et la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre. Je croule sous les prétendants, mais j’en voudrais un qui m’aime aussi et que j’aime, comme les deux amants que tu m’as fournis. Peux-tu m’en trouver un analogue parmi tes connaissances ? Je comptais sur toi. Tu es bien professeur consultant dans une école qui prépare aux affaires parce que tu m’as dit prospecter pour moi. Gilles étant parti, j’ai à le remplacer. Tu devais m'en fournir un.

— Tu me prends de court. Je te croyais encore avec Gilles.

— Gilles est parti plus tôt que prévu. Je n'allais pas le retenir, mais ça m'a contrarié. Fais diligence. Je suis seule. Où en es-tu dans tes recherches ? As-tu un garçon à me proposer ? As-tu trouvé l’oiseau rare ?

— Je crois. J'ai prospecté pour toi. J'ai plusieurs pistes. Un de mes étudiants devrait te plaire. Son dossier est très bon. C’est le meilleur. Il comprend les affaires, et dépasse tous les autres. Il n’a pas de fille avec lui, et il est buveur d’eau comme nous. C’est une chance, mais, en affaires, les buveurs d'eau sont supérieurs aux autres. Il a de l'avenir. Veux-tu que je le contacte ?

— Oui, dit Martine. Ne perds pas de temps.

— Comme amant, il serait parfait.

— Mari de préférence puisqu’il est bien.

— Il est plus âgé que toi.

— De combien ?

— Je ne sais pas exactement : 10 ou 15 ans. Ce n'est pas un étudiant sans bagage. Il se recycle et se perfectionne. Il est déjà dans les affaires. Comme amant sérieux, il conviendrait, si sexuellement il est normal, mais comme mari, j'hésite. Il n'est pas de ta génération.

— Je ne vais pas faire la fine bouche, dit Martine. Je le prends s'il est normal. Je préfère un homme mûr parfait à un jeunot sans cervelle.

— Il faudra que je lui explique ton état. J’aurais préféré que tu ne sois pas enceinte, mais j’espère arriver à te caser quand même auprès de lui. Tu serais sa première fille d'après mes informations, mais il n'a pas l'air anormal. Je vais me renseigner pour savoir pourquoi il n'est pas marié.

— Comment s’appelle-t-il ?

— Alain. S’il est d’accord, je te l’amène ou je t'en fournis un autre.

*

— J'ai quelques questions à vous poser, dit le père de Martine à Alain. Si c'est trop indiscret, vous n'êtes pas obligé de répondre.

— Vous êtes un très bon professeur, dit Alain. J'ai confiance en vous. J'admire votre compétence. Il n'y a pas d'indiscrétion à me questionner. Je n'ai rien à cacher.

— Bon. Trêve de compliments. Vous êtes plus vieux que les autres étudiants. Quand vous vous êtes inscrit ici, vous aviez déjà une grande compétence. Pourquoi êtes-vous venu vous inscrire ici ?

— Je me suis perfectionné à votre contact. Un perfectionnement est toujours utile.

— Mais encore ? Vous saviez presque tout, donc vous avez perdu partiellement votre temps.

— Non. Je me suis fait connaître en tenant la tête de la promotion. J'espère trouver ici, le moyen d'obtenir les capitaux et les appuis qui me manquent. Il n'est pas facile d'entrer dans le monde de la finance quand on ne dispose pas d'un capital. Il fallait que je montre mes possibilités.

— Serait-ce grâce aux recommandations que nous fournissons ?

— Oui, dit Alain. Les étudiants trouvent une place en fonction de leur rang à la sortie de l'école. Ma surface financière actuelle est trop faible pour que je travaille seul. Ma compétence en affaires doit me lancer en même temps qu'elle profitera à celui qui me fera confiance.

— C'est bien vu. Je vous ferai entrer comme vous le souhaitez dans le monde de la finance. Désirez-vous vous associer à un possesseur de capitaux ?

— Oui.

— J'en connais plusieurs. Ils n'aiment pas tous être aidés. Je vous donnerai un dossier sur chacun d'eux, et je vous recommanderai auprès de celui que vous choisirez.

— J'étudierai leurs dossiers, mais vous pouvez me conseiller.

— L'un de ces dossiers me tient à cœur. Il me permettrait de travailler avec vous.

— Ce serait un honneur. Voulez-vous vous associer à moi ?

— En quelque sorte. Il s'agit de ma fille.

— Voudriez-vous que j'aide votre fille dans les affaires ?

— C'est presque cela, mais permettez-moi de vous dire pourquoi j'enseigne ici.

— Je vous écoute, dit Alain.

— Ma fille achève ses études. Depuis qu'elle est en âge d'aimer, elle m'a confié la charge de choisir les hommes qu'elle souhaite aimer. Elle me considère comme étant objectif, et plus apte qu'elle à en trouver de bons. Je suis venu ici, en grande partie pour le contenter, et je les cherche parmi les étudiants. Vous êtes celui que j'admire le plus. Si vous êtes intéressé, je vous mets en tête de la liste de ceux que je lui conseille de fréquenter.

— Votre fille est certainement plus jeune que moi. Je ne conviens pas.

— Vous avez trop de valeur pour que votre âge vous élimine. Laissez-la décider de la pertinence de mon choix.

— Voulez-vous dire que l'amour avec un garçon de son âge ne la tente pas ?

— Si elle ne veut pas de vous, elle nous le dira. Accepteriez-vous, de votre côté, une fille comme elle, nettement plus jeune que vous ?

— Si elle est bien et me désire, je n'ai rien contre si nous pouvons nous aimer. Si je ne lui suffis pas, elle ne pourra s'en prendre qu'à elle-même.

— Votre logique lui plaira certainement. Je ne sais pas au niveau physique.

— J'ignore mes possibilités. Je n'ai pas de point de comparaison.

— En supposant qu'elles soient faibles, toléreriez-vous un amant discret ?

— Pour me suppléer ? Je n'y ai jamais réfléchi. A-t-elle des besoins pressants ?

— Je pense qu'ils sont normaux. Ma fille est cependant assez active, mais pourquoi ne le serait-elle pas ? N'approfondissons pas ce point pour le moment. Un essai me semble nécessaire.

— Oui. Je manque d'expérience pour vous garantir mes prestations.

— Admettons que ce n'est pas un obstacle. Abordons les problèmes matériels. Si vous cherchez de l'argent, vous n'avez pas de moyens financiers.

— Effectivement. Aucun en dehors de ma bonne mine. Je n’ai pas de capitaux, et, si je suis vos conseils, je ne peux démarrer qu’en m'associant à un possesseur de capitaux misant sur mon savoir-faire.

— Qu'avez-vous fait jusqu'à maintenant de votre compétence ?

— J'ai aidé mon père à ne pas perdre son entreprise. Je l'ai aidé comme j'ai pu, jusqu'à sa mort l'année dernière.

— Un bon en affaires aurait dû bien gérer l'entreprise. Vous étiez capable de conseiller votre père avec votre savoir-faire.

— Oui, mais j'avais les mains liées. Mon père gérait son entreprise sans demander, ni mon avis, ni celui de ma mère. Tout ce que je gagnais par ailleurs était réclamé par papa. Je ne suis jamais parvenu à avoir une surface financière suffisante. L'entreprise avalait tout. Dès que j'avais un gain, papa l'utilisait pour éponger une dette. Nous avons frisé très longtemps la faillite. Nous étions sur la corde raide.

— Où en êtes-vous avec cette entreprise ?

— Papa est mort l'année dernière. Avec maman, nous avons repris en main la gestion de l'entreprise. Papa n'avait pas su s'adapter. Il avait continué avec les anciennes méthodes. Il aurait dû écouter maman.

— Pourquoi ne vous écoutait-il pas ?

— Il n'en faisait qu'à sa tête. C'était le problème de la famille.

— Ne me parlez pas des secrets de famille.

— Il n'y a pas de secret, et vous êtes assez intelligent pour comprendre la situation. Pourquoi me suis-je embarqué à soutenir une entreprise mal gérée, et qui me laisse sans capital ? Maman et papa avaient des différends. J'aime mon père et ma mère. Ils m'ont élevé consciencieusement. Je leur dois tout. Maman s'est mariée avec papa en espérant participer à la gestion d'une entreprise qui l'intéressait. Papa a refusé qu'elle y mette son nez. Maman en a été vexée. Ils m'ont dit qu'ils se sont fâchés à son sujet dès les premiers jours de mariage, et jamais ils ne se sont raccommodés là-dessus. Puisque papa rejetait son avis, en compensation, maman lui a fermé sa chambre. Elle a tenu bon, et papa aussi, jusqu'à sa mort. Ils n'étaient pas vraiment fâchés, car pour tout le reste, ils ont continué à vivre ensemble. Maman persistant, par principe, à se refuser à papa, il a fini par prendre des maîtresses. Papa et maman voulant des enfants, ils se sont entendus pour que maman prenne un amant, et je suis né. Cet amant est mort accidentellement avant ma naissance. Maman a continué avec d'autres amants. Papa et maman n'ont pas divorcé et ont vécu en famille normalement, malgré la brouille sur la direction de l'entreprise et la rétorsion appliquée par maman. Jamais, ils n'évoquaient leur désaccord, et ils restaient sur leurs positions. Je ne l'ai su qu'en les questionnant. Ils m'ont expliqué clairement ce qu'il en était, et m'ont demandé de ne plus l'évoquer. J'aurais aimé qu'ils se rapprochent, mais ils n'ont pas cédé à mon désir. Pour maman, c'était à papa de céder le premier, et papa voulait rester maître de son entreprise. Ils m'ont élevé avec amour, même si je ne suis pas de papa. Ils avaient le souci que je ne souffre pas de leur mésentente, et papa était heureux d'avoir un fils. Ils ont été exemplaires avec moi. Malheureusement, papa n'est pas un bon gestionnaire, et il a été aussi grugé par des maîtresses. L'entreprise prospérait pendant mon enfance, et papa se glorifiait de sa réussite. Les critiques de maman ne le touchaient pas. Ensuite, quand l'entreprise a décliné, papa s'est entêté à la diriger seul. J'ai fourni l'argent que je gagnais, et qui manquait à papa. Avec mon soutien, nous avons évité la catastrophe de justesse. Maintenant, c'est fini. Maman est veuve, et nous avons hérité d'une entreprise dont nous allons nous débarrasser, après l'avoir remise sur pied. Avec maman, nous avons changé la gestion, et l'entreprise va mieux. Nous avons encore quelques dettes, mais nous arriverons à l'équilibre en la vendant. Je pars sur de nouvelles bases, et j'appliquerai ce que vous m'avez enseigné. Si une des collaborations que vous proposez me fournit des capitaux, elle est à envisager.

— Très bien. Ma fille cherche un associé. Elle a des capitaux. Êtes-vous partant pour l’aider ?

— Dans une association inégale, il faut discuter sérieusement du contrat.

— Très bien encore. Le contrat qu’elle propose est un contrat de mariage. Êtes-vous libre ?

— Je suis libre, mais je ne connais pas votre fille. Je ne me lie pas à l’aveuglette avec un contrat à long terme.

— Bien. Voulez-vous discuter du contrat avec elle ?

— D’abord avec vous. Qu’est-ce que ça cache ? Vous dites qu’en affaires, moins on en cache et mieux elles réussissent. Je vous ai expliqué mon cas. Cette fille tombe du ciel ou sort de l’enfer. Est-elle une handicapée ? Quel défaut a-t-elle ? Est-ce une harpie ?

— Je n’ai rien l’intention de vous cacher. Ma fille Martine est enceinte depuis peu d’un bon garçon qui s’est évaporé, et que ma fille ne souhaite pas déranger. Elle cherche en urgence un père convenable pour son enfant, si c'est possible. J’ai pensé à vous. J’aimerais vous avoir avec moi et ma fille pour m’aider dans mes affaires. Ce serait une bonne affaire pour nous trois. Martine a de très bonnes dispositions pour les affaires, comme vous.

— Si votre fille ne me plaît pas, je la refuse. Est-elle libertine ? Je veux un minimum de renseignements sur elle avant de me décider.

— Bien entendu. Ce n’est pas une mauvaise fille. Elle est gentille, éduquée, et difficile sur les garçons. J'ai toute une liste de recommandations. Je ne pourrais pas vous proposer si vous aviez une addiction. Ne la refusez pas a priori.

— Elle serait donc convenable, dit Alain.

— C'est mon avis. Si vous l’acceptiez, il faudrait ne pas tarder, car le temps est compté. Vous seriez père très vite, avec un peu d’avance. L’enfant est dans le lot, mais nous avons les moyens de l'élever. Il ne serait pas une charge très lourde. Je m'en occuperais au besoin.

— Rien d’autre ? Si je peux aimer votre fille et qu’elle a de la valeur, ce ne sera pas l’enfant que je refuserai. Il montre que votre fille est capable d’en avoir. Si elle est intelligente, elle ne devait pas aller avec un imbécile. Cet enfant qui tombe du ciel serait le bienvenu. Une femme de mon âge aurait plus de mal à enfanter. Je n'envisageais plus le mariage et la vie de famille, mais vous me redonnez de l'espoir.

— Vous semblez prêt pour le mariage. À votre âge, vous devriez être déjà marié.

— Ce n'était pas possible. Je ne voulais pas entraîner une femme dans le gouffre de l'entreprise. La situation a changé. Le gouffre s'est refermé. Maman serait heureuse que je me marie, et que j'aie des enfants.

— Attention. Vous pouvez tomber dans un autre genre de gouffre. Ma famille a eu beaucoup de déboires. C’est une sorte de malédiction de cause inconnue. Mes ancêtres pensaient être victimes d'un mauvais sort. Voulez-vous braver la malédiction ?

— Je ne crois pas aux malédictions sans cause réelle.

— Vous croirez peut-être à la génétique ou aux statistiques. Voulez-vous que je vous en parle ?

— Oui.

— Je suis issu d’une famille dont les membres font rarement de vieux os. Statistiquement, nous mourons jeunes et parfois très jeunes. Si je respectais la moyenne, je serais déjà mort.

— Mais vous ne l’êtes pas, dit Alain.

— Exact, mais Martine et son futur enfant sont sous cette malédiction héréditaire. J’ai essayé d’y échapper.

— Comment ?

— Je me suis marié avec une femme que j’ai aimée. Je lui ai proposé d’adopter un enfant pour que l’hérédité ne joue pas. Elle n’a pas voulu adopter.

— Les risques avec un enfant adopté dépassent probablement vos risques héréditaires. Ce sont souvent des enfants à problèmes.

— C’était son raisonnement. Je lui ai dit de faire l’enfant avec un homme de son choix. Elle n’a pas voulu et s’est débrouillée pour faire Martine avec moi. J’ai été lâche en la laissant faire ; je l’avoue.

— Tout cela n’a rien d’une malédiction. Les enfants se font comme ça.

— Ma femme aimait le ski. Elle s’est tuée. Comme enfant, je n’ai que Martine.

— Vous auriez pu vous remarier.

— Non. Je suis trop difficile. Je me suis contenté de maîtresses.

— Souhaitez-vous quand même que j’épouse votre fille ?

— Oui, mais j’aurais aimé que ma famille ne reste pas dans la malédiction.

— Voyez-vous comment faire ?

— Non, mais promettez-moi d’essayer si vous trouver une solution.

— En admettant que je me marie avec Martine pour faire partie de votre famille, dit Alain, je ne peux pas avoir d’enfant de votre descendance sans elle. Comme ce que vous demandez est pratiquement impossible, je vous promets tout ce que vous voulez de possible.

— Prenez-vous donc ma fille ?

— Attendez ! Vous m’avez détourné du principal. Parlons-en. Comment est votre fille ? Comment est sa santé ?

— Les médecins disent qu’elle a une santé resplendissante, qu’elle est parfaite, et que j’ai tort de m’inquiéter. Elle a un beau physique qui attire beaucoup les garçons, mais elle est de ma famille, donc, il peut se dégrader. Elle me parle librement. Elle m'a renseigné sur ce qu’elle a fait dans l’intimité avec ses amants. Je lui laissais la liberté sexuelle, et elle en a usé largement. Elle n’a pas de maladie sexuellement transmissible et ses amants non plus. Elle agit en sécurité. Elle refuse les garçons douteux et demande mon avis. Je ne sais pas comment elle a fait pour être enceinte, car elle m’a toujours dit se protéger. Elle aurait oublié des pilules, car elle était bousculée lors du départ de son dernier amant. Ce serait une erreur de sa part qu’elle veut assumer pleinement. Elle n'accuse pas son amant, qui doit ignorer son état.

— A-t-elle connu beaucoup de garçons ?

— Pratiquement deux successivement, mais personne ne le sait en dehors des intéressés et de moi. Dès qu’elle a été en âge, je lui ai proposé de l’aider si elle avait des envies sexuelles. Elle a eu ces deux amants que j’ai cachés avec elle. Martine a confiance en moi. J’ai préféré choisir ses amants avec elle pour éviter qu’elle en prenne de mauvais en me les cachant. Pour moi, ils étaient des amants convenables, sérieux, en bonne santé, ne buvant pas, comme nous. Vous avez un profil voisin. Elle les a gardés plusieurs années chacun et ne s'est jamais disputée avec eux. Elle aurait pu se marier avec l'un d’eux si elle l'avait désiré, mais les circonstances ne s’y sont pas prêté, et elle n’était pas pressée comme maintenant.

— Comment est son caractère ?

— Agréable. Je m’entends bien avec elle. Jamais de disputes. Elle est posée comme vous. Ses amants l'ont quittée, en accord avec elle, parce qu'ils n'étaient pas d'ici.

— Est-elle bien éduquée ?

— Oui. De brillantes études, et elle est excellente en affaires. Elle peut en discuter avec vous. Si le mariage ne vous convenait pas, elle pourrait vous prendre comme amant.

— Vous pouvez me la présenter, dit Alain, pour que je juge sur pièce.

— J'en suis heureux que Martine puisse faire l'essai avec vous. Je pense qu'ils se dérouleront comme les précédents. Vous discuter avec elle, échanger des informations, et si tout va normalement, vous aller jusqu'au lit. Si c'est l'échec, vous vous quittez comme si rien ne s'était passé, en n'en parlant à personne.

— Martine a-t-elle eu beaucoup d'échecs ?

— Avant ses deux amants qui ont duré des années, elle en a eu plusieurs. Elle était jeune. Elle a acquis de l'expérience.

— Sont-ils allés jusqu'au lit ?

— Martine aime le sexe, et ce n'est pas un ange, mais elle est assez sage pour ne pas s'engager dans une impasse.

— Combien d'échecs ?

— Vous voulez des précisions. Je peux vous en donner, car je suis bien informé, et Martine ne m'en voudra pas. Elle me dit tout. Pour elle, comme pour moi, la relation sexuelle n'est pas le principal de l'amour. Le plaisir physique qu'elle a toujours eu, n'occulte pas sa logique. Elle peut donc pratiquer l'amour physique sans grand risque. Elle s'est donnée à des garçons qu'elle a rejetés ensuite après les avoir étudiés.

— Pendant combien de temps ?

— La liaison a duré jusqu'à quelques semaines pour ceux avec qui elle a couché, mais elle en a rejeté rapidement d'autres sans se donner. La décision de rejeter ou non n'a jamais été un coup de tête. Martine m'a toujours informé de ce qu'elle avait découvert et qui conduisait aux échecs. J'ai approuvé ces essais sérieux et sans suite. Avec mon accord, et en plus de ses deux amants, Martine ne s'est donnée qu'à quatre garçons. J'avais promis de ne rien vous cacher. Martine a ainsi connu intimement six garçons, dont quatre très peu, qu'elle ne considère pas comme les ayant aimés. Ils ont seulement participé à son éducation sexuelle. Seuls, deux ont vraiment compté, et elle les aime toujours, mais maintenant, ils ont tous disparu. Martine est libre d'aimer ailleurs. Si vous l'essayez, j'aurai à vous compter, et j'aurais, ou je n'aurais pas, à trouver un successeur. Il y a d'autres étudiants que je peux mettre sur les rangs, mais je souhaite que vous réussissiez. Martine est très difficile. Je connais ses critères de choix. Je crois avoir trouvé en vous ce qu'il lui faut. Vous pouvez la rejeter, mais vous devriez lui convenir.

*

 

Alain fait connaissance avec Martine. Elle a une confiance absolue dans le jugement de son père, qui a bien choisi l'homme qu’elle souhaite. Alain n’a pas l’habitude des filles, car il ne s’en est pas occupé jusque-là. Martine est belle, propre, habile, travailleuse, intelligente, gentille et accueillante. Alain ne peut pas espérer mieux. Martine est intéressante. Il rêvait d'une femme sans addiction et le comprenant. Son rêve se transforme en réalité. Martine lui semble bien jeune, mais elle n'a pas l'air de le juger trop âgé. Quand il lui manifeste sa gêne de ce défaut, elle l'embrasse sur les lèvres pour lui fermer la bouche. Ils s’aiment très vite et se marient. Jusqu'à sa mort, Martine ne regrettera pas d'avoir choisi Alain, et Alain Martine.

Quand Martine accouche de Roger, ils sont heureux d’avoir un fils. Ils le trouvent normal, même si le grand-père a des doutes.

Après Roger, Martine n’arrive plus à enfanter. Elle n’aura pas d’autre enfant si Alain ne lui en donne pas de viables. Pour Martine, ses fausses couches relèvent de la malédiction.

Quand Roger est assez grand pour comprendre, Alain et Martine lui disent qu’ils ont eu besoin d’un donneur anonyme pour le concevoir et qu’ils n’ont pas pu avoir d’autres enfants. Le destin a voulu qu’il soit enfant unique.

Alain, Martine et son père développent les affaires. Quand le père de Martine meurt, Alain et Martine ont une des plus grosses fortunes de la région.

 

— Alain, dit Martine. Roger est avec nous et ne réclame rien, mais je pense qu’il faut lui donner son indépendance. À lui de trouver les filles qui lui plaisent.

— Il doit s’occuper de nos affaires après nous, dit Alain.

— Bien sûr, mais ce n’est pas pour tout de suite. À son âge, l’amour commence à le travailler. Il doit se roder avec les filles.

— Est-ce utile ?

— Ce n’est pas parce que tu ne l’as pas fait que c’est inutile pour ton fils. Moi, je ne renie pas les amants que j’ai eus avant toi. Ils m’ont préparée à bien t’apprécier. J’ai eu de bons moments avec eux. Si ton fils est comme moi, il a besoin des filles, et les filles seront heureuses de l’avoir dans leur lit. J'ai de très bons souvenirs de mes amants.

— Tu m’as déjà exposé ton point de vue de nombreuses fois. Que proposes-tu ?

— Ne garde pas ton fils ici près de nous. Tu t'occupes trop de lui. Tu lui trouveras un logis indépendant où il pourra recevoir discrètement sans que nous mettions le nez dans ses affaires de cœur. Il a besoin de sa liberté sexuelle.

— Je ne veux pas livrer Roger aux filles publiques.

— Roger n’est quand même plus un enfant. Il est majeur et responsable. S’il fait des erreurs, à lui de les assumer. Il sait ce qu’est une fille publique et comment s’en protéger. S’il ne s’occupe pas des maladies transmissibles de celles qu’il va rencontrer, c’est un imbécile. Il en connaît les dangers. Il sait aussi que les jaloux sont à éviter.

*

 

 Roger et Roseline

 

Roger, riche étudiant, dispose d’un appartement spacieux et confortable, dans un bel immeuble neuf et bien situé. Alain lui a acheté tout l’immeuble pour faciliter ses études, mais aussi pour qu’il gère l’immeuble qui est à louer. Son appartement occupe l’étage supérieur, et contient deux grands studios qui ont une sortie sur le palier. Ils peuvent être rendus indépendants ou rester en liaison avec l’appartement.

Roger regarde autour de lui et propose les studios en sous-location à deux étudiantes qui lui plaisent. L’une gardera le studio sans se lier à lui, et en recevant en cachette un étudiant. L’autre est Roseline, qui a eu vite fait de comprendre que Roger est un fils à papa avec un gros compte en banque. Roseline est belle. Elle fait du charme à Roger. Elle va dans son lit, et Roger ne résiste pas, car il sait qu’elle est saine. Il aime Roseline avec le préservatif qu’ils n’utilisent qu’assez mal. Elle est vite enceinte et réclame le mariage.

Alain et Martine, ayant d’autres projets pour leur fils qu’un mariage qu’ils n’envisagent que pour beaucoup plus tard, ils demandent à un détective de faire une enquête sur Roseline. Pour obtenir une copie d’un paquet de dossiers d’étudiantes, le détective soudoie un employé chargé de s’en occuper. Le dossier de Roseline n’est pas très bon, contrairement à ce que Roseline en a dit à Roger. Elle affirmait avoir eu des études normales. Avec ce document, on aurait pu prévoir que Roseline n’était pas très sérieuse. Elle avait été blâmée deux fois pour avoir fraudé à des examens, et elle les avait tous eus de justesse. Roger en est déçu. Ses parents lui conseillent de refuser le mariage avec Roseline, qui, contrairement à Roger, aime l’alcool. Roger est d’ailleurs plus ou moins promis à Oriane, une fille sérieuse buveuse d’eau, issue d’une famille en concordance avec la leur. Roger se marierait à la fin de ses études qui devraient se terminer en même temps que celles d’Oriane.

Roger trouve un arrangement avec Roseline. Il lui propose de payer une pension, et Roseline a le choix : continuer de réclamer le mariage ou accepter la pension. Elle opte pour la généreuse pension, qu'elle reçoit désormais de Roger pour l’enfant, et ainsi Roseline ne se manifestera plus à lui, de peur de perdre la pension. Les parents de Roger n’auraient rien voulu donner à Roseline, estimant qu’elle a abusé de l’inexpérience de Roger, mais Roger tient bon, car il se considère responsable. Il conseille à Roseline de se marier avec un autre garçon qui serait le père officiel de l’enfant. Roseline trouve assez vite un père pour son enfant, et elle achète une belle maison qu’elle paie à crédit avec la pension.

*

 

 Les parents de Léa

 

Denis et Isabelle, les parents de Léa, ont une fille qui leur donne satisfaction, aussi bien à l’école que dans son comportement. Ils n’ont pas à la brider. Elle est assez raisonnable, intelligente et sérieuse pour se brider elle-même quand c'est nécessaire. Léa est consciente qu’elle doit pousser au maximum ses études pour bien démarrer dans la vie. Elle envisage pour plus tard, d’avoir un bon mari lui permettant de travailler et d’élever ses enfants. Elle met tous les atouts de son côté pour y parvenir. Elle est dans un pays qui n’est pas parfait, avec des inégalités manifestes, mais, dans l’ensemble, une fille comme elle peut obtenir l’avenir qu’elle souhaite si elle s’y prend bien, donc de façon rationnelle. Par l’éducation, elle va avoir le savoir. Elle a de la logique, et elle est plus douée intellectuellement que la majorité. C’est une inégalité qu’elle accepte, comme les disparités physiques entre hommes et femmes, les handicaps et les injustices héréditaires ou de situations familiales. C’est à chacun de faire son trou avec les moyens dont il dispose, en respectant les lois qui sont là pour donner des règles interdisant les abus, et avec des avantages sociaux destinés aux plus démunis. Ses parents ne sont ni riches, ni pauvres. Elle est heureuse d’être dans une famille qui défend les libertés, et que l’usage de la force soit réprimé, ce qui permet aux faibles femmes de ne pas être asservies physiquement par les hommes. L’éducation des femmes doit être aussi poussée que celle des hommes pour l’égalité entre homme et femme. Léa ne se laissera pas dominer par un homme n'ayant pas sa valeur. La femme a même conquis la liberté sexuelle qui a son écho dans les lois. Cette égalité sexuelle, elle compte bien l’obtenir et la maintenir. Sans être aussi engagée que sa mère, qui milite en faveur de cette liberté, elle l'approuve. Mais entre la théorie et la pratique, il y a une marge difficile à réduire, et les traditions sont difficiles à faire évoluer. Léa le constate autour d’elle. La femme est souvent brimée, ce qu’elle réprouve. Sans affronter les opposants irréductibles, il faut faire évoluer la majorité, par la logique du bien-fondé de ses convictions, et ne pas se tromper de cible. Ne militer que pour ce qui est important, et ne pas perdre son temps sur ce qui l’est moins. Il faut être pragmatique : certaines traditions sont tolérables, même si on les conteste. Par exemple, le mariage est une bonne chose, dans la mesure où il donne de la stabilité et permet d’aimer, sans se cacher, l'homme avec qui on souhaite vivre en couple. Cependant, l’amour n’est pas facile à gérer, surtout quand on n'en a aucune expérience. Léa doit le maîtriser pour ne pas en être victime.

Léa a 17 ans quand le médecin décèle chez son père Denis, une maladie qui le condamne irrémédiablement à court terme.

*

— Ma fille, dit Denis. Tu connais la situation créée par ma maladie. Vous n’aurez pas beaucoup de revenus quand je ne serai plus là. Je souhaite que tout se passe bien avec ta maman. Elle fera ce qu'il faut pour que tu puisses achever tes études, mais sans moi, ce ne sera pas facile. Elle a besoin que tu la soutiennes. Tu es encore trop jeune pour bien comprendre, mais je te fais confiance pour ne pas te heurter à elle et lui faciliter la tâche.

— Mais papa, dit Léa, j’aime maman autant que toi. Il n’est pas question de la heurter.

— Je ne doute pas de ta bonne volonté, mais ce n’est pas aussi simple que tu peux le croire, car la famille de ta maman est pour la liberté des individus, et en particulier pour la liberté sexuelle. Quand j’ai rencontré Isabelle, nous nous sommes aimés, et je lui ai demandé sa main. T’a-t-elle dit comment nous nous sommes liés ?

— Elle m’a dit qu’elle t’a aimé et que vous vous êtes mariés.

— C’est tout ?

— Oui.

— Cela ne m’étonne pas. Ta maman a un faible pour toi : son amour maternel la paralyse.

— C’est bien qu’elle m’aime. Tu sembles dire que c’est gênant.

— Un peu, ma fille, quand c'est excessif. Ta maman traite logiquement l’amour sexuel, comme on lui a enseigné, mais elle a une défaillance avec l’amour maternel. Elle t’aime trop. Il en résulte quelques conflits de comportement. À moi de t’expliquer… D’abord, je vais te raconter mon amour avec elle : Isabelle m’a aimé, et je l’ai aimée. Elle était avec son frère Victor, et tous deux militaient avec leurs parents pour l’égalité de l’homme et de la femme, avec la liberté d’aimer.

— Maman milite toujours un peu, dit Léa, et mon oncle Victor aussi. La femme est l’égale de l’homme, et n'est pas une esclave. Je connais leurs principes, et je les approuve.

— Moi aussi, dit Denis, bien que je n’aie jamais milité. Donc, Isabelle et Victor militaient ensemble et avec Sylvie quand je l’ai connue. Ils avaient un tas de copains qui militaient aussi, mais souvent avec moins de rigueur qu’eux. Il y avait beaucoup de farfelus autour d'eux, justes bons à crier. Isabelle s'intéressait à moi, car j'adhérais à ses idées, ou plutôt, je les appliquais, ce qui, pour moi, était naturel et logique. Je respectais les femmes. Isabelle m'a entraînée dans son sillage, en me permettant de coucher avec elle. J’aimais Isabelle, et je lui ai proposé le mariage, pour l'avoir un peu plus à moi. J'avais peu d'espoir, car Isabelle se dispersait. Elle avait eu de nombreux copains, et me semblait partie pour ne jamais se marier. Je n'étais pas le seul à la désirer, et les autres me valaient bien. Elle n'était plus toute jeune, et il aurait fallu se presser pour avoir des enfants. Cela l'a décidée. Elle ne m’a pas dit non, mais elle ne l’a voulu que si la liberté sexuelle était assurée. Elle tenait à garder ses amants, au moins comme amis. Moi, je l’aimais, avec ou sans amant, dans la mesure où elle faisait sa vie avec moi, et où les amants restaient marginaux. Pourquoi se fâcher avec ceux qui n’ont rien fait contre nous, et dont nous prenons la place ? Ils n’étaient pas jaloux de mon arrivée, et ils avaient encore accès à Isabelle, à condition qu'elle veuille bien d'eux. Je pouvais tolérer ses infidélités : elle avait assez de jugeote pour savoir respecter les limites. Que m'importait qu'elle aille de temps en temps avec un amant et y prenne du plaisir si ce n’était pas dangereux ? En me mariant, je l'aurais eue avec moi la majorité du temps. Elle m’aimait manifestement. Le mariage était pour moi possible. Elle venait librement avec moi, et je me mariais librement avec elle, sans me la réserver entièrement. Nous étions tous satisfaits.

— Tu étais gentil de lui laisser ses amants, dit Léa.

— Oui, dit Denis, mais, je n'avais pas à être jaloux si je la voulais. En réalité, ses amants ne l’accaparaient pas, et j’avais la meilleure part. Elle se rangeait avec moi, parce qu'elle commençait à vieillir, et envisageait des enfants. J’étais donc partant pour le mariage, mais elle ne l’était pas immédiatement.

— Pourquoi ?

— Je ne connaissais qu’Isabelle. J'avais son âge, mais je n’étais jamais allé avec une autre fille. Elle l’a très vite compris, et je lui ai avoué qu’elle était la seule. Elle avait l’exclusivité de mon amour. C'était pour moi une qualité de ne pas aller avec une autre fille, mais pas pour elle. Elle a estimé que j’étais mal informé, que je cédais à une addiction à l’amour envers elle, et qu’en conséquence, je n’étais pas apte à me marier en ne sachant pas ce qu’était l’amour. Je devais apprendre l’amour avant de me décider pour elle. Isabelle aimait plusieurs hommes et ne me le cachait pas. Elle avait eu plusieurs copains successivement, et estimait savoir ce qu’était l’amour, l'ayant pratiqué depuis le lycée. Un de ses principes est que la liberté ne se pratique pas dans l’ignorance. Dans un sens, elle avait raison, mais cela ne me gênait pas de ne connaître qu’elle. Je me doutais que d’autres femmes pouvaient me convenir, mais j’étais engagé avec elle, et elle me suffisait. J'étais heureux de l'avoir avec moi.

— Tu t’es quand même mariée avec elle.

— Oui, mais pas tout de suite. J’ai dû apprendre l’amour puisqu’elle le voulait.

— Comment ?

— Devine !

— En te l'enseignant.

— À sa façon. Isabelle est allée chercher Sylvie, sa meilleure amie, militante comme elle. Isabelle m’a conseillé de faire l’amour avec Sylvie avant de me décider pour elle. J’étais réticent, mais les deux amies étaient d’accord, et quand Sylvie est venue se proposer, je ne l’ai pas rejetée. J’ai fait ce qu’elle voulait. Après tout, c’était facile. Sylvie est saine, puisqu’elle partage les mêmes principes que ta maman. J'ai pris les précautions nécessaires.

— Donc, tu as fait une fois l’amour avec Sylvie, et maman t’a accepté.

— Pour Isabelle, en une fois, on ne sait pas si on aime, et Sylvie en redemandait. C’était très agréable. J’ai fait l’amour avec Sylvie pendant deux mois de façon intensive avant que ta maman daigne me dire que je commençais à être informé de l’amour.

— Tu t’es donc marié avec elle.

— Oui, mais si j’aimais ta maman, j’aimais aussi Sylvie, et Sylvie m’aimait. On ne fait pas impunément l’amour avec une fille comme Sylvie sans conséquence. Isabelle n’avait eu aucun mal à convaincre Sylvie d’aller avec moi, car Sylvie m’aimait sans que je le sache auparavant, pour les mêmes raisons qu'Isabelle. J’aime Sylvie à vie, et Sylvie m’aime toujours. J’avais deux amours au lieu d’un seul. J’ai hésité entre Isabelle et Sylvie, parce que Sylvie est très bien. Elle n’est pas comme ta maman, mais elle me plaisait beaucoup. Je la remercie d’avoir compris que j’aimais aussi Isabelle. Sylvie m'a laissé ma liberté.

— Pourquoi maman t’a-t-elle mis dans le lit de Sylvie ? Elle pouvait te perdre.

— C’est presque ce qui s’est passé, dit Denis. Si Isabelle m’avait encore boudé, je prenais Sylvie qui acceptait de se marier avec moi si Isabelle ne me voulait pas. Il y avait heureusement une solution. Isabelle et Sylvie aimaient aussi toutes deux Eugène. Elles se sont arrangées entre elles. L'âge a décidé. Sylvie et Eugène étaient plus jeunes que nous. Elles ont proposé l'état actuel. Isabelle s'est mariée avec moi et Sylvie avec Eugène.

— Je ne comprends pas maman, dit Léa. Elle était libre d’aller ou non avec toi. Pourquoi t’imposer Sylvie ?

— D'abord, Isabelle a compris que Sylvie m'aimait. Elle a donc voulu que j'aille avec Sylvie, que je fasse sa connaissance. Ensuite, Victor, Isabelle, Sylvie et Eugène, sont pour l’amour libre, mais aussi contre les addictions handicapantes qui empiètent sur la liberté. C’est un principe de pureté : on ne s’intoxique pas quand on est intelligent. Le plaisir qu’on retire d'une addiction se paie au prix fort. Une addiction enchaîne à une substance, comme le tabac, l’alcool ou une autre drogue. Elle peut enchaîner aussi à un comportement, comme le jeu. Être enchaîné est contre la liberté : c'est de l'esclavage. Nous te l’avons enseigné. L’amour est aussi une addiction, mais à une personne, une addiction qui peut enchaîner, comme les autres. En aimant Sylvie, je n’étais plus enchaîné à Isabelle. Pour Isabelle et Victor, l’amour libre est difficilement unique. Il n’y a plus liberté d’aimer si l’amour est exclusif, car il enchaîne à une personne. L’apprentissage à l’amour est nécessaire pour bien juger. L’amour exclusif conduit à la jalousie, à l’inégalité, à la soumission de l’un des conjoints à l’autre. Il est à éviter, et Isabelle me l’a évité en me faisant aimer Sylvie. Je suis content d'aimer les deux.

— C’est contraire à l’opinion courante qui porte aux nues l’amour unique.

— Oui. Mais la passion amoureuse de l’amour unique est un déséquilibre nocif qui tue la réflexion et crée des drames quand elle rencontre une opposition. L’avantage des amours multiples est de faciliter la domination de l’amour, et de ne pas s’y soumettre. La réflexion, après expérience, permet la domination sur les instincts et les traditions obsolètes. Isabelle a estimé que j’en étais capable, que j’étais assez éduqué et non jaloux pour y parvenir, mais ce n’est pas à la portée de tout le monde. Nous le constatons tous les jours. La jalousie est une plaie très répandue. L’éducation et la morale doivent éradiquer la jalousie, en l’éliminant de la même façon que la violence, par la raison et les lois. C'est un long travail de transformation de notre société. Ta maman milite dans ce sens, mais la jalousie a encore de nombreux adeptes, et elle n'est pas près de disparaître. Il faut du caractère pour dominer la jalousie et les amours multiples, assez de calme pour bien l’appréhender. Je remercie ta mère de m’avoir jugé digne de la comprendre. Je l'admire de ne pas perdre la foi dans cet idéal qui est souvent considéré comme aberrant.

— La Sylvie dont tu parles, est-elle bien notre amie qui vient ici ?

— Oui, et c’est encore ma copine. Bien qu’elle soit mariée avec Eugène, elle est aussi une de mes amantes, car ta maman a tenu à ce que je continue avec Sylvie. J'ai fait ce qu'elles voulaient. Quand Sylvie me réclamait, j'allais avec elle. C'était généralement quand Eugène n'était pas là. Ta maman m'y poussait. J'allais donc avec Sylvie, mais c'est devenu symbolique avec le temps.

— J’aime bien Sylvie. Elle est bien choisie. Elle est très gentille. As-tu d’autres amantes ?

— Une autre partenaire que ta maman m’a procurée pour compléter ma liberté. Je ne suis pas capable d’aller facilement au-devant des femmes. Je suis trop timide. Ta maman a fait le travail de rapprochement, comme avec Sylvie.

— Te l’a-t-elle imposée ?

— Non. J'ai contenté ta maman en faisant ce qu'elle souhaitait. J’aurais pu la refuser, mais j'ai été bien accueilli. Nous nous aimons. Elle habite trop loin pour que je la voie souvent. J’ai surtout des relations avec Sylvie et son mari que ta maman aime aussi. Sylvie a souhaité que nous restions amis quand je me suis marié avec ta maman. C’était bien réglé. Tout s’est passé sans aucune jalousie. Sylvie et Eugène sont toujours là avec nous pour nous aider. Nous n'avons pas à rejeter ceux que nous aimons.

— Je ne savais pas que tu avais des amantes, dit Léa.

— Il est préférable de ne pas les afficher pour ne pas remuer les opinions et donner prise aux cancans, dit Denis. Ce serait provocateur pour ceux qui sont contre, et ils sont nombreux. Inutile de les choquer. Les amants restent cachés. C’est mieux ainsi.

— C’est vrai. On n’en parle pas.

— Personne en dehors de nous ne sait que Sylvie est mon amante. Elle vient ici et je vais chez elle en ami. Ta maman a aussi des amants cachés qui entretiennent sa liberté. À l’usage, c’est pratique. On a toujours un partenaire disponible pour libérer de tensions sexuelles qu’il y a moins à réprimer. Il est plus facile de s’absenter. C’est une liberté de pouvoir quitter son conjoint de temps en temps sans qu’il en souffre, et de faire plaisir à ceux qu'on aime. Sylvie n'a jamais voulu rompre complètement avec moi.

— Pourquoi me racontes-tu tout ça ? Votre vie bien organisée avec des amants ne m’a pas gênée. Je ne m’en suis pas rendu compte.

— Cela prouve que nous nous cachons bien. Cette vie a été sans conséquence grave et réellement assez marginale jusqu’à il y a peu, mais la situation est en train de changer. Je vais mourir. Ta maman a une forte sexualité. J’en bénéficiais, car j’aime faire l’amour avec elle. Avec la maladie, j’ai d'abord fortement baissé, puis je suis devenu incapable. Ta maman complète actuellement avec ses amants, et je tiens à ce qu'elle continue. Elle le fait discrètement. Elle a surtout Eugène qui se charge de la satisfaire avec l'assentiment de Sylvie.

— C’est donc très bien pour maman, dit Léa.

— Oui et non. Elle te cache ses relations avec Eugène. Il est préférable qu’elle ait les coudées franches ici, et ça dépend de toi.

— De moi ?

— Oui, ma fille. Ta maman n’ose pas le faire venir ici pour l’aimer à cause de toi. Elle ne sait pas si tu l’accepterais. Elle te le cache. C’est son addiction à l’amour maternel qui la paralyse et qui l’empêche de vivre normalement ici avec Eugène quand il vient la voir. Elle a peur de tes réactions, et tu passes avant ses copains. Moi, je souhaite que tu te conduises en grande fille et que tu acceptes ici Eugène. Tu connais notre point de vue sur l'amour, et tu nous dis adhérer aux combats de ta mère pour la liberté de la femme. Applique-le avec ta maman. Facilite la venue d'Eugène ici, comme j’ai facilité l’existence des amants de ta maman. Eugène pourrait circuler entre vous deux sans se cacher de toi s'il savait que tu l'acceptes.

— Maman a-t-elle beaucoup de copains ou d'amants ? Les connais-tu ?

— Isabelle a eu des copains avant de se marier. Je l'ai été. Je couchais alors tous les soirs avec elle. Eugène m'a précédé comme copain, mais pour les autres, j'ai moins de renseignements. Les amants actuels sont cachés pour que personne n'en parle, et ne font l'amour que ponctuellement avec elle. Eugène est devenu amant caché.

— Connais-tu tous ses amants ?

— Je laisse Isabelle libre de ne pas m'en parler, et je l'incite à ne pas m'en parler pour qu'elle se sente plus libre. Je sais qu'elle a des amants. C'est tout. Elle les rencontre comme elle veut. Elle n'a pas à m'en rendre compte. Je lui laisse son indépendance complète. Si elle m'en parlait, ce serait pour expliquer son amour pour eux. Pour que tu comprennes bien, il faut savoir que nous nous sommes mariés à un âge déjà avancé. Les enfants n'étaient plus aussi faciles à faire qu'à 20 ans. Il a fallu longtemps avant de t'avoir, et ensuite, il n'en est pas venu d'autre. Pour les médecins, Isabelle s'y est prise trop tard. Tu es fille unique. Il aurait fallu se marier plus jeunes, mais Isabelle, avec ses copains et ses amants, assouvissait ses besoins sexuels avant de me connaître. Son besoin de famille n'est venu que tardivement. Elle rencontre encore ses amants cachés, car elle ne les a jamais abandonnés complètement. Je n'ai rien à lui reprocher. Elle n'a pas eu de vie débridée. En dehors de quelques essais ratés, Isabelle n'a eu que des copains et amants convenables qu'elle a aimés. Elle ne risque rien à les garder, que ce soit médicalement ou par jalousie.

— Oui, mais suis-je ta fille ?

— Dans un tel contexte, je ne suis pas certain de l'être, mais ta maman t'aime et moi aussi. Tu es notre fille idéale. Tu voudrais bien sûr connaître ton père concepteur. C'est légitime, mais je n'ai pas la réponse. Il y a peut-être des moyens de savoir, comme par les ressemblances. J'ai essayé, mais Eugène me ressemble, et Isabelle n'est sûre de rien. Ta maman a peut-être des informations que je n'ai pas. Adresse-toi à elle. Veux-tu me renier si je ne suis pas ton père ?

— Non, papa. Je t'aime beaucoup. Maman va-t-elle se remarier ?

— Si Isabelle le désire, j’y suis favorable. Elle doit décider librement. Il y a déjà un veuf qui la cherche, car elle est désirable, ta maman, même si elle n'a plus la jeunesse. Le mariage a quelques avantages : cet homme est assez riche pour arranger la situation financière, mais elle hésite entre ce veuf et se contenter d'Eugène et d'autres amants.

— Eugène est marié avec Sylvie.

— Sylvie n’est pas un obstacle, et c’est elle qui m’a suggéré de t’en parler. Ta maman n’accepte que des hommes de mon genre, sans aucune addiction majeure. Eugène est très bien. C'est son amant principal. Tu le connais. Si tu nous aimes, favorise les relations entre Eugène et ta maman, et avec le mari qu’elle aura éventuellement choisi. Il ne faut pas que tu les gênes. Eugène ou le veuf ne seront pas là pour enlever ta maman à ton amour pour elle, mais pour lui permettre de vivre normalement sa sexualité. Elle ne serait plus libre si tu t’en offusquais. Ta maman a droit à une sexualité normale. Il est temps que tu collabores avec nous.

— Papa, je comprends. Je dirai à maman qu’elle peut se marier et avoir les hommes qu'elle veut dans son lit et à la maison.

 

— Maman, dit Léa. Papa, m’a dit que tu as des amants. Je suis tombée des nues. J'ignorais tout. Pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé ?

— Par discrétion, ma fille, dit Isabelle. Mes amants ne doivent pas te gêner. Si tu en ignorais l’existence, c’est qu’ils t’étaient bien cachés. Ils ne t’ont pas dérangée, donc c'est bien.

— Effectivement. Je croyais que tu n’en avais pas. Tu es donc adultère.

— Oui, mais depuis que la femme a les mêmes droits que l'homme, elle a le droit d'aimer, même étant mariée. L'adultère est devenu licite. La femme a recouvré la liberté d'aimer à sa guise. Nous ne sommes plus dans un état esclavagiste où l'adultère est réprimé.

— Certaines morales le déconseillent.

— La mienne le conseille. C'est la base de la liberté sexuelle de la femme. Si le mari ne supporte pas l'adultère, il peut se séparer de sa femme, ou plutôt ne pas se marier avec elle. Mon mari m'a gardée. J'ai été honnête avec lui. Je ne lui ai jamais caché que j'aimais ailleurs. Il a toujours su qu'il n'était pas le seul. Je suis libre sexuellement, et j'y tiens. En me mariant avec lui, nous avons formé un couple avec mise en commun de nos biens matériels. Tu as eu ainsi un foyer avec un père et une mère. Si je ne m'étais pas mariée ou mise en couple aux vues de tous, aurais-tu préféré avoir une mère sans père ? C'est ce qui serait advenu.

 — Non, maman. Aimes-tu bien papa ?

— Mais oui. Il est celui que j’aime le plus.

— Alors, pourquoi as-tu eu besoin d’amants ?

— Il est critiquable d’en avoir, car la fidélité est souvent prêchée, mais ce n’est pas si simple, Léa. Je n’ai pas décidé d’avoir ou non des amants. Ils ont chacun leur histoire, et ils se sont imposés à moi insidieusement pendant la période des amours commençantes et des années qui ont suivi. Je n'ai pas trouvé rapidement l'amour que je souhaitais. J'ai vécu successivement avec plusieurs copains avant ton papa, comme beaucoup de jeunes filles le font, quand elles ne savent pas encore avec qui se fixer. Tu le feras sans doute aussi. Je les ai choisis le mieux possible. J'ai longtemps hésité à choisir un mari, par peur de me tromper. Ceux qui sont restés en relation avec moi, sont mes amis, malgré la présence de ton papa qui les a acceptés puisqu’il savait que je défendais la liberté de la femme.

— Pourquoi ne les as-tu pas éliminés pour rester seule avec papa ?

— Je n'élimine pas mes amis. Pourquoi rester seule ? Un ami est un ami. Mes amants sont mes meilleurs amis. Ils sont restés mes amis. Ce sont des amis avant tout. Je n’avais pas à les rejeter. Ils n’ont rien fait de mal. Denis les a seulement supplantés puisque je l'ai choisi.

— Mais tu as fait l’amour avec eux, dit Léa, et encore maintenant.

— Je ne considère pas que faire l’amour soit mal quand les partenaires sont d’accord, et que rien ne s’y oppose, dit Isabelle. Je fais l’amour, comme avant que je me marie, mais en plus avec l’assentiment de ton papa. Je n'ai gardé que des partenaires favorables à la liberté sexuelle. Rien ne s'oppose à ma liberté sexuelle et à la leur.

— Tu es donc capable d’avoir plusieurs amours ?

— Oui. Beaucoup de femmes sont dans ce cas, même si elles hésitent à en parler. Si je regarde autour de moi, c’est la très grande majorité. Il faut beaucoup de passion, ou avoir des principes stricts, pour n’avoir qu’un amour. Observe ces personnes à amour unique. Elles ont des œillères, et surveillent leurs partenaires pour le conserver hors d'atteinte d'un autre amour. Pourquoi veulent-elles s'approprier l'amour et se protéger de l'amour des autres ? Leur partenaire n'est pas leur propriété. Elles sont aveuglées par leur égoïsme. L’amour unique est pour moi le reste de traditions contestables, signe d’un déséquilibre passionnel et égoïste. Il coupe des autres et asservit au partenaire. Je ne souhaite pas que tu sois dans cette population inquiète des amours rivaux, et encore moins que tu n’aies jamais d’amour.

— Pourquoi avoir caché tes amants ?

— Pour faire comme la majorité des femmes, qui cachent leurs amants pour ne pas provoquer des jalousies. Beaucoup d’hommes et de femmes ne supportent pas la concurrence, et considèrent que la jalousie est naturelle. Ils sont mal éduqués. La violence aussi est naturelle, mais elle n'est pas sociale. La jalousie est un énorme défaut qu’on devrait logiquement éliminer, mais elle existe, et on doit en tenir compte. Elle est moins visible que la violence, ce qui explique qu'elle persiste, car elle est plus difficile à combattre. La plupart des jaloux s'estiment dans le vrai. Ils sont trop nombreux pour qu'on puisse s'en débarrasser. Donc, inutile d’exciter les jaloux. C’est le rôle de la police de traquer les jaloux dangereux, à la morale de les fustiger, et à l’éducation de les marginaliser. Notre société en paix, est presque parvenue à éliminer la violence en la discréditant. Il reste à éliminer la jalousie pour que l'on puisse afficher ses amants. Cela sera peut-être possible dans l'avenir, quand la société sera plus évoluée. Je milite dans ce sens pour accélérer la transformation.

— Je ne suis pas jalouse, dit Léa, et tu m’as toujours dit que c’est le pire des défauts. Je ne suis pas excitée. Pourquoi m’avoir aussi caché tes amants ? Je suis capable de comprendre.

— Oui, mais tu étais un enfant, et un enfant comprend mal l’amour. Ce n’est que quand on ressent l’amour qu’on le comprend. Maintenant, tu as de l’attirance pour des garçons, et il est normal que tu aimes. Beaucoup de tes copines ont déjà un copain. Comme tu es désormais apte à l’amour, je peux t’en parler en expliquant, au lieu d'interdire ce que tu ne comprenais pas.

— Tu m’as dit de ne jamais prendre exemple sur les filles qui se donnent à tous les garçons. Es-tu comme elles ?

— Je ne vais pas jusqu’à être comme elles. Je n’approuve pas les libertines. Je ne conteste pas qu’elles aient le droit de faire l’amour de façon débridée, à leurs risques et périls, mais certains garçons en sont victimes. Je n’aimerais pas que ma fille soit libertine. Pour moi, c’est dégradant, résultat d’une mauvaise éducation ou d'un laxisme exagéré. L'amour est à traiter sérieusement, et non par-dessous la jambe.

— N’es-tu pas quand même un peu libertine ?

— Non, dit Isabelle. Je t’ai enseigné la morale que j’applique. Je respecte mon prochain, et je me respecte aussi. Je vis dans une société dont je respecte les lois qui sont faites pour le bonheur commun. Je ne commets pas d’actes inconséquents et dangereux pour moi comme pour les autres. J’évite les addictions. Mes amants sont des hommes convenables, et je ne pense pas me tromper sur eux, car ils ne sont pas nombreux. Mes amours sont réfléchis, pesés, sans danger, et compatibles entre eux. Tous mes amours savent que je ne suis pas entièrement à eux. Ils l’acceptent, sinon, je ne les aimerais pas. C’est pour moi la norme d’une vie équilibrée. Je ne suis allée avec des hommes que je n'ai pas aimés durablement, que pour des essais nécessaires. Si j'ai eu trop d'amants, c'est seulement parce que j'ai tardé à élire l'homme avec qui je souhaitais rester.

— Tu évites les addictions, mais l’amour n’est-il pas une addiction ?

— L’amour donnant du plaisir, l’amour excessif peut conduire à l’addiction.

— Comme l’alcool ?

— Non. L’addiction à l’alcool est dangereuse, car elle induit l'ivresse, des troubles immédiats avec perte de la réalité, une vigilance émoussée, une violence exacerbée, et des troubles graves à long terme, comme l’alcoolisme, le delirium tremens, la cirrhose ou le cancer. Sauf cas extrêmes, l’amour se contrôle par la volonté, et n’a pas de suite désagréable. Il est naturel, équilibre, et permet d’avoir des enfants. Il est sans danger pour la santé s’il est bien pratiqué. Tu sais comment faire, donc, tu peux pratiquer l’amour, et tu n’en auras pas l’addiction, au moins, je l'espère.

— Tout le monde dit que l’alcool est également sans danger, s’il est pris dans des limites raisonnables. Deux ou trois verres par jour seraient bons pour la santé.

— Faux ! C’est la propagande pour les boissons alcoolisées qui l’affirme.

— La majorité est de cet avis, dit Léa.

— Oui, dit Isabelle, mais elle a tort. La propagande pour l’alcool est énorme, très active. Elle veut faire croire que la limite de quelques verres par jour est bonne pour la santé. C’est honteux, car c'est à peine tolérable de façon exceptionnelle. La vraie limite pour la bonne santé est proche de zéro. L'abstinence est à conseiller. Il faudrait faire comme pour le tabac : dire que l’alcool tue. Les gens sont malheureusement sensibles au chant des sirènes de la propagande et au plaisir immédiat de l’alcool. Les buveurs savent aussi entraîner les autres à leur suite, et se glorifient de boire, croyant d’ailleurs bien agir en faisant partager leur plaisir malsain aux autres. Je ne me réfère pas à la majorité, mal informée, mais aux spécialistes de la question. Les études sérieuses de santé montrent que l’alcool et les drogues en général sont néfastes à toutes doses, mêmes minimes. Boire de l’alcool, c’est s’empoisonner, et empoisonner son enfant quand on en porte un. Je ne t'ai pas empoisonnée. Tu es normale. Un être sensé ne boit pas. Seules, des traces sont tolérables, comme celles des jus de fruits frais. L'alcool est d'usage récent à l'échelle de l'évolution. La nature ne fournit pas les boissons alcoolisées telles qu’on les trouve aujourd'hui partout. C’est l’Homme qui fabrique l’alcool pour se droguer. Il transforme chimiquement les jus sucrés pour l’obtenir par fermentation. L’alcool est contre nature. L’alcool est une drogue dont il faut se défendre. L'Homme n'y est pas génétiquement habitué. L’amour est bien moins dangereux. C'est un plaisir sain.

— Tu es remontée comme toujours contre les drogues, dit Léa. J’approuve tes idées. Tu le sais bien. Vois-tu souvent tes amants ?

— Étant mariée, je ne les voyais plus aussi souvent que quand ils étaient mes copains. Dans le mariage, j’ai eu tendance à être fidèle, et mes amants le comprenaient. J’aurais pu me passer d’eux. Ton papa m’aurait suffi, mais j’ai voulu garder mes amitiés, et ne pas rompre sans raison. Ce sont les circonstances qui me rapprochent des amants. Ainsi, depuis que Denis est malade, j’ai repris des habitudes avec l’un d’eux, et ton papa m’y a gentiment poussée puisqu’il se savait incapable. Si ça te gêne, je cesse, car tu comptes plus pour moi que mes amants.

— Non, maman. Tu peux prendre ici tes amants avec toi. J’aimerais mieux les connaître. Qu'ils viennent plus souvent. Papa m'a dit que l'un d'eux est peut-être mon père. Est-ce le cas ?

— Denis t'a dit cela... Il fallait bien que tu le saches un jour... Je vais être sincère sur ce sujet. Je crois que non, mais ce n'est qu'une probabilité. Avec Denis, nous n'avions pas d'enfant, alors que les médecins nous disaient normaux, mais âgés. Ils conseillaient de ne pas être pressés, mais l'âge avançait, et rien ne venait. Nous avons décidé de mettre à contribution les amants, pour compenser les faiblesses de ton père, et ainsi avoir une probabilité plus forte de conception. D'ailleurs, j'ai recommencé après toi pour essayer de te donner un frère ou une sœur, mais ça n'a plus marché. Devant ce constat, je n'ai plus utilisé les amants dans ce but. Je me suis résignée à ce que tu sois ma fille unique, et je bénis celui qui est parvenu à te donner la vie, car tu es celle que nous souhaitions, Denis et moi. Si je connaissais la vérité, je ne te laisserais pas dans l'incertitude sur son identité. Pour moi, il est probable que ton père est le bon, mais il reste quelques doutes. Les ressemblances m'incitent à ne garder que Denis et Eugène comme possibles, mais les deux sont dignes d'être ton père. Veux-tu que nous fassions une recherche poussée pour satisfaire ta curiosité ? Il faudrait aller chercher les gènes, mais nos finances sont au plus bas actuellement.

— Non, maman. C'est inutile. Papa est mon père. Je connais Eugène. Il ne voudrait pas prendre la place de papa. Il a ses enfants. Il n'a pas besoin de moi. Restons comme cela.

— Oui, ma fille, dit Isabelle. Si tu n'étais pas née, nous aurions adopté. J'ai été très heureuse de te porter et de t'allaiter.

— Et moi de naître, dit Léa. Les enfants de Sylvie sont-ils mes frères et sœurs ?

— Peut-être par les gènes, mais ils sont sans contestation les enfants de Sylvie et d'Eugène, comme toi, tu es légalement la fille de Denis. Que Sylvie ait voulu un enfant qui ne soit pas d'Eugène, ne change rien. Eugène est le père. Il a toujours assuré ce rôle, et très bien.

— Qui est cet enfant ?

— Tu es curieuse, mais il est préférable que tu saches. Jacques a été conçu par Denis.

— Ah bon ? Jacques serait de papa ? Sylvie ne s'est-elle pas mariée avec Eugène en même temps que toi ?

— Si. Mais laisse-moi t'expliquer. Denis me préférait et Eugène voulait Sylvie. Ils se sont mariés comme ils le souhaitaient. Je préférais Denis à Eugène, donc, j'étais satisfaite, mais Sylvie aurait aussi voulu Denis. Elle ne s'opposait pas à mon mariage avec Denis, mais elle était prête à rester célibataire si Denis lui faisait ses enfants. Je l'ai raisonnée pour qu'elle prenne Eugène comme père, ce qui est mieux pour les enfants. J'ai poussé Denis à contenter Sylvie, qui a eu ainsi Jacques en compensation. Denis et Eugène ont bien voulu, et Sylvie a été tout de suite enceinte. Mais Jacques est le fils officiel d'Eugène. Les autres enfants de Sylvie sont d'Eugène. Il est préférable que tu ne cherches pas à aller avec Jacques. Tu vois que les amours multiples ne sont pas toujours faciles à gérer, même sans jalousie. Il était normal que je m'offre à Eugène pendant que Sylvie allait avec ton père. Eugène est très gentil. Il n'a jamais protesté d'être traité en second. Il a toujours laissé tout faire à Sylvie, et je l'aime bien.

 — Ce micmac est compliqué, dit Léa. Jacques a une copine. Je ne vais pas aller le chercher. Mais dis-moi ? Dois-je avoir plusieurs amants ? Dois-je te suivre dans cette voie ? Il me semble que l’amour unique est un idéal que beaucoup respectent. Il est aussi plus simple.

— L'amour unique est effectivement une norme traditionnelle, et il n’est pas très bien vu de la contester. Il en résulte que l'on cache les amants.

— Mais contestes-tu cette tradition ?

— Oh oui ! C’est une tradition réductrice, qui peut se justifier comme facile à comprendre et enseigner, plus simple, comme tu dis. Mais elle ne correspond plus à notre société actuelle, pour les gens éduqués que nous sommes. Rien n’interdit de la suivre, mais pour moi, elle est dépassée. Si tu regardes autour de toi, elle n’est plus beaucoup appliquée. Les filles ont des copains, et les garçons des copines. Ne me dis pas qu'ils ne font pas l'amour ensemble. Un mariage sur deux finit en divorce. L’amour unique n’est qu’un idéal, mais très discutable. Il est surtout l’antichambre d’un esclavage de l’homme sur la femme, le résultat de la tolérance de la jalousie. J’ai choisi l’amour libre, les amours multiples, et le refus de l’esclavage.

— Mais est-ce naturel ?

— Mais oui, Léa, dit Isabelle. Observe ceux qui nous entourent. L’amour unique peut être naturel chez les personnes qui ne se dispersent pas ou peu, comme ton père, qui l'aurait pratiqué sainement. Il est d'ailleurs de règle pendant certaines périodes de la vie, comme je l’ai fait avec ton père et avec plusieurs de mes copains. Quand on est bien avec un homme, on ne va pas en chercher un autre, mais l'amour unique est minoritaire sur une longue période. Je me suis dispersée avant de choisir ton père. Je me disperse de nouveau. L'amour unique d'une vie est surtout imposé par la tradition, de façon contestable.

— Ainsi, l’amour unique disparaîtrait ?

— Non. Pas complètement. Il y aura toujours des personnes pour l’amour unique ou sans amour, même si cet état n’est pas imposé. Ce n’est pas mon cas, et j’ai droit aux amours multiples. J’ai expérimenté l’amour physique avec plusieurs hommes : je m’adapte sans problème à ceux que j'ai choisis. Ce n’est pas cet amour-là, encore animal, qui pourrait conduire à l’amour unique. Les sexes s’épousent sans problème, et l’Homme n’est pas naturellement fidèle. Je t’assure que cet amour-là est naturel.

— Mais il y a plusieurs formes d’amour.

— Oui, ma fille. De très nombreuses formes.

— On s'y perd.

— Effectivement. Mais pour expliquer l'amour qui te préoccupe, je résumerai l’amour à l’amour physique et à l’amour du cerveau, donc, deux façons d’aimer qui se complètent. L’amour du cerveau précède l’amour physique et le conditionne quand tout se passe bien. Il est plutôt compliqué. J’ai de l’attirance pour tel ou tel homme. En dehors de l’instinct et des sensations physiques, c’est un raisonnement qui m’y conduit et qui prend le dessus, mais il peut être très mal construit. Mon éducation, mon environnement, mes sentiments, mes souvenirs, tout ce qui peut influencer mon cerveau, me conduisent à aimer ou non. Tout se bouscule dans mon cerveau pour me faire pencher d’un côté ou d’un autre, et il est influencé par les hormones qui poussent à l'acte. Je peux avoir des réflexes, des interdits, des habitudes, des idées toutes faites, qui dictent mon comportement. D’une personne à l’autre, c’est très différent. Si j’ai par exemple l’interdit des amours multiples, je me force à l’amour unique, mais si je ne l’ai pas, je n’y suis pas obligée. Les lois actuelles ne l’imposent pas. Il faut seulement craindre la jalousie, d’où une autre raison de cacher l’amour. J’ai choisi mes amours, là où les circonstances et mes raisonnements m’ont conduite.

— Tu as rejeté l’amour unique en ayant des amants cachés, mais dois-je m’y conformer ?

— Tu es libre, Léa. C’est à ton cerveau de le décider. Tu as toute l’éducation te permettant de raisonner le plus correctement possible, et ton environnement est ouvert vers ton bonheur. Je ne m’offusquerai pas si tu choisis une option différente de la mienne.

— Merci maman de me faire confiance, dit Léa. Vas-tu te remarier ? Papa m’a dit qu’il y est favorable si tu le souhaites. Il y aurait un veuf possible sur lequel tu aurais des visées. Je n’ai rien contre.

— Tu es gentille de me laisser libre comme ton papa, mais ce n’est pas une décision simple à prendre. J’ai en réalité à choisir entre deux solutions. La première est de me marier avec ce veuf. La seconde est de rester veuve.

— Avec tes amants ?

— Oui. Dans les deux cas, je les garde. Je ne sacrifie pas mes amis. Je dois décider rapidement, car ton père souhaite être informé avant de mourir. Plusieurs années de ta vie dépendent de ce choix. Jusqu’à ce que tu trouves un métier et te maries, tu vas dépendre de moi. Si je me marie, tu n’as pas de soucis à te faire. Tu auras les moyens de mener une vie matériellement agréable. Si je ne garde que mes amants, j’aurai tout juste de quoi te permettre de vivre. Il est probable que je vais me remarier.

— Tu n’as pas l’air emballée. Ce veuf ne te plaît-il pas ?

— Il a des qualités. Il est prêt à se marier avec moi, mais il boit.

— Est-il alcoolique ?

— Non. Il boit modérément. Il n’est jamais saoul. Il est dans les limites du petit buveur ordinaire qui ne dépasse jamais une légère euphorie.

— Tu peux le convaincre de ne plus boire.

— C’est utopique. J'ai essayé sans succès. Il m'a ri au nez en le prenant comme une bonne blague. Je n'insiste pas. Il boit depuis toujours sans en voir les inconvénients, et il est dans un milieu où l'on boit. Pour lui, la convivialité impose de boire. Je fais figure de petite nature en refusant de boire. Je ne peux que le laisser boire.

— C’est contre tes principes. Te ferait-il boire ?

— Il n’irait pas jusque-là. Il n'est pas brutal. Il accepte ma liberté et mes amants. C'est important, mais il garde la liberté de boire. Il est impensable pour lui de se passer du plaisir de son verre de vin ou de sa bière.

— Tes amants boivent-ils ?

— Non. Ceux que j'ai gardés approuvent nos principes, mais tu passes avant les principes. Ce veuf n’est pas un mauvais bougre.

— Pourquoi m'as-tu seriné de ne jamais fréquenter de près les garçons qui aiment l'alcool ? Dois-je ne plus les éviter ? Ce que tu me conseilles ne s'appliquerait-il pas à toi ?

— Dans la mesure du possible, évite les buveurs, mais il faut être réaliste. Ils forment la majorité qui nous environne, et on se frotte aux buveurs, qu'on le veuille ou non. On ne peut pas en faire abstraction. Entre plusieurs maux, je choisis le moindre. Tes études sont primordiales. C'est ton avenir qui est en jeu. Je ne dois pas le compromettre. Il te faut de quoi vivre pendant les années qui viennent. Je vais continuer de travailler, mais sans aide extérieure, nous serions dans une demi-misère. Vivre en couple diminue les dépenses. Ce veuf souhaite s'installer ici, car notre maison lui plaît. Avec ses revenus et les miens, en partageant équitablement les dépenses, nous pouvons finir de la payer. C'est le moyen de la garder et d'être près de Sylvie.

— Ne peux-tu trouver du secours du côté de Sylvie ou d'un ami ?

— Les amants doivent rester cachés, ma fille. Ils ne sont plus cachés s'ils interviennent matériellement. Je ne veux pas de leur secours. Pour éviter les conflits d'intérêts, je préfère ne pas mêler l'argent à l'amour. Seul, l'amour nous lie. Je reste indépendante de mes amants.

— Bien, mais tu n'aimes pas cet homme. Ne préfères-tu pas tes amants ?

— Si, mais ce veuf ne me rebute pas trop, et je l'aide aussi matériellement en me mariant avec lui. Il est le seul avec qui j'accepte de me remarier. Mes autres amours sont indisponibles : ils sont tous mariés. Les prétendants qui acceptent les amants sont rares.

— Si tu ne te mariais pas, aurais-je quand même de quoi vivre ?

— Oui, dit Isabelle, mais dans une relative pauvreté. Je te soutiendrais jusqu’à la fin de tes études, mais il faudrait vendre la maison ou te serrer la ceinture en travaillant pour compléter.

— Je préfère cette solution, dit Léa. Appliquons tes principes jusqu'au bout. Je ne veux pas d'une mère qui les abandonne. Ne te renie pas.

— Bien vrai ?

— Oui, maman. Ne me donne pas un beau-père qui boit, et qui serait l'image de l'échec de tes luttes. Ne reviens pas en arrière.

— Est-ce bien réfléchi ? Un homme qui boit comme lui est supportable.

— Maman, tu passes avant mon confort. Ne te prostitue pas pour moi.

— N'exagère pas. Je n'en suis pas à cette extrémité. Ce veuf n'est pas mon préféré, mais je l'aime quand même. Il n'est pas méchant, même si sa dérive vers l'alcool ne me plaît pas. Je fermerais les yeux sur son défaut. Je côtoie bien d'autres buveurs. Il y en a partout.

— Je préférerais qu'il se marie avec moi plutôt qu'avec toi.

— Il n'en est pas question. Te prostituer n'est pas la solution.

— S'il était pauvre, le prendrais-tu ?

— Non. Ce mariage est équilibré. Nous avons des revenus comparables, qui associés permettent de mieux vivre.

— Tu le ferais donc pour moi et le confort. Ne te marie pas avec celui-là. J'en aurais honte, car tu ne fais l'amour qu'avec des non-buveurs.

— C'est vrai actuellement. Je préfère les non-buveurs, mais quand jeune fille, j'ai cherché l'amour, je n'ai pas rencontré facilement les non-buveurs qui me convenaient. Ils se cachaient plus qu'aujourd'hui, car il était mal vu de refuser l'alcool, et ils n'osaient le dire. Je me suis rabattu sur des buveurs, beaucoup plus accessibles. J'ai fait ainsi autrefois l'amour avec des buveurs, et je ne m'en plains pas. Ils font l'amour convenablement. Je préfère les petits buveurs aux fumeurs dont l'odeur me révulse. Les buveurs nous environnent. On ne peut vivre sans eux. Gardons les meilleurs. Nos principes nous disent de les tolérer, de les aimer malgré tout, même s'ils sont dans l'erreur, et de ne pas leur nuire. C'est perdre son temps de les convertir à nos idées, car ils sont déjà dans l'addiction. La répression est inefficace. Il n'y a que les lois incitatives, l'exemple de ceux qui ne boivent pas, et l'éducation des jeunes pour faire évoluer. Je mise sur les générations à venir. C'est toi et tes enfants qui bénéficierez de mon engagement actuel. Ne soyons pas sectaires. Donnons l'exemple, affirmons notre refus des boissons alcoolisées, et d'autres nous suivront. Que nous ne buvions pas n'est pas considéré comme anormal par mon veuf. Il est déjà plus évolué que son père, qui ne concevait pas la vie sans alcool. Il tolère que je ne sois pas comme lui. Ce veuf buveur a par ailleurs beaucoup de qualités. Je ne le rejette pas.

— Tu as raison. Certains buveurs sont acceptables.

— Oui, dit Isabelle. Cependant, je ne serai pas une mère sans logique. Il n'est pas indispensable que je me marie avec un buveur. Je voulais sauver la maison en m'associant. C'est une solution de facilité de céder au désir de ce veuf. Je me libérerai des dettes sur la maison en la vendant. Nous irons vivre dans un plus petit local. Tu auras assez de confort pour tes études. Ici, c'est trop grand.

— Il est idiot de perdre la maison, dit Léa, d'autant plus que Sylvie n'habite pas loin. Je préfère que tu la gardes, qu'Eugène soit ici plus souvent, et me serrer la ceinture.

 — J'aime Eugène, mais il ne peut pas être tout le temps avec moi. Il dort normalement avec Sylvie, et pas avec moi. Mes amants cachés, étant mariés ou en couples, ne remplacent pas un homme disponible à demeure. Ils ont une vie qui n'est pas commune avec la mienne. Ils restent marginaux. Eugène n'est pas la solution, même si nous nous aimons et qu'il est tout près. Il est occupé ailleurs, et je refuse une aide matérielle d'un amant. Heureusement, je suis capable de me passer d'amour au quotidien. Il suffit de le vouloir. Nous vendrons la maison.

— Mais non, maman. Prends ce veuf puisque tu n'as personne d'autre.

— À la réflexion, ce veuf n'a pas besoin de se lier matériellement à moi. Je me suis mariée avec Denis pour la vie de famille avec toi. Nous pouvons nous retrouver avec ce veuf sans que ce soit apparent.

— Comment faire, sans vous marier, pour qu'il soit avec toi la nuit, et pour trouver l'argent de la maison ?

— En lui offrant une pension ici, et en le prenant comme copain caché à demeure. Il y a de la place, et l'on ne peut pas me critiquer de récupérer, en louant, un peu d'argent pour mieux vivre. Il aura sa chambre, son indépendance complète, et s'il veut de moi, je lui ouvrirai discrètement la mienne. Si un jour, je ne veux plus de lui, je pourrai le quitter facilement, et prendre un autre copain en pension. Le prix de la pension permettra de tenir jusqu'à ce que la maison soit payée. Je reste matériellement aussi indépendante que lui. Les principes sont respectés. Je préfère actuellement ce pensionnaire à tout autre. Cette solution te convient-elle ?

— Oui, maman, dit Léa.

— Je vais lui proposer. Je doute qu'il refuse, car il est demandeur. Je vais expliquer notre projet à ton père. Il assure ton avenir.

*

 

 Vacances

 

Victor, le frère d’Isabelle, vit dans une ville trop éloignée pour qu’ils se voient souvent. Ils restent en contact principalement par téléphone. Cet oncle de Léa s’est marié avec une jeune fille, enceinte de son fils Antoine, que Victor a reconnu comme le sien, bien que n'étant pas le père, celui-ci étant mort par accident quelques jours avant la cérémonie prévue pour le mariage. La fille s'est retournée vers Victor, qui l'aimait aussi. Victor s'est rapidement marié avec elle. Antoine est né ensuite. Il est du même âge que Léa. Victor et son fils s'aiment bien.

 

Victor téléphone à sa sœur.

 

— Comment va Denis ?

— C'est bientôt la fin, dit Isabelle. C'est inéluctable.

— Léa doit être affectée de voir son père dans cet état.

— Bien sûr, mais elle comprend la situation, et elle ne fait rien pour contrarier son père qui est lucide. Denis s'inquiète pour elle. Il préférerait qu'elle n'assiste pas à sa mort en l’éloignant. Je voudrais éloigner Léa, mais les études la maintiennent ici.

— Les vacances vont arriver. Tous les ans, je te propose de la prendre, et tu refuses toujours sous prétexte que tu la fais travailler pendant les vacances ou qu’elle va en séjour linguistique. Cette année, tu ne peux pas t’en occuper facilement. Envoie-moi Léa. Elle sera mieux ici. Elle est capable de faire seule ses devoirs. Antoine le fait bien.

— Tu n'es pas plus riche que nous. Ce serait une charge pour toi.

— Pas bien lourde si je la mets avec Antoine. Je peux le faire pour ma nièce. Comme tu l'as éduquée avec les mêmes principes que les miens, c'est le genre de personne que j'accueille volontiers. Elle ferait connaissance avec Antoine et ne le pourrirait pas avec des idées différentes des nôtres.

— Léa ne fréquente pas les garçons.

— Antoine ne fréquente pas les filles. C'est l'occasion de les mettre ensemble. Je préfère ta fille à toute autre fille pour Antoine.

— Crains-tu les filles pour lui ?

— Je l'avoue. Je ne suis pas certain d'Antoine. Il est obéissant, gentil, intelligent, et il a de bons résultats scolaires. Il m'écoute et fait du mieux possible ce que je lui demande, mais il est étourdi et n'a pas la rigueur nécessaire pour toujours tout bien faire. Il est de ceux qui suivent les règles qu'on lui enseigne de préférence à la logique. Il privilégie la mémoire à la réflexion. Il se réfère à moi au lieu de raisonner. Ses initiatives ne sont pas toujours heureuses. Quand je ne suis pas là, il peut dériver. Il est capable de s'amouracher d'une fille qui le mènera par le bout du nez. Si c'est une fille de celles que je croise tous les jours, adieu les bons principes. Antoine et encore trop jeune pour se passer d'un guide. Je l'oblige à me demander mon avis pour les choix importants. Il ne se mariera qu'avec mon accord. Il admet que j'ai raison de le conseiller.

— Léa est plus mûre. Je peux la lâcher dans la nature. Elle saura quoi faire. Elle a déjà planifié son avenir : études, métier, mariage, famille, enfants. Tout est tracé.

— Les filles comme la tienne sont rares. Je peux mettre Léa avec Antoine si elle le guide vers les bons principes.

— Oui. Elle a nos principes. Elle est plus souple que moi, mais elle ne lui apprendra pas de mauvaises choses.

— Envoie-la-moi. Je sais que tu hésites à dépenser et que la maladie de ton mari n’a pas amélioré tes finances. Je paie les vacances de Léa. Ce serait bon pour Antoine. Il a besoin de ta Léa, et de savoir qu’il y a des filles pour lui. Elles sont rares, mais il y en a.

— Je te revaudrai ça.

— Plus important. Il n’y a pas que les principes. Une fille et un garçon de cet âge vont avoir des tentations. Dois-je les surveiller pour qu’ils ne fassent pas de bêtises ? Avec Antoine, tout peut arriver.

— Non, dit Isabelle. Au contraire. Léa doit se frotter aux garçons, et ton fils est l'idéal. Tu les mets ensemble. À la limite, il peut faire l'amour avec elle. Cela ne leur ferait pas de mal. Je vais mettre Léa à la contraception. Elle connaît le principe de double protection et sait l’appliquer. Elle ne fera pas d'erreur. Si Antoine ne la force pas bêtement, tout se passera bien.

— Antoine ne la forcera pas, mais s'il n'est pas bête, Antoine est parfois inconscient. Je lui ai enseigné le principe de double protection, mais je ne sais pas s'il l'a bien assimilé. Moi-même, à son âge, je ne le possédais pas bien.

— C’est normal. Il est difficile à comprendre. Tu peux te reposer sur Léa. Elle garde la tête froide et ne fera pas d'erreur.

— Même en amour ?

— J'ai confiance en elle. Elle ne fera que ce qu'elle souhaite, et en sécurité.

— J'envisage de prendre quelques jours de vacances dans un chalet qu'un ami me prête parce qu'il sait que je ne vais rien dégrader, et qu’il préfère qu’il soit occupé. Je pourrais y laisser Antoine pour toute la durée des vacances scolaires, mais seul, ce n'est pas envisageable. Il pourrait se laisser entraîner par de mauvaises rencontres. Puisque nous pouvons le mettre avec Léa, accepterait-elle de rester avec lui ? Elle serait mieux qu’avec moi. Il y a, à côté du chalet, la cantine d'une maison de vacances qui leur fournirait les repas. Antoine est capable de maintenir le chalet en bon état.

— Léa aussi.

— Les environs sont pleins de sentiers de randonnée. L’air des montagnes serait bon pour eux. Ils se frotteraient l’un à l’autre.

— Ce serait très bien. Léa est soigneuse et adore marcher. Je préférerais rester avec elle pour organiser son travail scolaire, mais cette année, par exception, son père passe avant elle. Pour les jours de pluie, je lui donnerai tous les documents pour préparer l'année prochaine.

— J'en donnerai aussi à Antoine.

*

 

— Ma fille, dit Isabelle. Ton papa n’en a plus pour longtemps. Il désire t'éloigner pendant les vacances.

— Mais maman, dit Léa, si papa s'en va, je souhaite l'assister le plus longtemps possible.

— Il sait que tu l'aimes, mais il préfère que tu gardes une bonne image de lui et que tu vives sans te morfondre pour lui. Ne le contrarie pas. Il désire que tu marches pendant les vacances, que tu mènes une vie saine au grand air, et que tu ne sois pas triste. Il veut partir discrètement, sans déranger. Sois digne de son amour en suivant ses conseils. Pendant les vacances, tu iras d'abord chez ton oncle Victor. Il va s’occuper de toi. Tout est organisé. Tu seras avec son fils Antoine, que sa femme lui a apporté en se mariant avec lui. Tu partiras avec Antoine en montagne. Ainsi, il ne restera pas seul dans le chalet dont Victor dispose. Tu aimes la marche et lui aussi. Vous allez pouvoir faire de grandes randonnées. Ce garçon près de toi te protégera de mauvaises rencontres.

— Je n’apprécie pas trop les garçons, dit Léa. Ceux que je connais ont quantité de défauts. Ils boivent, fument, se droguent ou sont agressifs. Comment est Antoine ?

— Mon frère est comme moi, dit Isabelle. Nos parents ne supportent pas les addictions. Nous ne fréquentons que des gens sans addiction ici, mais c’est pareil pour lui là-bas. Antoine et sa mère sont sans addiction. Je te le garantis. C'est notre marque de famille, qui nous fait mal voir par beaucoup de monde. Refuser le verre de l'amitié est considéré par certains comme une offense : tu le sais bien. C’est une tradition qui perdure malgré son absurdité. Il faut se montrer diplomate. Tu seras tranquille de ce côté-là. Antoine ne t’en offrira pas. L’alcool est interdit dans la famille. Si Antoine désire y goûter, Victor souhaite que tu l’en dissuades. Tu serais l'ange gardien d'Antoine. Tu le guiderais dans le bon chemin.

— Je guiderai, maman, mais dans la famille, nous sommes aussi pour la liberté sexuelle, et ça m’inquiète, bien qui j’y sois favorable. Comment va se comporter Antoine avec moi ? Est-ce que je dois lui céder ?

— Si tu veux des enfants, il faudra bien céder un jour. Tu es à un âge où céder ne serait pas anormal. Beaucoup de filles de ton âge l’ont déjà fait. Ce n'est pas interdit. Ton sexe est en état de fonctionner avec celui d'un garçon.

— Me livres-tu à Antoine ?

— Si Antoine est normal, il est probable qu’il aura autant envie de toi que les garçons qui te sifflent dans la rue. Cependant, tu es libre, et il doit respecter ta liberté. Tu n’es pas obligée de te livrer à lui. Il n’a pas le droit de te forcer.

— Mais y vois-tu un inconvénient ?

— Écoute ! Ce n'est pas la première fois qu'on en parle. Tu n’es plus un bébé, donc, tu es capable de gérer toi-même tes amours. Il faut commencer un jour, et ce jour est arrivé. Je te laisse la bride sur le coup. À toi de savoir ce que tu feras avec Antoine. Je m’occupe de ton papa avec Eugène et Sylvie. Tu nous laisses avec lui et nous ferons pour le mieux. Il est inutile que tu sois ici. Tu nous encombrerais. Ton papa souhaite partir sans gêner et sans pleureuses. Il désire que tu ailles chez Victor pendant les vacances. Vas-y. Il préfère t’éloigner et que tu mènes une vie normale et heureuse pendant sa fin. Amuse-toi. Ne sois pas triste. C’est son vœu d'être incinéré et ses cendres dispersées sans cérémonie. Tu te débrouilles de ton côté avec Antoine. En ce qui concerne ton comportement, ce que tu fais ou non avec Antoine n’a d’importance que pour toi. Faites l’amour ensemble, si vous le désirez. Utilise seulement les protections indispensables. Antoine est un garçon des plus convenables et qui n’a pas de maladie vénérienne. La sécurité est assurée. Prends-en conscience. Pour ta tranquillité, et plus de liberté, je te mets à la contraception tout de suite.

— Laquelle ?

— Celle que tu préfères. La pilule ? Le timbre ? Dis-moi ! Tu connais les avantages et les inconvénients de toute la panoplie des méthodes.

— J’y ai réfléchi depuis que tu m'en as parlé. Je choisis le stérilet jusqu’à ce que je me marie. Une fois posé, je n'aurai plus à m’en occuper, et il protège à 99%. Il est plus efficace que la pilule. Je ne serai pas prise au dépourvu.

— J'en ai porté un après ta venue au monde. Le stérilet est plus contraignant physiquement que la pilule. Il faut le poser. Tu peux le rejeter. Le premier examen gynécologique est une épreuve pour beaucoup de filles. Je n'étais pas tranquille la première fois que le médecin m'a examinée. Il va ouvrir ton sexe avec un spéculum pour accéder au fond de ton vagin. Il va faire des prélèvements, puis, avec le résultat des analyses, tu retourneras pour la pose. Tu risques quelques douleurs au début. La pose avec un long applicateur peut effrayer.

— Je sais à quoi je m'expose, maman. Ne te tourmente pas. Ce sont des opérations simples, qui provoquent des problèmes psychologiques pour les non avertis, mais pas à moi. Le médecin doit avoir l’habitude, et il fera le nécessaire. J'en prends toute la responsabilité. Je serai décontractée.

— Bien ma Léa. J'admire ta détermination. Tu vas demain te faire examiner, et le stérilet sera posé avant ton départ. Autrefois, on ne mettait un stérilet qu’après avoir eu un enfant, mais c’est devenu possible pour une fille comme toi. Tu auras le type de stérilet que tu désires, et tu n’auras pas d’enfant tant que tu le porteras. Tu es libre de faire ce que tu veux avec Antoine. Il est sain, mais tu dois exiger le préservatif. C’est une bonne habitude avec un amant. Pour une sécurité maximale, la double protection est l’idéale. Les probabilités d’insuccès se multiplient entre elles et tendent vers zéro, sauf si les protections sont du même type. As-tu compris les précautions à prendre ?

— Mais oui, maman. J’ai étudié les probabilités, et j'ai compris ce qu’est la double protection, ainsi que les erreurs systématiques. Si j’ai un stérilet et si je ne fais pas l’amour avec Antoine, je n’ai aucune chance d’avoir un enfant et d’être contaminée.

— Et malgré le stérilet, tu exiges le préservatif si tu envisages de faire l’amour avec Antoine.

— Oui, maman, et il y a alors double protection contre les maladies puisqu’il est sain. Comme Antoine est mon cousin germain, n’y a-t-il pas un risque de consanguinité ?

— Ce n’est pas Victor qui a conçu Antoine. Antoine est le fils officiel de Victor, et est donc ton cousin, mais vous n’avez pas de gènes communs. Pour les enfants, il serait déconseillé de te marier avec Antoine s’il était ton vrai cousin, mais tu peux faire l’amour avec lui sans risque de consanguinité.

*

 

— Ma chère Léa, dit son oncle Victor, tu seras pratiquement seule avec Antoine la plupart du temps. Vous êtes à l'âge où l'amour commence à se manifester pour vous deux. J'espère qu'Antoine se comportera bien avec toi. Il ne doit en aucun cas agir brutalement avec toi, et il doit te respecter. Nous sommes pour l'amour libre dans la famille, mais cela signifie que tu es libre de te refuser à Antoine. Il a promis de ne pas t'agresser, mais sois vigilante. Ses désirs ne concordent pas nécessairement avec les tiens. Tu m'appelles par téléphone si Antoine dépasse les limites que tu lui assignes. Si tu n’es pas bien avec lui, vous revenez chez moi ici.

— Je ne vais pas agresser Léa, dit Antoine. Ne t’inquiète pas, papa.

— Sois gentil comme d'habitude, dit Victor. As-tu peur, Léa ?

— Antoine est-il différent des autres garçons ?

— Non, dit Victor, mais il sait que ma sœur est adepte comme nous de l'amour libre. Il pourrait avoir tendance à en profiter à tes dépens s’il t’assimile à ces filles libertines qui sont nombreuses dans mon association. Si tu ne l’es pas, sois ferme avec lui.

— Oui, mon oncle.

— Antoine, ton rôle est de protéger Léa des autres garçons, et non d’imposer ta volonté.

— Oui, papa.

*

Léa est donc avec Antoine pendant toutes les vacances, un garçon sérieux qui est dans une classe au même niveau qu'elle. Les premiers jours, Léa se méfie d'Antoine, car au lycée, elle n'apprécie pas les garçons, trop brutaux et agressifs à son goût. De même, Antoine ne va pas avec les filles qui restent dans leur coin. Ne se connaissant pas, les débuts sont des échanges de politesses sans rapprochement évident. Le froid dure quelques jours. Enfin, la glace est rompue. La méfiance disparaît. Léa et Antoine commencent à se parler sans formules toutes faites.

 

— J'ai des devoirs de vacances, dit Léa. J'en ai pour quelques heures chaque jour.

— Moi aussi, dit Antoine.

— Apparemment, papa m'a fourni les mêmes que les tiens.

— Oui. Il demande toujours conseil à ta mère. Il ne faut pas copier l'un sur l'autre.

— Faisons-les séparément. Nous vérifierons quand nous aurons fini si nous trouvons la même chose.

 

Ils travaillent chacun de leur côté, puis comparent.

 

— Vous n'avez pas beaucoup de fautes, dit Antoine.

— C’est facile. J'ai les félicitations au lycée, dit Léa, grâce surtout aux sciences.

— Moi aussi, grâce aux lettres.

— Vous n'êtes donc pas un cancre.

— Vous non plus.

— Vous remontez dans mon estime.

— J'en suis heureux.

— Je vous voyais comme les autres garçons, dit Léa, mais vous êtes mieux que la moyenne. Je crains moins de passer le reste des vacances avec vous.

— Et vous devez être une fille plus acceptable que celles de mon lycée.

— Maman s’est débarrassée de moi, car papa est mourant. Elle préfère que je n'assiste pas sa fin. Papa, m’a dit de m’amuser et de ne pas le pleurer.

— Ils ont raison, dit Antoine. Je vais profiter de votre compagnie.

— Vous devez être un copain convenable, dit Léa.

— En définitive, nous ne sommes pas trop mal lotis l'un avec l'autre.

— Oui. Le seul problème est que vous soyez un garçon et moi une fille. Les parents en sont conscients, mais ils n'ont pas l'air de s'affoler de nos différences de sexes.

— Nous n'y pouvons rien, dit Antoine, et ils sont passés par là, eux aussi. Le problème se résout en étant bien ensemble. Avec de la bonne volonté, nous pouvons faire l’expérience du sexe opposé.

— Je me suis promis d'être sage, dit Léa. Je n'ai pas l'intention de faire l'amour avec vous, même si les parents ne l’empêchent pas. Je ne ferai l'amour que pour avoir des enfants.

— J'ai aussi promis à maman d'être sage avec vous, de ne rien vous imposer, et ainsi respecter votre liberté. Vous ne craignez rien. D'ailleurs, je ne sais même pas comment je m'y prendrais. Il y a plusieurs façons de procéder, et j’ignore celle qui vous plairait. Nous ne sommes pas assez âgés pour faire l'amour si j'en crois les parents. Nous ne sommes pas encore adultes.

— Presque. Maman m'a dit de me comporter en adulte. Avez-vous bien quelques érections ?

— Bien sûr, depuis des années, et elles se manifestent souvent. J’en ai une actuellement dont vous êtes responsable. Je peux vous montrer. J’en ai rarement eu d’aussi forte. Vous m’excitez beaucoup. Je suis tendu.

— C’est ce que je craignais, dit Léa. Je vous crois sur parole. Les garçons ont ce problème. Ce doit être gênant.

— Je m’y fais. Ne vous plaît-il pas que j’aie envie de vous ?

— Ce n’est pas le moment.

— N’avez-vous pas envie aussi ?

— Que j’aie envie ou non, dit Léa, ce n’est pas ce qui me fera faire l’amour avec vous. Je ne m’engage pas avec un garçon que je connais à peine. Je ne suis pas comme certaines filles qui se donnent au premier venu. Je ne me laisserais pas faire.

— Je n'ai pas l'intention de vous agresser. Je suis civilisé.

— Tant mieux. Si vous essayez de me violer, je fais un scandale, et je téléphone à mon oncle.

— Vous n'avez pas l'air de m'aimer beaucoup, dit Antoine.

— Mais si, dit Léa. Je n'ai rien à vous reprocher. Vous avez les bons principes et tout ce que je rechercherai chez mon futur mari.

— Expliquez-moi ce que j'ai.

— Vous n’avez pas d’addiction. Vous êtes intelligent et gentil. C'est assez rare. Un homme sur cent.

— Je peux vous retourner le compliment. Vous êtes assez rare. Une fille sur cent.

— Oui, mais j'ai des principes. Je termine mes études et je dois travailler avant de me marier. Les études, le travail et la famille, passent avant l'amour.

— Il faut bien l'amour pour fonder une famille et avoir des enfants, dit Antoine.

— Pas nécessairement, dit Léa. Un viol permet d’avoir un enfant sans aimer. Il y a aussi la fécondation artificielle.

— Ce sont des cas extrêmes, hors du commun.

— Oui. J’ai d’ailleurs un stérilet voulu par maman, ce qui me sécurise.

— Vous pouvez donc faire l’amour avec moi. J’aimerais essayer, pour voir si j’y arrive. Avec mon érection, ça devrait aller. Êtes-vous d'accord ?

— Non. Pas d’amour sexuel. Je suis trop jeune, et je ne veux pas.

— Dommage. Vous perdez une occasion, et je suis déçu par votre refus. Malgré vos dires, vous n'avez pas un comportement d'adulte. Ce sera pour une autre fois... L'amour non sexuel existe aussi. Le refusez-vous ?

— Non. Mais avec vos qualités, je vous aime un peu de cette façon.

— Alors, puisque vous m'aimez un peu, est-ce que je peux vous embrasser ?

— Embrasser sexuellement ou non ? Si c'est sexuel, je n'en veux pas.

— Alors un baiser non sexuel.

— Ce sera moi qui vous le donnerai, dit Léa. Comment le voulez-vous ?

— Je peux choisir ?

— Oui, si vous n'abusez pas.

— Sur les lèvres ? C’est sans intervention du sexe.

— Oui, dit Léa. Mais pas plus d'une fois par jour.

 

Léa apprécie qu’Antoine la protège des autres garçons. Elle peut sortir et marcher avec lui sans être suivie par un indésirable. Antoine aime Léa, et Léa, de jour en jour, embrasse de plus en plus longuement un Antoine qui répond. Ils ne savent plus qui embrasse l’autre. Léa sait que c’est sexuel, car elle réagit intérieurement et elle sait qu’Antoine réagit aussi. Elle aime ce moment privilégié. Elle a des impulsions vers Antoine, mais son amour en reste là. Ce n'est qu'une amorce sans suite. Si Antoine était plus incisif, elle céderait peut-être, mais elle n’en est pas certaine. Elle aurait des réactions d’éloignement.

Quand les vacances se terminent, Antoine et Léa ont beaucoup marché et se sont beaucoup excités. Léa n'aura pas l'occasion de revoir Antoine avant longtemps. Ils habitent trop loin l'un de l'autre.

*

— Qu'as-tu fait avec Léa, demande Victor à Antoine ?

— J'ai vécu avec elle, dit Antoine. Elle est vivable. Je l’aime bien.

— L'as-tu respectée ?

— Oui. J'avais envie de faire l'amour avec elle, et je suis certain qu'elle en avait aussi envie, mais elle n'a pas voulu de moi.

— Pourquoi ?

— Elle ne voulait pas s'engager sans suite.

— Es-tu déçu de ne pas avoir fait l'amour avec elle ?

— Oui, papa.

— Ce sera pour une autre occasion. Léa n’est pas la seule fille fréquentable. Isabelle me dit que Léa n'est pas mécontente de ses vacances, et qu'elle t'aime bien. Si l'année prochaine, Léa veut être avec toi, l'acceptes-tu ?

— Oui, papa, mais si j'ai bien compris, elle ne viendra pas. Elle a d'autres projets.

— Isabelle ne lâche pas facilement sa fille. Tu as eu beaucoup de chance de l'avoir avec toi cette année.

*

 

Denis est mort pendant les vacances. Avec lui, les principales ressources du ménage ont disparu. Le train de vie ne peut plus être le même. Ils ne sont pas à la rue, mais il faut rogner sur presque tout pour continuer à vivre. Maman Isabelle a désormais son copain pensionnaire à la maison, et Léa ferme les yeux quand ils se retirent dans leur chambre. Maman travaille pour vivre chichement, et faire vivre Léa. Le copain est caché pour les gens de l’extérieur. Maman n’envisage pas de se marier avec lui. Elle préfère son indépendance.

 

— Maman, dit Léa. Ne me demandes-tu pas ce que j’ai fait avec Antoine ?

— Je t’ai accordé ta liberté en t’envoyant avec Antoine, ma fille, et en estimant que tu assez grande et sérieuse pour l’avoir. Tu n’es plus une enfant. Je ne te la reprends pas.

— Mais n’es-tu pas curieuse de savoir ?

— Je suis curieuse, mais je te respecte. Je n’ai plus à fouiller dans tes affaires personnelles, car je te considère comme adulte, et c’est selon la loi pour bientôt. Je ne suis plus responsable de tes actes. Tu es maintenant responsable de toi-même.

— Puis-je quand même t’en parler ?

— D’égale à égale. Oui. Tu es libre de le faire.

— Bon. Je te remercie pour la confiance que tu m’accordes. Je n’ai pas fait l’amour avec Antoine.

— Pourquoi ? N’est-il pas le bon garçon que m’a décrit Victor ?

— Je ne le prendrais pas comme mari, maman. C’est un enfant. Je joue bien avec lui, mais il ne s’occupe pas assez de l’avenir. Il n’est pas comme moi. C’est un garçon comme papa qu’il me faudrait.

— Je ne vais pas te dire le contraire, mais il faut être réaliste. Antoine n’a pas le caractère idéal que tu souhaites, mais tu es difficile. Victor me dit qu'il est moins réfléchi que toi, mais il n'a pas beaucoup de défauts. Connais-tu un autre garçon de ton âge n'ayant pas d'addiction ?

— Non, maman.

— Il doit pourtant y en avoir parmi tes copains du lycée. Tu ne les as pas repérés, car c'est difficile. J'ai eu les mêmes problèmes à ton âge. C'est pour cela que j'ai débuté avec des buveurs. Je croyais qu'ils ne l'étaient pas parce qu'habituellement ils ne buvaient pas, mais en réalité, ils buvaient quand même de temps en temps, en particulier les jours de fête. J'ai fini par découvrir les vrais non buveurs, mais ils se cachent bien, car les buveurs les brocardent. Victor dit à Antoine de ne pas afficher qu'il ne boit pas. Tu as eu la chance qu'on le savait. Nous avons pu te mettre avec lui. Physiquement, te plaît-il ?

— Oui.

— Est-il assez intelligent pour toi ?

— Oui.

— Qu’a-t-il fait pour te déplaire ?

— Il voulait faire l’amour avec moi, et il était pressant.

— Mais l’a-t-il fait ?

— Non. Je n’ai pas voulu.

— Il t’a donc respectée. Avais-tu envie de lui ?

— Oui, mais ce n’est pas le mari que je souhaite, car c'est mon cousin. On pourrait nous critiquer.

— Comme amant, il peut convenir.

— Aurais-je dû me donner à lui ?

— Tu as jugé que non en toute liberté.

— J’ai jugé qu’il était inutile de me lancer avec un garçon qui ne vivra pas avec moi.

— C’est ton point de vue, et il se défend. Mais tu savais que j’étais favorable à ton amour avec Antoine. As-tu bien eu quelques émotions avec lui ?

— Oui, maman. J'étais troublée.

— L’amour te touche donc.

— Mais c’est une addiction, maman. Je dois m’en défendre. Le plus simple est de l’éviter, comme nous le faisons avec l’alcool ou le tabac.

— À ce compte-là, manger et dormir sont des addictions qu’il faudrait éviter. Tu manges et tu dors, et ce n’est pas néfaste dans les limites habituelles. Seul, l’excès est gênant. Il est aussi naturel d’aimer que de manger ou dormir. Nous sommes conditionnés pour manger, dormir et aimer. Il faut vivre avec ces addictions naturelles favorables à la vie, et ne pas ajouter les addictions artificielles du tabac et de l’alcool qui anéantissent la vie. Il faut vivre, ma fille, un amour non toxique et sérieux. Le problème de l’amour est qu’il apparaît à ton âge, et que tu n’y es pas encore habituée, comme à manger ou à dormir. Tu es dans l’incertitude amoureuse.

— Qu’aurais-tu fait à ma place ?

— L’incertitude en amour est difficile à supporter, et cela va durer jusqu’à ce que tu aies une vie amoureuse stable. Les amants, même éphémères, permettent d’attendre. N’aie pas peur d’affronter la vie. Veux-tu savoir ce que j’aurais fait ? Je me serais donnée, parce qu’il est difficile de trouver un garçon qui convienne aussi bien qu’Antoine, et quand on n’a personne d’autre, il ne faut pas bouder l’occasion. Mais je ne suis pas à ta place. Tu as pris une décision. C’est très bien, mais tu aurais pu approfondir ton éducation sexuelle avec lui. Penses-y. Antoine était le partenaire idéal pour t’informer sur l’amour. J'aurais choisi l’amour sans danger qu’il t’offrait, mais mon avis est partial, car je sais ce qu’est l’amour, et ce n’est pas encore ton cas. Quand j’avais ton âge et encore vierge, j’étais aussi incertaine que toi.

— Laisse-moi le temps, dit Léa.

— Tu as le temps, mais j’ajoute qu’Antoine est aussi touché par l’amour. Il aurait été heureux de t’aimer dans de bonnes conditions. Tu l’as refusé. Ce n’est pas gentil. Tu n’as pensé qu’à toi, alors qu’il était facile de le contenter. Tu ne risquais rien avec lui.

— Oui, maman. J’ai été égoïste. Je le reconnais, mais c’est aussi la liberté. Je préfère attendre un homme que j’aimerai un peu plus.

— Si tu le trouves. Il te faudra chercher, et je ne sais pas qui te conseiller d'autre, mais ne désespère pas. L’homme qui est pour toi existe.

— Pour toi, ils sont plusieurs. Tu te compliques la vie.

— Non. Ma vie aurait été plus compliquée si je n’avais pas eu d’amant. Les hommes sont très utiles à la femme. S'en passer est absurde.

— J'ai embrassé plusieurs fois Antoine. Je ne sais pas si c'est bien, mais je l'ai fait presque chaque jour. Quand j'étais dans ses bras, j'avais envie de me donner, et pourtant, je ne le voulais pas. Je sentais son sexe dur contre moi, et le mien se serait volontiers ouvert à lui. C'était bizarre. Comment juges-tu ces émotions déplacées de j'ai eues avec Antoine ?

— Pourquoi ne le voulais-tu pas ?

— J'avais décidé de ne pas faire l'amour avec lui. Il n'est pas mariable. Je ne le reverrai plus.

— Alors, pourquoi l'embrassais-tu ?

— Pour lui faire plaisir. Il disait m'aimer. Je pouvais lui accorder ce plaisir.

— Et avais-tu le plaisir d'être contre lui ?

— Oui. C'était plus fort que moi. Je l'ai découvert dès la première fois. J'attendais de pouvoir recommencer.

— Donc, tu te serais donnée.

— Avec les vêtements, ce n'était pas possible. Je ne me suis jamais déshabillée devant lui. Je ne voulais pas le provoquer.

— En réalité, tu aimes Antoine. Tu t'en défends, mais c'est par principe, un principe contestable. Que penses-tu d'Antoine ? En rêves-tu ?

— J'ai quelques fantasmes où il fait l'amour avec moi, et c'est moi qui vais à lui. Comment l'interpréter ?

— Tu l'aimes, ma fille, et pour longtemps. Le mieux est que tu fasses l'amour avec lui si l'occasion s'en représente. Il n'y a aucune raison pour que tu luttes contre cet amour s'il ne cherche pas à t'asservir.

— Maman, tu as aimé plusieurs hommes. Dois-je le faire ? L'idéal n'est-il pas d'en aimer un seul ?

— Cet idéal, ma fille, est l'idéal de ceux qui sont sujets aux addictions. On idéalise l'amour du vin, de l'alcool, de la drogue et du tabac. Les films, les romans, la télévision et les chansons vantent ces idéaux. Ne tombe pas dans le piège de la propagande pour l'amour unique idéal. C'est de l'amour fou quand il se manifeste, signe d'addiction. Il existe, bien sûr, mais son idéalisation n'est que l'œuvre d'illuminés, d'inconscients, de drogués ou d'artistes. L'amour unique n'est ni logique, ni moral. Pourquoi exclure les autres de l'amour qu'on peut leur porter ?

— Es-tu contre la fidélité ?

— Ne confonds pas fidélité avec amour unique. J'ai aimé deux vrais jumeaux, à égalité. Ils étaient identiques. J'avais les mêmes sentiments pour les deux. Je n'ai couché qu'avec un seul, parce qu'il faut bien choisir. Je l'ai rejeté et je n'ai pas essayé son frère. La fidélité est un état. L'amour vers une seule personne est une addiction ou une contrainte. On aime à des degrés divers, mais si on aime une personne, il est anormal de ne pas pouvoir en aimer une autre.

— D'aimer Antoine ne m'empêche pas d'aimer un autre homme, dit Léa.

— Oui, dit Isabelle, mais il est bon qu'il soit d'accord avec toi.

*

 

 Le simulateur

 

Léa étudie les lois pour garder sa liberté, ce qui est plus facile que l’amour qu’elle doit aussi affronter. De ses propres réactions dans la vie courante, elle ne tire pas grand-chose. En présence d'un garçon, et c'était le cas avec Antoine, elle a parfois de légers troubles, quelques réflexes de contact, mais rien d’important en dehors des embrassades. Elle n’a ni cette attirance irrépressible des romans pour un homme particulier, ni de répulsion sans raison. L’éducation sexuelle l’informe sur la façon de procéder, sur les risques à éviter et sur les moyens de contraception, mais rien sur la façon d’aborder un garçon ou de l’accueillir en dehors de la nécessité d’aimer pour être bien ensemble. Comment s’y prendre ? Aucune source d’informations satisfaisante. Les films pornographiques ne l’inspirent pas, car ce n’est que du spectacle de mauvais goût. Les contacts par ordinateur sont décevants et dangereux. Pour maman, puisqu'elle a raté Antoine, il faut bien réfléchir à ce que l’on souhaite, choisir un garçon sans addiction, et l’essayer longtemps avant de décider. Pour les copines, c’est si varié et incohérent qu’il n’y a rien à en retenir. On se lance et on tombe plus ou moins bien, quasiment au hasard quand on n’a pas d’idée préconçue et que le garçon n’a pas de défaut apparent.

Léa est pour une approche progressive permettant de comprendre. Avec Antoine, c’était trop rapide, et elle n’était pas prête. Elle doit donc se connaître elle-même pour commencer. Il n’y a pas trente-six solutions. La masturbation s’impose. Elle a laissé poser le stérilet, ce qu’elle a perçu comme une opération neutre. L’hymen, qu’elle avait décidé de sacrifier, n’a pas résisté au bistouri du médecin. Elle n'est peut-être plus vierge, mais elle s'en moque. Ainsi, jusque-là, elle avait préservé son sexe de toute perturbation. Elle en connaît la configuration, commune à toutes les femmes, et bien décrite dans de nombreux documents avec des schémas à l’appui. Elle explore maintenant, pour vérifier qu’elle est conforme aux descriptions, et y va doucement. Cela correspond aux schémas. Elle caresse en activant les endroits précisés réactifs. Elle est étonnée de l’intensité de son excitation, mais elle recommence jusqu’à avoir bien saisi ce qui se passe en elle. Si elle avait démarré avec Antoine ou un autre garçon, elle se demande ce qui se serait passé. Elle aurait été surprise et probablement incapable de maîtriser la situation. Elle a donc eu raison de se refuser à Antoine. L’amour ne la dépasse pas, mais elle a à s’en méfier. Il faut s’y soumettre si on veut fonder une famille, mais celui qu’elle choisira comme mari ne sera pas le premier venu.

Léa a utilisé ses doigts, ce qui a l’avantage de bien localiser par le toucher les points sensibles et d’apprécier les textures si particulières de ce recoin anatomique, mais ce n’est pas de l’amour véritable quand la réaction est provoquée par soi-même. Il faudra qu’elle aille plus loin dans la connaissance de l’amour, mais comment faire ?

*

Léa est maintenant étudiante et séparée de sa mère par le lieu des études supérieures. Son budget est serré, car Isabelle n'a pas encore fini de payer les traites de la maison. Léa a le minimum indispensable, mais c’est juste suffisant. Elle travaille à l’occasion pour arrondir ses fins de mois. En dehors de quelques heures de ménage dans ses trous d’emploi du temps, elle a trouvé un petit travail dans un magasin qui vend des objets déclassés, des fins de séries, des restes de faillites, des saisies de douanes, et des invendus. Il y a de tout, géré par ordinateur, avec un code de repérage sur chaque article permettant de les suivre à la trace. Léa consacre une fin d’après-midi par semaine pour mettre à jour les prix et ranger dans les rayons. Chaque article est proposé cher au début, puis son prix diminue en quelques mois, jusqu’à ce qu’il soit envoyé à la casse s’il n’est pas vendu. En quelques secondes, Léa enregistre le code qui est sur l’objet à vendre, et colle l’étiquette du nouveau prix à un endroit où elle sera bien visible sans occulter un texte ou une image importante d’une illustration. Elle déplace et regroupe d’un rayon à l’autre suivant les indications fournies par l’ordinateur qui gère le tout. Léa a acheté un pantalon qui ne trouvait pas preneur pour presque rien. Il lui fait beaucoup d’usage. Elle a récupéré dans le lot destiné à la casse, une mémoire de poche qui est pratique pour garder ce qu’elle prépare sur un des ordinateurs mis à la disposition des étudiants. Elle a aussi un poste de radio qui était dans un emballage affreux, mais qui fonctionne correctement. Elle est bien placée pour saisir une occasion, mais elle manque de moyens pour le faire souvent, et elle n’est pas la seule à les chercher. Elle voudrait un ordinateur personnel pour travailler chez elle sans avoir à se déplacer, mais ils partent trop chers. Certains autres articles dont elle suit l’évolution sont achetés avant qu’ils arrivent à la portée de sa bourse.

Il y a beaucoup de bricoles électroniques. Elles arrivent au magasin en assez grande quantité, car elles se démodent très vite. Des emballages sont ouverts ou entrouverts ou ont été refermés avec une bande adhésive. Il n’est pas évident de savoir à quoi tout cela sert quand on n’est pas spécialiste. Généralement, personne ne s’en encombre et ces gadgets finissent à la casse.

Léa observe les prix. Quand un objet arrive, il a beau être très cher, il peut terminer à zéro. Léa a l’information du prix initial, donc de la valeur marchande de l’objet neuf. Elle récolte quelques-uns des plus chers de ces délaissés et cherche ce qu’elle pourrait en faire, mais quand elle n’en trouve pas l’usage, ils partent à la poubelle. Elle recueille ainsi un simulateur dans une boîte en carton uniformément grise, qui n’a jamais été ouverte, et qui a accumulé des étiquettes de prix successives sans trouver preneur.

Léa est intriguée. À quoi peut servir un simulateur aussi cher au départ de la vente ? Rien sur la boîte ne permet de savoir ce qu’il simule. Il n’y a que le code, le mot simulateur et les étiquettes de prix qui se recouvrent l’une l’autre. La boîte n’est ni lourde, ni grosse. Simulateur de quoi ? Elle suit le carton gris depuis plusieurs semaines, et elle a résisté à l’envie de l’ouvrir. Les clients peuvent regarder, mais ne doivent pas ouvrir avant le passage à la caisse, et elle est employée pour l’empêcher. Elle doit seulement renseigner le client. Léa respecte les consignes. Si un client lui demandait ce qu’est ce simulateur, elle devrait s’informer, et peut-être ouvrir le carton pour savoir ce qu’il renferme si on lui donne l'ordre, mais aucun client ne se manifeste. Le prix chute progressivement. Léa récupère le simulateur quand il part à la casse. Le magasin l’autorise pour ses employés.

 Léa ouvre le carton gris. À l’intérieur, un autre carton aux couleurs vives, plus commercial et explicite. C’est un simulateur d’amour pour femmes.

Le simulateur a l’aspect d’un pénis sur les illustrations, avec une base un peu volumineuse. Pour la publicité des faces illustrées du carton, un homme devrait l’offrir à sa femme s’il doit s’absenter. Il simule l’amour sans provoquer de jalousie. Il est indispensable pour les veuves isolées et les jeunes filles qui veulent se réserver pour leur futur mari. Sans danger, l’essayer, c’est l’adopter. Des témoignages élogieux vantent ses mérites. Il peut être livré sous un emballage ne révélant pas le contenu, ce qui explique le carton gris.

Léa ouvre le carton aux couleurs vives et découvre une petite mallette sans marque et de teinte neutre, à fermeture codée à six chiffres, d’où sort le fil d'une enrouleuse avec une prise électrique. À l’intérieur le pénis est dans un écrin, et à côté : un tube de gel hydratant, une minuscule boîte de lingettes, et une télécommande à piles.

Léa consulte la notice du simulateur. Le code de la serrure est livré sur une étiquette. Un accumulateur est rechargeable plus de 500 fois, et complètement en 18 heures. Il permet alors 6 heures de fonctionnement continu avant recharge, soit plus de 3000 heures sans le changer. L’accumulateur fourni avec le simulateur, est vendu partout et peut être remplacé, s’il est déchargé, par des piles alcalines ordinaires fonctionnant près de 2 heures, ce qui peut éviter d’attendre le temps d’une recharge oubliée. Le pénis est agréable à toucher. Le simulateur est léger, doux, bien en main.

D’après la notice, l’appareil est perfectionné. Sous sa peau mobile en matière molle d’un contact exactement comparable à la peau humaine, existe un mécanisme générant des ondulations adéquates et des élongations comparables à des mouvements de va-et-vient pouvant suivre plusieurs rythmes avec des variations aléatoires. Le bourrelet mou et amortisseur de la base, limite la pénétration. Après le démarrage, qui doit précéder un début d'introduction, le simulateur se place de lui-même en bonne position et il n’y a plus à y toucher jusqu’à l’aboutissement et son arrêt. Des capteurs le renseignent sur sa position qu’il rectifie au besoin. Il est muni d’un petit réservoir rechargeable avec le tube de gel. Le simulateur éjecte la quantité de gel voulue au moment propice avec une temporisation réglable. Le gel est garanti sans danger. Un peu de gel suinte au démarrage pour un minimum de lubrification externe si c’est nécessaire. L’usage du gel en suintements est conseillé pour les femmes âgées et quelques plus jeunes aux muqueuses trop sèches. Il évite des frictions, mais pour une femme jeune normale, il n’est pas indispensable si elle est excitée. Un capteur décèle si un suintement est utile, mais l’usage à sec peut être imposé, par exemple s’il y a un préservatif. C’est une option réglable avec débit à adapter à la personne. Le simulateur peut être utilisé avec ou sans préservatif standard, non fourni avec l’appareil.

Un tube de gel contient environ cinquante recharges. Des tubes de gel sont vendus en pharmacie sous plusieurs marques pour la lubrification intime. La liste des marques testées est en annexe. Le gel est garanti neutre, non irritant, et non spermicide. Il est déconseillé d’utiliser un autre type de produit, car le gel sert aussi à la lubrification interne de l’appareil. En cas d’usage à sec et sans éjection, le gel n’est pas utilisé à l’extérieur du simulateur. La dose, suffisante pour plusieurs cycles avec éjection, reste à l’intérieur avec une consommation négligeable du mécanisme. Dans ce cas, par précaution, cette dose de gel, présente dans l’appareil neuf, doit être renouvelée environ toutes les 1000 à 2000 heures de fonctionnement. Une alarme visuelle conseille le renouvellement. Aux essais, des simulateurs fonctionnaient encore au bout de 10 000 heures avec un gel presque intact. Extraire le vieux gel en le faisant sortir par des cycles avec éjection jusqu'à l'arrêt par manque de gel, et en remettre une dose avec le tube. Un manque de gel déclenche une alarme par diode clignotante, et interdit ensuite le démarrage du simulateur si le niveau est trop bas. S’il fait froid, la mallette, qui contient le simulateur, en plus de la fonction de recharge de l’accumulateur, sert de thermostat à brancher sur une prise électrique, amenant en une minute le simulateur à la température de confort. Si le simulateur ne démarre pas, remplacer l’accumulateur ou les piles avant de démarrer par la télécommande.

Des traces indésirables peuvent être transmises par la surface du simulateur s’il n’est pas nettoyé, mais, normalement, l’usage hygiénique du simulateur propre ne perturbe en rien les relations éventuelles avec un partenaire. Le simulateur est lavable à froid ou en eau tiède, avec les produits de lavage habituels non agressifs. Après usage, essuyer soigneusement le simulateur avec une lingette humide comme celles pour bébé. Ensuite, rincer le simulateur sous le jet d’eau d’un robinet d’eau propre pour parfaire l’élimination de petits déchets. Laisser sécher ou essuyer avec un mouchoir en papier propre, avant de le replacer dans la mallette. Utiliser aussi un gel approprié. Le tableau joint donne les caractéristiques de gels du marché analysés et testés par deux laboratoires indépendants. Presque tous sont généralement neutres pour la peau et la mécanique. Ils sont assez bons en lubrification. Par contre, nombreux sont plus ou moins spermicides, ce qui est un avantage ou un inconvénient suivant l’utilisation. Le premier de la liste, qui est le gel utilisé dans le simulateur neuf, n’est pas spermicide. Ainsi, il ne détruit pas les spermatozoïdes et augmente légèrement leur mobilité quand il se mélange au sperme. Ce gel est garanti neutre, non irritant, et non spermicide. Utilisé en éjection par l’extrémité du pénis du simulateur, il favorise les déplacements des spermatozoïdes, donc, il peut augmenter légèrement la possibilité de fécondation pendant quelques heures en la présence antérieure ou postérieure de sperme. Notre maison fabrique des appareils destinés à la fécondation artificielle, qui utilisent les mêmes brevets que le simulateur, et qui sont disponibles sur demande.

Entretien : Laver le simulateur après usage sous le jet d’eau d’un robinet avant de le replacer dans la mallette.

Le simulateur reçoit ses ordres de la télécommande, dont les piles ordinaires sont fournies. Sa portée est des quelques mètres sans qu’il soit besoin de l’orienter. Léa règle tous les paramètres de fonctionnement décrits en annexe. Pour les premiers essais, il est recommandé d’essayer les 10 programmes automatiques réglés de très doux à très fort, de choisir le plus adapté et de modifier les réglages en agissant sur les boutons de la télécommande.

Le simulateur crée 20 ambiances sonores, sans musique, accordées à la dynamique, et à régler suivant les goûts.

Quand la prestation du simulateur est jugée satisfaisante, il est conseillé de la mémoriser, et 10 mémorisations différentes sont possibles. La prestation mémorisée est répétée au choix, avec ou sans quelques variantes aléatoires qui évitent la routine, et en augmentent l’agrément.

 Garantie de 3 ans ou 2000 heures, contre tout vice de fonctionnement pour un usage normal quotidien, et 10 ans ou 8000 heures si la prolongation de garantie a été souscrite. Le simulateur, fonctionnant en très basse tension, toute électrocution est impossible. Il est sans danger, et les meilleures matières ont été utilisées pour sa fabrication. Elles sont garanties non toxiques.

Léa, pour saisir le fonctionnement de ce beau joujou, après avoir sélectionné le programme automatique moyen 4, avec la main enserrant le simulateur, elle contrôle ce qu’il fait jusqu'à ce qu'il s'arrête. L’appareil démarre lentement et accélère ensuite. Il est en état. Quand il a fini, il indique le temps cumulé de fonctionnement au lieu de zéro.

*

Léa, avec simulateur installé, commence par un programme automatique préréglé doux. Comparé aux masturbations avec les doigts, c’est autre chose. Par des mouvements de reptation, le simulateur se met seul en bonne place et entame un scénario bien réglé. Il mène une sorte de danse avec des variations imprévisibles qui stimulent agréablement. L’effet est intense, avec des massages d’une efficacité redoutable. Léa passe d’un réglage automatique à un autre. Ils vont de la douceur jusqu’à presque de la brutalité avec des secousses assez violentes. Elle préfère la douceur. Elle doit être assez sèche ou manque de préliminaires. Elle règle assez haute la lubrification initiale. Elle teste le gel qu’elle reçoit avec délectation. Quant à l’ambiance, elle va d’une respiration à peine audible et discrète, à des soupirs, des halètements et des cris en synchronisme avec les mouvements. Cet appareil est une merveille. Maintenant, Léa comprend bien les mécanismes de l’amour.

*

Ayant un jour libre, Léa explore la plupart des possibilités secondaires du simulateur. Elle parvient assez vite à trouver ce qui lui convient le mieux. Elle ne touchera plus beaucoup aux réglages. Le simulateur lui plaît. Elle a eu beaucoup d’émotions et d’orgasmes pendant les essais, mais le but de la vie n’est pas seulement de se donner du plaisir. Elle éprouve une lassitude à avoir usé surabondamment du simulateur, qui est infatigable, mais pas elle. Elle est sortie abattue de plusieurs séances de réglages à la suite. Il faut revenir à un usage plus modéré. L'excès est à éviter. Elle ne se masturbait pas tous les jours. Elle va faire de même avec le simulateur. Elle ne l’abandonne pas, mais elle va s'en servir raisonnablement, pour se détendre et s’habituer à l’amour physique.

 

*

L’étape suivante devrait se dérouler avec un garçon. Elle n’aurait aucun mal à en trouver un, car nombreux sont ceux qui se proposent, mais que lui apporteraient-ils ? Elle n’acceptera pas un garçon sans être sûre de l’aimer, et pour le moment, elle aime plus son simulateur que ceux qui s’offrent. Elle a beaucoup de plaisir avec lui, de nombreux orgasmes et elle en est maîtresse, même si les aléas programmés arrivent à la surprendre. Elle préfère nettement le simulateur à l’incertitude humaine d’un compagnon. L’homme n’est pas indispensable à une jeune fille qui poursuit ses études.

*

Léa personnalise son compagnon mécanique qu’elle connaît de mieux en mieux. Elle vit avec lui, et a de l’attachement pour lui. Elle le baptise Toto. Quand elle pense à lui, elle pense à Toto. Elle a beaucoup d’estime pour Toto, et Toto ne rechigne pas à lui faire plaisir. Il a beaucoup de qualités, n’a pas d’addiction et n’est pas jaloux. En voyage, elle emmène Toto, un amant caché qui n'est pas contrariant.

*

L’intention de Léa est d’en rester là jusqu’au moment de se marier. Un homme peut se présenter : elle saura comment s’y prendre physiquement.

Toto restera son compagnon des périodes sans homme.

La masturbation et Toto ont excité les réflexes sexuels. Parfois, quand Léa est au lit et ne dort pas, elle se prend à fantasmer, sur Antoine principalement. Il est avec elle. Ils font l'amour, et Antoine agit comme Toto. Léa n'y accorde pas trop d'importance, car rares sont ceux qui ne fantasment pas, et il faut bien un support aux divagations du cerveau. Antoine étant un des seuls garçons qu'elle pourrait accepter, puisqu'il n'a pas d'addiction, son amour se porte logiquement sur lui.

*

— Maman, dit Léa. Je n'ai personne avec moi. Est-ce normal ?

— Si tu rejettes les hommes comme tu as fait avec Antoine, dit Isabelle, il est normal que tu restes seule, mais c'est ton choix.

— J'admets que j'aurais dû profiter de la présence d'Antoine près de moi, mais Antoine est trop loin pour qu'il soit avec moi. Aide-moi à trouver un copain convenable sans addictions.

— Cherche, ma fille, comme j'ai fait.

— Ce n'est pas facile. Les garçons ont tous des défauts.

— Certains défauts sont tolérables, et tu n'es pas sans défaut non plus.

— Refuses-tu de m'aider ?

— Non, mais je ne suis qu'avec des hommes de mon âge. Je connais moins bien les jeunes que toi. Je ne les fréquente pas.

— Tu vas bien avec Eugène qui est plus jeune que toi.

— L'écart n'est pas énorme.

— Il n'est pas non plus énorme avec moi.

— Songerais-tu à le prendre comme amant ?

— Du point de vue des défauts, je ne connais qu'Antoine et Eugène à ne pas en avoir d'important.

— Tu cherches mal.

— C'est parce que je n'ai pas le temps. Je le consacre aux études. C'est pour cela que je te demande de m'aider.

— Si tu vises Eugène, la première chose est de t'assurer qu'il n'est pas ton père.

— Ce ne serait pas dans le but d'avoir un enfant qui pourrait avoir des tares s'il est mon père.

— Je l'espère bien, mais sache que le désir d'enfant peut être irrépressible. On n'aime pas un homme sans accepter qu'il puisse te rendre enceinte. Tu dois respecter l'enfant possible. Je t'interdis de faire l'amour avec Eugène s'il est ton père. Je te rejette si tu passes outre.

— Bon, dit Léa. Je ne visais pas Eugène. Tu ne peux pas m'aider. Je trouverai seule.

— Je chercherai de mon côté, mais ne compte pas trop sur moi.

*

 

 

— Maman, dit Léa. Es-tu toujours bien avec ton copain ?

— Mais oui, dit Isabelle. Je couche avec lui.

— Boit-il encore ?

— Oui. Mon exemple ne suffit pas pour le dissuader. Je suis quand même bien avec lui. J'envisage même de le garder quand la maison sera finie de payer. Un homme à demeure est utile.

— As-tu encore d'autres amants ?

— Je n'ai pas abandonné ceux que j'aime encore. Ils ne le méritent pas.

— Comment gères-tu tous tes amants ? N'y a-t-il jamais de conflits entre eux ?

— Non. J'ai cette chance.

— Il ne doit pas y avoir que la chance. Tu ne les as pas choisis au hasard.

— Bien sûr. Ils doivent m'accepter. Je m'en tire surtout avec un peu de psychologie.

— La psychologie suffit-elle ? Comment y arrives-tu ?

— Ce n'est pas compliqué. Je garde ma liberté en ne la lâchant jamais. Je ne dois devenir la propriété de personne. Jamais je ne me donne complètement, et on ne me prend pas. Je fais quand même l'amour, mais en maîtrisant la situation.

— Explique-moi comment.

— Un homme a tendance à ce que tu deviennes sa propriété. Je fais très attention à ce qu'il n'ait pas de prise sur moi. Il ne doit jamais être dans le doute. Si un homme me vise et que je l'accepte, je mets en préalable ma liberté que j'affiche haut et fort.

— C'est le meilleur moyen pour l'éloigner. On n'aime pas partager.

— Un homme partage assez facilement quand c'est équitable. Il sait à quoi s'en tenir avec moi. Il sait qu'il a des concurrents. Il accepte ou n'accepte pas. C'est clair. Il ne faut surtout pas qu'il les découvre après coup. L'expérience montre qu'ils acceptent presque tous ce partage. S'ils réclament la réciproque, je l'accorde, bien entendu. Je suis pour l'égalité.

— Mais y a-t-il de la jalousie entre les amants ?

— Il y a toujours des amorces de jalousie possibles. J'évite les jaloux et que les amants se rencontrent. Je ne parle jamais inutilement de l'un à un autre.

— Eugène et papa se rencontraient.

— C'est l'exception. Ils sont gentils tous les deux. Sylvie et moi avons toujours obtenu ce que nous voulions avec eux. Ils ont un statut spécial privilégié : ils sont mariés avec nous. Ils en savent un peu plus que les autres amants.

— Donc, chaque amant sait que tu en as d'autres, mais ils ne savent pas tout.

— Voilà. Ils savent tous que je ne couche pas qu'avec eux.

— Que se passe-t-il quand deux amants te réclament en même temps pour passer la nuit avec toi.

— Si je ne les refuse pas tous les deux, j'en choisis un et je dis à l'autre que je ne suis pas disponible.

— À cause de l'autre amant ?

— Oui. Je cache les amants, mais pas ce que je fais. Je suis sincère. Je pars faire l'amour avec l'autre. Je ne mens pas à mes amants.

— Mais tu omets de dire avec qui tu vas.

— Oui. Mes amants sont cachés, mais ils connaissent mes actes. Je n'ai rien de caché pour eux.

— Et ça marche ?

— Oui, dit Isabelle. Ce que les hommes n'aiment pas, c'est l'incertitude. Moi non plus d'ailleurs. Avec moi, ils sont certains. Je te conseille d'appliquer ma méthode. J'en suis satisfaite.

— Elle doit être bonne, dit Léa. Encore faut-il que j'aie des amants. Je dois faire l'effort d'en trouver.

— Ne prends que des amants que tu aimes. C'est impératif. Mieux vaut ne pas avoir d'amant si tu n'aimes pas. Profite de mon expérience. Si ça ne marche pas, tu romps immédiatement.

— Aurais-tu l'expérience d'amants que tu n'aurais pas aimés ?

— Je les ai tous aimés puisque je suis allée avec eux, mais j'ai souvent cessé d'aimer. Je les avais mal choisis. J'ai eu des déboires au début. Ne te lance pas au hasard. C'est là que j'ai compris l'importance des addictions. Elles pourrissent un amant. Rejette un fumeur ou un buveur. Ne te laisse pas attendrir.

— Combien as-tu eu d'amants ?

— Voudrais-tu tout savoir de mes amants cachés ? En principe, je n'en dis rien de précis. Même Didier n'en savait pas grand-chose.

— Papa n'a pas voulu savoir, mais moi, si tu veux que je bénéficie de tes expériences, dis-moi tout. Je ne vais pas moins t'aimer d'avoir eu des amants. Cela ne me choque pas. Papa était le plus concerné. Il le trouvait normal. Je n'ai rien à te reprocher. J'envisage d'avoir des amants si c'est le mieux. Je ferais comme les copines. C'est un comportement courant. Éclaire-moi de ton expérience.

— Tu as raison, dit Isabelle. Il est préférable que je te renseigne... Si j'élimine les amants qui ne comptent pas parce que je m'en suis rapidement débarrassée, j'ai eu jusqu'à deux copains stables par an jusqu'à ce que je marie.

— Comme tu t'es mariée tard dit Léa, et que tu as commencé à mon âge, cela donne beaucoup d'amants.

— J'ai vécu. Sur ce laps de temps, ça s'explique. Je n'allais pas me passer d'amour. C'est peut-être égoïste, mais je ne pense pas avoir nui à mes amants. Ils me désiraient. Je suis allée avec ceux que je voulais tester puisque j'étais célibataire. Les bons sont restés le plus longtemps avec moi. La vie nous a séparés. Je suis passée à d'autres.

— Aucun homme n'a-t-il voulu se fixer avec toi ?

— Si, mais je n'ai pas voulu continuer avec la plupart. En les fréquentant, je leur trouvais des défauts éliminatoires. Les meilleurs, je les ai gardés jusqu'à maintenant.

— Combien sont-ils ?

— Cinq, en plus de Didier. Eugène est le principal. Voilà : tu sais tout. Tu as le bilan de mes amours.

— Pourquoi ne t'es-tu pas mariée avec un de ceux que tu as connus avant papa ?

— J'ai hésité. Ils n'étaient pas parfaits.

— Moins parfaits que papa ?

— Quand j'ai rencontré Didier et Eugène, j'étais devenue moins difficile. Ni Didier, ni Eugène n'étaient parfaits non plus.

— Tu as donc choisi papa entre les six en faisant abstraction des imperfections.

— Oui, sauf qu'il y en avait déjà quatre de mariés quand je me suis décidée. Je ne pouvais plus les choisir. J'ai trop tardé. Je n'avais plus que Didier et Eugène. Les quatre autres m'avaient proposé le mariage, mais devant mes hésitations, ne voyant rien venir, ils se sont éloignés pour se fixer avec des filles moins difficiles que moi. J'ai choisi Didier, et Sylvie a accepté Eugène à condition d'avoir encore accès à Didier, ce que je lui ai accordé. J'ai regretté amèrement par la suite ces quatre mariages manqués, à cause du temps perdu, car j'aurais voulu au moins deux enfants. N'attends pas trop avant de te marier si tu veux des enfants. Eugène et Sylvie ont eu trois enfants, mais Sylvie est plus jeune que moi. Elle a eu ce qu'elle voulait.

— Avec un enfant de papa.

— Ceux d'Eugène ont la même valeur. Ton père a contenté Sylvie. Psychologiquement, c'était mieux pour elle, et c'était facile à obtenir. Nous en sommes tous contents, et Eugène l'a bien compris. Il a été heureux que Sylvie le prenne avec elle.

— Tu aurais pu avoir des enfants sans attendre le mariage.

— Te vois-tu avoir grandi sans ton père ? Pour une fille que je voulais heureuse, je t'ai offert un couple stable.

— Si les amants ne détruisent pas le couple stable.

— Oui. Mes amants restants n'ont pas gêné, et j'ai trouvé un équilibre plus satisfaisant que celui de l'amour unique. Un amour unique heureux relève du hasard. Mes premiers amants m'auraient rendue malheureuse. Il y a trop de conflits persistants dans les amours uniques. Je ne regrette pas d'avoir eu de nombreux amants. Grâce aux expériences, j'ai su avec qui je pouvais être heureuse. Avec ton père, j'ai eu le bonheur, et je crois qu'il l'a eu aussi. Il m'a poussée à garder mes amants, et mes amants ont continué de m'aimer. Ils m'accompagnent librement. N'est-ce pas la bonne solution ? Nous avons tous notre liberté. Regrettes-tu d'avoir une mère comme moi ?

— Tu es merveilleuse, maman, mais explique-moi. Aimes-tu encore les amants que tu as abandonnés définitivement ?

— Non, pour la plupart. Je ne tiens pas à renouer avec eux. Nous avions des raisons de ne plus nous aimer.

 — Que s'est-il passé quand tu as cessé de les aimer ? Était-ce physique ? Est-ce parce qu'ils te violaient ?

— Je n'ai jamais été violée. Dieu merci. J'ai eu des relations sexuelles avec des amants que je n'aimais plus, avant de les quitter, mais ce n'était pas du viol. Même en n'aimant plus, c'était une relation normale. Les réflexes étaient là. J'avais du plaisir physique. Ce n'était pas désagréable. Il faut mettre les formes quand on se quitte. Nous allions nous quitter, mais quelques relations sexuelles montrent qu'il n'y a pas à se brouiller.

— Donc, tu les aimais encore.

— Globalement non, mais encore physiquement. Les réflexes étaient normaux. Je n'en voulais plus parce que nous ne nous aimions plus. Je tournais la page pour aller avec un autre.

— C'était donc un désaccord psychologique.

— Oui. Nous ne pouvions plus vivre ensemble. Je ne les supportais plus, et parfois, c'était eux qui ne me supportaient plus.

— Mais la relation sexuelle était encore bonne.

— Oui. Aussi bien pour eux que pour moi. C'était sans dégoût, un adieu raisonné.

— Mais c'était insuffisant pour vous réconcilier.

— Oui.

— Le psychologique est donc plus important que le physique.

— Oui, dans mon cas. J'aime des hommes de physiques différents. C'est leur valeur intellectuelle qui me guide. D'ailleurs, avec un homme que je désire pour la première fois, je ne sais pas comment sera la relation avant de l'avoir pratiquée. Je l'anticipe, mais ce n'est pas le moteur principal, car l'amour physique est pour moi banalisé, et facile à obtenir. Le psychologique passe incontestablement avant le physique. J'ai d'abord une attirance, et elle est principalement non physique, en passant par mon jugement. Je suis certaine que si je rencontrais un génie, un homme que j'admire beaucoup, donc qui serait pour moi l'idéal, je n'hésiterais pas à me donner s'il le souhaitait aussi, quel que soit son aspect, car j'ai maintenant l'avantage de savoir qu'à peu près tous les hommes me conviennent physiquement. Le physique n'est pour moi, ni un frein, ni une invitation. Il n'entrerait en compte que si l'homme était brutal ou d'aspect anormal. La relation sexuelle est seulement un acte habituel pour lequel nous sommes prédisposés. Je n'aime pas les coups. J'évite les émotifs, les brutes et les jaloux. Le problème pour aimer est de bien débuter, de rencontrer des garçons qui ne te traumatisent pas. Il faut d'abord les essayer en surmontant l'éventualité d'essuyer des échecs. Ces échecs se gèrent en disant que c'est un essai qui peut être sans suite. Ils ont tous accepté avec moi. Le plus dur est d'oser le proposer. Pour un garçon, il est aussi intéressant de savoir comment une fille réagit. À l'essai, plusieurs garçons qui me sollicitaient m'ont rejetée. Par expériences successives, j'ai fini par trouver ceux avec qui je m'accordais. L'amour physique était un obstacle autrefois, quand on ne savait pas se protéger des conséquences. Il fallait alors étudier longtemps celui avec lequel on allait se marier, et éviter les amours multiples. Nous ne vivons plus au moyen âge. Maintenant, avec le préservatif bien utilisé, les risques sont devenus faibles. L'expérience est devenue possible. L'essai est le moyen qui m'a permis de vivre libre et heureuse. Il donne plus de renseignements que la meilleure étude, et s'il avait fallu que j'étudie sérieusement tous les amants que j'ai eus, je n'en aurais pas terminé. C'est inefficace ou je suis une imbécile.

— Merci maman. Je pense avoir compris ton point de vue. Je n'ai pas d'autre question à te poser.

— Je te souhaite de suivre mon exemple, en te mariant plus jeune que moi. N'hésite pas à expérimenter. Profite des occasions. Lance-toi vers le bonheur.

*

 

 Léa et Roger

 

Avec le dossier sur Roseline, obtenu par le détective de son père Alain, Roger a aussi celui de nombreuses autres étudiantes. Alain analyse les dossiers pour le compte de Roger. Il élimine celles qui n'ont pas de bons résultats scolaires. Il garde les meilleurs dossiers et demande des informations complémentaires. Au vu des renseignements, il sélectionne Léa qui ne boit ni ne fume et qui est pour le strict respect des lois, comme lui. Léa est parmi celles qui n'ont pas de copain. Léa ne vit qu’avec une bourse en faisant quelques ménages et gardes d’enfants. Elle marche beaucoup pour aller suivre ses cours et pour les occupations quotidiennes, avec une solide et bonne paire de chaussures de sport qu’elle porte dès qu’elle sort, ne mettant jamais de hauts talons. Léa est dans un groupe de marcheurs. Roger et Alain voudraient en savoir plus. Roger s’inscrit pour marcher avec elle.

Le dimanche, ceux qui ont une voiture, emmènent les autres au point de départ de la randonnée du jour. Roger se met dans le groupe de Léa. Ils parlent un peu. Léa plaît à Roger. Intellectuellement, elle est à son niveau, et beaucoup plus posée que Roseline. Leurs compagnons de marche sont vite dépassés par les sujets qu’ils abordent : ils ont du mal à tout comprendre. Bientôt, Léa et Roger forment un groupe à deux séparé des autres. Au retour, Roger ramène Léa. Les heures passées avec elle, l’ont convaincu que Léa est celle qu’il cherche.

*

— J’ai une proposition à vous faire, Mademoiselle, dit Roger. Je me suis permis de prendre des renseignements sur vous. Je sais donc à qui je m’adresse et que vous ne roulez pas sur l’or. Mon appartement est grand. J’ai un studio annexé inutilisé. Il est facile de vous le sous-louer. Il est dans mon appartement, mais il a une entrée indépendante et il est séparable par une double porte pouvant être fermée de chaque côté. Je ne l’utilise pas. Vous auriez le confort, et vous seriez près du campus avec votre indépendance. Cela vous intéresse-t-il ?

— J’ai déjà une chambre, et je doute que le prix de la location soit plus bas.

— Je peux faire un effort sur le prix. Voulez-vous le voir ?

— Oui, dit Léa.

*

Léa est admirative devant le confort du studio.

 

— Ce qui m’intéresse est de louer à une étudiante méritante, dit Roger à Léa. J’ai d’ailleurs un dossier sur vous et sur plusieurs autres étudiantes auxquelles je pourrais proposer le studio. Vous êtes celle que je sélectionne en premier pour ce studio.

— Seriez-vous un bon samaritain ?

— J’ai les moyens de l’être, Mademoiselle. Je préfère avoir des gens comme vous près de moi, plutôt que des fêtards. Dans le dossier que j’ai sur vous, il est dit que vous êtes indépendante, intelligente, travailleuse, honnête, que vous réussissez vos examens, que vous respectez rigoureusement les lois et que vous êtes pour la liberté des femmes, mais dans l’ordre. Vous ne faites pas de bruit et ne mettez jamais de musique. J’aurai le calme avec vous. Vous n’aimez pas les agités, et moi non plus. Nous pouvons aussi marcher ensemble.

— Vous dites : « Être près de moi », et vous ne parlez pas d’étudiants, mais d’étudiantes. Quelles relations aurais-je avec vous ?

— Les relations que vous désirez. Je n’impose rien. Vous pouvez, vous cantonner dans votre studio sans jamais me voir ou bénéficier des commodités de l’appartement, comme la cuisine, la salle à manger, un bureau ou la lingerie. La salle de bain, qui est plus grande que la vôtre, peut aussi vous intéresser si vous préférez la baignoire à la douche. Dans ce cas, nous nous croiserions. Si ma compagnie ne vous convenait pas ou si je me lassais de vous voir, vous pourriez vous replier vers votre studio, mais je souhaite vous rencontrer comme aujourd’hui, à la marche ou ailleurs.

— Si je dégrade, tout ici étant coûteux, que se passera-t-il ? Je ne peux pas payer une forte caution.

— Votre dossier dit que vous êtes soigneuse, et que vous savez utiliser les appareils, même les plus compliqués. Vous êtes une bonne ménagère. Les patrons qui vous emploient pour des ménages sont contents de vous. Je ne crains pas la casse avec vous. S’il y en a, je la paierai. Cela peut arriver à tout le monde. Les meubles et les appareils ont des défauts. Ils s’usent et vieillissent. Utilisez-les. Je n’ai pas besoin de caution. Les renseignements me suffisent.

— Si je comprends bien, vous souhaitez m’avoir avec vous, quel que soit le prix.

— C’est exact. Une fille comme vous a beaucoup de valeur.

— Dans quel but ?

— D’avoir près de moi une fille à peu près parfaite, et si vous me jugez digne de vous, d’avoir plus d’intimité.

— C’est assez clair, dit Léa. La plupart des garçons me jugent très imparfaite, même ceux qui veulent coucher avec moi. Je les rase, comme nos compagnons de marche et j’ai des principes qui ne sont pas forcés de concorder avec les vôtres.

— Laissez-moi vous juger, dit Roger. Vous me plaisez, et que nous nous soyons parlé tout au long de la marche en est la preuve. Les quelques heures que nous venons de passer ensemble ont été pour moi un enchantement. Je n’ai rien contre vous.

— Resterais-je libre de partir librement ?

— Oui, et je vous indemniserais pour que vous puissiez vous reloger dignement si vous abandonnez votre chambre actuelle.

— Votre but n’est-il pas de coucher avec moi ?

— Je souhaite avoir une compagne que j’aime. J’en avais une, mais elle est partie pour se marier. Nous avons eu des différends. Je l’ai aimée, mais je ne l’aime plus beaucoup. Je ne suis pas contre un rapprochement avec vous si nous avons des affinités, mais je souhaite être clair. Vous devez savoir que dans deux ans, il est prévu que je me marie avec une fille choisie par la famille. C’est inévitable. Une liaison de longue durée avec vous n’est pas possible, mais nous pouvons au moins être amis.

— Aimez-vous cette fille ?

— Je n’ai rien contre elle. Il est probable que je l’aimerai. Je ne la connais pas beaucoup, mais mes parents me la conseillent. D’après eux, c’est la fille comme on n’en fait plus : sérieuse, jolie et faite pour moi, mais nous sommes séparés actuellement.

— Donc en attendant, vous voudriez coucher avec moi ?

— Vous me plaisez. C’est certain, mais si je le fais, ce sera avec votre consentement. Il faudrait aussi qu’il se confirme que vous me plaisez. Soyez sans crainte. Comme vous, je suis respectueux des lois. Je ne ferai rien d’illégal avec vous. Vous restez libre avec moi. J’espère simplement que dans le temps dont je dispose avant mon mariage en étant ici, nous puissions vivre agréablement ensemble tout en n’oubliant pas les études.

 

Ce n’est pas la première fois que Léa a des propositions. Elle n’a rien contre l’amour, mais il n’y a pas que l’amour. Elle n’aime pas la musique, les compétitions sportives, les sorties festives, les gens qui boivent ou fument, et les illégalités. En dehors des obligations de la nature, comme manger ou dormir, elle travaille toute la journée, et n’apprécie pas qu’on la dérange pour des futilités. Trop sérieuse et cérébrale, elle n’est pas amusante du tout, et elle sait par expérience qu’elle ne trouvera pas facilement un garçon aimant sa compagnie. Léa est donc sceptique sur la possibilité d’une liaison durable avec Roger, malgré la longue promenade pendant laquelle elle n’a pas trouvé de sujet de discorde. Elle ne décourage pas Roger, mais ne l’encourage pas non plus, se donnant le temps de trouver un mari qu’elle n’envisage pas avant plusieurs années.

 

— J’étudie, dit Léa. C’est ma priorité actuelle. L’étude passe avant l’amour.

 

Roger sait par les renseignements qui lui ont été fournis, que Léa est contre les addictions, et qu’elle prône la liberté de la femme dans la légalité. Il n'a pas de mal à aller dans son sens.

 

— Bien sûr, dit Roger, et j’étudie aussi. Si vous deveniez un frein dans mes études, je ne le supporterais pas. J’ai aussi cette priorité. Je suis ici pour ça, et je ne veux pas décevoir mes parents. Mon père m’a éduqué dans l’horreur des drogues. Je suis donc, comme vous, sans addiction. En ce qui vous concerne, si vous avez besoin d’un ami très cher en dehors de moi, vous pouvez le prendre avec vous. Je n’en serai pas jaloux. Je souhaite qu’il ne m’importune pas en faisant du bruit ou des excentricités dans votre studio. Je réclame la liberté sexuelle puisque je me marierai avec une autre, mais si vous vous mettez avec moi, vous l’avez aussi. C’est d’ailleurs la loi. La liberté sexuelle de la femme est reconnue complète, quelles que soient les circonstances. J’applique la loi. Vous couchez avec qui vous voulez. J’ai les mêmes droits que vous, mais pas plus. Je préfère être avec une personne que j’aime, et vous pourriez être celle-là. J’en ai le pressentiment.

 

Léa est séduite par ce discours qui est voisin de ceux de sa mère.

 

— Vous avez raison d’être dans la légalité. Pour être bien avec moi, il faut la respecter. La liberté sexuelle complète est dans la légalité. J’y tiens. Nous avons fait le tour du contrat que vous me proposez. Je choisis de venir ici puisque j’aurai le calme. Si cela tourne mal, je partirai, comme ma liberté me le permet.

— Voilà les clés de votre studio et la clé d’une des deux serrures de la porte qui donne directement du studio sur mon appartement. Je garde la clé de l’autre serrure pour pouvoir fermer si je préfère. Si nous ne nous trouvons pas d’affinités, vous ne serez pas obligée de partir du studio, et je vous traiterai en étrangère. Vous vous installez comme vous voulez.

— Comme propriétaire, n’avez-vous pas d’autres clés de la porte de communication ? Vous pouvez vous introduire dans mon studio, même si je ferme à clé.

— Vous pouvez m’empêcher de m’introduire en laissant votre clé dans la serrure. De l’autre côté de la porte, ma clé ne pourrait plus entrer. Vous pouvez donc vous enfermer effectivement.

— Je suis donc en sécurité. Le loyer est-il bien le même que celui de la chambre que je quitte ?

— C’est gratuit puisque vous êtes celle que je souhaite ici. Je peux vous aider à transporter vos bagages avec ma voiture. Je vous donne mon numéro de téléphone.

— Je n’ai pas de téléphone.

— Il y a un téléphone fixe dans le studio, le réseau et un ordinateur. Vous en disposez sans frais.

*

 

Léa est dans des conditions idéales pour travailler. Elle est méfiante : le studio est très beau et pratique, mais bien vite, la méfiance disparaît. Elle ose ouvrir la porte de communication et utiliser les commodités de l’appartement. Elle croise Roger et ils se parlent de plus en plus. Roger est très bien, le studio et l’appartement aussi. Roger la laisse libre de circuler. Léa le voit. Elle a moins peur de Roger. Il est vivable, et sans défaut majeur. Il est un peu comme Antoine, un garçon qui aime les femmes, mais les respecte.

*

 

— Allô, maman ? Comment allez-vous, toi et ton pensionnaire ?

— Bien, Léa, dit Isabelle. Mon buveur est toujours avec moi. Il y a longtemps que je n'ai plus de tes nouvelles.

— Je suis surchargée de travail, j'ai changé d'adresse, et j'ai aussi besoin de tes conseils.

— Par quoi commençons-nous ?

— Je te communiquerai l'adresse et mon numéro de téléphone par courriel.

— Le téléphone est du luxe. En as-tu les moyens ?

— Je les ai, dit Léa. Je n'ai plus de loyer à payer. J'ai rencontré un garçon qui m'héberge.

— Cela explique tout. Tu as enfin un copain. T'occupe-t-il beaucoup ?

— Il n'est pas encore mon copain, maman. Je ne sais pas si je dois le devenir.

— S'il t'héberge, je ne comprends pas. Faites-vous chambres séparées ?

— J'ai un studio séparé, à côté de son appartement. Je suis indépendante.

— Il te loue le studio.

— Sans payer.

— Tu te fais donc entretenir. Moi, j'ai toujours refusé cette situation. J'ai toujours payé mon dû. La liberté passe avant tout. Tu ne dois dépendre de personne.

— Je suis libre, maman, et il n'a pas encore couché avec moi. Je ne suis pas obligée d'aller dans son lit.

— Que cherche-t-il en t'offrant le studio, si ce n'est de coucher avec toi ?

— Je lui plais. Il s'est entiché de moi. Nous parlons.

— Vous parlez ?

— Oui. Il est très agréable, cultivé et sans addiction. Il me respecte et n'est pas jaloux. Il est apparemment sans les défauts que nous évitons. Je cherche ce qui n'irait pas.

— Qu'attends-tu ?

— Dois-je faire l'amour avec lui ?

— Tu trouves un garçon qui semble parfait, et tu me demandes si tu peux faire l'amour ? À ton âge, je n'étais plus vierge depuis longtemps. Aurais-je une fille sans sexe ? Il faut t'y mettre sans attendre. Es-tu idiote ? A-t-il envie de toi ?

— Il a envie, mais il doit se marier dans deux ans avec une fille qui lui est réservée.

— Voilà. Il est avec une autre. Mais deux ans. C'est une éternité. Cette fille n'a aucune chance si tu t'y prends bien. Ne sois pas comme Sylvie à qui j'ai dû lui présenter tous ses amants. Sans moi, elle serait encore vierge.

— Sylvie est-elle si timide ?

— Tu la connais. Elle l'est avec les garçons. J'ai dû lui mettre tous ses amants dans son lit. Je les essayais pour elle, et je lui passais. Es-tu comme elle ?

— Si tu avais essayé Roger, je saurais à quoi m'en tenir.

— Je ne vais pas aller avec ton Roger. Il n'est plus de mon âge. Sylvie n'a que cinq ans de moins que moi. Je pouvais lui trouver des garçons. Nous recherchions les mêmes. Nous partagions souvent. Ce n'est pas possible avec toi, à moins que tu veuilles de mon pensionnaire. Est-ce le cas ? Je te le prépare si tu veux.

— J'admets que tu ne peux m'aider que par tes conseils. D'après toi, je devrais essayer Roger et éventuellement chercher le mariage, seulement, dans deux ans, je n'aurai pas terminé mes études, et il rentrera chez lui.

— Je t'approuve de ne pas les abandonner. Ne te marie pas tout de suite. Il t'attendra. Prends-le comme amant. C'est le plus important. Je connais les garçons. Roger ne te résistera pas.

— Mais cette fille ?

— Est-elle avec lui ?

— Je ne sais pas. Elle n'est pas ici. Il ne doit la voir que quand il retourne chez lui, et je n'ai pas l'impression qu'ils se rencontrent beaucoup. Il ne lui téléphone pas, et j'ai vu son courrier : aucune lettre de cette fille.

— Tu fais comme si elle n'était pas avec lui, et tu prends la place. Tu l'attaches à toi. Il se mariera avec toi.

— Je n'ai pas l'intention de lui forcer la main.

— Ne refais pas le coup d'Antoine. Couche avec lui. Tu as un stérilet. La virginité dans laquelle tu te complais est anormale à ton âge. Ne t'encroûte pas. Marie-toi et donne-moi des petits enfants. N'attends pas trop.

— Merci de ton avis, maman.

— Que vas-tu faire ?

— Je vais probablement aller coucher avec lui.

— N'hésite pas, Léa, dit Isabelle. Coucher est facile. Il faut surtout bien choisir.

*

 

Léa s’est longtemps demandée pourquoi elle n’avait pas fait l’amour avec Antoine, le seul garçon qu’elle ait jugé acceptable. Certes, il était trop jeune, et elle aussi. Et puis, l'amour ne pouvait durer avec la séparation imposée par l'éloignement. Avec Roger, c’est différent. Il est là en permanence. Ils sont tous deux en pleine maturité sexuelle. Roger la laisse tranquille, mais il s’est proposé, et elle se doute de son excitation. À elle de choisir : rester sans relation ou aller vers l’amour, comme la nature l'invite. Ce qui chagrine Léa, est que Roger n'est pas le mari qu'elle aura, puisqu'il est promis à une autre. Elle se retrouve dans les mêmes conditions qu'avec Antoine : pas d'avenir à long terme avec Roger. Faut-il s'engager avec lui ? Maman la pousse à évincer l'autre. Elle balance encore et aurait tendance à attendre de rencontrer un garçon plus libre. Seulement, depuis Antoine, elle n'a jamais rencontré son idéal. Est-elle trop difficile ? Avec Toto, elle a des satisfactions, mais il n'est pas intellectuel, et c'est purement physique, même si elle a personnalisé Toto. Parler avec Roger est très agréable. Elle se sent bien avec lui. Va-t-elle encore attendre ? Léa peut envisager deux ans avec Roger. Maman lui reproche de ne pas s'être lancée avec Antoine. Deux ans, c'est plus que quelques jours, et une évolution est possible. Elle se lance dans l'inconnu.

Léa sait se protéger. N’ayant plus de raison de refuser l’amour avec un garçon sympathique sans addiction, et qui a donc tout ce qu’il faut pour qu’elle ne le repousse pas, Léa est maintenant décidée à aborder Roger.

 

— Je voudrais savoir si je peux faire l’amour avec vous, dit Léa.

— Mais bien sûr, dit Roger. Quand vous voulez.

— Ce serait une fois pour essayer. Si ça ne va pas, j’arrête, et vous ne le dites à personne.

— D’accord. Et si ça va ?

— Nous continuons, dans la plus grande discrétion, mais je reste libre d’arrêter quand je veux et de vous refuser si je le souhaite. Je tiens à ma liberté. Ce serait sans engagement de part et d’autre, avec retrait possible sans histoire de l’un ou de l’autre. Vous passez après mes études. Elles sont prioritaires. Je souhaite ne pas perdre de temps avec l’amour. Il est marginal pour moi.

— Comme vous voulez, dit Roger.

*

 

Léa couche avec Roger, à condition que ce soit sans conséquence. Elle exige le préservatif. Elle constate que Roger remplace efficacement Toto. Il a l’avantage sur Toto de pratiquer des préliminaires qui la prédispose. Roger parle aussi de ses affaires, ce qui est plus intéressant que les soupirs de Toto. Ses études ne sont pas perturbées. Roger n'exige pas qu'elle soit toujours avec lui. Elle est pratiquement libre. Elle peut donc continuer avec Roger. Il sera désormais son amant caché avec lequel elle se défoulera. Toto n’est pas jaloux. Léa peut tromper Toto. Il reste dans sa mallette sans réclamer. Quand elle est disposée, Roger met un préservatif et la satisfait. Quand elle ne l'est pas, Roger le prend avec bonne humeur : il attendra. Léa est heureuse. Roger est cultivé et respectueux. Par rapport aux garçons que Léa a envisagé de fréquenter, Roger ne la déçoit jamais. Il a toutes les qualités qu’elle aime. Il a les mêmes goûts qu’elle. Il a le même rythme qu’elle préfère de Toto, la même douceur avec laquelle elle a réglé Toto, les sensations de Toto quand Roger éjacule et la même temporisation. Roger est le compagnon idéal dans son comportement, sauf qu’elle doit utiliser un peu de gel que Roger ne fournit pas toujours systématiquement comme Toto au début. Comme elle en a, c’est une adaptation mineure. Elle en étale un soupçon avant d’aller au lit. Léa désespérait de trouver un jour un garçon comme Roger. Elle n’est pas prête à cesser de l’aimer. Certes, elle espère trouver mieux, car Roger n’a pas la rigueur qu’elle adore, un défaut qu'elle a fini par trouver chez Roger, mais en attendant, elle apprécie de l’avoir.

*

— Je suis avec Roger, dit Léa à Isabelle.

— Fait-il bien l'amour ?

— J'estime que oui, dit Léa. Je manque de points de comparaison.

— As-tu du plaisir ?

— Beaucoup, maman.

— Bien, ma fille. Continue. Ne le lâche pas.

*

 Léa sait que Roger la quittera. Contrairement à ce que conseille sa mère, Léa ne fera rien pour retenir Roger. C’est programmé, et elle l’a admis, car Roger est sexuellement libre, et elle ne transige pas : il a les mêmes droits qu'elle. Il ne lui a pas caché l'existence d'une autre fille avec qui il se mariera. Toto lui suffira si Roger s’en va. Il est libre, et elle respectera cette liberté. Elle veille à son indépendance.

 

— Je ne couche pas avec vous ce soir, dit Léa.

— Êtes-vous malade ? Avez-vous une indisposition ? Je comprends qu'une femme ne soit pas toujours disposée. Je suis inquiet.

— Non, dit Léa. Ne vous inquiétez pas. Je suis disposée, mais je garde ma liberté en vous refusant. Vous n'avez pas l'exclusivité de ma personne.

 

Léa refuse ainsi de temps en temps d'aller dans le lit de Roger, en général quand elle a fort envie de lui, sans autre explication qu’elle est libre de le faire. Elle se réfugie dans le studio et le trompe alors avec Toto. C'est moins agréable que l'amour avec son amant, mais elle ne transige pas avec ses principes. Elle doit rester maîtresse de la situation. Roger est étonné les premières fois, mais il admet que la liberté permet à une femme de se refuser.

Roger n’envisage pas de refuser Léa pour faire comme elle. Il est heureux avec Léa. Il l’était avec Roseline jusqu’à ce qu’elle se montre plus intéressée d’avoir de l’argent que de faire l’amour avec lui. Léa est aussi calme que Roseline était dynamique. Roseline était expansive, bruyante en amour. Elle partait à l’assaut de son amant et s’imposait. Il s’y était habitué. Il est surpris par une Léa qui a des gestes lents, exprime son amour doucement, réclame seulement quelques préliminaires bénins, et s’endort rapidement. Ce changement d’atmosphère ne l’étonne pas longtemps. Il préfère nettement Léa à Roseline, malgré ses quelques refus, gages de la chère liberté qu'Isabelle a enseignée à sa fille Léa, et que Léa distille volontairement de façon aléatoire.

*

 

 Oriane

 

Oriane est une fille d’un naturel extrêmement calme, plus calme que Léa, d’un calme olympien en toutes circonstances. Depuis toujours, ses parents qui connaissent ceux de Roger, lui ont dit qu’elle pourrait se marier avec Roger quand ils auront tous les deux terminé leurs études. Oriane n’a jamais fait d’objection, bien qu’elle ne rencontre pratiquement jamais Roger et le connaît mal. Roger est, paraît-il, le garçon que toutes les filles voudraient : beau, gentil et riche. Pourquoi le refuserait-elle ? Pour Alain et Martine, les parents de Roger, Oriane est une valeur sûre, sans surprise. Elle est éduquée, sur les conseils d’Alain, de la même façon que Roger, à l’abri des addictions. Roger n’a pas à chercher ailleurs. Ils se marieront, le moment venu.

Oriane a bien sûr de l’attrait pour certains garçons de son entourage, dont André, le petit voisin qu’elle rencontre souvent, mais elle sait se maîtriser, et les garçons ne la sollicitent pas. Ils ne sont pas attirés par cette fille qui n'a pas l'air de les percevoir. Elle est trop insensible. André ne lui est pas hostile, mais il n’est pas pour elle puisqu’elle est promise à Roger, et Roger est certainement mieux qu'André. Elle se marierait avec Roger, et jusqu’au mariage, elle resterait vierge. Voilà son avenir tout tracé. Elle s'y conformera.

Quelques années plus tôt, Oriane avait commencé à mettre des tampons, ce qui est le plus pratique pour aller sur la plage. En s’appliquant à les mettre, elle avait ressenti un plaisir soudain. Oriane a recommencé, pour s'analyser. Elle avait des réactions liées au sexe, comme toutes les femmes. Plus tard, elle a réalisé qu’elle n’était plus vierge, ce qui l’a inquiétée. Elle n’avait pourtant eu aucune relation sexuelle avec un homme. Elle en a parlé à sa mère, qui l’a tranquillisée et lui a expliqué.

*

— Tu es vierge quand même, Oriane. Je ne t’aurais pas permis de mettre des tampons si ça t’avait nui. Il ne faut pas refuser les modernités quand elles ne perturbent en rien ta réputation. Ce n’est pas parce que tu enfonces un objet neutre dans ton vagin que tu perds ta virginité.

— Mon hymen a dû céder aux tampons, mais je ne sais pas quand.

— Si tu es comme j'étais, tu as un hymen complaisant, c'est-à-dire souple et large, qui s'est ouvert progressivement. Si ton hymen a disparu, ne t’inquiète pas. Ton état est avantageux et sécurisant. Si tu vas chez le médecin, il peut t’examiner sans difficulté, et ta première relation sexuelle se fera sans douleur. Tout se passera bien quand tu te marieras.

— N’ai-je pas fauté ?

— Tu n’as pas fauté, Oriane. Fauter, c’est commettre une faute qui t’expose à la réprobation des autres, et qui nécessite éventuellement une réparation. Tu n'as pas nui aux autres. Il faut simplement que ta réputation reste bonne, car certaines personnes ne comprennent pas les modernités et pourraient douter de te virginité, qui pour eux est importante. Inutile de les provoquer. N'en parle pas.

— Je devrais donc cacher ce qu’il ne faut pas avouer ? C’est mal de cacher.

— Là, ma fille, c’est la morale qui intervient. Tu ne dois pas nuire aux autres délibérément. Si ce que tu caches est mal, il ne faut pas le faire, mais si c’est pour le bien, tu peux cacher.

— Égoïstement ? Même pour mon bien propre ?

— Ton bien propre est ici le côté pratique des tampons. Qui saurait ton absence d’hymen, si tu ne m’en avais pas parlé ? C’est tolérable si ça n’affecte pas les autres. Seul ton futur mari pourrait s’en préoccuper, mais je ne te conseille pas un mari de ce genre. Le but de la vie est quand même de bien vivre en profitant des commodités. Prends ta place en cherchant à ce que les autres aient la leur aussi. On favorise ceux qui n’écrasent pas les autres de façon que tout se passe le mieux possible dans notre communauté. Tu cherches ton bien sans nuire au bien des autres. Aime ton prochain, et ton prochain idéal doit t’aimer.

— Je me masturbe, maman. Est-ce que c’est bien ?

— Si tu as commencé, il est probable que tu continueras. Si ça te nuisait, il faudrait l’éviter. Pour les médecins, ce n’est ni bien, ni mal, et c’est très fréquent, donc ce n’est pas anormal. Même quand on rêve, on peut se masturber sans le vouloir. Ce sont des gestes réflexes presque instinctifs. Ce n’est pas très grave. Même de petites filles innocentes le font, et la plupart des garçons ne s’en privent pas. J'ai lu que 95% des hommes se masturbent. On y trouve du plaisir et il est normal d’y revenir. C’est sans mauvaises intentions. Mais ça affecte les autres si tu leur dis, car la tradition est contre la masturbation, parce qu'il y a deux siècles, elle était considérée comme très nocive. Il en reste quelque chose dans les traditions auxquelles de nombreuses personnes sont attachées, et tu ternis ta réputation si tu en parles. À ta place, je le cacherais parce que tout le monde le cache comme si c’était mauvais, et que c’est mal vu d’en parler. Personne n’a besoin de le savoir. L’intimité est un domaine à garder pour soi. C’est comme les pensées : ne parle pas de tes pensées si elles rejaillissent sur des personnes. Ceux qui veulent imposer leurs idées aux autres sont déconsidérés. Ton opinion, tu la gardes pour toi, donc, tu la caches, et tu ne l'infliges pas aux autres si elle dérange. Je n’aime pas certaines idées de mes amies, mais je me comporte normalement avec elles : je ne leur nuis pas. Je tiens ma langue en ne répliquant pas. Personne ne réprouve ce genre d’attitude, et pourtant, je cache mes pensées. Il est d'ailleurs recommandé de cacher ce qu'on pense des candidats quand on vote, de façon que la liberté de pensée ne soit pas contrecarrée. On dispose des isoloirs dans ce but, des dispositifs destinés à cacher et que tout le monde approuve. La liberté n'est réelle que si tu peux cacher librement une partie de toi. Chacun a son jardin secret.

— Maman ? Te masturbes-tu ?

— Je n’en parle pas, ma fille. Fais comme moi. N’en parle pas. Il suffit de savoir que ce n’est pas dangereux. Nous avons la liberté de notre intimité. La loi de notre pays garantit notre liberté. Suis ces règles, et tu t'en trouveras bien.

— Maman, dit Oriane. D'où sortent toutes ces règles de comportement ?

— Vaste problème, ma fille. Il y a des règles pour tout, et elles changent d'un pays ou d'une époque à l'autre. Nous avons tous des principes et des habitudes. Une grande partie de l'éducation consiste à apprendre des règles, et à te fondre dans la société. Il y a des règles de lecture, d'écriture, de prononciation, à assimiler. Toutes les disciplines ont leurs règles. Celui qui ne les connaît pas est déconsidéré. Quand tu seras majeure, tu auras la faculté de te conduire toute seule en société, sans que tes parents te guident, puisque tu auras acquis, en principe, la connaissance des règles de comportement. Si tu ignores des règles, ton comportement risque d'être critiquable.

— Comment faire quand on ne sait pas se comporter ?

— Moi, je demande conseil à ton père, ou à Alain, en qui j'ai confiance. Il y a aussi des documents que l'on peut consulter. Il est préférable de ne pas enfreindre les règles les plus importantes.

— Quelles sont les plus importantes ?

— Les lois. On a l'obligation absolue de les respecter.

— Qui les édicte ?

— La nature d'abord. Par exemple, tu ne peux échapper aux lois de la mécanique ou de la gravitation. Si tu tombes de haut, tu te fais mal. Tu dois donc éviter de tomber. Tu ne dois pas te brûler, te geler, te noyer, etc... Les lois de la vie : manger, boire, dormir, aimer, sont nécessaires. Ne pas se blesser, s'empoisonner ou succomber aux addictions, également. Ensuite, il y a les lois de nos dirigeants, celles de la société. Ne nous plaignons pas. Nous n'avons pas un dictateur pour nous imposer les siennes, et les lois de guerre ne sont pas là pour nous contraindre. La femme jouit chez nous d'une liberté qu'elle n'a presque jamais eue dans le passé, et encore dans de nombreux pays. Personne ne peut t'empêcher d'aimer à ta guise un partenaire consentant. Tu peux aimer qui tu veux. Même tes parents ne peuvent contrecarrer ta liberté. Autrefois le père avait droit de vie et de mort sur ses enfants. Ce n'est plus le cas.

— Vous me conseillez Roger.

— Oui, mais la loi te donne la liberté de faire autrement.

— Les copines me disent qu'elles ne peuvent pas faire ce qu'elles veulent. Il y a d'autres règles que la loi. Peut-on être hors la loi ?

— Hors la loi : non. La police veille. Les règles dont tu parles sont celles venant de l'environnement et de l'éducation, qui ne sont pas les mêmes partout. Ce n'est pas la loi. Les religions et les traditions introduisent des contraintes supplémentaires, mais qui ne sont pas légales ici.

— Faut-il s'y astreindre ?

— On peut s'y astreindre, pour être en harmonie avec ses proches, mais sans l'imposer aux autres. Si la tradition est bonne, autant la maintenir, mais il faut garder l'esprit critique. L'accumulation de toutes les traditions n'est pas possible. Il faut choisir, quand elles se contredisent. Si on prend tous les jours fériés de tous les pays, il n'y a plus que des jours fériés. Pour moi, c'est la logique et le bon sens qui tranchent. Il y a des traditions absurdes ou dépassées, que je n'approuve pas. En discuter avec ceux qui la suivent, est une source de conflits, car pour certaines personnes, c'est impératif.

— Comment faire ?

— Dans la mesure où il n'y a pas de gêne pour les autres, l'important est de tolérer ceux qui les respectent, sans les provoquer. Tu es amenée à cacher certains de tes actes quand l'environnement y est hostile par tradition, mais tu n'as pas à t'en sentir coupable. Nous avons une morale logique, et commune à tous ceux qui respectent la loi. S'il faut la modifier, cela passe, pour nous, par la modification de la loi. La loi nous étant favorable, et visant à la paix dans l'équité, je la considère bonne. Je la préfère aux morales anciennes qui asservissent la femme. En général, les morales actuelles ne s'affrontent pas trop. À bien regarder, elles sont assez tolérantes et compatibles. Il n'y a pas à exagérer le problème de leurs différences. Elles sont presque toutes parvenues à s'adapter aux lois, et ont un fond commun. À l'exception des extrémistes, il est plus facile de vivre avec une personne ayant une autre morale qu'avec un individu qui a des addictions. Protège-toi des addictions avant de te préoccuper des traditions. C'est le meilleur conseil que je puisse te donner. La violence, la jalousie et les addictions détruisent l'homme. Hors des familles, la société arrive à limiter l'impact de la violence et de la jalousie des autres, car elles sont réprimées efficacement, et ainsi en grande partie éradiquées, même si tout n'est pas parfait. Le plus grand danger vient de soi-même, des violences que l'on s'inflige et qui détruisent le capital que l'on a reçu à la naissance. Les handicapés ont souvent des blessures qu'ils se sont infligées en pratiquant une activité violente, comme le ski ou la moto. Sa propre jalousie, et les addictions, sont preuves d'inintelligence et de mauvaise éducation. La société n'est pas capable de t'en protéger. C'est à toi de le faire. Ne commets pas d'imprudence. Ne dégrade pas bêtement ta santé. Ne tombe jamais dans une addiction ou dans la jalousie. Nous en sommes entièrement responsables. Comme tu n'es pas une imbécile, tu n'aurais aucune excuse. Tu es suffisamment avertie. Je te renierais, ma fille. J'espère que tu vas bien te conduire.

 

Oriane admet les explications de sa mère.

*

André, le fils des voisins, vient tondre la pelouse contre une petite rémunération. Il a quatre ans de plus qu’Oriane. Entre voisins, ils ne se reçoivent pas, vivant chacun de leur côté avec simplement des relations de politesse. Oriane voit André dans la rue et dans la propriété d’à côté depuis la fenêtre de sa chambre, et André voit Oriane dans son jardin et à sa fenêtre. Ils se font de petits signes de salutation de la main quand leurs regards se croisent, mais ils ne se parlent pas. Ni l'un ni l’autre ne sont bavards. Oriane rêve parfois d’André, et ses fantasmes se portent vers lui plutôt que vers les copains du lycée, car papa a une bonne opinion d'André, et lui confie parfois la clé de la maison, mais ça ne va pas plus loin. Un garçon sans addiction comme André est montré en exemple. À la rigueur, il pourrait se marier avec Oriane si elle n'était pas promise à Roger. André rêve aussi d’Oriane, mais a du mal à s’en faire une image complète. Oriane est la fille imperturbable et mystérieuse d’à côté. Il voudrait en savoir plus, mais ne sait comment faire. Il respecte les filles. Sa timidité le paralyse, et Oriane n'est pas engageante.

Pendant de petites vacances, les parents d’Oriane et d’André sont partis au travail. Ils ont confié les clés de la maison à André pour qu'il puisse aller tondre. Il doit traverser le salon pour descendre au garage et sortir la tondeuse en ouvrant de l’intérieur. Il trouve Oriane sur son chemin en peignoir. Elle s’est levée tard et n’est pas encore habillée. Elle sort de la douche, et avec une serviette-éponge, elle achève de sécher ses cheveux, soigneusement, comme tout ce qu'elle fait. André s’approche d’elle sans qu'elle le remarque, car la serviette lui occulte la vue. Il la regarde. Oriane arrête de se frotter la tête, et le découvre près d'elle. Pendant un long moment, sans bouger, ils se regardent. Oriane réalise soudain que son peignoir n'est pas bien fermé. André voit les pieds nus d’Oriane sur le tapis, mais aussi tout ce qu'il y a au-dessus. Le peignoir, largement entrouvert, ne cache que ses bras. André regarde toujours, et ne perd rien du spectacle. Oriane a un réflexe de pudeur. Elle devrait se couvrir pour ne pas provoquer, mais elle comprend qu'il ne sert à rien de fermer le peignoir. Il a tout vu, et continue de voir, mais seulement de voir. Pourquoi André la regarde-t-il ? Elle s’en doute : elle est une fille et lui un garçon. Ce qu'il voit est caractéristique d'une fille. Elle pourrait cacher, mais c'est trop tard. La pudeur à retardement serait provocatrice. André sait maintenant comment elle est. Est-ce grave ? André n’est pas méchant. Oriane en est certaine. À force de l’observer, elle connaît tout de ses réactions. André la regarde, fasciné. Quoi qu'elle fasse, il ne bougera pas. Puisqu'elle est sèche maintenant, elle envisageait d'ôter le peignoir. Tout en lui plongeant les yeux dans les yeux, comme si elle ne se souciait pas de lui, avec des gestes lents, Odile pose soigneusement le peignoir sur une chaise. Elle se livre complaisamment au regard d'un garçon pour qui elle a de l'attrait. André voit pour la première fois une fille complètement nue, une vraie fille en pleine lumière, en chair et en os, et non une image ou une vidéo. Cette fille-là lui plaît. Il n’ose pas la toucher. Elle a tout d’une fille, et il voit tout, là, de tout près, sans qu'Oriane ait l'air gênée.

Oriane a immédiatement compris qu’André ne l’attaquerait pas. Elle reste maîtresse de la situation. Pas question pour elle de se donner à André bien qu’elle en ait une vague envie, puisqu’elle tient à rester vierge et ne veut pas d’enfant avant mariage. Elle a bien voulu achever de se montrer, parce qu’elle se sent belle, sans défaut physique, et qu’elle sait qu’elle peut aller jusque-là avec André. Mais la suite est plus incertaine, même si elle n’a pas à fuir. Oriane pivote lentement pour qu’il puisse l’observer sous tous les angles. Quand elle juge qu’André a bien tout vu, qu’il sait comment elle est, et qu’il en est satisfait, elle décroche lentement et se dirige vers sa chambre sans se presser.

André a chaud. Il a vu Oriane, l’a admirée un bon moment, a constaté qu’elle ne s’épile ni ne se rase sur le corps comme beaucoup de celles qu’il a vues sur son ordinateur, et Oriane s’est éclipsée. Il s’effondre dans un fauteuil. Quand il aura repris ses esprits, il ira tondre.

André est étonné quand Oriane réapparaît, toujours nue, et un préservatif à la main, un de ces préservatifs qu’on donne à l’éducation sexuelle. Contrairement à la plupart de ses camarades, Oriane n’a pas joué avec ceux dont elle a disposé. Elle n’a pas soufflé dedans et ne les a pas martyrisés en les gonflant et les frappant, jusqu’à ce qu’ils éclatent comme des ballons de baudruche. Elle les a gardés précieusement dans ses affaires, roulés sur eux-mêmes à plats dans leurs petits emballages protecteurs transparents.

Oriane veut toujours rester pure jusqu’au mariage, mais elle connaît le plaisir solitaire. Son vagin n’est plus obturé, car il reçoit ses doigts, qui ont agrandi le passage. Des objets neutres, comme les tampons, s'y glissent facilement. À la réflexion, elle a souvent pensé, qu'avec un préservatif, elle ne recevra rien. C’est un objet neutre, comme un doigtier, qui la pénétrera, même s’il est guidé par André. Pourrait-on l’accuser de ne plus être vierge ? Logiquement, son état ne changera pas. Au lycée, les garçons ne la recherchent pas. Elle est trop peu engageante. Ils préfèrent les autres filles, plus réactives, qui rient quand on les excite, et font mime de s'effaroucher. Oriane travaille seule, et circule au milieu des élèves sans avoir beaucoup de contact, souvent isolée. Elle ne s'intègre qu'à quelques groupes, qui la tolèrent, mais en spectatrice. Parfois, les plus méchants la chahutent, la bousculent un peu, et la traitent de "Sale Bête", sans aller jusqu'à la lapidation, car ils seraient sanctionnés par l'administration. Ses notes attestent qu'elle est moins bête qu'eux. Insensible aux offenses, elle les regarde silencieusement, ce qui les calme souvent. Ils l'abandonnent vite, incapables de la sortir de son impassibilité. Avec les professeurs, elle n'a pas de problème, mais, au lycée, aucun camarade ne l'aime. Elle en est attristée intérieurement. André a manifestement envie d’elle. Contrairement aux autres, il l'aime. Il mérite qu'elle lui fasse plaisir. Ils ne se parlent pas plus que d'habitude. Il l’a respectée et il ne s’est pas imposé. Ira-t-il jusqu'à elle ? Si elle se trompe en croyant au désir d’André, elle ne l’oblige pas. Ils sont seuls. Au lieu de se masturber, elle préfère faire plaisir à André. Elle l’invite simplement, sans rien dire, en agitant légèrement le préservatif dans son champ de vision. Viendra-t-il à elle ? Sera-t-elle encore vierge ? Elle ne posera pas la question à sa mère puisqu’il ne faut pas en parler. C’est pour le bien d’André qui en a envie, et elle ne voit pas de mal à le faire en dehors de l’opinion de ceux qui peuvent en être informés. Personne ne le saura et ne la jugera si elle ne dit rien. Tout rentrera dans l’ordre, comme avant. Roger, son promis, ne s'apercevra de rien. Elle sera toujours la même. Il suffit qu'elle cache ce qui pourrait gêner. Elle demandera à André que ça reste entre eux deux. André n’est pas bavard : il ne dira rien.

André, toujours hypnotisé, suit Oriane jusque dans sa chambre, et Oriane fait ainsi l’amour avec André, comme si elle ne le faisait pas. Ensuite, chaque fois qu’André vient la voir, et puisqu’il ne dit rien, Oriane fait plaisir à André, au moins, elle l’espère, en tire du plaisir aussi, et s’habitue à l’amour, ce qui est une bonne chose. André évite toujours de se manifester quand les parents d’Oriane sont là. Oriane n’en parle à personne. Tout reste secret.

*

Martine, mère de Roger, a une bonne opinion d’Oriane, comme son mari Alain. Le père d’Oriane fait parfois des affaires avec eux. Il parle souvent de sa fille, une fille un peu isolée, qui n’a pas d’ami parce qu’elle a un caractère froid, non liant, mais qui travaille sérieusement et est logique. Il s’inquiète pour l’avenir d’Oriane, mais Martine estime, comme Alain qui apprécie à sa juste valeur la logique d’Oriane, que cette fille-là serait la meilleure bru possible. Une fille sans histoire, capable de les aider aux affaires. Elle en parle au père d’Oriane.

*

— Oriane nous intéresse beaucoup, dit Martine. Je la vois toujours se marier dans quelques années avec Roger. Cela fera un beau couple. Ils sont beaux tous les deux.

— J’y suis favorable, dit le père d’Oriane, mais je ne sais pas si Oriane conviendra à Roger. Ma fille n’est pas tout à fait comme les autres. En grandissant, je m’en rends compte. Elle est secrète, n’a pas de copain ou de copine. Elle ne parle pas beaucoup.

— Ce ne sont pas des défauts. Mon mari trouve qu'elle est parfaite pour les affaires.

— Oui, mais elle fait l'amour avec André, un gentil voisin. Elle n’est plus vierge.

— Je ne savais pas, dit Martine, mais il y a beaucoup de filles qui ne le sont pas. Si elle a un amoureux dont elle veut, il ne faut pas la contrarier et les laisser s’aimer. Le réclame-t-elle ?

— Non. Je vais tout vous dire. La mère d'André a trouvé dans ses affaires, des images d’Oriane.

— Des nus ?

— Non : des images d’elle dans le jardin qu’il prend avec son appareil numérique. Mais elle a eu la puce à l’oreille. Elle a vu André avec Oriane quand ils se croyaient seuls. Voulez-vous encore d’Oriane ? Je ne sais pas ce que je ferai de ma fille, mais vous êtes des amis. Je ne pouvais rien vous cacher de son comportement. Comment caser une fille pareille ? Avec l'éducation que j'ai reçue, ma fille est à considérer comme une dévergondée. Ne le dites à personne. Ce serait honteux de vous tromper. Ma femme dit que ce n'est pas très grave, mais je ne sais pas comment vous pouvez le prendre. Elle n'est pas pour Roger si cela vous choque. Personnellement, j'hésiterais.

— Je vous remercie de votre sincérité, dit Martine. Vous êtes vraiment des amis, mais Oriane m’intéresse toujours pour Roger.

— Même en sachant tout ça ?

— Oui. Les filles vierges sont rares. Regardez autour de vous. Quelles sont celles qui n'ont pas un petit ami ? Je crois qu’Oriane est faite pour nous. Elle n’a connu que ce garçon qui doit être sérieux, et elle ne le réclame pas, donc, elle se tient. D’après ce qu’on me dit, la plupart des filles sont beaucoup plus libertines et ne mettent pas de protection. Cela m'étonnerait qu'Oriane n'en ait pas mis. Que faut-il pour Roger ? Une fille sexuellement normale, ce qui a l’air d’être le cas. Il nous faut aussi une fille utile, et je ne vois pas de fille qui pourrait nous être plus utile qu’Oriane. Votre fille a des qualités exceptionnelles d'après mon mari, et il est rare qu'il se trompe. Elle est belle, froide, logique, intelligente, travailleuse, douce, sans addiction, et capable de dominer ses sentiments. Voilà tout ce qu'il lui trouve. C’est exceptionnel. Mon mari me rebat les oreilles des qualités d’Oriane. Elle est l’idéal pour traiter des affaires, et elle aura à le faire si elle se marie avec Roger. Nos affaires ne demandent pas le contact humain qu’Oriane n’a pas et qui est son défaut majeur. Nos affaires se traitent sur dossiers, en analysant scientifiquement leur pertinence, et non en faisant des sentiments. Roger est un bon garçon, mais il se fera rouler en affaires. Je le vois quand j’essaie de lui faire comprendre un dossier. Il met très longtemps à voir comment le traiter, et je dois lui expliquer. Je souhaite pour Roger une femme comme Oriane qui sache le guider en trouvant les bons dossiers. Ils devaient s’entendre puisqu’ils ne boivent et ne fument ni l’un, ni l’autre. Ils sont propres tous les deux et ne réclament que des choses simples.

— Admettons qu’Oriane convienne à Roger. Mais le mariage n’est pas pour tout de suite. Ils ont encore au moins quatre ou cinq ans d’études, et je n’imposerai pas Roger à Oriane si elle n’en veut pas.

— Je n’imposerai pas non plus Oriane à Roger.

— Ils ne suivent pas les études au même endroit, donc, ils vont être séparés. Il peut se passer beaucoup de choses en cinq ans. Ils vont évoluer.

— Oui. Roger va rencontrer des filles et Oriane des garçons, mais je persiste dans mon idée de les marier si c’est possible. Je vous propose de leur dire souvent que notre vœu est de les voir se marier ensemble, que c’est notre souhait, mais qu’ils restent libres de leurs choix. Notre influence peut être déterminante. Ils pourront se rapprocher l’un de l’autre plus facilement. Ne reprochez jamais à Oriane ce qu’elle peut faire avec les garçons. Nous avons à faire maintenant à deux majeurs qu’il ne faut pas braquer contre nous. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Montrons-nous bienveillants sans jamais les forcer.

— Oriane serait casée. Je souhaite comme vous que tout se passe bien.

*

 

— Oriane ? J’ai appris qu’André venait te voir en cachette.

— Oui, maman, dit Oriane. C’est le genre de choses à cacher, et à ne pas divulguer. Comment le sais-tu ?

— Sa mère a suivi André. Elle sait tout, mais elle n’en dira rien. Son père nous a prévenus.

— Il n’y a donc que nos parents qui savent ?

— Oui.

— André n’a rien fait de mal, dit Oriane. Je prends tout sur moi.

— Il a fait l’amour avec toi.

— Oui, maman. Je l’ai invité à le faire. Il vient quand nous sommes seuls.

— L’amour pose toujours des problèmes, ma fille. On ne fait pas l’amour impunément avec un garçon, même avec André.

— Mais avec préservatif, ce n’est pas bien méchant. C’est neutre, sans importance. J'ai eu l’occasion de me tester en sécurité avec préservatif, car je sais le poser. Je l'ai cherché, et le résultat est que je préfère l’amour à la masturbation. Comme cela, je sais que je suis apte au mariage et que tout se passera bien le moment venu.

— Que fais-tu des sentiments ? Tu ne peux pas prendre sur toi ce que ressent André.

— André aime bien. Je lui fais plaisir. C’est agréable de faire plaisir, et c’est sans conséquence.

— La conséquence sur André est qu’il y revient. Il s’habitue et si tu le refuses, il est malheureux.

— Nous ne le faisons pas souvent. Je ne le refuse pas. Je ne l’ai jamais refusé.

— Mais je suppose qu’il le fait le plus souvent possible.

— Oui, maman. Il est venu toutes les fois que vous étiez partis et que j’étais là.

— Donc, il cherche quand tu es disponible. André a toujours envie de toi. Il t’aime. Veux-tu te marier avec lui ?

— C’est peu probable. En principe, je me marie avec Roger. André ne va pas s’y opposer. Il sait que mon avenir est avec Roger.

— Quel est ton amour pour André ?

— Je l’aime normalement, dit Oriane. Cela se passe bien avec lui. Il fait ce qu’il faut, et j’ai les sensations habituelles. Je suis normale, maman.

— L’amour ne se résume pas au physique. Qu’avez-vous d’autre en commun ? Quels sont vos sujets de conversation ?

— Nous ne parlons pas beaucoup.

— Silence entre vous ?

— Oui, ou presque. Il n’est pas longtemps avec moi. Se cacher ne lui va pas. Il ne veut pas rester avec moi. Il fait, puis se sauve dès qu’il a fini. Nous n’avons pas le temps d’échanger des idées. C’est l’inconvénient de se cacher.

— La voisine n'a rien dit à André, et ne s'opposera pas à votre amour si je ne m'y oppose pas, mais nos voisins cherchent à déménager. Ton amoureux ne sera bientôt plus là. Que vas-tu faire ?

— Si André ne vient plus, je n’ai rien à faire. Il vivra de son côté et moi du mien.

— Le désires-tu ?

— Il me donne du plaisir. Je désire ce plaisir. Quand il vient à moi, je le prends, mais je ne vais pas aller le chercher si ça gêne. Je sais comment se comporte un garçon. C’est le principal. Je ne serai pas surprise en me mariant.

— Tu es raisonnable, ma fille.

— Me reproches-tu de recevoir André ?

— Non. À toi de savoir ce que tu veux faire. Sois prudente. Je te fais confiance, et ton père aussi.

— Merci maman.

*

 

 

Quand André déménage, Oriane ne le voit plus. Elle n’a plus le plaisir de l'accueillir, mais elle a bien progressé en amour. Pour le remplacer, Roger serait le bienvenu, à condition que personne ne le sache. Elle n’affichera son amour que, lorsqu’elle sera mariée. Elle a quelques années à attendre.

*

 

 Oriane et Roger

 

À la fin de ses études, Oriane est convoquée par Alain, le père de Roger.

 

— Vous doutez-vous de quoi je vais vous parler, dit Alain ?

— De Roger, dit Oriane.

— C’est exact. Je souhaite toujours que Roger se marie avec vous. Le souhaitez-vous aussi ?

— Je n’ai rien contre Roger, mais les circonstances ne s’y prêtent pas.

— En quoi ? Vous terminez vos études et lui aussi. Vous pouvez vous marier.

— Papa fait de mauvaises affaires. Il va être bientôt en faillite. Je ne suis plus une fille intéressante. Votre fils peut trouver mieux que moi.

— Je connais les affaires de votre père. Il va effectivement tomber en faillite, mais je vous souhaite toujours comme belle-fille.

— Pourquoi ?

— D’abord parce que votre père est honnête et que sa faillite lui est imposée par un groupe d’affaires qui l’a pris comme cible. Son seul tort est de s’être exposé, et le groupe en profite. Si je pouvais lui éviter la faillite, je le ferais, mais elle est inévitable. Votre père a de la valeur. Je trouverai le moyen de le remettre en selle. Je ne laisse pas tomber un ami.

— Expliquez-moi comment ?

— Jeune fille, les affaires sont les affaires. Le groupe est spécialisé dans les faillites. Il possède des entrées dans les médias et sait manipuler l’opinion. Votre père était vulnérable. Le groupe a pesé pour que ce qu’il possède perde de la valeur. Votre père a dû s’endetter pour survivre et vendre ses valeurs à bas prix. Elles sont maintenant la possession du groupe et de moi, car j’en ai profité. J’ai utilisé toutes mes liquidités pour acheter une partie de ce que le groupe convoitait et qui n’avait plus d’acheteur.

— Vous êtes donc riche aux dépens de papa.

— Je serai riche, mais actuellement ce que j'ai acheté ne vaut rien. La valeur ne remontera que quand le groupe le voudra bien.

— Dans combien de temps ?

— Quand votre père sera vraiment en faillite, dépecé complètement, avec des dettes énormes.

— Si ça se passe comme ça, je n’ai aucun intérêt pour vous. Roger n’a pas besoin de moi.

— Jeune fille, vous avez de la valeur. Vous êtes éduquée, froide et logique. C’est l’idéal pour mes affaires. On ne doit jamais se passionner dans les affaires, et vous n’êtes pas passionnée. Vous connaissez aussi les affaires par votre père et vous n'avez pas d'addiction. Il y a peu de filles comme vous. Roger a besoin de vous. Je serais désolé de vous perdre. Qu’envisagez-vous de faire maintenant que vos études s’achèvent ?

— Travailler. J’aiderai, papa.

— Votre père va être privé de ses affaires par la faillite. Liquider n’est pas du vrai travail constructif. Il faut seulement limiter les dégâts. Votre père peut le faire seul. Je vous propose un travail : devenez mon assistante. Je vais vous perfectionner en affaires et je suis certain que vous réussirez. Prenez aussi Roger comme mari. Vous êtes belle. Pensez-vous que ça puisse aller avec lui ? Êtes-vous sexuellement normale ?

— Je me masturbe. Je suis froide, mais j’ai des sensations normales. J'aime le sexe.

— Donc, ça devrait aller. Vous allez avec Roger, pour le tester, et si ça va, vous vous mariez.

— Que va devenir, papa ? Couvert de dettes, il sera dans le dénuement.

— C’est à vous de le recueillir. Vous êtes majeure, donc indépendante de votre père, et vous n’aurez pas de dettes. Vous hébergerez vos parents, le temps qu’ils puissent se refaire et payer leurs dettes.

— Comment pourront-ils se refaire si on leur confisque tout à mesure des rentrées d’argent ? Sans capital, papa a les bras liés.

— Leur fille va les sauver. Seuls, ils seraient perdus, car les créanciers auraient leur peau. Mais vous êtes là. Les créanciers de vos parents ne peuvent rien contre vous.

— Je n’ai pas de fortune propre.

— Je vous avancerai les sommes nécessaires. Je vous rendrai ce que j’ai acheté à bon compte, et votre père saura repartir sous votre nom. Il paiera ses dettes sans avoir la pression, et la faillite ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Votre père travaillera avec nous, et nous bénéficierons de son savoir-faire. Quand votre père sera trop âgé, il vous passera la main. Vous serez sans doute apte à diriger ses affaires, et les miennes si vous acceptez Roger.

— Roger n’est-il pas capable de vous succéder ?

— Il en sera capable si vous êtes avec lui. Sans vous, j’en doute. Il est trop gentil et parfois irréaliste. Je mise sur vous beaucoup plus que sur Roger. Votre père m’a parlé de vous. Vous comprenez les affaires bien mieux que lui.

— Pourquoi êtes-vous si bienveillant avec moi ?

— Parce que j’aimerais avoir une fille comme vous, et vous le deviendrez en vous mariant avec Roger. Ma femme et moi voulions plusieurs enfants, mais après Roger, nous n’en avons pas eu d’autre. J’aime ma femme. Elle est malade et désire un enfant de Roger. Je cherche à lui faire plaisir, et à moi en même temps.

— Mais Roger veut-il de moi ?

— J’espère qu’il n’y a pas d’obstacle. Je sais qu’il est avec une fille, mais la fille n’a pas l’air de vouloir se marier actuellement. Elle ne semble pas fixée sur Roger. Vous avez deux ans d’avance dans les études sur elle. Si ça marche avec Roger, vous avez de bonnes chances, car pour ma femme, deux ans, c’est long. Elle voudrait voir son petit-fils ou sa petite-fille avant de mourir. Elle est condamnée par les médecins. Comprenez-vous ?

— Bien sûr. J’aimerais lui faire plaisir. La fille guigne peut-être sa fortune ?

— Je ne crois pas. Pas celle-là. Elle se marierait sans attendre si elle cherchait la fortune.

— C’est donc une imbécile ou une fille très bien.

— Ce n’est pas une imbécile, dit Alain. Je serais intervenu pour que Roger la quitte si j’avais de mauvais renseignements sur elle. C’est une fille à faire sa fortune toute seule, et qui y arrivera. Elle a de l’avenir. Je ne suis pas sûr de tout gagner avec vous, mais je vous offre de toute façon un poste d’assistante près de moi. Ma femme et moi vous formerions à nos affaires, ce qui ne vous empêcherait pas d’aider votre père. Le prenez-vous ? C’est moi qui y gagne.

— Oui, dit Oriane. Si Roger veut bien, j’essaye aussi Roger si nous pouvons le faire discrètement. Avant le mariage, il est préférable de ne pas se montrer. D’ici là, l’orientation peut changer.

*

 

— Votre père me propose de coucher avec vous, dit Oriane à Roger. Je suis à votre disposition pour essayer de voir si c'est possible. Si c’est négatif, nous en resterons là, et personne ne sera informé.

 

Cela ressemble beaucoup aux débuts avec Léa. Roger est accommodant.

 

— Essayons, dit Roger.

*

 

Roger est étonné par la passivité d'Oriane, mais le résultat est malgré tout positif. Les deux se déclarent satisfaits. Avec les affaires, Oriane développe sa logique sous la direction d’Alain. Les affaires sont le principal sujet de conversation entre Roger et Oriane, car Oriane, passionnée par son travail avec Alain, est moins réceptive à d’autres sujets. Elle donne de bons conseils à Roger, comme Léa.

Oriane n’est pas fortement attirée par Roger, mais elle va avec lui. C’est mieux que d’être seule, et les parents étant au courant, le rencontrer discrètement est aisé. Roger sera un amant caché pour tous les autres jusqu’au mariage. Au lit, elle a du plaisir, mais n’en parle pas. Silencieuse le plus souvent, Oriane n’est ni bavarde, ni démonstrative. Elle fait cependant bonne figure et sa conduite n’est pas critiquable. Roger la trouve froide, mais il se défoule bien avec elle. Oriane est très facile et toujours à sa disposition. Avec André, elle avait vite compris comment aimer. Elle sait se présenter, et Roger est tout de suite en bonne posture. Roseline bougeait trop, et avec Léa, plus sèche, il doit parfois s’y reprendre à deux ou trois fois quand elle a oublié le gel lubrifiant. Par contre, Oriane semble indifférente aux préliminaires, n’en réclame pas, mais dit que c’est agréable quand Roger l’interroge sur ceux qu’il pratique. Oriane est neutre, mystérieuse : comment savoir ce qu’elle pense ou ce qu’elle ressent ? Elle est toujours impassible, et logique en affaires. Puisqu’elle dit à Roger qu’elle l’aime et puisqu’elle est toujours disponible, Roger se trouve bien avec elle. Contrairement à Léa, jamais Oriane ne rejette Roger. Elle n'affirme pas son indépendance. Elle obéit à Roger qui n'en abuse pas. Elle se livre à lui sans discuter.

*

Léa est avertie par Roger qu’il s’est mis avec Oriane. Il la rencontre moins souvent.

 

— Je n’ai pas encore choisi entre vous et Oriane, mais papa me demande de choisir. Oriane serait prête à se marier. Il ne faudrait pas la faire attendre si je me marie avec elle.

— Choisissez Oriane, dit Léa, qui depuis longtemps, par principe, a décidé de ne pas s'imposer à un homme.

— Ne m’aimez-vous plus ? J’aime Oriane, mais vous aussi. Je vous aime toutes les deux. Est-ce qu’une fille qui est pour la liberté sexuelle ne peut pas s’accommoder de mon cas ?

— Je m’accommode en vous la laissant, car je ne me marierai pas tout de suite. Si vous me prenez, je vous offre environ deux ans de rencontres en cachette contre un mariage en plein jour souhaité par vos parents et qui vous tend les bras. Il n’y a pas à hésiter. Oriane passe avant moi. C’était prévu comme cela. C’est votre destin.

— Souhaitez-vous que je vous abandonne ?

— Je souhaite votre bonheur, dit Léa, et je trouverai le mien de mon côté. J’ai deux ans pour chercher un mari. Avec vous, j’ai progressé dans la connaissance des hommes et je vous en remercie. Je suis mieux armée. Je ferai moins d’erreurs dans mes choix. Je détecte plus facilement les garçons qui sont pour moi.

— Moi, j’hésite encore. J’aime bien être avec vous.

— Et moi vous avoir, mais c’est comme ça dans la vie. Il y a des choix à faire. Je ne vous en veux pas de passer en second. Vous êtes venu ici : faisons l’amour et partez ensuite pour retrouver Oriane.

— Définitivement ?

— Si vous n’avez pas peur d’être découvert, je peux rester votre amante, et vous retrouver de temps en temps, mais il faut être capable de garder le secret. La situation actuelle n’est pas tenable si vous vous mariez. Vous êtes près de la moitié des nuits avec moi. Si vous voulez conserver le même rythme, votre femme en pâtira. La logique est de vous consacrer presque complètement à Oriane, et de ne garder que quelques relations ponctuelles en dehors, pour affirmer votre liberté et garder des amitiés.

— Ainsi, vous ne me lâcheriez pas complètement ?

— Vous avez de temps en temps à venir ici pour la gestion de l’immeuble. Profitez-en pour venir me voir. Nous ne gênerons personne.

— Ce n’est pas très souvent, dit Roger.

— Il faut savoir qui vous choisissez, dit Léa. Si c’est moi, vous couchez avec moi presque tous les jours ; si c’est Oriane, vous couchez avec elle. Si vous prenez Oriane, j’ai à trouver un autre homme, et quand j’aurai trouvé un mari, je coucherai avec lui presque toutes les nuits. Je ne vois pas comment faire autrement. On ne passe pas alternativement d’un lit à l’autre sans raison. On se marie pour être avec un partenaire presque tout le temps et fonder une famille. L’amant est un accessoire, même si on continue de l’aimer. Liberté sexuelle, mais pas égalité sexuelle. Oriane et moi avons toutes les deux un besoin de savoir quelle orientation vous prenez.

— Je ne vous verrais que les jours de gestion ?

— Si ça ne vous suffit pas, ne prenez pas Oriane. Avez-vous un amour immodéré pour moi ? Si c’est le cas, il faut accepter que je vous trompe. Ma liberté sexuelle est un principe auquel je tiens. Que ce soit bien clair. Je ne serai jamais la femme d’un seul homme. Même à mon mari, je ne me soumettrai pas. Dans le cas présent : je ne me marie pas avant au moins deux ans : j’ai autre chose à faire de plus urgent. Ce serait compromettre mon avenir de me marier maintenant.

— Vous pouvez quitter vos études et venir avec moi. Vous n’aurez pas besoin de travailler.

— Non. Mes études passent avant vous, et je travaillerai. Je veux mon indépendance, et ne pas dépendre d’un homme. Sans une éducation complète, la liberté est illusoire.

— J’hésite toujours, dit Roger.

— Si vous hésitez encore deux ans, dit Léa, nous en reparlerons à ce moment-là.

*

 

— Chère Oriane, dit Alain. Roger doit bientôt décider s’il se marie avec vous. J’espère qu’il vous choisira, car si j’avais à choisir à sa place, je me marierais avec vous. Si Roger ne vous prend pas, je souhaite vous garder ici. Dans ce cas, si vous le permettez, je vous proposerai des garçons à marier. J’ai plus de facilité que vous à les contacter et à leur expliquer votre valeur réelle. Je cherche déjà ceux qui pourraient vous convenir. Dois-je continuer dans ce sens ? Je n’oublie pas la situation de vos parents. Un mari peut vous être utile.

— Oui, dit Oriane. Je vous en remercie.

*

 

— Maman, dit Roger à Martine. Voilà deux filles que j’aime : Léa et Oriane. Qui dois-je choisir ?

— Mon garçon, dit Martine. Avec Roseline, ça n’a pas marché parce qu’elle n’était pas faite pour toi. Quand je me suis mariée, j’ai rencontré Alain, que mon père m’a sélectionné, et qui est fait pour moi, malgré son âge. Je l’ai aimé, et je l’aime toujours. C’est ça le véritable amour : un amour durable qui ne nécessite pas de chercher ailleurs.

— Ton problème n’est pas le mien. Tu n’en aimais pas deux quand tu as choisi papa !

— Je t’ai conçu avec un autre. J’en aimais deux, ne t’en déplaise.

— Physiquement ?

— Oui. Je n’ai pas eu du plaisir qu’avec Alain. Avec ton donneur, j’ai eu beaucoup de plaisir. Je ne serais pas allée avec lui sans l’aimer.

— Où est ce donneur ?

— Je ne veux pas le savoir. Il s’est marié avec une autre qu’il doit aimer. Cette autre est peut-être jalouse. J’ai volontairement rompu avec lui pour lui permettre de faire sa vie sans moi et sans toi. Il a suivi son destin et moi le mien avec toi. Le tien est d’être ici avec nous. J’ai essayé deux garçons avant ton père. J’ai eu du plaisir avec les deux. J’ai choisi Alain qui est ton véritable père. Après l’avoir trouvé, je me suis cantonnée à lui. Alain t’aime bien. Ne lui dit pas que tu n’es pas son fils. Tu l’es pour lui.

— Il a donc accepté que je sois son fils ?

— Oui. Tu es son fils depuis toujours. Il n'en a pas d'autre. Tu hériteras de lui.

— J’aime bien, papa. Je n’aimerais pas changer de père. Tu as raison de l’aimer. Est-ce que ça été difficile de te donner à un autre ?

— Très facile au contraire. Je t’ai fait en aimant cet autre et en plein bonheur. Je préfère Alain maintenant. Alain ne se plaint pas de moi. Mais ce n’est pas ton problème. Tu es notre fils de plein droit, et cela ne changera pas. Revenons à toi. Il est question de ton mariage. Il est bon de satisfaire la femme que tu choisis, de l’écouter et ne pas faire ce qui ne lui plaît pas. Une femme docile te créera moins d’ennuis qu’une femme rétive. Avec Roseline, le mariage aurait cassé un jour ou l’autre. Elle était trop fantaisiste pour toi. L’idéal est que ta femme te soit fidèle et n’aille pas chercher ailleurs, même si elle a le droit de le faire. Je suis fidèle à Alain depuis le mariage. Je n’ai pas eu à le tromper, mais il m’aurait permis de le tromper.

— Faut-il que ma femme soit complètement fidèle ?

— Ce n’est pas une obligation si c’est justifié. Pour avoir un autre enfant, j’aurais pu ne pas être fidèle, mais c’était inutile puisque ma maladie était probablement la cause de mes fausses couches et qu'Alain est contrôlé fertile. Alain et moi avons été heureux de t’avoir. Si je m’y étais mise plus tard, je n’aurais eu sans doute aucun enfant. J’ai échappé avec toi à la stérilité totale grâce à mon infidélité avant mariage. Sans m’en rendre compte à ce moment-là, j’ai eu beaucoup de chance. Ne t’occupe pas de ce qui se fait avant le mariage. Avec ta femme, tu pars sur de nouvelles bases. Son passé ne compte pas. Il faut s’aimer : c’est tout.

— Je ne sais toujours pas qui je dois choisir.

— Je ne suis pas à ta place. Je n’ai jamais couché avec Léa ou Oriane. Comment sont-elles ?

— Oriane est plus facile et ne me refuse jamais.

— Léa te refuse-t- elle ?

— Oui, par principe, pour montrer qu’elle est libre de faire ce qu’elle veut.

— Donc, elle t’excite et te lâche ?

— Oui. Elle m’arrête au dernier moment. J'en bave de désir.

— Elle a peut-être des problèmes qui l'empêchent de faire l'amour.

— Non. Des préliminaires avec moi, et elle va coucher ailleurs.

— Elle s'excite avec toi, et te lâche.

— Pas toujours. D'autres fois, elle reste avec moi, se laisse caresser, puis m'interdit de la toucher de nouveau. Pourtant, je suis sûr qu'elle a envie de moi. Elle a une volonté de fer. Elle ne déroge pas à ses principes. Elle tient à sa liberté.

— Est-ce que ça te plaît ?

— Je fais avec. J’attends la fois suivante.

— Donc, une heure après, tu peux te contenter quand elle a oublié ses principes.

— Non. Elle dort comme une marmotte. Je ne la réveille pas. Le matin, elle se lève sans m'inviter, et je rentre ici où je retrouve Oriane. Elle découche aussi de temps en temps sans m'exciter, pour aller ailleurs. . Elle me dit que c'est son droit d'aller avec qui elle veut.

— Elle est vraiment libre. Toi, tu t’installes ici maintenant pour travailler avec nous. Si elle se marie avec toi, que fait ta Léa ?

— Elle termine ses études, dit Roger, et ne vient pas ici. Ses études passent avant moi.

— À toi d’aller la retrouver ?

— Oui. En cachette jusqu’au mariage dans deux ans.

— C’est une drôle de fille, ta Léa, mais elle me plaît. L’aimes-tu ?

— Oui. Je couche avec elle presque toujours.

— Et aimes-tu Oriane ?

— Oui.

— Je te laisse choisir.

— Quel est ton choix ?

— Le tien, dit Martine.

— Qu’en dit, papa ?

— La même chose que moi. Tu prends tes responsabilités. Il ne veut rien t'imposer.

*

— Papa, dit Roger ? Qui préfères-tu ?

— C’est à toi de préférer, mon garçon, dit Alain.

— Si tu étais à ma place, qui choisirais-tu ? Léa ou Oriane ?

— Quand j’ai choisi ta mère, je n’ai pas hésité. Elle était intelligente, bonne en affaires, en bonne santé, et convenable au lit. Elle avait en plus de l’argent. Elle a été la femme que je souhaitais. Elle m’a donné un fils que j’aime. Je ne lui reproche rien. Sa santé actuelle n’est pas brillante, mais on ne peut pas tout avoir. Mon choix serait le même si c’était à refaire. J’avais à me décider vite, et je n’avais aucune autre fille en vue. Ton cas est plus compliqué, car tu as à choisir entre deux filles qui ne sont pas à repousser a priori. Elles ont toutes les deux beaucoup de qualités et peu de défauts. Je comprends que tu hésites, mais ne fait pas comme l’âne de Buridan : il faut trancher pour l’une ou l’autre.

— Comment trancherais-tu ?

— Il y a des points communs et des différences entre Léa et Oriane. Les points fondamentaux sont la santé, l’accord sexuel et l’accord intellectuel. Dans mon cas, j’ajoute que ma femme devrait être forte en affaires. D’après ce que tu me rapportes des dossiers qu’elles ont étudiés, elles sont très bonnes. Elles trouvent logiquement les solutions, comme ta mère. Je ne peux que me rabattre sur des détails pour choisir. Léa n’est pas facile à guider, car elle va où elle veut. Elle a décidé de faire encore deux années d’études si j’ai bien compris. Tu ne l’en feras pas démordre, mais elle a raison de ne pas négliger les études. Oriane est plus souple, et elle acceptera tout de toi, même si la logique est contre toi. Si tu veux être guidé : prends Léa. Elle portera le pantalon. Si tu veux être le maître dans ton ménage : prends Oriane. Elle te secondera parfaitement. Moi, j’ai pris Martine, qui est entre les deux. Nous dirigeons à deux et nous n’avons pas de conflits.

— J’aurai donc moins de conflits avec Oriane qu’avec Léa ?

— Oui. Léa te dira immédiatement ce qui ne va pas. Oriane le gardera pour elle jusqu’à ce que tu l’interroges. S’il y a des problèmes, ils viendront de toi et non d’elles. Elles sont toutes les deux intéressantes.

— Alors ? Ton choix ? Tranche ! Ne me fais pas languir. Qui prendrais-tu à ma place ?

— Oriane, dit Alain. J’adore le calme, la logique, le flegme d’Oriane, poussés au maximum. Je travaille avec elle. Je peux me reposer entièrement sur elle. Je l’admire d’en être capable. Elle dépasse même ta mère, qui n’est pourtant pas bête du tout. Pour la majorité des gens, Oriane est plus difficile à comprendre que Léa. On la trouve mystérieuse, mais à toutes les questions que je lui pose, elle répond toujours intelligemment. Oriane n’a pas de mystère pour moi. Elle réagit comme j’aimerais toujours le faire, avec un constant sérieux. Léa est équilibrée, mais Oriane l’est encore plus. On peut compter sur elle. C’est la stabilité même, et j’aime la stabilité. Tu as voulu que je choisisse. J’ai tranché pour Oriane, mais c’est à toi de choisir, et ton choix peut être différent du mien. Je connais moins bien Léa qu’Oriane, car je ne la connais qu’indirectement, par les renseignements que j’ai pris sur elle, par ses idées sur les dossiers, et ce que tu m’en as dit. Il est possible que je la sous-estime. Je ne rejette ni l'une, ni l'autre. Si je n'en connaissais qu'une, je la choisirais.

*

 

 

Les parents d’Oriane sont acculés à la faillite. Bientôt, tous leurs biens seront confisqués. Ils ne pourront compter que sur Oriane qui n’est pas incluse dans la faillite. Si Oriane se marie avec Roger, c’est l’assurance de ne pas se retrouver à la rue.

*

— Je me marie avec vous si vous voulez, dit Oriane à Roger. Nos parents le souhaitent depuis longtemps. Je m’y suis préparée.

— J’hésite entre vous et une autre fille.

— À vous de choisir. Dites-le-moi rapidement. J’ai à opter pour un autre soutien si vous me lâchez.

— Quel soutien ?

— Votre père me propose des garçons bons en affaires si vous ne voulez pas de moi. Je me marie avec l’un d’eux ou vous. Je dois vous quitter si vous optez pour l’autre fille.

— Je vous garde, dit Roger, mais j’ai des confidences à vous faire. J’ai eu quelques aventures sexuelles avant vous. Je n’ai pas l’intention de vous les cacher. Vous me direz après si vous continuez avec moi. D’accord ?

— Oui, et je vous parlerai des miennes. J'ai perdu ma virginité très tôt.

— Je ne vous donne pas les noms, car je ne veux pas que les personnes concernées soient reconnues. Cela pourrait leur nuire. J’ai fréquenté une première fille. Elle est tombée enceinte et a réclamé le mariage. Je lui ai accordé une pension. Mon père a fait faire des tests génétiques. L’enfant n’est pas de moi, mais elle croit peut-être qu’il l’est.

— Comment a-t-il eu des cellules de l’enfant ? Avait-il l’accord de la mère ?

— Il n’a rien demandé à la mère. Il s’est procuré quelques cheveux. Avec de l’argent, c’est facile.

— La mère a-t-elle toujours la pension ?

— Oui, dit Roger. Sans cette pension, elle aurait du mal à payer la maison qu’elle a achetée. J’ai aimé cette fille, mais je ne l’aime plus. C’est fini avec elle. Après cette fille, j’en ai aimé une autre, que j’aime toujours, mais que je quitte pour vous parce qu’elle n’est pas disponible au mariage comme vous. Elle ne veut pas me suivre sans avoir terminé ses études. Elle pense se marier à ce moment-là.

— Moi, dit Oriane, j’ai aimé un garçon que j’aime encore, mais que je ne vois plus, et il n’a plus à se manifester puisque je serai avec vous. Maintenant, j’ai accepté de coucher avec vous en vue du mariage. Comme ça se passe bien, je suis disposée à me marier avec vous parce que vous m’offrez une situation stable pour moi et mes parents. Je vous promets de vous être fidèle.

— Fidèle ? Suivez-vous la tradition ? Rejetez-vous un divorce possible ?

— Ce n’est pas moi qui le demanderais. Je n’ai aucune raison de vous quitter. Je suis bien avec vous. Vous êtes gentil avec moi. Il n’y a pas de raison pour que ça change. Je n’envisage rien d’autre que la mort pour être séparée de vous.

— Si je vous quitte un jour parce que je ne vous aime plus, vous ferez comme vous voudrez, mais je ne souhaite pas votre mort. Je ne vous promets pas ma fidélité, et je vous autorise à m’être infidèle. La raison est que si la fille que j’aime a besoin de moi, je ne la laisserai pas tomber, car je suis certain que de son côté, elle le ferait pour moi. Je reste solidaire de ceux que j’aime, et je le fais passer avant la fidélité. Êtes-vous d’accord ? Vous mariez-vous avec moi ?

— Oui, dit Oriane.

*

 

Roger et Léa s’aiment jusqu’à ce que Roger parte rejoindre Oriane. Roger garde l’appartement que Léa continue d’occuper depuis le studio. Il vient parfois retrouver Léa après l’avoir avertie qu’il arrive. Léa accepte le plus souvent. Comme les rencontres sont peu fréquentes, elle regrette le temps où Roger était très disponible. Léa voudrait un autre compagnon valable qui serait l'analogue de Roger. Elle manque de renseignements sur les garçons qu'elle fréquente, mais ne perd pas trop de temps dans leur recherche, car les études l'accaparent. Elle reste longtemps seule avec Toto.

*

 

 Paul

 

— Mademoiselle, dit Paul. Me permettez-vous de vous entretenir un moment ?

— Je n’ai pas beaucoup de temps, dit Léa, mais si c’est important, je peux vous consacrer quelques instants.

— C’est important pour moi.

— Je vous écoute.

— Voilà, dit Paul. J’ai bien observé toutes les filles qui m’entourent. Vous êtes la seule qui me plaise.

— Moi, dit Léa, je m’intéresse aux garçons, mais je ne vous ai pas remarqué.

— Alors, dit Paul, je suis désolé de vous avoir dérangée, mais je n’insiste pas. Au revoir mademoiselle.

— Attendez ! Pourquoi m’avez-vous remarquée ? Est-ce mon physique ? Vous aurais-je tapé dans l’œil ?

— Votre physique me semble normal. J’apprécie vos cheveux courts et que vous ne vous fardiez pas. Vous êtes simple, sans recherche, avec des habits pratiques plutôt qu’à la mode. Je préfère vos chaussures de sport aux talons hauts. Je ne vois pas comment les filles peuvent marcher avec ça.

— C’est parce qu’elles marchent beaucoup moins que moi, dit Léa. Est-ce tout ce que vous savez sur moi ?

— Non. Vous êtes douée pour les études et vous réussissez aux examens que j’aurai à passer. Vous êtes une fille d’avenir. J’admire votre réussite. Vous êtes un modèle pour moi.

— Que vous déplaît-il en moi ?

— Vous avez plus de quatre ans de plus que moi, mais les filles de mon âge qui sont ici ne me plaisent pas. Je me rabats sur vous.

— Quatre ans : ce n’est pas une différence énorme.

— Tant mieux si vous le jugez ainsi, mais je suis moins avancé que vous dans les études. Vous devez me dominer par votre savoir.

— Abordez-vous beaucoup de filles de cette façon ?

— Non. Vous êtes celle que j’ai remarquée et dont je voudrais être l’ami. J’ai pris mon courage à deux mains, et je vous ai abordée en espérant que vous ne me repoussiez pas. C'est la première fois que j'aborde de cette façon.

— Avez-vous déjà eu une amie ?

— Non. Les filles sérieuses sont rares. Je pensais qu’il était plus facile d’en découvrir une comme vous. Je désespérais de ne rencontrer que des filles écervelées ou sans intérêt, et les garçons d’ici ne sont guère mieux. Il n’y a que vous, si je ne me trompe pas.

— Vous êtes donc isolé, sans amis ?

— J’ai mes parents. Mais vous êtes isolée aussi. J'en suis certain.

— Cherchez-vous à coucher avec moi, comme la plupart des garçons qui ne savent pas se tenir ?

— J’avoue que je cherche un peu, car j’ai des impulsions sexuelles, mais je crois que c’est normal, et je les supporte. Étant sans copine, je me masturbe. Si j'avais une copine, je vivrais avec elle, mais je ne lui imposerais rien. Il n'y a pas que le sexe.

— Croyez-vous que ce soit sérieux de m’aborder ainsi ? Je ne réponds pas aux garçons qui me sifflent ou veulent rentrer dans mon intimité.

— Excusez-moi de vous avoir interpellée. Je ne vous vois jamais avec un garçon, mais je vous respecte, et j’ai fait attention à ce que personne ne nous écoute pour que notre conversation reste privée. Les jaloux peuvent se cacher partout. Si vous avez un ami caché, je le respecte aussi, mais il est bien caché.

— Je n’en ai pas actuellement, et je m’en passe.

— Peut-être pouvez-vous m’essayer si vous n’avez personne ?

— Vous ne manquez pas d’audace. Je n’essaie pas les inconnus.

— J’ai compris que je vous importune. Je n’insiste pas. Je prospecte à l’occasion, mais mes études passent actuellement avant la recherche d’une amie. Je vous ai remarquée, travailleuse et seule. Vous étiez sur mon chemin. Sur beaucoup de critères, je vous considère comme sérieuse, ce qui explique mon attirance vers vous. Je me suis signalé à vous parce qu’il serait bête de ne pas saisir l’opportunité de trouver une amie telle que je la souhaite, mais je peux me tromper sur vous et il faudrait aussi que je vous intéresse. Maintenant, vous n’entendrez plus parler de moi. Je vous laisse tranquille. Adieu mademoiselle.

— Attendez ! Les garçons sérieux m’intéressent, et je couche sérieusement en minimisant les risques. Malheureusement, je constate que peu de garçons me conviennent.

— Peut-être moi ?

— J’en connais trop peu sur vous.

— Questionnez-moi si vous voulez en savoir plus. Je répondrai sincèrement, même si je me déprécie. Je sais que vous ne buvez pas. Moi non plus. C'est certainement intéressant pour vous.

— Effectivement, mais j’aurais trop de questions à vous poser, et je n’ai pas le temps aujourd’hui. Êtes-vous là dimanche ?

— Oui.

— Venez chez moi vers 17 heures, dit Léa. Savez-vous où j’habite ?

— Oui, dit Paul. Je vous ai suivie plusieurs fois. À quel étage ?

— Tout en haut. Au dernier étage. Le bouton du dessus de l’interphone pour que je vous ouvre. Apportez votre dossier.

— Quel dossier ? Je n’en ai pas.

— Votre dossier personnel est au secrétariat. Il m’est inaccessible sans votre autorisation, et je ne connais même pas votre nom. Ils peuvent vous en donner une copie complète. Il contient votre passé scolaire et médical en détail, et ils doivent vous le montrer si vous le demandez pour que vous puissiez le contrôler. C’est la loi. Copiez tout dans une mémoire électronique de poche. C’est vite fait : transféré en quelques secondes. Ils ne peuvent vous le refuser, car vous avez un droit de regard sur vos informations personnelles. J’aurai ainsi votre dossier complet avec le dossier médical et les résultats des tests si vous me le communiquez. Je veux tout savoir de vous. Je ne m’expose pas inutilement sans être renseignée. Si je vous retiens après l’avoir regardé, vous aurez aussi mon dossier pour vous informer sur moi. Nous serons alors à égalité. Je vous recevrai pour que nous en discutions. Je vous fais confiance pour que vous n’en profitiez pas pour m’agresser.

— Je n'agis pas sur impulsion, dit Paul. Ce serait le meilleur moyen de vous perdre.

— Bonne remarque, dit Léa. Nous nous comprenons. Si je ne vous retiens pas, ne m’en veuillez pas.

*

 

— Maman, dit Léa. Roger ne vient plus beaucoup. J'ai une proposition d'un garçon qui m'intéresse. J'envisage de le prendre avec moi.

— Où ?

— Dans l'appartement de Roger.

— Tu te fais entretenir par Roger, dit Isabelle. Vas-tu entretenir ce garçon chez lui ?

— Oui, maman. J'ai téléphoné à Roger. Il accepte que je mette un amant caché dans l'autre studio.

— Ils vont se rencontrer.

— C'est probable.

— Tu aurais deux hommes en même temps, et au même endroit. Je te le déconseille.

— Rober n'est pas jaloux. Je n'accepte pas de jaloux. Si Roger devient jaloux, je n'en veux plus.

— Et tu perds ton studio.

— Oui.

— S'ils te veulent tous les deux, que fais-tu ?

— Ils peuvent me vouloir, mais c'est moi qui décide.

— Arriveras-tu à gérer cette situation ?

— Je l'espère, maman. Roger passera toujours en premier.

— Avantage à celui qui finance. Tu te prostitues, ma fille.

— Celles qui se marient avec un riche aussi, maman. J'aurais pu me marier avec Roger, et tu me l'avais conseillé. Je l'aime, donc je fais ce que je considère le mieux pour lui. Je le marie avec Oriane. Est-ce de la prostitution ?

— Bon. Tu as raison.

— J'ai l'habitude de Roger. Comment me comporter avec ce garçon ? Je crois être sa première fille.

— C'est l'idéal, Léa. Un garçon sans expérience, tu le formes. Tu le dresses à ta convenance. Il ne doit pas être perverti par les déviations vers la mise en scène, les fellations et autres fantaisies douteuses que tu n'aimes pas.

— Oui, maman. Je préfère l'amour classique et sérieux. Je le guiderai.

— Sois honnête et claire avec lui. Impose-lui dès le début tes principes. Tu t'en trouveras bien. Il doit savoir que tu le trompes. Je n'ai jamais laissé mes amants dans le doute. Garde ta liberté.

— Si ce n'est pas possible, je rejette ce garçon. Et toi, maman, où en es-tu avec ton copain ?

— Son nouveau médecin lui a dit que j'avais raison de ne pas boire.

— Ne boit-il plus ?

— Si, mais il ne me brocarde plus de ne pas boire.

*

 

 

 

 

Paul est ponctuel au rendez-vous. Léa fait démarrer son ordinateur, y branche la mémoire, dont il fait une copie, avant de la rendre. Elle épluche soigneusement le dossier de Paul, depuis l’école maternelle jusqu’à la dernière année d’études, sans en oublier une ligne et en lisant tous les commentaires des professeurs. C’est très révélateur. Elle a une première impression, mais elle y reviendra plus tard. Léa a l’habitude des garçons, mais Paul n’est pas comme les autres. Il a de bonnes notes partout, ce qui l’impressionne favorablement. Il est même meilleur qu’elle dans plusieurs domaines. Le dossier médical ne révèle aucune maladie transmissible pouvant l’éliminer. Si Paul n’est pas exactement ce qu’elle cherche, il est suffisamment attractif pour qu’elle ne le repousse pas d’emblée. Un garçon intelligent est à étudier. Il ne sent pas le tabac et boit de l’eau.

Léa aimerait rencontrer un garçon comme Paul pour se marier, mais elle le voudrait au moins de son âge, aussi avancé qu’elle dans ses études, et prêt à travailler en même temps qu’elle ou avant, pour s’installer confortablement et avoir des enfants. Paul, avec sa maigre bourse ajoutée à la sienne, ne peut pas se mettre en ménage avec elle. Léa cherche un garçon mariable d’ici un an ou deux. Ils travailleraient tous les deux et ils auraient rapidement des enfants. Ce serait irréaliste de se marier avec Paul, car ils seraient sans ressources suffisantes. Elle n’a pas envie de le prendre à sa charge pendant quatre ou cinq ans quand elle aura un travail. Paul est vraiment trop jeune, pas assez disponible pour le moment. Léa devra trouver un autre garçon pour se marier. Cependant, Léa ne rejette pas Paul, car son mariage n’est pas pour tout de suite. N’ayant pas de candidat plus intéressant en vue, elle décide de prendre Paul avec elle, provisoirement, comme Roger, si le premier essai est concluant.

*

— Mon cher Paul, dit Léa. Votre dossier est bon. Je vous communique le mien pour que vous puissiez me juger, et je vous prends à l’essai. Le voulez-vous ainsi ?

— Merci mademoiselle, dit Paul. J’en suis heureux.

— Ne vous réjouissez pas trop tôt. Je suis difficile. Bien peu de garçons ont tenu longtemps avec moi et vous n’êtes pas celui que je voudrais.

— Combien de temps ont-ils tenu ?

— Entre quelques minutes et quelques heures de conversation, sauf un qui m’a accompagnée plus d’un an et que j’aime encore.

— Aimez-vous changer ?

— Non, mais je suis trop froide pour qu’on m’aime habituellement, et je me lasse de certains comportements. Je tente cependant le coup avec vous si mon dossier vous convient.

 

Paul fait une copie du dossier de Léa sur sa mémoire et le regarde. Il confirme ce qu’il sait d’elle. Il n’est plus aussi incertain sur le sérieux de Léa. Elle lui plaît vraiment.

 

— Je peux coucher avec vous, dit Paul. J’étais inquiet sur votre santé, mais vous êtes saine.

— Vous aussi, dit Léa. Je n’aime pas la brutalité. Et vous ?

— Moi non plus.

— Alors, je vous retiens. Si vous êtes doux avec moi, et me laissez travailler, nous pourrons coucher ensemble. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vous ouvre mon lit dès ce soir avec préservatif pour voir si ça va. Avez-vous amené les vôtres ?

— Non. Je n’avais rien prévu. Je vais en acheter et je reviens.

— Le dimanche, ce n’est pas facile. Il faut trouver un distributeur ou une pharmacie de garde. J’en ai un stock de ceux qui sont gratuits. Ils sont aussi bons que ceux qu’on achète. Savez-vous les mettre ?

— J’ai appris à l’éducation sexuelle sur de jolis pénis bleu clair en matière plastique. C’était amusant.

— Moi, c’était sur des pénis jaunes. Je ne veux pas d’ennui avec ces délicats trucs-là. J’ai dû apprendre à mon dernier copain, comment les mettre pour qu’ils ne se percent pas. Ni lui, ni la copine qu’il a eue avant moi ne savaient s’y prendre. Ils se perçaient tout le temps, et il avait beau changer de marque, c’était toujours pareil, d’où un drame. Je vérifierai comment vous allez procéder et je peux vous aider. Aujourd’hui, je préfère être avec vous plutôt que de faire seule l’amour.

— Comme moi, dit Paul. Continuerons-nous ensuite ?

— Ne voyez pas trop loin, dit Léa. Je déciderai après l’essai. Je ne vous garderai pas si vous avez trop de défauts.

*

Après quelques jours, Léa permet à Paul de venir s’installer dans le second studio lié à l’appartement de la même façon que le sien. En principe, pour les gens de l’extérieur, il est comme elle, en sous-location dans un studio, mais avec une adresse, un interphone et une boîte aux lettres différents des siens. Une porte condamnable s’ouvre vers l’appartement. Roger, son logeur, a une chambre qui lui est réservée dans l’appartement, mais il n’est pratiquement jamais là, et il laisse tout l’appartement à Léa qui en dispose comme elle veut. Léa ne fait rien payer à Paul, et Roger non plus.

*

— Vous êtes désormais mon copain principal, dit Léa à Paul, mais je vous demande de ne pas l’afficher. Aucune familiarité en dehors de la maison. Nous devons rester distants, toujours nous vouvoyer, même dans l'intimité.

— Pour quelle raison ?

— Je tiens à garder ma liberté vis-à-vis des autres garçons. Pour les autres, vous n’êtes pas avec moi. Je suis une fille libre qui souhaite le rester. Vous ne devez pas occulter mes libertés de mouvement, et dans la journée, vous avez pu constater que je travaille. Je n’ai pas beaucoup de temps à vous consacrer. Je me contenterai de coucher avec vous, comme jusqu’à maintenant. C’est possible puisque vous me laissez dormir. N’en demandez pas plus.

— Je respecterai vos consignes. Je n’ose pas vous toucher quand vous dormez. Vous dormez si bien. Vous êtes adorable. J’ai plaisir à vous sentir décontractée près de moi. Je vous regarderais des heures. Vous êtes à moi. J’ai toujours rêvé d’une fille comme vous.

— Continuez à rêver comme ça. Ne me réveillez pas.

— Ne m’aimez-vous pas ?

— Assez pour coucher encore avec vous, et attendez toujours que je sois disposée. Si je suis intéressée par une autre liaison, vous ne devez pas la perturber. Si je rencontre un garçon avec qui j’envisage de me marier, vous ne devez pas l’empêcher. Je ne peux pas me marier avec vous.

— Pourquoi ? Avez-vous un fiancé ?

— Non. J’espère me marier dès la fin de mes études. Nous ne sommes pas assez riches pour fonder une famille rapidement. Je veux des enfants sans attendre trop longtemps.

— Je peux vous les faire si vous êtes pressée.

— Merci, mais vous ne pouvez pas les nourrir. J’ai déjà reculé la possibilité d’en avoir jusqu’à la fin de mes études. La nature prévoit que la femme les a idéalement à partir de 18 ans, quand elle est jeune adulte et en parfait état physique. J’ai largement dépassé cet âge. Je ne reculerai pas avec vous le moment de les avoir. Les premiers accouchements sont de plus en plus difficiles avec l’âge, car les tissus perdent de leur souplesse. Je dois trouver un mari qui me permette de vivre en famille sans retard. Ce n’est pas vous. Vos études vont encore vous prendre des années quand les miennes seront finies. Soyez heureux que j’aime coucher avec vous, mais ne me mettez pas les bâtons dans les roues si je trouve à me marier comme je le souhaite.

— Vous perdez votre temps avec moi, dit Paul.

— Non, dit Léa. Pour avoir des enfants, la nature nous oblige à faire l’amour. J’aime faire l’amour, et comme je vous aime, je vais avec vous en attendant de trouver mon mari. Est-ce clair ? Je me suis renseignée sur les lois. J’ai le droit de coucher avec qui je veux si mon partenaire est consentant. À vous de savoir si mon offre vous convient. Je peux me passer de vous. Êtes-vous consentant pour venir avec moi ou non ? L'amour avec moi n'est pas dangereux, mais je ne suis pas riche. Je ne peux pas vous entretenir.

— Je vous croyais riche puisque vous disposez de cet appartement. La surface est grande. Il y a de nombreuses pièces. Tout est aménagé luxueusement. C’est confortable ici. Vous avez de beaux meubles, un ordinateur, tous les appareils modernes, une bibliothèque, un éclairage superbe. Vous avez les moyens de vivre largement.

— Non, dit Léa. Un copain m’a laissé la disposition de l’appartement après m’avoir lâchée pour une fille plus plaisante. Je n’ai qu’une bourse, comme vous. Tout est à lui. Nous sommes trop pauvres pour que je me marie avec vous. Je retombe dans la misère s’il reprend son bien et ne me loge plus.

— Il est généreux de vous laisser tout ça, dit Paul.

— Il est assez riche pour se le permettre, et je suis encore bien avec lui. Je suis heureuse quand il vient ici. Je l’aime encore, et il le sait, mais il va se marier avec une autre. Il n’est pas pour moi. Je le déplore, mais je ne vais pas protester qu’il utilise sa liberté sexuelle. Il a autant le droit que moi de l’utiliser.

— Prenez-moi quand même avec vous. Je ne suis pas dépensier. Je remplace donc ce copain ?

— Pas complètement. Si Roger vient me voir ici, je couche avec lui, et pas avec vous. Cela n’a rien d’illégal. Même une femme mariée peut légalement coucher avec qui elle veut. Je ne renvoie pas un homme que j’aime. Entre vous deux, je le choisis parce que ce sera notre hôte. Si vous en avez une copine assez sérieuse pour ne pas présenter de danger, vous pouvez aussi l’inviter. Je ne suis pas jalouse. Roger passe avant vous, mais il n'est pas souvent là. Si mes conditions ne vous conviennent pas, vous êtes libre de me quitter.

— Il vous faudra trouver un autre amour pour vous marier le moment venu ?

— Oui, dit Léa. Actuellement, je vous préfère parce qu’il n’y a pas d’offre aussi intéressante que la vôtre. Mais, dès que je trouverai à me marier, je vous quitterai. Que faites-vous ? Je vous écoute. Partez-vous ? Il n’y a pas d’avenir pour vous avec moi.

— Je reste ici, dit Paul, avec vous. La nature me pousse vers vous.

*

Paul est un peu effrayé par les principes de Léa, très différents de ceux des autres filles, mais il n'a rien contre. Saura-t-il ne pas mécontenter cette fille plus mûre que lui ? Il l'espère, mais si ça arrive, il partira. Il ne veut pas de bagarre.

À l'usage, tout se passe bien. Paul est de plus en plus satisfait d'être avec Léa. Il l'aime.

Pour Léa, Paul est une bonne affaire. Il est l’homme qu’elle cherchait et avec qui elle n’a pas de problème. Il est là quand il faut, et il ne la gêne en rien. Il approuve tout ce qu’elle fait, non parce qu’il se soumet, mais parce qu’il pense comme elle, a la même logique, et se trouve bien avec elle. Paul profite des bonnes dispositions de Léa envers lui. Ils ont des cultures comparables qui s’accordent bien. N’ayant ni l’un ni l’autre de passion marquée, ils peuvent se passer de l’autre, mais ils sont heureux quand ils sont ensemble. Ils travaillent sereinement en s’épaulant, jusqu’à ce que Léa achève ses études. Quand Roger est là, Paul ne s'offusque pas que Léa le délaisse. Pour Léa, la résignation de Paul est la preuve qu'il l'aime, et elle affirme son amour à Paul avant et après avoir couché avec Roger. D'ailleurs, c'est réel. Elle aime Paul.

Léa et Paul vivent ensemble jusqu'à ce que Léa termine ses études.

*

— Je vais bientôt me lancer dans la vie, dit Léa à Paul. Avez-vous des idées sur le mari qu’il me faut ?

— Les mêmes idées que vous. Un mari intelligent, qui vous supporte, et qui veuille des enfants. Il faut aussi l’aimer.

— Oui, dit Léa. Je commence à prospecter.

— Je vais le faire aussi, dit Paul. Il y a quelques garçons qui devraient vous convenir.

— Merci de m’aider. Je serai obligée de vivre avec lui. Pauvre Paul. Je ne serai plus aussi souvent avec vous. Je vous chercherai une autre compagne.

— Je vais chercher aussi. Ce ne sera pas facile de vous remplacer.

— Restons amis. Tant que je pourrai, vous serez mon amant caché, ainsi que Roger.

*

 

 Michel

 

À la fin de ses études, Léa se renseigne sur les maris éventuels. Elle prospecte avec l'aide de Paul. Les élus ne sont pas très nombreux, car Léa est exigeante. Elle tient à sa liberté. Elle jette son dévolu sur Michel, un garçon célibataire, buveur d'eau, déniché par Paul, qui se lance dans des affaires et a de l’avenir. Léa est éblouie à sa première rencontre avec Michel. Elle est attirée par ce garçon, sans pouvoir bien l'expliquer, mais elle n'est pas la seule. La plupart des filles ont la même sensation avec Michel. Il les magnétise.

Il n'est pas évident que Léa soit la bienvenue, car Michel est déjà avec des filles qui le convoitent ouvertement, mais il n'est fixé avec aucune, ce qui laisse une possibilité à toutes celles qui l'entourent. Il affiche son droit à la liberté sexuelle, et ne privilégie aucune de ces filles. Léa étant aussi pour la liberté sexuelle, elle estime être en bonne position pour amener Michel au mariage, les autres filles sérieuses n'étant que rarement aussi tolérantes, même si elles affirment l'être.

Léa s'intéresse aux affaires, ce qui contribue à ce qu'elle s'oriente vers Michel, qui a une petite surface financière lui ayant permis de débuter. Michel a déjà loué des bureaux spacieux, et a de quoi se loger largement à l’étage. Cela lui coûte la plus grande partie de ses premiers bénéfices, mais il n’est plus à l’étroit. Il peut maintenant engager un employé pour l'aider. Il passe une annonce, en précisant le profil recherché.

Léa répond à l’annonce, car elle correspond à la demande, et mise sur sa capacité de travail. Michel aime les filles, mais il doute de leur valeur en affaires, car celles qu'il fréquente, plutôt orientées vers le sexe, n'y comprennent pas grand-chose. Léa a les mêmes diplômes que Michel. Son curriculum vitae est convenable, mais Michel sait que les étudiantes apprennent souvent par cœur, d’où de bonnes notes, et sont souvent incapables de s’adapter. S'il avait un candidat masculin, il le prendrait. Mais comme il n'y a que Léa pour le travail qu’il prévoit, il accepte de la prendre en essai.

Michel pense que Léa fera comme les autres filles, et voudra être avec lui, car, beau garçon, et assez à l'aise financièrement, il séduit facilement. Il a de nombreuses propositions, qu'il étudie avec soin. Toutes les jeunes filles de son entourage lui tombent dans les bras, mais il trie intelligemment le bon grain de l'ivraie. Si Léa est comme les autres, elle devrait se déclarer, et son bagage intellectuel l'intéresse. Quand une jeune fille plaît à Michel, et surtout que c’est sans risque, car il est très méfiant, il répond favorablement à une avance. Pour sa tranquillité, pouvant choisir, il élimine les filles trop jalouses, car il est difficile d'éviter quelques interférences entre les filles. Elles finissent par savoir qu'elles ne sont pas seules, et la jalousie latente se manifeste. Il est préférable qu'elles le sachent le plus tôt possible. Il ne veut pas de bagarres entre elles. Il élimine aussi les trop passionnées, qui ne souhaitent que lui, et sont trop collantes. Il est assez malin pour que les filles qu'il a jusque-là retenues, tolèrent les autres et ne lui causent pas d'ennui. Il a ainsi quelques habituées avec lesquelles il passe des moments agréables. Elles ont toutes des points communs, mais aussi des différences, dans leur physique ou leur comportement. Michel apprécie cette diversité, mais souhaite de la tenue et un minimum de valeur intellectuelle. Il ne réclame rien à ces filles. Il les prend comme elles sont. Elles restent complètement libres avec lui. Elles offrent ce qu'elles veulent, et il accepte leur compagnie quand il a le temps, mais refuse de s'astreindre à s'occuper d'elles en permanence. Il a des affaires plus importantes. Il n'a pas à réclamer puisque les offres sérieuses dépassent ses possibilités. Il sélectionne les plus agréables. Léa pourrait être de ce petit harem, mais ce n’est pas lui qui fera le premier pas. Il respecte les femmes et ne s’impose jamais. Si Léa est disposée, il couchera avec elle, à condition d’être sûr d’elle, et s'il lui trouve quelques particularités intéressantes. Léa ne sera pas dérangée si elle ne le sollicite pas. Michel ne court pas les filles inutilement. Il est satisfait de celles qui sont avec lui. Elles correspondent à ses attentes.

Michel ne cache pas comment il considère les relations qu'il a avec les filles. Elles savent qu'il ne se lie pas à elles, et qu'elles ne sont que de passage. Pour quelques filles, c'est naturel, Michel n'étant qu'un garçon pour passer de bons moments, mais la plupart aimeraient approfondir les relations, car Michel est celui qu'elles voudraient. Timidement, elles évoquent le mariage, mais Michel préfère la situation actuelle. Les filles, une fois mariées, réclament des privilèges. Il se méfie du mariage, et du manque de liberté qui en résulterait. Le célibat a ses avantages : plaisir avec les filles, sans contrepartie gênante. Il n'a pas de copine à demeure, et il les rencontre séparément, sur rendez-vous.

*

— Je vous ai exposé comment je conçois votre travail, dit Michel. Après l’essai, je déciderai si je vous embauche ou non.

— Oui, dit Léa.

— N’oubliez pas que tout ici est confidentiel. Les affaires, tant qu’elles ne sont pas dénouées, n’ont pas à être connues de l’extérieur. À la moindre fuite, je vous congédie.

— Je ne suis pas bavarde. Je sais tenir ma langue.

*

Contrairement aux prévisions de Michel, Léa ne le sollicite pas. Elle se met au travail et l’aide efficacement. Roger, avec sa fortune, était obligé de s’occuper d’affaires, et il en discutait avec Léa qui avait généralement les meilleures idées. Ces idées, il les transmettait à sa mère ou à son père, qui les approuvaient le plus souvent. Cet apprentissage est utile avec Michel, car Léa est déjà informée des méthodes de gestion des affaires. Elle se délecte de pouvoir agir. Elle prend des initiatives et se révèle compétente. Michel n'a qu'à approuver ce qu'elle propose, et il approuve tout. Il n’a pas à se défaire de Léa. Elle le vaut presque. Michel en est étonné. Voilà une fille qui n’est pas comme les autres. Il commence à l’admirer. Comme il est objectif, il admet que Léa est plus douée que lui.

Léa n’est pas seule à viser Michel. Ses copines utilisent leurs charmes pour séduire et couchent avec lui. Léa en voit passer au bureau, même dans la journée, et Michel les emmène au premier étage. Léa, employée modèle et discrète, n’a pas les yeux dans sa poche. Elle repère vite les habituées. Certaines donnent rendez-vous en passant par Léa, qu’elles considèrent comme une secrétaire, car Léa, étant plus ordonnée que Michel, elle a pris en main toute la paperasse et l'organisation.

*

— Voilà un mot que m’a remis la jolie blonde que vous avez reçue mercredi dernier, dit Léa.

— Vous doutez-vous de ce que je fais avec elle ?

— Oui, dit Léa. C’est une affaire personnelle. Je n’en dirai rien à l’extérieur.

*

Michel fait ses comptes. Avec Léa, c’est mieux que tout seul : il triple son bénéfice, et Léa n’est pas désagréable, bien qu’un peu rigide, et d’un physique qu'il juge très ordinaire. Léa serait plus attractive si elle le voulait, mais à l'opposé des autres filles, elle s'habille sobrement, avec des vêtements pratiques, et elle ne se maquille pas. Jamais elle n'a voulu de chevelure abondante ou d'ongles colorés. Elle ne mise pas sur des charmes qu'elle n'expose pas, refusant d’utiliser ce genre de moyen. Elle est une femme, et non une poupée. Elle n'est pourtant pas repoussante ; elle est simplement naturelle, et Michel s'est habitué à sa présence discrète. Il travaille bien avec elle. Si elle partait, Michel aurait à poursuivre ce qu’elle a engagé sans lui. Léa gère efficacement ce qu’il aurait du mal à reprendre. Il a donc besoin d’elle. Léa vaut de l’or, et il en est conscient. Elle est devenue indispensable. Il n'en trouvera jamais une pareille. Pour la garder, il lui propose de devenir sa collaboratrice et Léa accepte. Ils partageront les bénéfices. Léa marque des points. Le mariage est envisageable. Elle poursuit avec Michel.

Léa est toujours avec Paul, mais Paul est invisible. Elle est avec Paul, le soir et la nuit, dans l’appartement de son ancien copain Roger où Michel ne va jamais. Elle aime beaucoup Paul, mais elle est prête à faire passer Michel avant lui. Avec l'expérience de Toto, de Roger et de Paul, Michel ne lui fait pas peur. Ce n'est qu'un homme. Comme il a beaucoup de copines qui l'aiment manifestement, elle pense pouvoir l'aimer.

 Les copines se donnent volontiers à Michel, et il en a souvent la nuit avec lui. Léa pourrait les imiter, mais les copines savent certainement aussi bien faire l'amour qu'elle. Ce n’est pas par les charmes physiques que Michel se laissera prendre. Il dispose déjà d’une pléiade de charmeuses. Il ne les entretient pas, mais elles ont de l'espoir, bien qu'il leur dise de ne pas compter sur lui. Il veut bien du plaisir, mais seulement le plaisir, et le travail passe avant le plaisir, qu'il estime secondaire, car facile à obtenir.

Léa est patiente. Elle se donne quelques mois pour amener Michel au mariage. Si ce n'est pas le cas, elle abandonnera. Le travail est ce qui compte le plus pour Michel. Léa séduit en montrant qu’elle a de la valeur, et qu’une femme peut égaler, sinon dépasser intellectuellement un homme. Il n’est pas question pour elle de se proposer un premier, le demandeur étant en infériorité. Elle a déjà obtenu d'être associée. Elle attendra que Michel se déclare.

 Michel a l’habitude que les filles le réclament. Longtemps, il observe Léa qui sent qu’il mord à l’hameçon. Il est manifestement excité par cette Léa, douée pour l’aider, et si souvent avec lui. Il a fini par découvrir que sous des vêtements neutres, Léa a sans doute ce qu'il faut pour plaire. Par comparaison avec ses amies, il se l'imagine à peu près comme elle est : très convenable. Il n'en est plus à rechercher la beauté qu'il côtoie tous les jours, et les fanfreluches le laissent froid. Une fille doit être saine, sans histoire, et c'est le cas de Léa. Elle est physiquement de la même catégorie que les autres, même si certaines ont, chacune, une petite particularité attractive. La particularité de Léa est la compétence en affaires, une rareté.

*

— Avez-vous eu des relations avec des garçons, demande Michel à Léa ?

— Oui, dit Léa, qui attendait depuis longtemps ce genre d’entrée en matière.

— Actuellement aussi ?

 

Léa ne veut rien révéler de trop précis sur sa sexualité. Elle élude la question. Michel n’a pas besoin de savoir qu’elle est avec Paul, et de temps en temps avec Roger, ses amants cachés. Elle les protège.

 

— Je suis avec vous, dit Léa, à travailler du matin au soir, même le samedi et le dimanche. Je n’ai pas beaucoup de temps pour en avoir, car je suis éreintée en fin de journée et j’ai besoin de sommeil. Je dors comme une souche.

— Est-ce que ça vous plairait avec moi ?

— Voulez-vous dire : coucher avec vous ? Oui ? Il faudrait que ce soit sérieux. Vous n’avez pas besoin de moi. Vous allez avec plusieurs filles, je crois. Elles doivent vous satisfaire. Vous ne manquez pas d'amour.

— Me le reprochez-vous ?

— Elles sont bien, ces filles que vous recevez chez vous. Elles me semblent sérieuses. Vous êtes libre de faire ce que vous voulez. Si ces filles sont consentantes, ce qui a l’air d’être le cas puisqu’elles reviennent, il n’y a rien à vous reprocher. Je n’ai pas à critiquer votre façon de vivre. Je suis pour la liberté en amour. Il est normal que vous aimiez. Il faut seulement éviter les jalousies entre celles que vous fréquentez, ce qui pourrait être dangereux.

— Vous avez raison. Je suis discret sur mes amours pour éviter le danger, et je vous remercie de ne pas ébruiter ce que vous constatez.

— Moi aussi, je suis discrète. Je ne peux donc pas vous parler de mes amours, ce qui romprait la discrétion, et je ne vous questionne pas sur les vôtres. À vous de les gérer au mieux. Je gère les miens.

— Mais êtes-vous jalouse ?

— Non. Je n’ai jamais empêché les garçons que j’ai fréquentés d’aller avec d’autres filles. S’ils les aiment, il est normal qu’ils aillent avec elles. Je suis simplement prudente. Je ne suis pas jalouse, mais je refuse les jaloux, et j’exige des garanties pour ne pas me retrouver en danger par des pratiques douteuses chez mes partenaires. J’exige le préservatif et je leur demande de ne garder que les filles qui sont sérieuses.

 

 Michel aussi exige le préservatif, et ses copines le savent, car il ne s'engage pas sans ça. Il les teste, depuis qu'il a remarqué que l'une d'elles n'a pas hésité à l'accepter sans préservatif, un jour où, par inadvertance, il s'était laissé emporter. Elle ne l'a pas arrêté. Il a tout de suite compris son erreur, et a réussi à se retirer, difficilement, car la fille voulait le garder, et s'accrochait désespérément à lui. Bien sûr, elle l'aimait, mais il l'a testée de nouveau, plus à froid. Elle était dangereuse. Il s'est séparé d'elle. Depuis, il les teste toutes, et souvent, il constate qu'elles accepteraient. Il ne voit pas comment arrêter cette épidémie. Il ne se sépare pas de toutes ses copines. Si Léa exige le préservatif : c'est très bien, un bon point pour elle. Il n'a pas envie d'être piégé par un enfant qu'il devrait reconnaître. S'il se marie un jour, il veut rester libre de choisir.

 

— Je suis comme vous, dit Michel. Je ne cherche pas l’exclusivité en amour. Je préfère la souplesse d’une fille qui comprend qu’on puisse être disposé envers plusieurs partenaires suivant les moments et les circonstances. Quand on est loin d’un partenaire, un autre peut être intéressant. Nous sommes faits pour aimer, et être fidèle en toutes circonstances est contre nature. Se masturber est imbécile quand on a un partenaire non dangereux à sa disposition.

— Oui, dit Léa. Le préservatif permet l'amour sans grand danger. Je vous approuve de laisser leur liberté aux femmes. Les femmes ne sont pas au service des garçons. Elles mènent leur vie à leur façon.

— Je suis à côté de vous. Que ressentez-vous ?

— Voulez-vous dire, sexuellement ?

— Oui.

— Vous êtes souvent avec moi sans que ce soit indispensable. C’est un indice d’attrait. J’ai ainsi la nette impression que je vous excite, ce qui ne me laisse pas indifférente. Quand un homme et une femme sont souvent à proximité l’un de l’autre, cela arrive fréquemment. Il n’y a pas à s’en étonner. Nous sommes faits pour aimer. Vous avez probablement des érections.

— C’est vrai, dit Michel. J’ai envie de vous. Vous aussi ?

— Je suis une femme comme les autres, dit Léa. Je suis disponible. Je me laisse faire si vous le souhaitez. Nous sommes généralement seuls. Personne d’autre ne sera gêné. Je peux vous accepter. C’est ça la liberté de la femme.

— M’aimez-vous ?

— Je commence à vous connaître. Je ne fais l’amour qu’avec des hommes que je peux aimer. C’est votre cas. Qu’aimez-vous en moi ?

— Votre compétence en affaires.

— Les autres filles que vous fréquentez, ne l’ont-elles pas ?

— Elles ont d’autres atouts, mais pas celui-là. Pourquoi ne pas m’avoir sollicité ? Je vous aime. Vous avez dû vous en rendre compte depuis longtemps.

— Je n’en étais pas certaine, et je respecte votre liberté sexuelle. Si je ne la respectais pas, vous pourriez ne pas respecter la mienne. Si vous me la refusez, je ne vais pas avec vous. Ce serait pour moi une preuve de jalousie. Sachez que je ne suis pas fidèle, mais je n’abandonnerai jamais sans raison un homme que j’aime. Êtes-vous jaloux ?

— Non, dit Michel. Venez avec moi.

— Pas si vite, dit Léa. Il me faut des garanties. Les filles que vous fréquentez sont-elles toutes sérieuses ? Ont-elles des maladies ? Moi, je peux vous fournir mes tests médicaux, vous assurer que les partenaires que j’ai eus, ne sont pas des têtes en l’air, que j’ai vu les résultats de leurs tests, et qu’ils avaient tous mis le préservatif. Êtes-vous sérieux comme eux ?

— N’ayez pas peur, dit Michel. Je suis aussi exigeant et méfiant que vous. Je vous fournirai toutes les garanties que vous souhaitez, et vous me fournirez les vôtres.

— Bien, dit Léa. Quand nous aurons examiné toutes ces garanties, nous serons libres de passer aux actes, mais ne me reprochez pas d’avoir d’autres amants. Je ne les abandonne pas pour vous. Ils sont discrets. Soyez-le aussi. Je tiens à ma réputation, même auprès des personnes qui réprouvent l'amour libre.

 

Michel n'envisageait pas que Léa ait des amants en dehors de lui. Il voit toujours ses copines toutes à lui. Quand il en réclame une, elle vient. Leurs autres amants ne sont pas gênants. Il met Léa dans le même sac. De toute façon, Léa est comme lui en amour, avec des principes qui sont les siens. Il l'approuve.

*

— Paul, dit Léa. J’ai établi une liaison avec Michel qui passe désormais en premier. Je suis désolé pour vous, mais mes nuits seront pour lui, toutes les fois qu'il me demandera.

— Je savais que ça arriverait un jour, dit Paul. Je ne vous en veux pas.

— Qu’allez-vous faire ? Avez-vous de quoi me remplacer ?

— Non, mais je cherche.

— Je vous fais signe si je trouve de mon côté.

— Merci.

— Je vous garde dans le studio pour vous rencontrer encore de temps en temps, ainsi que Roger.

— Merci encore, dit Paul. Michel sera l’homme de votre vie. Ne le négligez pas pour moi.

— C’est moi qui vous suis redevable, dit Léa. Comptez sur moi pour ne pas vous oublier. Je vous aime toujours.

*

Léa loge maintenant au-dessus des bureaux de Michel, dans une chambre indépendante, à proximité du travail, ce qui est pratique. Sa liaison avec Michel, qui loge sur le même palier, est secrète. Les premiers jours, Léa couche la nuit avec Michel. Elle est séparée de Paul, mais ils restent amis, sans drame. Elle est, en principe, à la disposition de Paul s’il la réclame, mais Paul se modère, car avec son travail et les nuits avec Michel, Léa n’est pas très disponible.

Michel a encore ses copines. Au bout de quelques jours, il ne va plus aussi souvent avec Léa, qui croyait être devenue l'amante principale, mais qui ne l'est pas en réalité. Il reprend ses habitudes avec ses copines. Paul et Roger bénéficient de la disponibilité de Léa, qui se rend compte que de s'être donnée à Roger ne l'a pas beaucoup rapprochée du mariage. Elle a perdu du temps en voulant que Michel se déclare le premier. Elle n'est qu'une amante cachée parmi les autres, sans autre privilège que d'habiter à côté de chez Michel. Que Michel l'ait sollicitée ne lui donne pas d'avantage réel.

Michel est heureux, avec ses copines et Léa parmi elles.

*

— Je suis avec vous quand vous voulez, dit Léa à Michel. Tout se passe bien.

— Oui, dit Michel. Nous sommes bien ensemble.

— Je voudrais des enfants. Cela vous gêne-t-il ?

Certaines copines de Michel ont des enfants. Ce n'est pas une gêne.

— Vous pouvez avoir des enfants. Envisagez-vous de ne plus travailler ?

— Non. Je me ferai aider.

— Dans ces conditions, les enfants ne gênent pas.

— Il me faut un mari.

— Voulez-vous ne plus coucher avec moi ? Vous avez votre liberté. J'aime être avec vous, mais vous n'êtes pas irremplaçable. Vous pouvez vous marier.

— Je réclame ma liberté, dit Léa. Même dans le mariage, je couche avec qui je veux.

— Donc, vous pouvez encore coucher avec moi. Suivez mon avis. Il est inutile de vous marier. Vous serez plus libre, et moi aussi.

— Ce n’est pas mon avis. Actuellement, personne ne sait que je suis avec vous, et personne ne connaît mes autres amours. Je souhaite montrer que je suis avec vous, donc, officialiser, par exemple par le mariage.

— Pourquoi vous marier avec moi ? C’est inutile. Je suis un amant parmi les autres. Vous faites vos enfants comme vous voulez. Les femmes peuvent avoir des enfants sans se marier. Elles sont nombreuses et ne sont plus rejetées. Tout est bien comme ça.

— Je ne souhaite pas d’enfant sans père.

— Je peux tenir ce rôle. Je peux même reconnaître vos enfants, qui auront ainsi un père officiel.

— C’est pour moi le minimum, mais le mariage est plus satisfaisant.

— Croyez-vous ?

— Je ne me vois pas avec des amants comme actuellement, et en plus des enfants. Je peux cacher mes amants. Je ne peux pas cacher mes enfants, et ils ont besoin d’un père et d’une mère, donc d’une famille, pour êtres heureux dans la société où nous vivons. Les enfants doivent trouver leur père à la maison. Marions-nous, et soyez ce père. La tradition du mariage n’est pas mauvaise quand on est certain que le ménage ne cassera pas.

— Pourquoi moi avec vous ? Je refuse le mariage.

Léa n'arrive pas à convaincre Michel. Elle change d'argument.

— Si vous ne vous mariez pas avec moi, je vous quitte pour chercher un autre mari.

— Vous êtes libre. C'est normal. Vous faites ce que vous voulez.

Il faut aller plus loin. Seules les affaires sont capables de faire virer Michel.

— Je quitte vos affaires, et je me mets à mon compte.

— Les affaires sont plus rentables à deux. Vous y perdez, et moi aussi.

— Vous me refusez mes enfants avec vous. Je vous refuse ma collaboration.

— Alors d’accord. Marions-nous.

Michel a cédé. Léa affirme encore son indépendance, et la façon de concevoir le mariage. Elle a des principes. Michel doit les accepter.

— Mais je garde mes amants cachés.

— Je garde mes maîtresses.

— Je garde ma liberté sexuelle complète, dit Léa.

— Comment l’interprétez-vous ?

— Je couche librement avec mes amants. Je découche librement. Comme je veux des enfants, il est possible que j’aie des enfants avec eux. Je ne me vois pas faire de distinction entre vous et eux pour en avoir. Ma liberté sexuelle consiste à tout me permettre avec les hommes que j’aime. Si je ne voulais pas d’enfant avec eux, je ne les aimerais pas.

— Donc, vous n’auriez pas d’enfant de moi ?

— Il est probable qu’ils seraient de vous, si votre sperme est actif, et si vous êtes là avec moi, mais je ne raterai pas la possibilité d’en avoir, à partir du moment où j’aurai la possibilité qu’un homme que j’aime m’en donne. Je ne refuse que d’un homme que je n’aime pas. Étant mariée, je peux avoir ouvertement des enfants. Ce sera le premier qui réussira qui me fera l’enfant. Je ne perdrai pas de temps pour en avoir. Si vous partez de mon lit, je me donnerai ailleurs, et je réserve de me donner à tous ceux que j’aime.

— Il suffit que je sois avec vous au bon moment.

— C’est ça, dit Léa. De toute façon, quelle que soit la manière de féconder, vous seriez officiellement le père, et vous élèveriez les enfants avec moi, car la loi donne la paternité des enfants de la mariée au mari. Nous n’irions pas chercher des amants qui restent cachés pour être officiellement parents. Si vous refusez mes enfants, je ne marie pas avec vous, et nous nous séparons.

— Vous prévoyez tout, dit Michel.

— On n’est jamais assez prévoyant. Je vous dis comment je conçois mon mariage. Vos maîtresses ne doivent pas non plus se manifester. Si vous leur faites un enfant, il est pour elles, et vous n’avez pas à en revendiquer la paternité. Si elles sont mariées, le mari est le père, et non vous. Si elles sont célibataires, l’enfant n’a pas de père, sauf si un père volontaire le reconnaît.

 

Michel ne souhaite pas que Léa le quitte. Il accepte ce mariage qui ne lui fait pas perdre sa liberté. Il garde ses copines, Léa, et ses affaires avec Léa. Il ne perd pas beaucoup en se mariant.

— Bon, dit Michel. Je préviendrai mes copines que je ne reconnaîtrais pas leur enfant, mais je mets un préservatif.

— Le préservatif n’est pas toujours efficace, et dans l’action, il y a des moments ou une fille désire follement être fécondée. Elle peut tout faire pour l’être.

Michel a effectivement constaté la fragilité de la détermination des femmes à se servir du préservatif avec lui.

— Est-ce votre cas ?

— Cela m’arrive, dit Léa, mais ce n’est pas gênant puisque je n’accepte que les hommes que j’aime. Nous marions-nous ?

— Oui, dit Michel.

*

 

Michel et Léa se marient et travaillent toujours ensemble. Leurs affaires se développent et prospèrent. Ils peuvent acheter leurs bureaux à crédit, et les appartements qui les surmontent.

De son côté, Paul ne trouve personne pour remplacer Léa. Il aime Léa et les autres filles ne lui plaisent pas. Il rencontre encore Léa, mais principalement quand Michel découche avec une copine. Comme c'est assez fréquent, Léa est plus souvent avec lui qu'avec Michel. Roger s’occupe beaucoup de la gestion de son immeuble, et il en profite toujours pour voir Léa.

 

Michel continue avec ses copines. Il est effectivement libre de les rencontrer. Léa ne le surveille pas. Tout est comme avant. En ce qui concerne la sécurité, ils se font confiance mutuellement. Ils ne se mettent pas en danger.

Le mariage change cependant la donne progressivement. Plusieurs copines font faux bond : marié, Michel n'est plus aussi attractif. Il ne reste que le plaisir, et le plaisir peut se trouver ailleurs. Ses copines se marient facilement, et l'abandonnent. Léa est là, pour compenser. De nouvelles copines sont devenues difficiles à trouver, bien que Michel tolère les fumeuses et les buveuses. Il faudrait que Michel les recherche, et leur offre une raison de liaison. Il ne s'y astreint pas. Il ne sollicite pas. Les femmes doivent venir à lui. Elles ne viennent plus.

Michel a encore quelques liaisons, mais ses copines deviennent rares, et il se contente de plus en plus de Léa. Ils ne s'ennuient pas ensemble, car les affaires les réunissent. Ils en discutent pendant des heures. Léa est maintenant enceinte. Elle aura ses enfants comme elle le souhaite. Michel est heureux avec Léa, et Léa est parvenue à avoir la vie de famille qu'elle a souhaitée. Son amour s'approfondit avec Michel, car Michel est gentil. L'abandon progressif de ses copines ne le traumatise pas. Elles sont libres de se passer de lui. Il n'en veut pas à Léa de lui avoir imposé le mariage. La vie avec elle est agréable. De même, pour Léa, ce n'est plus l'amour de raison. Léa l'aime maintenant à l'égal de Paul et Roger. Quand Léa découche, pour rencontrer Paul ou Roger, Michel n'a pas toujours une copine pour remplacer. Il est d'autant plus heureux quand Léa lui revient. Par principe, Léa se refuse aussi de temps en temps. Elle garde intacte son indépendance. Michel ne la critique pas. Il admire cette femme si différente des autres. Le mariage est solide.

*

 

 Odile

 

— Vous n’avez pas encore travaillé, dit Léa à Odile, mais votre curriculum vitæ est voisin de celui que nous cherchons. Vous avez tous les diplômes nécessaires à ce que nous faisons ici. Qu’en penses-tu Michel ?

— Il y a même surabondance de diplômes, mais encore faudrait-il que ce que nous proposons vous convienne.

— J’aimerais obtenir ce poste, dit Odile. J’ai d’autres propositions, pécuniairement plus intéressantes, mais ce travail-ci me semble plus formateur et avec des initiatives à prendre.

— Si vous nous convenez, vous serez augmentée, dit Michel, à moins que vous ne préfériez une participation fondée sur vos résultats. Vous auriez à remplacer Léa dans six mois, quand elle accouchera.

— J’espère vous donner satisfaction, dit Odile. Je préfère la participation.

— Nous vous prenons à l’essai, dit Léa. Vous n’êtes pas d’ici. Avez-vous de quoi vous loger ?

— J’ai une amie qui m’héberge provisoirement à 15 minutes à pied. Je chercherai une chambre plus proche si vous me prenez.

— Il y a un appartement que nous louons en haut, à côté du nôtre. Il va être disponible d’ici peu. Si vous le désirez, nous pouvons vous le réserver. Il est très bien.

— Ce serait l’idéal s’il n’est pas trop cher.

— Nous en reparlerons le moment venu, dit Léa.

*

Odile s’installe. Le travail lui plaît. En quelques jours, elle a fait le tour du principal. Léa et Michel lui expliquent plus en détail ce qu’ils désirent d’elle. Il y a de nombreux dossiers qu’ils n’ont pas eu le temps de bien examiner. Il faudrait qu’elle les étudie. Elle en tire les conséquences et montre rapidement son efficacité. Léa et Michel ne peuvent que se louer de l’avoir recrutée. Le retard accumulé va pouvoir être rattrapé, et les affaires tourner plus rond.

*

— Je ne pensais pas que vous parviendriez aussi vite à vous mettre au courant, dit Léa. Vous savez vous organiser, et vous ne rechignez pas au travail. Michel est admiratif. Il ne dénigre plus les femmes. Prenez-vous l’appartement ? Le prix vous convient-il ?

— C’est un prix d’ami, dit Odile. Il est difficile d’avoir mieux.

— Vous pouvez y vivre avec votre ami si vous en avez un.

— Je n’en ai pas, dit Odile.

— Pourquoi ?

— Je ne connais pas grand monde, ici.

— Et d’où vous venez ?

— J’avais des amies, mais pas d’amoureux.

— Une belle fille comme vous peut facilement en trouver un, dit Léa.

— Les garçons veulent de moi, mais je suis assez difficile, dit Odile. Avant de poser ma candidature ici, j'ai voulu savoir s'il y avait des fumeurs.

— Peut-être aussi des buveurs ?

— Je l'avoue. Je me sens plus libre avec des gens qui comprennent ma façon de vivre.

*

Avec Léa et Michel, Odile travaille. Léa met au monde un fils. Odile les aide en tout. Elle est presque une seconde mère pour le bébé qu’elle surveille quand Léa est occupée. Elle est devenue l’amie du couple, celle dont on ne se passe plus, pratiquement une associée, même dans les affaires dont on lui a offert une substantielle participation, récompense méritée de son travail.

*

Léa invite régulièrement Paul chez elle. Il y rencontre Odile.

 

— Pouvez-vous me renseigner sur Odile, dit Paul à Léa ?

— Que voulez-vous savoir ?

— Est-ce une femme pour moi ? Je m'en remets à votre jugement.

— Oui, si elle arrive à sortir de son isolement sexuel. Elle est celle que je vous souhaite.

— Vous avez donc le même avis que moi ?

— Oui.

— Je vais donc l’aborder comme j’ai fait avec vous.

— Laissez-moi servir d’entremetteuse, dit Léa.

*

 

— Odile est toujours célibataire, dit Léa à Michel. Qu’en penses-tu ?

— Elle fait ce qu’elle veut. C’est son affaire. Je n’interviens pas. Ce serait aller contre la liberté sexuelle des femmes qui t’est si chère.

— Elle va s’encroûter, dit Léa. Nous pouvons la conseiller sans contrarier sa liberté.

— Odile ne s’encroûte pas, dit Michel. Elle travaille énormément et s’occupe de tout. Je pourrais me tourner les pouces et vous laisser toutes les deux me nourrir.

— Odile tourne à la vieille fille. Il faut la sortir de là.

— Comment ?

— Paul est très impressionné par Odile quand il vient chez nous, dit Léa. Il est seul et a besoin d’une compagne. Je l’approuve de s’intéresser à Odile. Je lui ai proposé d’intercéder auprès d’elle. Paul est bien. Je ne le voyais pas tomber amoureux d’une fille.

— Il est amoureux de toi, dit Michel.

— Mais aussi d’Odile. Je ne suis pas une compagne suffisante à Paul. Odile est plus disponible que moi. Les réunir serait une bonne action.

— Oui, dit Michel. Odile mérite un bon mari.

— Et Paul une bonne épouse.

*

— Ma chère Odile, dit Léa. Pensez-vous à vous marier un jour ?

— Oui, dit Odile. Je voudrais pouvoir aimer.

— Ne pouvez-vous pas ?

— Il faut avoir un homme à sa disposition.

— Ce ne sont pas les hommes qui manquent.

— Il n’y en a pas beaucoup qui m’intéressent.

— Vous êtes-vous déjà lancée avec un garçon ? Êtes-vous vierge ?

— Oui. Est-ce un défaut ?

— Non, mais sans expérimentation, vous êtes mal informée sur les hommes. J’ai été comme vous. Je n’allais pas vers les hommes. Il faut les fréquenter, savoir regarder et se fixer avec un bon. À partir du moment où on commence avec eux, on a envie de continuer, mais il faut commencer, pour activer le désir sexuel.

— Vous avez raison. J’ai appris cela à l’éducation sexuelle.

— Paul voudrait se marier avec vous. Paul est un bon garçon qui a toute mon affection. Il a raison de vous aimer.

— Je ne le connais qu’à peine. Je ne l’ai vu qu’avec vous.

— Paul vous connaît assez pour vouloir se mettre avec vous. Je lui ai beaucoup parlé de vous et il m’a beaucoup questionnée. Il ne vous a pas choisie à la légère et il n’a pas tort. Il vous place à votre juste valeur. Le repoussez-vous ? Je vous transmets seulement son désir.

— Voudriez-vous que je fasse un effort pour lui ?

— C’est à vous de savoir, dit Léa, mais si vous repoussez un garçon comme Paul, il est probable que vous ne vous marierez jamais. Vous n’êtes pas obligée d’accepter tout de suite le mariage, mais, à votre place, je le fréquenterais un peu, même si ça n’aboutit pas. Avant Michel, j’ai fréquenté des garçons, et j’en ai tiré profit, même si tout n’a pas bien marché. Quand Michel s’est présenté, j’ai reconnu immédiatement qu’il était fait pour moi. Un petit coup de foudre. Je pouvais coucher avec lui. J'en étais sûre. Cela m'a perturbé. Je découvrais l'amour des romans, cet amour instinctif qui vous pousse vers un homme. L'amour est curieux. J'ai aussi des fantasmes qui me portent vers Antoine, le fils de mon oncle Victor. En y réfléchissant, je pense aimer plus Paul que Michel, malgré l'absence de coup de foudre. Paul est peut-être celui qu’il vous faut.

— Et s’il ne l’est pas ?

— Vous aurez progressé en amour. Vous n’allez pas rester éternellement vierge. Votre sexe doit fonctionner. Je vous recommande Paul chaleureusement. Pour moi, il est parfait. J’aurais pu me marier avec lui si les circonstances lui avaient été plus favorables. Il m’arrive de faire encore l’amour avec lui. Je vous garantis qu’il est sain. Il ne vous traumatisera pas. Faites-lui confiance. Si ça ne marche pas, il ne vous en voudra pas plus qu’à moi. Vous resterez libre avec lui. Il ne s’accrochera pas à vous, même s’il vous aime. Actuellement, il m’aime plus que vous, parce qu’il me connaît mieux, mais je suis avec Michel. Paul passe après Michel, même si j’aime beaucoup Paul. Je ne peux pas aller avec les deux en même temps. Paul serait heureux d’être avec vous.

— Faites venir Paul, dit Odile. Je le recevrai chez moi.

*

 

— Bonjour, Paul, dit Odile.

— Vous m’avez convoqué, dit Paul. Je suis venu.

— Merci, dit Odile. Savez-vous pourquoi ?

— Léa m’a affirmé que je pouvais me présenter à vous.

— C’est exact. Léa m’a dit que vous m’aimez.

— Oui. Vous êtes une fille que j’admire beaucoup, et je crois que vous êtes sérieuse. Les filles qui ne sont pas sérieuses ne sont pas pour moi. Une fille comme vous est rare.

— Que voulez-vous faire de sérieux avec moi ?

— Ce que vous voulez. Je suis certain que ce sera intéressant.

— C’est gentil de vous mettre à mon service. Que pensez-vous que je vais vous proposer ?

— De faire l’amour avec moi par exemple.

— C’est ce qu’il serait logique de faire si nous suivons Léa. Je n’ai pas l’habitude d’aimer. Et vous ?

— Léa, une fille que j’aime, a bien voulu de moi. Cela n’a malheureusement pas assez duré. Elle est partie avec Michel. Elle ne m’a pas abandonnée, mais je ne la vois plus beaucoup. Permettez-moi de vous aimer au moins comme elle.

— Je vous réclame le sérieux du préservatif et de la douceur qui sied à mon caractère. Il est possible que vous rencontriez une résistance, mais je ne vous empêcherai pas de la surmonter. Je vais dans l'inconnu. Comme je ne me masturbe pas, j'ignore tout de mes réactions. Ce sera une expérience intéressante.

*

 

— Paul est avec vous, dit Léa à Odile. Est-il comme vous voulez ?

— Il y a du bon chez Paul.

— Et, donc, du mauvais ?

— Le bon est qu’il m’aime, qu’il est aux petits soins avec moi, qu’il est gentil et fait tout ce qu’il peut pour que je l’aime, mais je ne l’aime pas comme je pourrais aimer.

— Ne couchez-vous pas avec lui ?

— Si, et je réagis bien. La première fois n'a pas été merveilleuse, mais là n’est pas le problème. Je m'y attendais. J’ai du plaisir à faire l’amour, mais je ne l’aime pas assez. Comprenez-vous ? Il est comme un étranger. Je ne fixe pas mon attention sur lui. C’est comme si j’étais avec une mécanique bien huilée qui procure du plaisir.

— Je comprends. Ce n’est pas la peine d’insister. Je vais lui dire de ne plus vous importuner.

— Merci, dit Odile, mais je peux encore l’accepter de temps en temps. Ce n’est pas une corvée, mais j’espérais plus.

— En plaisir ?

— Non. Le plaisir est là. Il s’est installé, mais je me l'attribue. Je n’ai pas d’attachement particulier à Paul. Je ne le recherche pas. Il manque les relations humaines.

— Vous êtes trop bonne, dit Léa. Paul a à trouver une autre fille et ne doit pas perdre son temps avec vous.

*

— Odile est toujours la même, dit Léa à Michel. Paul a été incapable de la changer. J’aurais sans doute mieux fait de ne pas lui envoyer Paul. Il est transparent pour elle, sans consistance. Il n’est que celui que je lui ai recommandé, qu’elle accepte pour me faire plaisir.

— Odile n’a pas l’air de réclamer l’amour, dit Michel.

— Mon cher, tu n’es pas une femme. Comme Odile a eu du plaisir avec Paul, Même s'il est faible, elle est certainement en manque en s’arrêtant. Les hormones doivent la travailler maintenant qu’elle s’est mise à l’amour, et pour l’avoir expérimenté, je t’assure qu’elles ne te lâchent pas facilement.

— Paul la calme.

— Oui, mais elle ne l’aime pas assez.

— La femme est compliquée, dit Michel. Moi, j’ai du plaisir avec toi et je t’aime. N’est-ce pas pareil pour toi ?

— Si, mais le plaisir ne suffit pas pour aimer. Odile en est la démonstration. Elle le supporte, mais il faut lui trouver l’homme qu’elle aime.

— Cherche. Il n’y a personne. Odile est trop difficile.

*

 

— Ma chère Odile, dit Léa. Êtes-vous bien avec nous ?

— Je serai ingrate en ne l’étant pas. Vous m’avez fait un pont d’or. Je vous dois tout.

— Vous avez l’argent, mais pas l’amour.

— Je vous aime bien, vous, Michel et les enfants.

— L’amour sans le sexe.

— Paul est bien, mais je ne l’aime pas suffisamment. Je ne le critique pas. C’est moi la responsable. Objectivement, tout devrait bien aller avec lui. Il fait partie des hommes parfaits, tels que je les ai toujours rêvés, mais il y a une barrière que je n'arrive pas à lever.

— Vous avez la même opinion que moi. Vous ne l’aimez pas parce que vous en aimez un autre, et que vous rêvez de cet autre.

— Qui donc ?

— Moi, je fantasme sur Antoine. Je fais l'amour avec lui sans avoir jamais couché avec lui. Vous, c'est sur Michel. Évidemment. Cela crève les yeux. Vous avez les mêmes goûts que moi. Michel est celui que vous avez aimé en premier. Toutes les femmes aiment Michel, moi comprise. Il vous a marquée. N'avez-vous pas pris votre travail ici pour être avec lui ? N'avez-vous pas eu le même coup de foudre que moi. Il a cueilli toutes ses copines de cette façon.

— Si.

— Michel occulte Paul. Est-ce que je me trompe ?

— Non, dit Odile, mais je respecte votre mari.

— Oui, dit Léa, et Michel nous respecte. Il ne vous cherche pas.

— C’est normal.

— Non. Je ne trouve pas cela normal du tout, et pas moral non plus. J’ai Michel uniquement parce que je suis arrivée avant vous. Vous avez au moins autant de valeur que moi. Vous souffrez de la situation. Michel peut vous aimer comme moi. Nous bénéficions de vous sans contrepartie. Il vous faut logiquement Michel. Vous avez le droit d’aimer Michel.

— Je peux m’éloigner. Je trouverai du travail ailleurs. Loin de Michel, je l’oublierai.

— Croyez-vous ?

— Je devrais m’apaiser.

— Que préférez-vous ? Rester ou partir ?

— Et vous ?

— Nous préférons que vous restiez. Nous vous aimons. Vous perdre serait un déchirement pour nous. Mon fils vous aime. Les affaires ont besoin de vous. Ne nous quittez pas.

— Je reste, sans gêner Michel, sans rien changer.

— Comme je n’envisage pas de vous céder la place, vous devez compter avec moi. Je reste avec Michel.

— Naturellement, dit Odile. Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles. Je n’irai pas chercher Michel.

— Je vous remercie, mais je vous aime, ce qui va m’obliger à tenir compte de votre situation. Je ne peux pas vous laisser dans votre état sans agir. Dans ma morale, on aide son prochain quand on en a la possibilité. On ne reste pas égoïstement à profiter de tout au détriment des autres.

— Qu’allez-vous faire ?

— Je vais demander à Michel de vous aimer.

— C’est vous qu’il aime.

— Il peut continuer à m’aimer et vous aimer aussi.

— En êtes-vous sûre ?

— Michel en est capable. Il vous a toujours trouvée très bien. Michel a aimé plusieurs filles en même temps, et il y prenait du plaisir. Il allait de l’une à l’autre sans difficulté. Il n’est pas obsédé par la fidélité. Je ne vois pas ce qui l’empêcherait de vous aimer s’il sait que vous l’aimez.

— Il ne l’a plus fait en étant avec vous, dit Odile. Il me semble très fidèle.

— D’après lui, dit Léa, pas complètement fidèle. Il a encore des copines, mais je ne m’en préoccupe pas et c’est aussi mon cas. Il est discret, et s’il m’aime, il ira aussi avec vous.

— M’aimez-vous à ce point, pour vous sacrifier ?

— Ce n’est pas un sacrifice si Michel reste avec moi. Il est capable de nous servir toutes deux. Michel est un ingrat s’il ne vous aime pas. Nos affaires vous doivent beaucoup. Michel s’est marié avec moi parce que je suis bonne en affaires. Vous êtes meilleure que moi. Il peut le faire pour vous garder.

— Je n’ai pas l’intention de forcer Michel. Il doit venir de lui-même. Je ne le solliciterai pas.

— Michel n'est pas du genre à faire le premier pas, mais si vous allez à lui, il peut vous accepter.

— Je n'irai pas à lui.

— S’il va à vous, le prenez-vous ?

— Oui.

*

 

— Michel, dit Léa. J’ai parlé à Odile. Ce que je soupçonnais est réel. Odile t’aime. Elle n’en a jamais rien dit, mais elle en souffre.

— Je ne m’en suis jamais rendu compte, dit Michel. Elle l’a bien caché.

— Tu attends toujours que les femmes te sollicitent. L’aimes-tu ?

— Oui, dit Michel, comme toi tu l’aimes. Odile est tout pour nous. Elle fait partie de la famille.

— Odile t’aime sexuellement. L’aimes-tu sexuellement ?

— Je n’ai jamais envisagé cette possibilité puisqu’elle ne s’est jamais manifestée. Je suis très bien avec toi et les copines qui me restent.

— Je suis avec toi aussi, et j’y reste, mais peux-tu satisfaire l’amour d’Odile ? Tu partagerais.

— Veux-tu dire que je coucherais toujours avec toi, mais aussi avec Odile, et que tu serais d’accord ?

— Oui. Je le préconise même.

— Cela demande réflexion. Tu me demandes de te tromper, et pas seulement un petit peu si je t’ai bien comprise.

— Oui. C’est pour le bien d’Odile, et pour qu’elle reste avec nous. Odile t’aime. Puisque je ne suis pas un obstacle, il faudrait seulement qu’elle te plaise. Je ne te force pas. Si elle ne te plaît pas, il suffit de le dire. Elle est à notre porte, disponible.

— Est-elle normale ? Vu son âge, elle est restée très longtemps vierge. Si elle n’aime pas faire l’amour avec Paul, elle doit être frigide. Je la traumatiserais comme lui.

— Non. Tu fais fausse route. Paul ne la traumatise pas du tout : elle est normale. Il continuerait volontiers avec elle, et Odile ne le repousse pas vraiment. Si Paul la veut, il l’a, mais il te laisse la place si Odile te préfère, et c’est le cas. Fais plaisir à Odile. Tu me ferais plaisir en la satisfaisant.

— Pendant que je la satisferai, tu ne seras pas satisfaite.

— Je compenserai au besoin avec Paul ou un autre. C’est sans problème. Ma liberté sexuelle me permet de m’adapter, et Paul n’est pas contrariant. Je vais avec lui quand je veux.

— Comment cela se passerait-il entre toi et elle, pour la répartition ?

— Tu répondrais à nos désirs, comme tu fais actuellement avec moi.

— En cas de conflit, qui aurait priorité ?

— Moi : je suis ta femme. Je me charge des conflits. Je me débrouille avec Odile. Si elle devient impossible, tu ne vas plus avec elle, et je te reprends entièrement.

— Je me réserve de ne plus coucher avec elle si elle ne me plaît pas.

— Bien entendu. As-tu envie d’elle ?

— J’ai envie de toi, mais il m’arrive de penser à elle, comme à d’autres filles. J’en rêve, parce qu’elle est belle et toujours gentille avec moi, mais de là à me lancer avec une fille, il y a de la marge. Je suis bien avec toi. Je ne fréquente à peu près plus que toi parce que tu me suffis. Tu bouscules mes habitudes si je vais aussi avec Odile. Elle ne m’a jamais réclamé. Je travaille seulement avec elle.

— Routinier ! Pense à Odile. Elle a besoin de toi. Depuis qu’elle est ici, elle te désire. Elle me l’a dit. Quand j’étais avec toi, comme elle au début, j’étais toute la journée près de toi. Je t’assure que je te désirais, et ça me gênait pour bien travailler. Le soir, j’étais avec Paul, mais j’ai souvent pensé à toi en étant avec lui. J’aimais Paul, mais toi en même temps. Odile est comme moi. Tu étais à côté d’elle, et elle n’a pas fait un geste pour te solliciter. Odile est respectueuse. Honore-la de tes attentions. Fais avec elle comme avec moi.

— Elle ne dit pas qu’elle aime beaucoup Paul.

— Mais Paul est un inconnu pour elle ! J’ai mis plusieurs semaines avant d’aimer vraiment Paul. J’avais de bonnes réactions, comme Odile, mais j’avais des réticences. Mets-toi à sa place : elle était vierge. D’un seul coup, un homme arrive alors qu’elle en aime un autre. Paul l'a fait saigner abondamment. Ce n'était pas agréable. Paul a dû la soigner. Il m'en a parlé. Elle a été courageuse.

— C'est du passé. Avec le temps, elle s’habituera à Paul.

— Il vaut mieux qu’elle aille avec un homme qu’elle aime d’emblée. Odile est une vieille fille. Facilite-lui l’amour.

— Je vois que tu y tiens, mais ai-je le droit de faire ça ?

— Oui, si elle est d’accord. Les lois le permettent, et je les connais. L’amour est libre dans notre pays. Les deux intéressés peuvent librement s’aimer s’ils sont majeurs, même s’ils sont mariés. Il n’y a plus d’esclavage par le mariage et les lois. Cela a été fait pour libérer la femme, mais c’est aussi valable pour l’homme. Si tu as fait vœu de fidélité en te mariant avec moi, il n’a rien de légal, et je te délie d’une promesse qui relève d’une tradition dépassée. D’ailleurs, nous avons toujours admis que si nous ne nous aimions plus, il serait normal de nous séparer et de refaire notre vie à notre convenance. Odile t’accepte si tu vas au-devant d’elle. Fais-le pour moi.

— Oui, dit Michel.

— Merci, mon amour, dit Léa. Je t’aime énormément.

— Je préfère faire l’amour avec toi.

— Et moi avec mon mari, mais tu vas quand même avec Odile pour me faire plaisir.

*

— Comment est Odile, dit Léa ?

— J’avais quelques appréhensions, dit Michel, mais tout s’est bien passé. Paul l’a parfaitement formée.

— Donc, tu fais l’amour normalement avec elle.

— Oui, comme tu voulais.

— Ouf ! J’ai eu du mal à te convaincre, mais le résultat est là. Quelles sont tes sensations ?

— Voudrais-tu que je te dénigre, ou elle ? Je vous mets à égalité. Je me libère avec elle comme avec toi. Ça va tout seul. Pschitt ! J’en rêvais. Odile est très bien, très facile en amour, plus facile que toi, plus douce, plus belle. Par rapport à celles que je connais, je la place très haut.

— Es-tu heureux ?

— Oui, si tu l'es et elle aussi.

— Bien, dit Léa. Tu fais une bonne action.

*

— Je reçois Michel, dit Odile à Léa. Je m’arrête si vous ne voulez plus.

— Pour le moment, je veux bien, donc, nous avons à régler avec qui Michel va coucher.

— Il couche avec vous. Je me contenterai de vos absences.

— Tous les 36 du mois ? Il faut plus d’équité. Pour moi, c’est moitié-moitié.

— Mais vous êtes sa femme !

— Je ne considère pas que le mariage me donne des droits sexuels sur mon mari. La femme n’est libre que si elle dispose complètement de son sexe. Je ne suis pas l’esclave sexuel de Michel. Je peux me refuser, aller avec un autre, et il est d’accord. Michel n’est pas mon esclave sexuel non plus. Il va avec qui il veut, quand il veut. Je suis contente d’avoir sa préférence, mais il est libre. Je lui ai demandé d'aller avec vous, mais il le fait librement. Si l’une de nous deux ou les deux ne lui plaisent plus, il n’a plus à aller avec nous. Je le quitte ou vous le quittez s’il s’avère que nous n’en voulons plus. L’amour n’est pas un esclavage. Êtes-vous d’accord avec cette liberté mutuelle ?

— Elle m’est très favorable, dit Odile. Vous la revendiquez pour la circonstance. Nous suivons votre volonté, et vous êtes bonne pour moi.

— Être bon engendre du plaisir, dit Léa. Je suis heureuse si vous nagez dans le bonheur. Êtes-vous bien avec Michel ?

— Très bien, dit Odile. Je découvre l’amour avec un homme que j’aime sans réserve.

— Nous allons établir un calendrier. En gros, vous l’aurez la moitié du temps sauf s’il exprime un désir particulier. Est-ce que ça vous va ?

— Prenez-en plus.

— Non, dit Léa, et comme vous commencer à aimer, vous avez droit à plus.

— Paul est retourné chez lui, mais je peux le prendre, dit Odile.

— Paul a très bien compris que vous préférez Michel, dit Léa. Il ne viendra plus ici vous importuner.

*

— Comment es-tu avec Odile ?

— Es-tu curieuse de savoir, dit Michel ?

— Oui, dit Léa. Qui préfères-tu ?

— Quand je suis avec toi, c’est toi. Quand je suis avec Odile, c’est elle.

— Tu te défiles en disant ça. On a toujours une préférence.

— Pas du tout. C’est vrai. J'ai toujours réagi de cette façon en amour. Dans la réalité, vous êtes différentes. Je m’adapte et trouve du plaisir avec vous deux.

— Quelles sont les différences ?

— Prenons le physique. Vous n’êtes pas semblables. Une blonde et une brune. Elle est plus belle que toi. L'une est souple ; l'autre est plus athlétique. L'une a la peau claire, et l'autre foncée. Vous avez des poils sur les jambes et vous ne vous épilez pas comme les autres filles que je connais.

— Voudrais-tu que je m'épile ?

— Je préfère celles qui ne perdent pas leur temps à s’épiler ou à se regarder dans la glace.

— Tu es servi avec nous deux. Et pour l’amour ? Comment est-elle ?

— Elle est active. Elle en redemande. Apparemment, l’amour lui manquait. Elle se rattrape.

— Aimes-tu ça ?

— Oui, et elle n’est pas seule à en redemander, mais j’aime aussi ta façon de faire. J’ai plus l’habitude avec toi. Globalement, je vous renvoie dos à dos.

— Passer de l’une à l’autre te gêne-t-il ?

— Il y a des avantages et des inconvénients. Il faut se réadapter à chaque fois. Les bonnes méthodes pour l’une ne sont pas celles à utiliser avec l’autre. Vous ne me parlez pas des mêmes choses, et c’est utile.

— Utile en quoi ?

— Pour les affaires : vous ne les voyez pas de la même façon.

— Parlez-vous des affaires sur l’oreiller ?

— Oui, comme avec toi. Je vis un peu plus avec Odile. Est-ce bien ce que tu voulais ?

— Oui. Tu lui manquais. Elle est meilleure en affaires que moi.

— Je suis moins bon que toi. Je suis objectif. Mes femmes sont meilleures que moi.

— Tu regardes les résultats, mais tu oublies que tu te réserves les affaires les moins bonnes. Nous t’aimons bien.

— Si tu veux qu’on reprenne comme avant, tu n’as qu’à le dire. Je ne me force pas avec Odile, mais tu passes avant elle, car tu es ma femme. Je me cache avec Odile puisque personne ne doit savoir. Je préfère ne pas me cacher. Si tu me pousses vers Odile, je vais vers elle, mais je préfère être avec toi.

— Continuons comme ça. C’est mieux pour Odile. Si on ne cachait pas les amants, la vie serait plus facile. Ne lui dit surtout pas que tu n’aimes pas te cacher. Elle serait capable de ne plus vouloir continuer avec toi.

*

 

 Paul revient

 

— Nos affaires se développent, dit Léa à Michel. C’est trop pour nous trois. Odile se suffit plus. Il nous faut encore de l’aide.

— As-tu une personne à proposer ?

— Paul conviendrait, si toi ou Odile n’y voyez pas d’inconvénient. Il termine ses études.

— Je prends Paul, dit Michel, si tu le conseilles.

— Tu sais que j’ai été longtemps avec Paul, dit Léa. Il a toujours été correct avec toi et moi. En dehors de la période Odile, il est resté pratiquement sans amie autre que moi. Il est probable, qu’avec nous, il sera excité par ma présence et celle d’Odile, mais il saura se tenir. Il n’a pas fait d’esclandre quand je l’ai quitté et quand je lui ai dit qu’Odile ne l’aimait pas et qu’elle te préférait.

— L’aimes-tu encore ?

— Oui. Je vais toujours de temps en temps avec lui. Quand tu t’absentes, je m’offre à lui. J’aime beaucoup Paul.

— Quand je serai avec Odile, tu pourras t’amuser facilement avec lui.

— Si je le fais venir, ce n’est pas pour m’amuser. Il cherche un travail. Lui offres-tu ?

— D’accord, dit Michel. Ce serait pour travailler, mais à l’occasion, ta bonté pourrait lui accorder un petit défoulement.

— Bien sûr, mais seulement avec ton autorisation si tu es là.

— Tu l’as, ma chère.

— Tu es un amour, dit Léa. Tu passes avant lui. Il faut aussi que ça ne dérange pas Odile. Elle l’a plus ou moins congédié par mon intermédiaire. Si elle ne veut pas de Paul ici, on n’en parle plus.

*

— Odile, dit Léa. Nous voudrions avec Michel recruter une personne pour nous aider.

— C’est une bonne idée.

— Que pensez-vous de Paul ?

— Il est possible qu’il m’aime encore, dit Odile.

— Paul m’aime aussi, dit Léa. Ce sera difficile pour moi de ne pas aller avec lui s’il a des envies, et je sais quand il en a, à son attitude. J’ai demandé à Michel d’aller avec vous pour calmer les vôtres parce que ma morale m’y a poussé. Je me dois de faire comme lui avec Paul, car j’ai aimé Paul avant de prendre Michel, et je l’aime toujours. Michel m’y autorisera. En ce qui vous concerne, restez avec Michel. Je neutraliserai Paul.

— Vous sacrifiez-vous à Paul ?

— Cela n’a rien d’un sacrifice, dit Léa, puisque je l’aime. J’adore faire l’amour avec Paul. Nos affaires ont besoin de Paul, et ça me plaira de retrouver Paul plus souvent. Michel sera avec vous et moi. Il aura ainsi tout ce qu’il lui faut et moi aussi.

— Votre solution est compliquée.

— En voyez-vous une autre ?

— La mienne est simple, dit Odile. Je reprends Paul, et vous allez avec Michel.

— Vous reprenez Paul ? N’aimez-vous plus Michel ?

— Si, mais j’ai découvert avec Michel, que j’aime Paul. Je ne l’aimais pas beaucoup quand je l’ai quitté, mais maintenant, je l’aime au moins autant que Michel.

— Comment l’expliquez-vous ?

— À vrai dire, je ne sais pas pourquoi je repoussais Paul. Mais quand j’étais avec Paul, j’aimais Michel, et je ne voyais pas Paul. Je pensais trop à Michel. Maintenant, étant avec Michel, je suis plus objective avec Paul. C’est un garçon bien, que j’ai injustement rejeté. J’espère qu’il me pardonnera.

— Vous allez faire un heureux. Quittez-vous Michel ?

— Michel sera bien avec vous. Il n’a pas besoin de moi. Il vous préfère nettement. Il se force avec moi pour vous faire plaisir. Je vous le rends complètement si Paul me revient.

— Ne doutez pas qu’il revienne. Vous l’avez séduit. Michel m’a parlé de votre activité sexuelle et de votre relance. Mon défaut est que je ne le relance pas. Je m’endors jusqu’au lendemain.

— La relance est possible après une demi-heure ou une heure, aussi bien avec Paul qu’avec Michel, mais une troisième fois n’est pas garantie.

— Merci du renseignement. Un homme aime-t-il être relancé ? Je ne suis pas douée pour ça. Ils ne me réveillent pas. Si j’ai bien compris, nous repartons chacun avec notre homme.

— Je le préconise. Ne mélangeons pas tout. Un homme me suffit. Je libère Michel pour vous.

— Si Michel veut encore de vous, que faites-vous ?

— Je le satisfais, dit Odile, mais ponctuellement. Je doute qu’il me réclame si vous êtes là. Faites pareil avec Paul. Laissez-le-moi s’il ne vous demande pas.

— Oui, dit Léa. C’est assez sage. Nous leur laissons la liberté sexuelle de nous choisir.

— Je crois qu’ils nous l’offrent aussi, mais ne soyons pas échangistes. Il est illogique de changer quand c’est inutile.

— Oui, dit Léa. Il n’y a pas à échanger sans raison. La routine est préférable. Nous verrons s’ils sont aussi routiniers. Je demande à Paul de venir. Nous allons lui faire la surprise de le mettre avec vous dès ce soir.

*

Odile se marie avec Paul. Les ménages sont très liés, et il est rare qu’Odile aille avec Michel ou Léa avec Paul. Ce n’est jamais sans raison.

*

Paul et Odile veulent des enfants, mais ils tardent à venir. Paul et Odile se soumettent à des analyses. Odile est normale et il y a une déficience sévère de Paul, rendant pratiquement impossible la fécondation habituelle. Dans ces conditions, seule une fécondation in vitro est envisageable. Léa, informée, estime qu’il est bête de tarder en perdant les meilleures années pour faire des enfants. Les délais médicaux sont longs et les manipulations pénibles, alors que la fécondation naturelle par un bon donneur est facile. Elle suggère que Michel y remédie si Odile n’y voit pas d’inconvénient. Naturellement, la paternité reviendrait de droit au mari, donc à Paul, et Michel s’effacerait. Après réflexion, Paul et Odile acceptent puisque l’enfant arriverait plus vite et serait à eux. L’acceptation de Michel est partielle. Michel privilégie Léa, et ne va avec Odile que quand Léa n’est pas là. D’ailleurs, Odile, ne voulant pas abuser, refuse Michel quand Léa est là. Léa n’arrive pas à faire jouer l’égalité qu’elle préconise. Odile est intraitable. Elle soutient que Michel a le droit d’aimer sa femme en premier, et elle privilégie Paul. Tant pis si la fécondation n’a pas lieu.

*

 

 Les problèmes de Roger

 

La santé de Martine se dégrade progressivement. La place, qu’elle tenait auprès d’Alain dans les affaires, est prise petit à petit par Oriane qui est de plus en plus opérationnelle. Roger est aussi dans les affaires, mais étant moins efficace qu’Alain et Oriane dans l’étude des dossiers, on ne lui demande pas de prendre les décisions. Alain analyse les dossiers avec Oriane et ils décident ; Roger exécute ce qui lui est affecté. Chacun a son rôle et l’ensemble fonctionne bien. Roger aurait du mal à bien analyser et décider. De son côté, Oriane est handicapée dans les relations humaines : elle n’est pas capable d’exécuter facilement quand des personnes sont impliquées. Son impassibilité rend son contact humain déplorable. Heureusement, elle peut souvent utiliser l’ordinateur comme interlocuteur pour achever une affaire, mais ce n’est pas toujours le cas. Oriane a alors besoin de Roger ou d’Alain pour la terminer.

Oriane est consciente de son handicap, mais elle sait que son flegme est aussi sa force. Alain l’a choisie pour être mariée avec Roger à cause de son caractère particulier. La place qu’elle occupe vient de cette spécificité. Elle est infiniment reconnaissante à Alain de la comprendre et de lui permettre de montrer sa valeur dans un travail qui lui convient. Bien peu de gens en sont capables comme Alain, et elle est généralement rejetée et isolée. Elle s’épanouit intérieurement d’avoir des responsabilités.

Roger n’est pas aussi content du travail qu’on lui a assigné. Il ne dirige pas, ce qui est frustrant. Oriane a, certes, besoin de lui, mais il joue un rôle secondaire. Il regrette parfois Léa qu’il comprend mieux, malgré ses principes. Oriane ressemble trop à un robot sans âme, suivant sa froide logique programmée. Sans son père, Roger aurait peut-être choisi Léa.

Roger compare Oriane et Léa. Léa a du plaisir avec lui. Oriane a le plaisir d’un robot. Est-ce du plaisir ? Il en doute. Chaque fois qu’il est avec Oriane, il guette son plaisir : rien. Aucun signe ne permettant de savoir si elle en a, alors qu’avec Léa, c’est certain, même si elle n’est pas très expressive. D’autre part, si Oriane se donne, elle ne réclame pas. Elle est disposée en permanence, à ses ordres. Elle s'offre, mais ne récrimine pas, ne réclame pas, et si Roger la repousse, ce qui est rare, elle obéit. Sa froideur tourmente Roger. Souvent, il la questionne :

 

— M’aimes-tu, Oriane ?

— Oui, Roger.

— As-tu du plaisir ?

— Bien sûr.

 

Roger est de moins en moins convaincu. Quand Oriane se blesse, elle ne crie, ni ne pleure. Elle affirme que ce n’est rien. Étant insensible à ce point, il estime qu’Oriane est frigide, qu’elle minimise sa frigidité et n’a pas de plaisir. C’est même peut-être douloureux, mais elle ne veut pas le reconnaître. Elle se maîtriserait pour ne pas le rejeter. Elle s'est mariée avec lui pour soutenir ses parents, pour travailler avec Alain, mais sans l'aimer.

 

Les relations de Roger avec Oriane lui sont de moins en moins agréables. Il les espace et se reporte sur Léa en abandonnant souvent le lit conjugal, puis se décide.

 

— Oriane, dit Roger. Je vais faire chambre à part.

— Pourquoi ?

— Je t’aime toujours, mais je ne supporte plus ta froideur. J’ai l’impression que tu te soumets, comme à un viol. Pour moi, c’est te faire mal.

— Tu ne me fais pas mal.

— Mais si.

— Je t’assure que j’ai du plaisir avec toi.

— Et moi, je t’assure que je ne le perçois pas.

— Ne m’aimes-tu plus ?

— Je t’aimerais si tu étais normale. Ne m’en veux pas si je ne me sens pas bien avec toi. Je n’ai rien à te reprocher en dehors de ta froideur. Je ne la supporte plus. C’est viscéral. J’ai envie de vomir, rien que d’y penser. Tu n'es pas une femme. J'ai connu de vraies femmes. Ce n'est pas comme toi.

— Que vas-tu faire si tu ne veux plus de moi ? Tu as besoin d’aimer.

— Ne te force pas pour moi. Restons amis si c’est possible.

— J’accepte ton amitié, dit Oriane. Tu m’avais dit que tu ne me serais pas fidèle. Une maîtresse serait une solution envisageable. Je ne ferai rien contre. Tu es libre de tes amours. Si on ne la voit pas, tu peux même l’installer à demeure ici en lui trouvant un travail. Ce serait plus pratique pour toi. Léa peut nous aider. Elle est bonne en affaires. Alain a les moyens de la faire venir ici.

— Merci de me libérer, dit Roger, mais ne bouleversons pas tout à cause de moi, puisque je serais bientôt mort.

— Comment le sais-tu ?

— J’ai vu le médecin. Il confirme que je suis malade. C’est la malédiction. Quelques années au plus. Prépare-toi à ma mort. Avec maman, nous disparaîtrons.

— Quelle maladie as-tu ?

— Il n’a pas précisé, mais c’est évident. Ce n’est pas grave. Faisons comme si je n’étais pas malade. Il n’y a pas de traitement. Laissons Léa où elle est, et tu peux aussi prendre un amant caché.

— Je t’ai promis fidélité. Je resterai fidèle. Si tu changes d’avis, mon lit t’est ouvert.

— Je n'ai pas besoin de ta fidélité, et je ne changerai pas d'avis. Je peux me passer de toi, avec une copine ou en me masturbant. Ne me demande plus de t'aimer. Tu es trop froide. Je chercherai la chaleur auprès de ma copine Léa. Je n'irai plus au-devant de toi.

— Léa est très occupée. Je connais tes besoins, et tu n’as pas l’air malade, donc, Léa ne te suffira pas. Je suis à ton service pour le sexe. Même sans m'aimer, prends-moi au lieu de te masturber.

— D'accord, dit Roger. Je me défoulerai avec toi au besoin. Je ne coucherai plus avec toi, car ta présence près de moi me trouble. Je ne divorce pas. Tu restes ma femme, car papa a besoin de toi et nous travaillerons encore ensemble.

— Pour ton équilibre, quand tu ne seras pas avec Léa, tous les soirs, je passerai dans ta chambre pour voir si tu as besoin de te défouler. Je te laisserai ensuite, comme tu le souhaites.

— Merci, dit Roger. Cet arrangement me convient. Après ma mort, promets-moi de ne pas m'en vouloir de t'avoir épousé. Considère-toi comme entièrement libre.

— Oui, dit Oriane.

*

 

— Vous êtes soucieuse, dit Odile à Léa.

— J’ai un problème avec Roger, dit Léa. Il venait me voir de temps en temps : c’était bien. J’avais le contact avec lui et il s’occupait de l’immeuble et de l’appartement avec moi, mais maintenant, il me sollicite de plus en plus. Je n’ai pas assez de temps disponible pour le satisfaire. Je l’aime bien, mais Michel, les enfants et le travail passent avant lui.

— Roger ne le comprend-il pas ?

— Si, et il se restreint avec moi, mais ça me chagrine. Je l’aime toujours bien. Je voudrais qu’il soit plus heureux.

— Pourquoi Roger vous sollicite-t-il autant ?

— Il pense que sa femme ne l’aime pas et ça le mine. Il ne veut pas la forcer, donc, il s’abstient. C’est ce qu’il me dit, mais je crois que c’est la vérité. Officiellement, il est toujours bien avec Oriane. Il se retourne vers moi puisqu’il ne va plus beaucoup avec elle. Je sers de tampon, de défouloir. C’est normal que je le soutienne, mais je ne peux pas me dupliquer.

— Ne vous en faites pas trop pour lui.

— Si, car je l’aime. Il a toujours été bon pour moi. Je n’ai rien à lui reprocher, et il comprend que je ne puisse pas toujours être là avec lui. Je ne sais pas quoi faire pour améliorer la situation. J’équilibre comme je peux. Je ne le refuse pas trop.

— S’il se remettait bien avec sa femme, ça arrangerait tout.

— J’ai essayé de comprendre ce qu'il a contre Oriane, mais je ne vois pas ce qui pourrait améliorer la situation. Roger m’a expliqué, mais je n’ai pas le son de cloche d’Oriane.

— Qu’en dit-il ?

— Comme vous êtes discrète, je vais vous dire tout ce que je sais. J’étais étudiante quand je me suis mise avec Roger. J’étais pauvre. Je tirais le diable par la queue, et Roger était riche. Roger venait de quitter une fille qui avait fait un enfant pour se marier avec lui. Il ne s’est pas marié et il lui paie volontairement une pension pour l’enfant. Échaudé, Roger a voulu se renseigner sur les filles avant d’en solliciter une autre. Il a obtenu les dossiers des étudiantes qu’il visait. Mon dossier lui a plu, et il s’est mis avec moi. Je l’aurais vite rejeté s’il avait été comme les précédents, mais je l’ai trouvé bien. Il est mon premier grand amour, mon premier véritable amant. Je suis resté avec lui plus d’un an, et j’aurais continué avec lui tant qu’il aurait voulu.

— Roger n’a donc pas voulu ?

— Notre liaison était secrète. Il était mon amant caché. Il avait son appartement. J’étais en sous-location chez lui, et en principe, non liée à lui, dans un studio indépendant. Ses parents lui ont proposé, en fille à marier, Oriane, sa femme actuelle. Il a voulu officialiser sa liaison avec moi, mais je lui ai dit d’au moins faire connaissance avec Oriane avant de la refuser. C’était ainsi plus régulier vis-à-vis d’elle, puisque ses parents l’avaient promis à Oriane depuis longtemps. Roger n’avait jamais dit non à ses parents et leur laissait croire qu’il irait avec Oriane. Je n'étais qu'une amante de passage. S’il aimait Oriane, il était logique qu’il se marie avec elle plutôt qu’avec moi. J’avais d’autres priorités que le mariage. Je ne voulais pas abandonner mes études à mi-parcours. D’ailleurs, l’avenir m’a donné raison puisque j’ai trouvé des amours ici. Michel est aussi bien que Roger.

— Il est donc allé voir Oriane ?

— Roger ne s’est pas engagé immédiatement avec Oriane, en réservant sa réponse. Il voulait mieux la connaître. Oriane le poussait à coucher avec lui. Il ne voulait pas lui faire un enfant et se trouver piégé une nouvelle fois. Je lui ai dit d’au moins l’essayer avec un préservatif, comme avec moi. Il avait appris à bien les mettre. Ils ne se perçaient pas. Ce n’était pas un gros engagement d’aller avec Oriane. Je lui permettais de le faire. Il voyait qu’avec moi, qui n’utilisais que le préservatif comme contraception, je n’étais pas enceinte malgré mon envie d’enfant. Il a donc essayé Oriane et a bien aimé. La fille était facile au lit et les parents la voulaient. Il a hésité entre moi et Oriane. Il m’a proposé le mariage, et finalement, il a choisi Oriane, car avec moi, nous aurions été longtemps séparés. J’étais encore en pleines études alors qu’il les finissait, et je ne voulais pas me marier sans les terminer. Il était normal qu’il aille avec Oriane qui était disponible immédiatement pour être avec lui. Il aurait dû m’attendre. Il s’est ainsi marié avec Oriane et il m’a laissé l’usage de l’appartement où il venait parfois me rencontrer. J’ai utilisé l’appartement avec Paul, et Paul l’a utilisé seul quand je me suis mise avec Michel.

— Que s’est-il passé ensuite ?

— Rien d’important au début, dit Léa. Roger était marié et heureux avec Oriane. Je le voyais rarement. J'ai rencontré Paul, qui l'a remplacé, puis je me suis mariée avec Michel. Cela s’est gâté récemment. Oriane disait que tout allait bien, mais pour Roger, Oriane donnait des signes de réticence. Il n’en était pas certain, mais elle ne le réclamait pas beaucoup. C’est le genre de fille qui ne dit rien et dont on ne sait rien. Elle ne voulait pas d’enfant tout de suite. Finalement, Roger a compris qu’elle était frigide et il n’a plus voulu faire l’amour avec elle. Il irait vers Oriane s’il n’avait pas la sensation de la violer. Elle se comporte avec lui comme un esclave résigné pouvant subir tous les mauvais traitements sans protester. Il paraît que quand elle se blesse, elle reste imperturbable. Stoïquement, elle se soigne sans un cri. Jamais de pleurs, jamais de rires. Il est possible qu’elle ait simulé auparavant le plaisir, mais je n’ai pas de renseignement là-dessus. Le résultat est que Roger ne va plus dans le lit d’Oriane, bien qu’elle le réclame toujours mollement. Pour Roger, elle se force à être la femme-modèle, mais il la viole sans qu'elle proteste, ce qui ne lui plaît pas. Il fait donc chambre à part et se retourne vers moi. Je l’aide comme je peux.

— Je comprends la situation, dit Odile. Il est probable qu’elle ne va pas aller en s’améliorant. Vous avez raison de soutenir Roger. Comment est-il avec vous ?

— C’est le meilleur des hommes. Je le mets à égalité avec Paul et Michel. J’aime ces trois hommes. Ils se valent. Ils sont très au-dessus de tous les autres que j’ai fréquentés. Comme j’ai choisi Michel, je ne devrais plus aller qu’avec lui, mais Roger me revient. Je suis bien obligée d’en tenir compte.

*

 

Roger délaisse Oriane qu'il ne rejoint jamais dans sa chambre. Cependant, Roger ne ferme pas la sienne. Oriane le rejoint quand il est là, et s'offre. Tout en ne la souhaitant pas, dès qu'elle s'approche de lui, Roger est incapable de résister. Il se défoule avec elle, et la renvoie rapidement, honteux de son réflexe d'amour. Léa est la seule avec qui Roger a maintenant des relations d’amour véritable qu'il ne regrette pas. Il est progressivement attiré vers Léa, qui répond à ses appels. Roger n’a plus le cœur à aller chercher une nouvelle liaison. Il sait que Léa n’a pas beaucoup de temps à lui consacrer avec sa famille, mais puisque Léa l’accepte, il se cantonne à elle. Il se restreint pour ne pas gêner, mais il aime Léa éperdument. Il ne peut pas s’empêcher de la solliciter, et Léa lui donne alors rendez-vous dans son appartement, sans protester, bien qu’elle soit surchargée. Comme c’est devenu fréquent, Léa a dû expliquer à Michel qu’elle avait des impératifs sexuels, ce qui l’amenait à le quitter plus souvent. Léa ne lui dit pas avec qui elle va, car cela fait partie de sa chère liberté. Michel sait cependant ce qu’elle fait, car Léa dit qu’elle va avec un homme qui a plus besoin d’elle que lui. Elle ne peut pas le laisser tomber, car il serait malheureux. Michel est compréhensif. Il fait confiance à Léa. D’ailleurs, dans la mesure du possible, Léa oriente Roger vers les nuits d’absence de Michel, et ils s’organisent pour obtenir le moins de gêne possible. Oriane se résigne quand la chambre de Roger est vide. Elle sait qu'il est avec Léa, mais elle l'admet.

*

— Léa, dit Odile. Vous nous quittez de plus en plus souvent. Michel ne dit rien, mais il aimerait être plus souvent avec vous. J’hésite à vous remplacer. Michel a besoin de vous et non de moi.

— Oui, dit Léa. Je vais trop souvent avec Roger, mais je l’aime encore.

— Qui préférez-vous ? Michel ou Roger ?

— Je préfère être en pleine lumière avec Michel, mon mari. Je me cache avec Roger, et je pourrais me passer de lui. Je ne peux pas l’abandonner. Il est dans une situation difficile.

— Est-ce si grave ?

— Je ne crains que oui. Je fais pour le mieux.

— Il abuse de vous.

— Non. Je l’aime.

— Et vous aimez Michel.

— Oui.

— Est-il bien, ce Roger ? Vous le prenez avec vous, mais c’est aux dépens de Michel.

— Oui, et j’en suis meurtrie, mais je les aime les deux.

— Ce Roger ne peut-il se passer de vous ? Paul s’est passé de moi quand nous l’avons renvoyé. Il n’en a pas fait une histoire. Un homme peut se passer de femme.

— En se masturbant, mais il n’y a pas que le sexe. Avec Paul, nos relations ont toujours été bonnes. Roger est contrarié par sa femme. Je le soutiens par ma présence et en travaillant avec lui.

— Quel travail ?

— Le père et la mère de Roger sont dans des affaires qui ressemblent aux nôtres, sauf que les leurs sont plus importantes. Nous sommes petits par rapport à eux. Ils souhaitent que leur fils leur succède, donc, se mette aux affaires. J’aide Roger à débroussailler des dossiers. Il peut ensuite mieux les présenter à ses parents.

— Vous n’avez pas à faire son travail.

— Je ne fais pas son travail. Je le dirige comme un professeur, pour qu’il comprenne les meilleures solutions. Il se perfectionne. Mon intervention n’est pas inutile, bien qu’il ne soit pas très doué. Je lui redonne confiance en lui. La plus grande partie du temps que je lui consacre, est ce travail. Je pense qu’il est utile. Quand j’ai un moment ici, je regarde ses dossiers. J’apprends aussi des choses dans ces dossiers. Sans que ce soit de l’espionnage, certaines des affaires que je traite viennent de lui. Je le mets au courant de ce que je fais, et il donne son accord. Je ne le vole pas.

— Ce travail correspond-il à ce que j’ai appris au début avec vous et Michel ?

— Oui, dit Léa, et à ce que Paul a dû apprendre aussi. C’est surtout vous qui l’avez formé.

— Paul comprend vite, dit Odile. Je l’aide encore seulement quand c’est compliqué.

 — Vous avez bien réussi avec Paul. Roger est plus lent que nous, mais il progresse. Il saura régler des affaires simples. C’est important pour lui. Ses parents ont un peu trop baissé les bras avec lui. Ils préfèrent miser sur sa femme, qui le dirigerait. Roger est capable de comprendre, donc de savoir si ce qu’on lui présente a de la valeur ou non. Il ne serait ainsi pas trop à la traîne de sa femme et de ses parents.

*

— Roger m’a donné rendez-vous ce soir, dit Léa à Odile. J’ai beaucoup de travail ici, et je n’ai pas pris le temps de voir le dossier de Roger. Je vais reporter le rendez-vous. J’espère qu’il ne m’en voudra pas. Il doit aussi s’habituer à ce que je le délaisse de temps en temps. Je ne suis pas à son service. Il est bon que j'affirme mon indépendance.

— Donnez-moi votre travail d’ici, et préparez le dossier de Roger.

— Le temps de vous expliquer, j’ai avantage à le faire moi-même. Non, Odile : je reporte. Tant pis pour Roger. Je ne peux faire l’impossible.

— Donnez-moi le dossier de Roger, et j’irai lui expliquer.

— Sauriez-vous faire ?

— C’est ce que j’ai fait avec Paul. J’irai moins vite avec Roger, et le dossier doit être simple.

— Oui, dit Léa. Je vais le prévenir qu’il vous trouvera à ma place. Vous m’enlevez une épine du pied.

*

— Roger vous a-t-il bien accueillie, demande Léa ?

— Oui, dit Odile. Nous avons travaillé plusieurs heures. Vous le dites peu doué. Je m’attendais à rencontrer un cancre. Je le trouve normal.

— Il ne vaut pas Paul ou Michel.

— Bien sûr, mais Roger a compris. En plus, il est agréable. Je conçois que vous l’aimiez. Je suis prête à recommencer si vous êtes de nouveau indisponible.

*

— Roger m’a téléphoné, dit Léa à Odile. Il vous a rencontrée par politesse, et s’attendait à perdre son temps avec vous. Vous l’avez impressionné. Il vous trouve exceptionnelle. Roger n’a pourtant pas une haute opinion de la plupart des femmes. Pour lui j’étais la seule qui lui restait. Il a changé d’avis.

— Voulez-vous dire qu’il m’aime ?

— Ce serait bien possible. Le relationnel a l’air de bien fonctionner avec vous, et si je considère les garçons qui vous cherchent, le physique doit s’y ajouter. Il vous trouve splendide. Ce serait assez pratique pour moi de vous envoyer de temps en temps à ma place. Tout lui plaît en vous. Vous avez conquis un admirateur supplémentaire.

— Faites-vous l’amour avec lui ?

— Oui. Je l’aime, mais vous n’êtes pas obligée de m’imiter. Roger n’est pas du genre à forcer une femme. Il vous respectera. Soyez sans crainte.

— Je n’ai pas de crainte. Que me conseillez-vous ?

— Je ne suis pas vous. Si vous envisagez l’amour, la seule chose dont je sois sûre est que je ne serais pas jalouse si vous allez avec lui. J’en serai même heureuse, car Roger n’ayant plus que moi pour faire l’amour, je ne lui suffis certainement pas. Il voudrait m’avoir plus souvent. Je le modère. Michel passe avant lui. Vous avez Paul. Roger ne doit pas gêner Paul, mais Paul n’est pas jaloux. Il n’y a que si vous avez un amour immodéré pour Roger qu’il faut le prendre comme amant.

— Ce que vous faites.

— Non. Je n’ai pas d’amour immodéré pour Roger. Je suis au moins aussi bien avec Michel ou Paul. Je peux donc me passer de Roger. J’ai eu longtemps Roger comme amant caché à temps plein quand je n’avais que lui. Je ne peux pas le laisser tomber comme une vieille chaussette. J’aime bien faire l’amour avec lui, et il m’accepte sans préservatif. Il sait que je n'abuserai pas en lui attribuant des responsabilités si j'ai un enfant de lui. Mais je suis avec Michel. Roger passe en second, et même en troisième après Paul. Tous mes enfants auront Michel comme père. Roger n'est rien pour ma famille et la vie courante. Il est amant caché.

— Moi, j’ai Paul, et Michel en second. Faut-il que je prenne Roger en troisième ou second ?

— Ce serait certainement bien pour Roger, mais pas forcément pour vous. Il faut réfléchir avant de prendre un amant. Il faut une raison. Vous avez du plaisir avec Paul. Ce n’est donc pas le plaisir qui vous pousserait vers Roger.

— Effectivement, dit Odile. Pour le plaisir, j’en ai avec Paul et avec Michel. Roger doit fle fournir aussi. Ce n’est donc pas ça qui me guide, bien qu’il faille ce plaisir pour que ce soit durable. Je vois quand même des raisons pour aller avec Roger.

— Lesquelles ?

— Je vous libérerais de lui quand vous avez d’autres obligations, et je ferais plaisir à Roger sans que ça me coûte beaucoup si j’ai le plaisir aussi. Mais surtout, je pourrais avoir un enfant avec un homme disponible qui me plaît. Paul n’est pas doué pour ça, et je ne veux pas de Michel quand il peut aller avec vous. Roger me semble indiqué pour la fécondation. Je perds des ovules avec Paul. J’ai les mêmes critères que vous pour aimer, donc Roger me convient. Il est là, disponible pour m’aider. Un enfant plairait à Paul. Il me pousse vers Roger. Si je faisais l'amour avec lui, ce serait comme avec Michel et Paul : sans préservatif, comme vous. Je ne recherche pas un plaisir que Paul me donne.

— Roger est sérieux. Il n’acceptera pas sans garantie médicale.

— Il a raison. Je peux lui fournir facilement.

— Voulez-vous que je lui demande s’il vous accepte ?

— Oui, dit Odile.

— Fournissez-moi tous les renseignements sur vous. Je vais plaider votre dossier.

*

 

— Roger, dit Léa. Je suis ici parce que mon mari est assez gentil pour avoir accordé la liberté sexuelle à sa femme. Je vous aime tous les deux, ce qui me permet d’être avec vous en cachette. Cependant, je dis à mon mari que je fais l’amour avec vous, sans dire qui vous êtes. Il pourrait savoir facilement, mais il respecte mon désir d'indépendance. Je lui en sais gré. Il sait ce que je fais ici, car je n’ai pas à lui cacher ma conduite. J’ai des scrupules à le quitter souvent pour être avec vous. Michel pourrait se plaindre, avec raison. Normalement, je préférerais être avec lui. J’équilibre comme je peux, mais c'est instable.

— Je vous remercie de vos efforts en ma faveur. J'abuse de vous. Je me restreindrai. Votre mari passe avant moi.

— Je vous propose une autre solution. Odile est actuellement disponible. C’est une fille bien sous tous rapports. Elle souhaite un garçon bien.

— Est-elle frigide ?

— Non. Elle a du plaisir avec son mari.

— Si elle est mariée, pourquoi me veut-elle ? Est-elle brouillée avec lui ?

— Ce serait pour avoir un enfant. Son mari ne lui en donne pas. Il a aussi envie d'un enfant bien à lui. Vous ne seriez que donneur.

— Je comprends, dit Roger. Je ferais comme avec vous.

— Oui, dit Léa.

— Me la garantissez-vous ?

— Oui. Elle ne court pas les garçons. C’est pour éviter la fécondation artificielle, trop pénible et anonyme. Odile est moderne. Elle préfère un donneur qu’elle connaît et peut aimer. Elle ne considère pas que d'avoir un amant est répréhensible, surtout dans son cas.

— Ma femme dit m’aimer, mais n’a pas de plaisir. Je ne souhaite pas une femme sans plaisir. C’est pour cela que je suis ici. Vous avez du plaisir avec moi.

— Je vous offre mon amie. Vous me direz si elle a du plaisir.

— Si elle n’en a pas, je n’en veux pas.

— Essayez-la pour me soulager. J’ai son dossier. J’ai du plaisir avant de me donner. Elle est comme moi. Elle a donc déjà envie de vous.

— D’accord, dit Roger. Est-ce que je vous perds complètement ?

— Non, dit Léa. Vous pouvez encore compter sur moi. Un homme ne doit pas avoir l'exclusivité sur une femme. Elle n'est pas son esclave.

*

 

 

 

L’intervention d’Odile soulage Léa en allégeant un calendrier bien rempli. Roger s’est laissé convaincre par Léa qu’Odile n’est pas une fille publique dont il ne voudrait pas. Le dernier dossier d’études d’Odile est très bon. Comme Léa la garantit saine et sérieuse, il accepte un essai, puis il prend l’habitude de coucher avec Odile, car Léa s’éclipse le plus souvent. Odile n’a pas de difficulté à s’adapter à Roger. Elle l’aime rapidement, estimant que Léa a eu raison de l’aimer. Pour Roger, Odile est une seconde Léa avec laquelle il se sent bien. Il multiplie ses passages à l’appartement, et Odile peut espérer un enfant.

Roger ne met pas de préservatif avec Léa puisque Léa n’en veut pas. Léa est ferme : elle ne se donne pas à lui si Roger veut mettre le préservatif. Elle aurait honte de refuser un enfant d’un homme qu’elle aime quand elle en souhaite un, car ce serait lui dire qu’elle ne l’aime pas. Respectueuse les lois, Léa, toujours pressée d’avoir des enfants, laisse faire la nature avec ses hommes, puisqu’elle est mariée. Elle a donc refusé toute contraception. Que l’enfant soit de l’un ou de l’autre : quelle importance ? Léa sait que l’hérédité est fantaisiste, et que l’enfant est le résultat d’une loterie qu’on ne maîtrise pas. S’il était possible d’avoir un enfant identique à un homme, elle choisirait, mais c’est impossible. Les enfants d’un même couple sont tous très différents, et pas toujours en bien. Donc, pour Léa, il est vain de choisir le père. L’enfant d’un génie n’est pas un génie. La valeur d'un père est rarement héréditaire. Léa s’en remet à la nature qui agit au hasard. Elle exerce ainsi sa liberté sexuelle en respectant la loi. Elle ne se préoccupe pas de savoir qui est le père concepteur : les trois sont a priori aussi bons l’un que l’autre. Aucune raison d’en éliminer un. Michel étant son mari, il est privilégié, et le père sans discussion, puisque c’est la loi. Roger et Paul ont été flattés que Léa et Michel leur permettent, et Michel sait que quand Léa a une idée, il est difficile de l’en faire démordre. S’il avait fait mine de ne pas vouloir, Léa l’aurait persuadé que sa façon de faire était la bonne. Il tient la place que Léa lui a accordée. Il est heureux avec elle, ses amis et ses enfants. Il n'a pas à essayer de changer la situation. Léa fait ce qu'elle veut. Elle est allée ainsi le plus vite possible pour avoir ses enfants.

Odile voulant un enfant, elle suit les traces de Léa en ne se protégeant pas plus avec Roger qu’avec Michel ou Paul, estimant qu’aucune contraception n’est nécessaire. Roger accepte, comme avec Léa, pour faire plaisir à Odile. Il refuserait si Léa ou Odile pouvaient en souffrir. L’enfant éventuel d’Odile, qu’il soit de Roger, de Michel ou de Paul ou d’un autre, il sera celui de Paul, puisqu’il est attribué sans contestation au mari par la loi. Roger sait qu’il sera bien accueilli. C'est une bonne action.

Léa et Odile peuvent choisir jusqu’au dernier moment qui ira au rendez-vous. Roger n’a pas à se préoccuper de savoir qui vient à lui. Roger aime les deux femmes, et dans son appartement, il trouve l’une ou l’autre, prête à le satisfaire. Odile est assez vite enceinte d’un des trois hommes. Comme Léa, Odile a quelques idées sur celui qui a réussi à la féconder, mais elle a seulement des probabilités et n'a aucune certitude. C’est probablement Roger puisque Paul n’est pas parvenu jusque-là à mettre Odile enceinte, et Roger est plus souvent avec elle que Michel. Dès qu’elle est enceinte, Odile ne recherche plus Michel, revenant au non-échangisme qu’elle préconise comme normal. Sauf exception, elle n’a plus que des relations de travail avec Michel. Paul est heureux d’être père, et c’est le principal. À l’image de Léa, qui ne fréquente plus que Michel et Roger, Odile ne fréquente plus que Paul et Roger. Les deux femmes n'abandonnent pas Roger. Elles en ont un peu pitié.

Le temps passe. La routine s’installe. L’équilibre est obtenu. Léa et Odile sont pratiquement fidèles à leurs maris. Roger est en plus : une bonne action qui consiste à l’accueillir quand il vient à elles. Elles le soutiendront jusqu'à sa mort.

Les deux couples élèvent leurs enfants ensemble et travaillent toujours d’arrache-pied.

*

 

 Antoine

 

Les affaires demandent fréquemment de s’absenter. Léa, comme les autres, préfère rester à la maison, mais il faut bien s’en occuper. Quand c’est pour plus d’un jour, elle emmène Toto. Elle est plus détendue avec lui, même si elle ne l'utilise pas. Amant caché, uniquement à ses ordres, il est bien pratique.

Léa est ainsi amenée à quitter la maison pendant les jours ouvrables d’une semaine, mais elle peut être hébergée par l’oncle Victor dont elle connaît le fils Antoine pour avoir passé des vacances avec lui quand elle était au lycée. Léa avait joué avec lui, et il la défendait contre les garçons qui lui faisaient des niches et la convoitaient. Antoine était son protecteur. Il était constamment avec elle. Il était payé le soir par un baiser bien appuyé. Antoine était troublé par les baisers et le corps de Léa dont il sentait les formes à travers les vêtements, et il avait fini par lui dire qu’il désirait se marier avec elle. Elle avait souri et ne lui avait pas répondu, mais elle l’avait embrassé plus fort et il avait rougi.

*

Léa doit passer cinq jours et quatre nuits chez son oncle Victor. Antoine n’est plus lycéen, car il a l’âge de Léa, mais il est encore chez les parents, qui ont de quoi le loger, sans le gêner, de façon indépendante. Il devrait se marier bientôt avec Céline, sa copine. Léa est heureuse de parler avec lui avant d’aller se coucher dans la chambre d’amis pour évoquer leurs souvenirs communs. Les parents, ayant d’autres occupations, les laissent ensemble et n'interviennent pas.

Antoine est prévenant : Léa retrouve le charmant gamin protecteur des vacances, avec qui elle s’entendait si bien. Elle en faisait ce qu'elle voulait, et il obtenait beaucoup d'elle.

 

— Je vous aime toujours, dit Antoine. Je rêve souvent de vous.

— Moi, dit Léa, je rêve rarement ou si je rêve, je ne m’en souviens pas.

 

Léa ne dit pas qu'elle a des fantasmes, où Antoine a une place non négligeable, mais ce n'est pas du rêve. Elle a toujours envie d'Antoine, mais n'en parle à personne.

 

— Vous êtes la fille que j’aurais voulu épouser.

— C’est trop tard et vous êtes trop loin de chez moi, dit Léa. Je suis mariée et j’ai deux enfants.

— Quittez-vous facilement votre mari ?

— Je peux quitter Michel parce qu’il s’occupe des enfants. J’ai aussi mon amie Odile et son mari Paul qui donnent un coup de main.

— Je voulais dire sexuellement.

— Je préférerais être avec mon mari, mais les affaires sont aussi à traiter. Je ne vis pas que d’amour. Michel attend ou vit de son côté sans moi. Quand je reviens, nous sommes heureux de nous retrouver.

— Je n’aime pas attendre en amour. L’attente me met sous pression. Je dois être conditionné pour avoir une femme dans mon lit. Vous êtes toujours mon amie. Ai-je encore de l’attrait pour vous ?

— Vous avez grandi, mais vous êtes toujours le même. Il est dommage que nous habitions si loin l'un de l'autre. Nous pourrions nous rencontrer plus souvent.

 

Antoine a de l'espoir. Léa a l'air de l'inviter à aller plus loin. Il tente une petite avance.

 

— J’aimerais que vous m'embrassiez comme autrefois.

— Souvenez-vous. C’était le soir, et pas plus d'une fois.

— C'est justement à cette heure-ci. Voulez-vous ?

 

Léa hésite, mais Antoine n'est pas méchant.

 

— Je vous accorde un baiser pour vous faire plaisir. Quelques minutes avec vous. Ensuite, vous me laisserez, car je dois impérativement dormir pour être en forme demain. Mes affaires le réclament.

 

Léa l'embrasse comme autrefois, mais Antoine dispose des quelques minutes promises. Il se frotte ostensiblement contre elle. Il se frottait déjà, Léa s’en souvient, mais il est maintenant beaucoup plus pressant, ce qu’elle ressent nettement à travers les vêtements. Il la palpe à des endroits réactifs, et Léa est loin d’être indifférente. L’excitation d'Antoine est communicative. Des hormones envahissent Léa. Elle se sent un moment céder, mais elle sait ce qui peut en résulter : une nuit d'amour. Elle n'est pas venue pour cela, mais pour régler des affaires, et les affaires passent avant l'amour. Si l'amour était plus pressant, elle serait restée à la maison. Léa se ressaisit. Elle n’est pas là pour se donner à ce garçon qui disparaîtra de sa vie dans quelques jours. Elle se dégage lentement pour ne pas froisser Antoine, sans qu'il s'accroche, car il n'abuse pas de sa force. Elle est libre de le refuser, et Antoine ne la viole pas. Léa serait incapable de résister, car physiquement, elle est à lui, mais la raison est la plus forte, et Antoine ne force pas. Il ne l'a jamais fait avec elle ou Céline. Léa a été bien gentille de lui ouvrir sa porte et de se laisser embrasser et tripoter, mais il sait qu'elle lui interdit d'abuser de la situation, car elle doit dormir avant une longue journée d'affaires. Elle lui a dit. Il devra donc s'en aller et la laisser dormir. Il faudrait la convaincre du contraire s'il voulait obtenir de faire l'amour avec elle.

 

— Vous êtes maintenant un homme, dit Léa. Vous n’êtes plus tout à fait comme autrefois.

— Vous non plus. Vous avez certainement senti que j’ai envie de vous.

— J’ai effectivement eu cette sensation. Vous savez ce que vous voulez. Vous êtes plus incisif qu'autrefois. N’avez-vous pas une copine pour vous aider à évacuer vos envies ?

— J’ai Céline. Papa me l’a amenée parce qu’il me voyait sans copine et qu’il a estimé qu’il m’en fallait une. Elle m’a tout appris, et je l’aime. J’envisage de me marier avec elle.

— Oncle Victor a dû vous choisir une fille de son bord, avec tous les principes qu'il préconise, comme maman.

— Oui, dit Antoine. Céline est avec lui pour militer. Elle est avec moi la nuit, mais elle fait ce qu'elle veut, et papa me dit de me fier à elle. Elle signe des pétitions de défense des idées féminines et agit pour la liberté des femmes. Elle soutient qu’il faut lutter contre la brutalité et la jalousie au lieu d’imposer la fidélité qui est marginale quand la tradition ne l’impose pas. Vous connaissez sans doute cette musique. Je baigne dedans avec elle. Elle est partie pour une semaine sans vouloir me dire ce qu'elle fait, mais je m'en doute. Ce serait contre sa liberté de me parler de ses amants. Que je lui réclame des renseignements sur ce qu'elle fait la dresserait contre moi. Rendez-vous compte ? Elle a de bons côtés, mais elle me quitte sans s’occuper de moi, sous prétexte qu'elle en a le droit.

— J'approuve complètement Céline, dit Léa. Elle est comme moi. Je suis aussi pour la liberté des femmes, ce qui implique de pouvoir cacher ses amours aux autres. Ils n'ont pas à s'en mêler si c'est en sécurité. Je me reconnais dans Céline. Si j'étais ici, j'aimerais la rencontrer.

— Vous avez les mêmes arguments que Céline. Je suis quand même heureux que vous soyez aussi libre que Céline. Vous pouvez donc m’accueillir dans votre chambre et dans votre lit.

— J'ai envie de dormir. Je ne vous prends pas dans mon lit.

— Mais si. Étant sans Céline depuis deux jours, je suis capable de vous aimer toute la nuit. Ce serait un véritable festival.

— Je suis pour la liberté des femmes, mais non pour le libertinage.

— Céline non plus, mais soutenez-vous comme elle qu’une femme peut aller avec plusieurs hommes bien choisis ?

— Effectivement. La femme n’a pas à être soumise à un homme particulier, et l’adaptation du sexe de l’homme au sexe de la femme est universelle. Nous formons une espèce, et l'espèce se caractérise par l'intersexualité. Avec la contraception, qui permet de choisir les moments de conception, la femme est devenue l’égale de l’homme. Elle maîtrise et dirige sa sexualité au lieu de la subir, mais il faut savoir la pratiquer. Avoir des amants n’est pas à la portée de toutes les femmes sans risque. Elles ont besoin d'éducation pour ne pas faire d'erreur sur ce qu'elles désirent.

— Mais vous, vous êtes éduquée, intelligente, et vous savez éviter les risques.

— Oui. Je ne multiplie pas les amants et je ne garde que les bons. En ce qui concerne la contraception, j’ai étudié tous les types de contraceptifs. Ils ont leurs avantages et leurs inconvénients. J’utilise le stérilet depuis longtemps. J'en avais déjà un quand nous nous sommes rencontrés la première fois. Je l'inaugurais comme protection contre vous. Il évite d’oublier de prendre la pilule. Cela m'a permis d'être plus intime avec vous sans augmenter les risques. J'utilise maintenant le stérilet pour espacer mes maternités et ne pas avoir d'enfant non désiré, mais ce choix est personnel. Chaque femme a ses préférences. Je suis pour le stérilet, de préférence à un moyen uniquement chimique ou hormonal, bien qu’il faille l’enlever quand on désire un enfant.

— Céline en a un pour la même raison. Appliquez cela avec moi. J’ai envie de faire l’amour avec vous.

— Céline serait-elle d’accord ?

— Je crois. C’est exceptionnel que vous soyez là. Vous êtes une femme avec qui je peux faire l’amour sans contrainte. Je ne peux pas rater cette occasion. Cécile est comme vous pour la liberté sexuelle. Elle n’a pas à s’y opposer. Elle ne m’a pas attendu pour savoir faire l’amour. Je peux faire comme elle. Nous sommes libres quand nous ne sommes pas ensemble.

— Je suis libre tout le temps, dit Léa, et même quand je suis avec un homme. Je n’accepte pas d’être dominée sexuellement ou par la force. Cécile aime-t-elle être avec vous ?

— Elle est avec moi toutes les nuits, sauf de temps en temps.

— Allez la rejoindre. La nuit arrive. C’est le moment. Vous êtes excité. Elle en profitera.

— Elle est partie cette semaine, dit Antoine. Vous êtes là à pic pour la remplacer. Aimez-moi. Je vous aime.

— Mais moi, dit Léa, je ne sais pas si je vous aime assez pour coucher avec vous. Je ne me passionne pas. Je ne m’enflamme pas comme vous.

— Je m'enflamme parce que je sens que c'est possible avec vous. Que vous faut-il pour que vous m'aimiez ?

— Quand je rencontre un homme, je cherche d’abord à savoir comment il est, s’il peut me plaire ou non.

— Est-ce que je vous plais ?

— Je ne vous aurais pas permis de m’embrasser et de me tripoter si vous ne me plaisiez pas du tout. J’aimais bien le petit copain qui était en vacances avec moi et que j’embrassais tous les soirs. J’ai de très bons souvenirs. Vous étiez très gentil avec moi.

— Alors, je peux aller dans votre lit.

— Si je veux bien.

— Le voulez-vous ?

— Non, dit Léa. Je ne me livre pas facilement. Je réfléchis avant de me décider… Je vais vous expliquer… Admettons que vous alliez dans mon lit, et que vous fassiez l’amour avec moi comme vous le souhaitez. Il n’est pas certain que je me mette à vous aimer. Je suis difficile. Très peu d’hommes me conviennent. Même ceux que j’aime maintenant ont eu une période où je ne les aimais pas énormément. Je n’ai pas aimé mon mari tout de suite, et avec un garçon comme vous, j’estime qu’il faut du temps.

— Combien de temps ? Je peux multiplier les relations avec vous jusqu’à ce que vous m’aimiez. Je suis persuadé que vous m’aimeriez très vite.

— Mon expérience me dit le contraire. Je ne suis pas sujette au coup de foudre. Avec mon mari, je ne l’ai aimé véritablement qu’au bout de plusieurs semaines, je dirais même des mois. Mais maintenant, c’est fait, et je l’aime beaucoup. Avec un amant, c’est la même chose. L'expérience compte. Sans avoir couché et sans bien connaître, je ne peux pas savoir si j’aurais un amour durable.

— Essayez au moins avec moi. Je me dépenserai au maximum pour vous plaire. Vous progresseriez vite avec moi. Nous mettrions les bouchées doubles.

— Admettons que vous y arriviez dans les quatre nuits qui viennent. Je vous aimerais donc à la fin de mon séjour. Je retourne alors chez moi et je ne vous vois plus. Pour moi c’est de l’amour ponctuel sans suite. Je veux bien d’un amant que j’aime, mais un amant, je le garde si je l’aime, et je ne peux pas aimer durablement un homme que je ne rencontrerai plus jamais. Vous habitez trop loin de chez moi pour que vous soyez un amant. Je ne peux que souffrir de la séparation. J’ai une vie organisée chez moi, avec mes amours durables, et j’en suis satisfaite. Je vois mes amants périodiquement. Ce que vous me proposez n’est qu’un essai d’amour sans avenir, qu’il réussisse ou non. Un homme comme vous peut apparemment se contenter de se défouler ponctuellement. Pas moi. Je ne suis pas une machine à faire l’amour qui ne s’occupe que du présent et réagit ponctuellement. Mes amours sont dans le temps. Vous ne pouvez que les perturber, même si j’arrive à vous aimer très fort. Il est préférable que je reste dans l’incertitude sur l’amour que je pourrais développer avec vous.

— J’aimerais tant faire l’amour avec vous, et vous faire éclater de plaisir, des heures durant.

— Je ne souhaite pas ce plaisir que j’aurais sans doute, mais qui est le gage de souffrances futures dues à la séparation. Je n’ai rien contre votre plaisir. Si je pouvais vous le donner sans intervenir, je le ferais, mais je ne peux pas sans conséquences néfastes. L’amour à distance est irréaliste. Prenez votre plaisir avec votre Céline qui est ici, et ne me compliquez pas la vie. Je peux me passer de vous.

— Je me faisais une joie de vous accompagner quelques nuits. Je sais bien faire l’amour, je vous assure. Céline est contente de moi. Elle m’a toute la nuit. Elle me préfère.

— Toute la nuit avec amour ? C’est beaucoup.

— Je fais le maximum. Je me retiens pour que ça dure, et quand ça revient, je la sers de nouveau. Avec les autres garçons qu’elle a connus avant moi, elle m’a dit que ça allait plus vite, mais elle s’est habituée à moi. Elle aime bien maintenant ce que je lui fais. Ce n’est pas comme avec les autres. C’est du durable.

— Arrive-t-elle à dormir ?

— Elle s’endort parfois avant que j’aie fini, mais je ne la réveille pas. Je termine à mon rythme, mais sans la déranger.

— Faites-vous l'amour avec Céline qui dort ? Aime-t-elle ?

— Elle ne se souvient pas très bien. Elle ne me l'interdit pas et n'en souffre pas.

— Mais la réveillez-vous quand vous recommencez ?

— Oui, en général, mais elle somnole parfois et même sommeille sans que ça me gêne. Elle a encore quelques réactions d’accompagnement, elle m’embrasse pour m’encourager. Elle m’aime bien. Faites comme elle. Vous aurez du plaisir, plus de plaisir qu’avec d’autres.

— Je ne doute pas que j’aurais du plaisir, mais je ne souhaite pas traîner derrière moi votre amour. D’ailleurs, je suis ici pour affaires. C’est ma préoccupation première. Ces jours-ci, les affaires passent avant l’amour pour mon mari et donc aussi avant vous. J’ai des journées chargées, et j’ai besoin de sommeil. Je monte me coucher. Je me prépare pour la nuit, je regarde ce que j’ai à faire pour demain, je me mets au lit, je me décontracte et je dors. Ne venez pas me réveiller quand j’aurai éteint la lampe. Je ne serais pas en forme demain, ce qui implique que je me repose. Vous allez me promettre de ne pas venir me réveiller dans ma chambre sous prétexte de me donner du plaisir. Vous seriez responsable de mon échec en affaires. Restons amis. Je ne veux pas de ce plaisir.

— Je vous promets, dit Antoine. Si vous voulez bien dormir, je vous prépare une tisane. Je fais chauffer de l’eau. J’en ai pour une minute. Je vous l’amène toute chaude.

— Vous êtes gentil, dit Léa. Je bois souvent une tisane sans sucre ou de l’eau. Ne vous pressez pas. J’ai à me préparer pour la nuit et consulter quelques documents pour demain. Je préfère la tisane tiède et même froide. Je la boirai au dernier moment avant de m’endormir, quand elle aura bien refroidi.

*

Léa verrouille la porte pour se déshabiller, car elle ne souhaite pas qu’Antoine la voie nue. Ce serait une invite, et elle ne serait pas capable de résister. Elle se prépare pour la nuit puis enfile sa chemise de nuit. En allant déverrouiller la porte, elle passe devant la glace. Le choix de cette chemise n’est pas l’idéal, car elle est vraiment légère. C’est la chemise que ses hommes aiment, et qui, pliée, occupe peu de place, mais elle ne cache pas beaucoup son corps. Léa n’en a pas d’autre moins suggestive dans ses bagages, qui sont réduits au minimum. Elle ne va pas se rhabiller. Tant pis si Antoine devine comment elle est faite. Elle n’est qu’une femme comme les autres, et Cécile, dont elle a vu la photo, est au moins aussi belle qu’elle. Léa déverrouille et attend. Antoine ouvre la porte à reculons en tenant une tasse bien remplie à deux mains. Léa est en train de ranger sur des cintres les vêtements qu’elle a retirés pour éviter les faux plis. Antoine se retourne, et aperçoit Léa. Il la contemple médusé sous son voile diaphane, les yeux brillants, manifestement attiré par le spectacle d’un corps qui transparaît sous le tissu.

 

— Posez la tasse, dit Léa doucement, sans élever la voix et d'un ton naturel, pour éviter, en réaction, tout geste brusque qui serait fatal à la tasse. Faites attention. La tasse penche. Ne la renversez pas.

— Où dois-je la mettre ?

— Près du lit.

— J’ai mis un sachet de la tisane pour dormir de Cécile, dit Antoine. Je n’en ai pas d’autre de ce genre. Si son goût ne vous plaît pas, vous n’êtes pas obligée de la boire. Vous pouvez m’appeler pour augmenter ou diminuer la dose. J’ai d’autres sachets. J’en ai mis un en supplément sur la sous-tasse.

— C’est très bien, dit Léa.

 

La vision de Léa en tenue légère a perturbé Antoine, mais il s’en va. Antoine a obéi à Léa comme autrefois. Il n’a pas changé. Elle savait le mener. Par la douceur et la raison, elle a tout ce qu’elle veut avec Antoine.

 

Léa finit de se préparer pour la nuit et consulte rapidement ses documents, mais elle les abandonne vite. Elle devra les reprendre le lendemain, car elle est nerveuse. Ce diable d’Antoine : elle l’aime quand même. Elle n’a pas voulu de lui, à cause des affaires et de la façon dont Antoine envisage l’amour, mais elle est réceptive, et en raisonnant Antoine pour qu’il procède normalement, elle aurait certainement aimé se donner à lui. Une occasion manquée. Depuis les vacances avec Antoine, Léa fantasme souvent sur Antoine. Dans ses rêves éveillés, elle se donne à lui. Tout son corps est remué par cet amour retenu qui s'est brusquement manifesté en elle. Si seulement Antoine était réglé de façon optimale comme Toto ! Elle aurait certainement accepté Antoine, mais tout ce qu’il lui a dit ne va pas dans le sens de ce qu’elle aime. Pour que Céline s'endorme avec lui, il doit faire l'amour très longtemps. Antoine est amateur de ces interminables séances dont elle a eu quelques échantillons avec Toto quand elle le testait. Toto va plus vite avec le réglage qu'elle a choisi. Léa ne rappelle pas Antoine. Elle sort Toto de sa mallette, le met en place, et il exécute impeccablement son programme mémorisé préféré qui est bien agréable. Elle a besoin d’utiliser Toto en sourdine pour se détendre, mais elle se donne à Toto en pensant à Antoine. Chez elle, elle n’utilise pas Toto puisqu’elle a ses hommes, mais ce soir Toto lui donne beaucoup de plaisir. Elle retrouve le calme, boit la tisane froide, à l’odeur subtile et au goût agréable. Elle s’endort pour ne se réveiller qu’au matin. Toto n’est pas jaloux qu’elle l’ait trompé en pensée avec Antoine.

*

Antoine attend Léa au petit déjeuner. Elle lui sourit : elle a passé la bonne nuit nécessaire pour les affaires. Le lit est confortable, la chambre tranquille. Elle est en forme parfaite. Antoine a tenu sa promesse : il ne l’a pas réveillée.

 

— J’ai très bien dormi, dit Léa. J’ai bu la tisane. Elle est bonne, et je ne me suis réveillée qu’au petit matin. La nuit a été calme. Je suis en forme. J’envisageais d’aller à l’hôtel si je n’étais pas parvenue à dormir, mais je reste ici pour les nuits suivantes. Ce soir, j’ai un dîner d’affaires, donc, j’irai directement dans ma chambre pour ne pas vous déranger. J'ai la clé de la maison.

— Et mon baiser ?

— Si vous êtes encore à m'attendre quand je rentrerai, je vous le donnerai quand vous apporterez la tisane. Garder la même dose. Elle me convient. Si la porte est fermée, c’est que je n’aurai pas fini de me préparer. Attendez que je vous ouvre, mais vous ne resterez pas et vous me laisserez dormir.

*

Antoine, sans Céline pour le calmer, est toujours demandeur les soirs suivants. Léa balance entre céder ou résister. Elle aime Antoine, même si elle ne veut pas se l'avouer. Elle pourrait lui faire une fleur, même si elle craint trop de l’aimer, mais la perspective d’une nuit agitée la ramène à Toto. Quand Antoine lui apporte sa tisane, elle porte déjà sa chemise de mousseline. Léa accueille Antoine. Sa protection vestimentaire est symbolique, mais elle aime sentir qu'Antoine la désire. Il a prouvé le premier soir qu'il obéissait. Elle se permet de lui offrir le baiser avec un contact des corps qu'elle ne craint pas. Il peut la tâter sans être gêné par les vêtements qu'elle portait le premier soir. Les sensations sont plus fortes. Si Antoine la poussait sur le lit, il n’aurait qu’à soulever un voile arachnéen, et elle ne résisterait pas, à condition qu’il mette un préservatif. Elle en a dans son sac, donc, l’amour avec elle possible si elle peut dormir ensuite. Elle arriverait à le convaincre d'aller assez vite pour ne pas rester et la laisser dormir.

Antoine sourit à Léa, lui réclame le baiser du soir en la caressant longuement et sans complexe sous la fragile mousseline, en la retroussant sans que Léa s'y oppose. Antoine sait comment aviver le désir de Céline et l'inciter à se donner. Léa est sensible aux caresses appuyées, mais elle domine ses réactions, même quand il effleure sans complexe des points sensibles, les mêmes que ceux qui excitent Céline, et que ses doigts câlinent avec jubilation. Antoine compare avec Céline. C'est très analogue, mais avec quelques petites différences, de forme, de contact et de pilosité. Antoine explore longuement. Par le toucher, il connaît désormais avec précision l'anatomie de Léa. Celle-ci, apparemment atone, attend stoïquement qu’il arrête de la palper, mais elle est surexcitée, en ébullition intérieurement, aussi prête à se donner que Céline. Antoine insiste, ne la lâche pas tout de suite, mais Léa résiste à la tentation de faire le moindre geste d'invite. Elle s'oblige à ne pas bouger. Voyant qu’il n’obtient rien par les caresses, Antoine finit par partir, car il ne veut pas mécontenter sa cousine. Léa est à la fois déçue de ne pas avoir à céder, et soulagée, car la nuit sera bonne. Elle se donne à Toto avant de dormir, ne pouvant faire autrement. Toto calme Léa. Elle est complètement à lui. Heureusement qu’il est là pour se substituer à Antoine.

Les quatre nuits sont également réparatrices. Chaque soir, au moment du baiser, Antoine caresse Léa à travers et sous la chemise. Léa ne l'interrompt pas, restant apparemment de marbre, comme la première fois, et Antoine quitte la chambre. Le matin, Léa garde la forme, et ses affaires sont bien menées.

Léa a refusé l’amour d’Antoine, et elle reste son amie. Ils se quittent en s’embrassant chaleureusement une dernière fois. Léa n’a pas ajouté un amant caché ponctuel à ses amants cachés habituels. Elle n’augmente pas le nombre de ses amants inutilement. Elle est contente de revenir à la maison. Elle parle des affaires sans évoquer d’Antoine, ni tous ceux qui la convoitent. Elle y passerait son temps, et ses hommes ne sont pas curieux. Ils savent qu’elle est libre et fait par principe ce qui lui plaît de son sexe, donc elle est laconique sur ses amants. Ils ne lui posent pas de questions indiscrètes sur les envies qu’elle a eues sans eux et comment elle les a supportées. Ils la trouvent très bien comme elle est, et savent qu'elle est suffisamment sérieuse pour ne pas les mettre en danger. Elle peut oublier Antoine et ranger Toto. La routine reprend.

*

Céline a eu deux amants importants avant Antoine, et ne s’en est jamais cachée à Antoine. Le premier est parti ailleurs sans l'emmener. Elle a quitté le second parce qu'elle n'a pas supporté qu'il boive en cachette.

Quand Céline revient, Antoine parle assez librement de Léa, car il sait qu’elle est pour la liberté des femmes, mais aussi celle des hommes. C'est l'égalité. Il a utilisé la liberté avec Léa comme Cécile a dû le faire de son côté.

 

— Pendant ton absence, dit Antoine, je me suis retrouvé avec une amie d’enfance que je n’avais pas revue depuis longtemps. J’ai passé de bons moments avec elle. Elle est aussi libre que toi. Elle prône comme nous la liberté sexuelle et n'a pas d'addiction. Elle t’a remplacée.

— Je vois. Est-elle belle ?

— Assez, mais je la classe après toi. Il est dommage qu’elle habite si loin. Il est peu probable qu’elle revienne. Je t’avais presque oubliée pendant cette semaine, mais tu es là maintenant. Qu’as-tu fait de ton côté ?

— J’ai attendu de te retrouver et fait ce que ma liberté me permet sans que tu en souffres. J'ai pris mes précautions. As-tu pris des précautions avec ton amie ?

— Je sais que tu y tiens. Elle utilise un stérilet, comme toi. Elle a l’habitude. Elle est sérieuse.

— Comment sais-tu qu’elle est sérieuse ?

— J’ai passé de longues vacances avec elle quand j’étais au lycée. Je la connais bien.

— C’était une gamine, et toi un gamin incapable de savoir ce qu’est un adulte. L'as-tu revue depuis ?

— Non.

— Tes renseignements sont très anciens. As-tu des renseignements valables sur sa vie sexuelle, sur les hommes qu’elle fréquente ?

— Elle est mariée et a deux enfants. Elle a une vie de famille.

— C’est tout ?

— Que veux-tu savoir de plus ?

— Elle est presque sûrement à risque si elle défend la liberté sexuelle. Moi qui le défends aussi, je suis bien placée pour le savoir. Je côtoie toutes celles qui militent. C’est une faune peuplée de libertines. Même pas une sur dix n'est sérieuse. Presque toutes font la fête et l’amour avec celui qui se présente quand elles sont saoules. Beaucoup sont malades. L’image qu’elles donnent n’est pas en faveur de notre cause. Ta copine est-elle est vraiment sérieuse ?

— Je crois.

— Il ne suffit pas de croire. Il faut en être sûr, et c'est peu probable. As-tu mis au moins un préservatif ?

— Non. Comme tu as un stérilet, je n’ai pas de préservatifs. À quoi serviraient-ils ? Ma copine a un stérilet, n’a pas de maladie, et moi non plus.

— Je ne te croyais pas aussi innocent. Je déplore une double absence de précaution avec elle. Incertitude sur ses maladies, et aucune protection contre elles. Te rends-tu compte de ce que tu as fait ? Tu es inconscient, et c'est grave. Tu étais prêt à me faire courir des dangers sans remords. C’est impardonnable. En conséquence, ne compte plus sur moi pour l’amour. Je ne peux pas aimer un homme qui m’expose inutilement à des maladies sexuelles. Je ne voudrais pas être à ta place. Tu devrais aller passer en vitesse tous les tests de dépistage au lieu de rester ici. Tu saurais quelles maladies tu couves.

— Mais…

— Il n’y a pas de mais, dit Céline. C’est comme ça. Dans ton cas, il fallait imposer le préservatif. Tu as tout fait pour que je me sépare de toi. Je ne veux plus de toi. Je trouverai un garçon moins tête-en-l’air pour me marier. Je me suis trompée sur toi. Je ne fréquente pas les imbéciles qui peuvent me rendre malade.

— Pars-tu vraiment ?

— Oui. N'essaye pas de me retenir. Je ferais une crise de nerfs. Je ne veux plus entendre parler de toi. Ne me touche plus. Adieu. Je te quitte.

*

 

— Papa, dit Antoine. Céline est partie. Elle ne veut plus de moi.

— Qu'as-tu fait pour qu'elle parte, dit Victor ?

— Je n'aurais pas respecté ses principes de sécurité.

— Si c'est le cas, tu es en faute, une très lourde faute. La sécurité est primordiale.

— J'applique le principe de double sécurité que tu préconises. Pour faire l'amour avec Léa, je pouvais d'une part compter sur son sérieux, et d'autre part sur le stérilet qu'elle porte. C'est insuffisant pour Céline.

— C'est aussi insuffisant pour moi. Il faut ajouter un préservatif.

— Cela conduit à trois sécurités. Ton principe de double sécurité devient un principe de triple sécurité.

— Non. Pour les maladies, tu n'as utilisé qu'une sécurité. Pour les enfants la sécurité est aussi trop faible.

— C'est le raisonnement de Céline, dit Antoine. Mais quand on est dans l'action, penser à toutes ces sécurités est difficile.

— C'est pourtant indispensable, dit Victor. Le principe de double sécurité n'est pas facile à appliquer. Céline a compris ton incapacité dans ce domaine. Il est normal qu'elle t'ait quitté. Elle ne transige pas avec la sécurité, et moi non plus. J'approuve entièrement la réaction de Céline. Tu n'es libre sexuellement que dans la sécurité. Tu ne peux pas demander la liberté sexuelle en n'assurant pas la sécurité de ton partenaire. Tu dois te réformer.

— Comment ?

— Comme tu ne sais pas bien appliquer la double sécurité, il est probable que tu l'appliqueras toujours mal. Il faut trouver une autre méthode.

— La triple sécurité ?

— Ce serait déjà mieux, mais je doute que tu l'appliques bien. Il te faut une autre méthode de sécurité plus simple.

— Laquelle ?

— Par exemple obéir à une personne qui applique bien la double sécurité. Tu pouvais me demander.

— Je n'y ai pas pensé. À l'avenir, je te demanderai ton avis. Mais si tu n'es pas là, que dois-je faire ? Avec Léa, j'étais seul.

— Tu restes fidèle à ta partenaire.

— C'est la méthode brutale pour les non éduqués.

— Oui. Elle peut même s'appliquer à une femme jalouse. Cette méthode est simple et efficace.

— Je ne veux pas d'une jalouse, dit Antoine. Toi qui exhortes à la liberté sexuelle, me l'enlèves-tu ?

— Je ne l'enlève pas à ta partenaire si elle sait l'appliquer comme Céline. Une fille bien éduquée peut garder sa liberté sexuelle.

— Redonne-moi Céline.

— Si Céline veut bien. Comme tu l'as déçue, il est normal qu'elle te rejette.

— Elle me fuit et s'est mise avec un autre.

— Si cet autre lui convient, elle n'est plus pour toi, sauf éventuellement en amante. Comme je te déconseille les amantes, il vaut mieux te résigner à passer à une autre compagne que tu garderais seule. Je peux t'en trouver une.

— Dans celles qui militent avec toi ?

— Oui. Il y en a quelques-unes sans addictions. Elles sont les plus intelligentes. Comme tu présentes bien, il y a deux ou trois possibilités, mais je dois te garantir. Je t'avais garanti à Céline, et tu nous fais ce coup-là. Céline peut en parler, te discréditer, et moi avec. Je dois rétablir la situation. Il faut me promettre que tu seras fidèle à celle que je te choisirai jusqu'à ce que vous vous quittiez. Si Céline a l'assurance de ta fidélité, elle n'agira pas contre toi : je lui expliquerai et j'espère la convaincre. Sans cette promesse, je n'engage pas une fille convenable avec toi. C’est ça ou rien.

— Donc, elle aurait la liberté sexuelle, et pas moi ?

— Oui.

— C'est injuste.

— C'est juste pour elle si elle est capable d'exercer sa liberté sexuelle convenablement. Je ne vais pas lui retirer sous prétexte que tu n’es pas capable de la mériter. Comme tu es handicapé sur la sécurité sexuelle, il faut surmonter ton handicap. Cécile et moi t'interdisons la liberté sexuelle puisque tu tombes dans la facilité et le libertinage. Si tu veux passer outre, ne compte plus sur moi. Tu auras alors du mal à trouver une partenaire convenable. Je te propose une copine à qui tu resteras fidèle parmi celles qui sont avec moi. Actuellement, je n'ai pas aussi bien que Céline, mais presque. Préfères-tu ne pas avoir de copine ? L'abstinence est encore plus simple.

— Je préfère une copine convenable, dit Antoine.

— Je vais te l'amener, dit Victor.

*

 

 

La fortune des parents d’Oriane a disparu. Les dettes se sont accumulées. Tous leurs biens ont été saisis par les créanciers. Roger et Oriane les recueillent sous leur toit. Oriane n’a pas de fortune personnelle importante, mais elle est chez son mari Roger, qui a une fortune solide. Ses parents ne manquent de rien.

*

Roger passe régulièrement des visites médicales. Les analyses confirment le diagnostic. Il a une maladie grave qui ne lui donne que quelques mois ou années à vivre. Roger dit à Martine qu’il mourra sans doute comme elle. Oriane en sera avertie plus tard par Martine.

*

 

 L’enfant

 

— Oriane, dit Roger à sa femme. Maman m'a révélé que notre famille est sujette à un sort qui abat les membres de notre famille. Maman et moi sommes malades, et la malédiction en est responsable.

— Vous n'avez pas la même maladie. Je doute qu'il y ait une liaison entre les deux. Un sort n'agit que psychologiquement si personne n'intervient. Qui a jeté le sort ?

— On ne sait pas, mais la malédiction existe depuis plusieurs générations et se perpétue. Ce sont les parents de maman qui lui ont transmis l'information. Avec maman, nous sommes des acteurs actuels de cette malédiction.

— Comment ?

— Nous la subissons.

—Tu ne sais rien sur l'origine de la malédiction. Les jeteurs de sorts sont nombreux, mais ils n'ont jamais obtenu de résultats sans passer à l'action. Tu peux oublier cette malédiction. Elle n'existe pas, et même si un sort a été jeté, il est trop ancien pour exister encore.

— La transmission a l'air de se faire de génération en génération, par les enfants.

— Es-tu sûr de cela ?

— C'est seulement probable, mais c'est constaté avec certitude.

— Avec quelle probabilité ?

— Tu m'en demandes trop. Je ne sais pas calculer les probabilités.

— Moi, je sais les calculer. Qui parle de malédiction ? Comment savez-vous qu'elle existe ?

— Mes ancêtres ont laissé de nombreux documents sur cette malédiction. C'est la preuve. Ils ont accumulé leurs observations pour leurs descendants, en leur écrivant de se méfier.

 — Qui a les documents ?

— Alain doit les avoir, dit Roger.

— J'y jetterai un coup d'œil, dit Oriane. Ce serait étonnant d'hériter d'une malédiction.

 

Oriane étudie le dossier des ancêtres. Les documents ne manquent pas. Ils remontent à plusieurs siècles. Les ancêtres ont presque tous noté les éléments essentiels de leur vie en faisant amplement référence à la malédiction. Tourmentés par ce qui leur arrivait, ils ont détaillé tout ce qui pouvait les amener à croire à la malédiction. C'est assez complet pour qu'Oriane puisse discerner une sorte de malédiction frappant les membres de la famille. Dans les écrits, la plupart y croient et ne savent pas comment y échapper. Oriane est presque convaincue de cette existence, quand elle remarque un fait qui contredit l'existence de la malédiction. Un enfant a été adopté, et il est devenu l'ancêtre des générations suivantes. Malgré la coupure génétique, la transmission a lieu. Oriane en fait part à Alain.

 

— S'il y a malédiction, dit Oriane, elle frappe la famille, mais en suivant un chemin incertain qui n'est même pas attaché à son nom, puisque le nom a changé plusieurs fois d'une génération à l'autre, et les gènes ne se sont pas transmis.

— Vous en concluez que la malédiction n'existe pas, dit Alain, et qu'elle est le fruit du hasard.

— Oui. Vous raisonnez comme moi. Cette malédiction n'a pas de fondement sérieux.

— Si elle existait, en ce qui nous concerne de près, seuls vos enfants seraient touchés, et non les enfants que Roger a pu avoir avec d'autres femmes.

— Oui. Il y a des enfants analogues dans les archives, qui ont mené une vie normale. Si Roger a eu des enfants avec ses amies, ces enfants ne sont pas soumis à la malédiction. Seule est concernée la femme de Roger ayant un enfant pendant qu'il est légalement le père.

— Roger n'a donc pas à s'inquiéter pour ses amies. Si Roger croit à la malédiction, il voudra l'arrêter, et donc ne plus faire l'amour avec vous.

— Oui. Il pourra encore coucher avec ses copines, même sans préservatif si elles veulent des enfants.

— Lui communiquons-nous le résultat de votre enquête ?

— Oui. Vous pouvez lui expliquer. J'espère qu'il nous croira. S'il reste sensible à la malédiction, et si je fais un enfant avec lui ou un autre, Roger sera malheureux, ce que je ne souhaite pas. Tant pis s'il ne veut plus de moi. Je lui laisse ses amies. Il n'a rien à craindre de leur côté. J'ai à le tester pour savoir s'il veut faire un enfant avec moi. Nous l'envisagions, car Martine en souhaite un rapidement. Tant que Roger sera là, je ne le contrarierai pas.

— Martine souhaite l'enfant, et moi aussi.

— L'enfant ne craint rien puisque la malédiction n'existe pas, et je suis prête à vous satisfaire, mais je ne peux pas contrarier Roger. Je ne le ferai que si Roger le permet. Je vais essayer de le convaincre que nous sommes trois à le souhaiter.

*

 

 

— Roger, dit Oriane. Ta maman souhaite que j'aie un enfant. Nous l'avons différé, car j'avais beaucoup de travail avec Alain. Maintenant, c'est devenu possible. Nous n'avons plus besoin de contraception. Il peut venir.

 

Roger n'est pas chaud. Cet enfant risque la malédiction. L'enfant de la malédiction lui fait horreur. Il ne veut pas parler de la malédiction, car il sait qu'Oriane n'y croit pas. Il cherche un biais, d'autres raisons d'éviter l'enfant.

 

— Tu travailles encore trop, dit Roger. L'enfant peut attendre.

— Mais non, dit Oriane. Il est temps de l'avoir. Tu es encore capable de m'en donner. Je m'offre. Je suis prête.

— Je n'ai pas envie de faire l'amour avec toi actuellement.

— Pourquoi ?

— Il y a des raisons.

— Lesquelles ?

— Je suis malade.

— Tu es aussi malade pour tes amies.

— Oui, mais tu es frigide. Je ne pourrai pas élever l'enfant. Il sera sans père. Je n'en ai pas envie. Tu n'es pas responsable. Laisse-moi tranquille !

— Tu n'es pas en forme. Tu iras mieux ce soir. J'ai abandonné la contraception. J'arrive à la période favorable. Il faut ne pas manquer l'occasion de me féconder. Je compte sur toi.

 

Roger est effrayé. Il ne peut pas s'empêcher de faire l'amour avec Oriane quand elle s'offre. Oriane aura ce qu'elle souhaite s'il l'accepte. Il décide de fermer la porte de sa chambre. Elle ne pourra plus s'offrir.

 

— Désormais, ma chambre te sera fermée, dit Roger.

— Je ne suis pas frigide, dit Oriane. J'ai du plaisir avec toi.

— J'en doute. J'ai toujours l'impression de te violer. Je ne ferai plus l'amour avec toi. Je n'aurais jamais dû me marier avec toi.

— Tu me fais marcher.

— Non. Tu auras ta chambre et moi la mienne, jusqu'à ma mort. Tu n'auras pas trop longtemps à attendre que je te débarrasse de ma présence, puisque je suis condamné. L’enfant, même désiré, ne justifie pas que je te viole.

— Je ne serais pas violée, puisque je t'aime, dit Oriane.

— C’est du viol affirme Roger. Ne me provoque pas. Je ne ferai plus jamais l'amour avec toi.

 

 Oriane accepte que Roger fasse chambre à part fermée. Elle a toujours beaucoup de considération pour lui et elle lui garde son amour. Elle est désolée, car elle tient à Roger qui fait fausse route en la considérant comme frigide, mais qui par ailleurs est un bon mari très attentionné pour elle, et qui va le rester. Roger veut bien continuer d’être le mari d’Oriane et vivre avec elle, mais il n'ouvrira pas son lit pour la traumatiser. Il a des copines qui soignent ses envies discrètement. Elles lui suffisent. Alain lui a dit que ses copines ne risquent rien s'il a des enfants avec elles. La malédiction ne porte que sur la famille officielle. Il n'y a qu'avec Oriane qu'il ne doit plus aller. Il a été lâche en lui permettant d'entrer dans sa chambre. Il est content d'avoir décidé de la fermer.

 

Roger avertit Léa de sa disparition annoncée. Il parle de l’enfant qu’il refuse à Oriane bien qu’il aimerait en avoir un. Il explique qu'il ne fait plus jamais l'amour avec Oriane, car elle est trop frigide pour qu'il continue avec elle. Il ne veut pas parler de malédiction. Léa est logique comme Oriane. Elle n'aimerait pas cette explication, et le dissuaderait de croire à la malédiction. Il s'en tient à la frigidité, plus simple à comprendre, et difficile à contredire. Il a besoin d'elle et d'Odile. Il sera plus souvent avec elles. Il espère qu'elles ne le renverront pas.

Pour Léa, la surcharge va augmenter. La solution serait qu’Oriane ne soit plus frigide et qu'il se remette avec elle. Un sexologue doit être capable de la soigner, et Roger pourrait alors lui faire l’enfant. Léa fait promettre à Roger de consulter un sexologue.

*

— Oriane, dit Roger. Si tu n’étais pas frigide, je te ferais l’enfant. As-tu vu un sexologue ? Il pourrait peut-être te débloquer.

— Allons-y ensemble, dit Oriane toujours laconique, mais qui se doute que la malédiction est en cause. Elle ne contrarie pas Roger. Le sexologue peut le débloquer.

*

— Vous me dites, Monsieur, que votre femme n’a pas de plaisir, et vous, Madame, que vous en avez. Il faudrait une étude sérieuse pour vous départager. Je devrais rentrer dans votre intimité, en vous posant des électrodes pour détecter les réactions de Madame, et dans un tel environnement, cela peut lui couper tous les effets. Avec des analyses hormonales, ce ne serait pas mieux. La psychologie intervient beaucoup et fausse les résultats. Je ne suis donc pas capable de vous départager médicalement par des moyens simples. Votre problème me dépasse. Voyez un psychiatre, mais je doute qu’il fasse mieux que moi.

*

— Le sexologue n’a servi à rien, dit Oriane. Je te répète que j’ai du plaisir avec toi. Je ne suis pas frigide. Je suis seulement froide. Je n’y peux rien. Veux-tu que je simule la joie ? Je ne sais pas rire, et à peine sourire.

— Tu veux me faire croire que tu es un bout de bois, dit Roger. En réalité, tu caches ta souffrance. J'ai horreur de faire mal. Je ne poursuis pas le supplice que je t'ai imposé en me mariant avec toi. Si tu veux, je te libère, et nous divorçons.

— Par le divorce, ta maman n'aurait pas l’enfant légitime qu'elle souhaite. Je ferai tout pour lui donner. La solution est que je me fasse féconder artificiellement. S’il faut en passer par là, je le fais. Tu donnes ton sperme et je l’utilise.

 

Roger ne veut pas. La malédiction s'abattrait sur l'enfant.

 

— Je connais les difficultés de la fécondation artificielle, dit Roger. Je ne vais pas t’embarquer dans des manipulations cliniques aussi pénibles que les viols que je t’ai imposés. Je ne te reproche rien. Je n’ai pas besoin d’un enfant que je ne verrai sans doute jamais.

— L’enfant hériterait de toi. J’aurais un enfant portant ton nom, et que j’aimerais autant que toi.

— Oui, dit Roger, et mes parents auraient un héritier. Maman serait contente. Si tu trouves le moyen de faire un enfant, je ne m’y oppose pas. J’accepte cet enfant comme étant le mien, mais je ne participerai pas à sa fécondation. Prends un donneur de ton choix.

 

Oriane est étonnée. Roger n'a certainement pas compris que même un enfant d'un autre sera soumis à la malédiction, puisqu'il est destiné à prolonger la famille. Elle comprend qu'elle n'aura pas d'enfant de Roger. Il ne veut pas lui en donner. La malédiction est la plus forte. C'est la raison de son refus de coucher avec elle. Oriane laissera toujours la porte ouverte de sa chambre pour Roger, mais elle ne se fait pas d'illusion. C'est fini avec Roger. Il ne changera pas d'avis sur la malédiction. La logique d'Alain et la sienne ne sont pas assez puissantes pour le persuader. Cependant, il n'y a pas à se braquer contre lui. Le donneur que Roger lui propose prouve qu'il l'aime encore. Il est conciliant. Faut-il corriger son point de vue, car il interprète mal la malédiction en lui permettant l'enfant ? Cela compliquerait la situation. Il ne voudrait plus qu'elle fasse d'enfant, et il n'en serait pas plus heureux. Cette erreur d'interprétation s'ajoute à l'erreur qui consiste à croire à la malédiction. La solution est d'aller dans le sens de Roger. Oriane fera l'enfant avec un amant puisque Roger n'en souffrira pas.

 

— Si tu me désignes un père, dit Oriane, je l'accepte.

— Choisis toi-même un homme que tu aimes, dit Roger. Je te fais confiance.

— Ton père aurait à élever l’enfant avec moi puisqu’il serait le grand-père. Il est le plus concerné. Je vais lui demander quel père il choisirait.

*

 

— Chère Oriane, dit Alain, le père de Roger. Vous m’avez exposé la situation. Dites-moi : êtes-vous réellement frigide ?

— Non. Je suis seulement froide. Votre fils confond avec la frigidité.

— J’ai entendu dire que la frigidité n’existe pas, n’étant pas permanente.

— Oui, mais il y a des femmes qui souffrent en faisant l’amour, et c’est ce dont il parle. Ce n’est pas mon cas. Seul, Roger souffre en faisant l’amour avec moi, si je souhaite un enfant de lui. Il dit que je souffre intérieurement. Je conçois qu’il ait du mal à faire l’amour avec moi s’il croit me blesser ou faire une mauvaise action. Ce serait une preuve d'amour pour moi. J’accepte qu’il ne veuille plus faire l’amour avec moi : c’est son droit, et je ne vais pas le violer parce que j'ai envie de lui. Mais pour avoir maintenant un enfant de lui, je ne vois pas comment faire. C'est devenu impossible. Il me dit de faire l’amour avec un autre, et que ce sera son enfant. Il n'a pas compris que cet enfant risque d'être soumis à la malédiction qu'il redoute. C'est sans doute mieux ainsi. Il ne m'empêche pas d'avoir un enfant s'il n'est pas de lui. Cet enfant devant hériter de vous, j’aimerais savoir qui vous choisissez comme père concepteur, et si vous voulez que je le fasse. Si personne ne veut cet enfant, je ne le fais pas, mais votre femme le désire.

— J’ai bien compris que Roger se dérobe. Il est malade, et les malades souffrent. Il ne faut pas trop les contrarier. Ma femme aussi est malade. Elle souhaite un enfant de vous encore plus que moi. Quand nous nous sommes mariés, nous avons eu Roger avec un peu d’avance. Elle n’a pas pu avoir d’autres enfants. Si Roger n’en a pas, ce sera une grande déception pour elle. Faites-nous un enfant. C’est notre vœu le plus cher, et je ne crois pas à la malédiction. Si Roger vous a dit de faire l'enfant avec un autre : faites-le. Vous choisissez celui que vous voulez. Je sais que vous n’avez pas d’amant, ce qui pour mon fils est une preuve secondaire de frigidité. Il ne conçoit pas qu’une femme normalement constituée puisse se passer d’amour, comme vous actuellement. Vous devriez avoir un amant.

— Mais, avec Roger, je n'ai jamais eu besoin d'amant. Je lui suis fidèle, tout simplement. Je voudrais que Roger revienne à la raison en oubliant la malédiction et en faisant l'amour avec moi. J'envisageais de reprendre la contraception pour que Roger m'ouvre sa porte, mais il ne l'ouvrira pas. Par ailleurs, je souhaite l'enfant, mais je ne vois pas d'amant pour moi.

— Il faudrait y songer si vous voulez ne pas vous passer d'amour.

— Je ne me passe pas d’amour. Je me masturbe quand Roger me délaisse. Je ne pense pas être infidèle de cette façon. Je souhaite toujours Roger. Mais il me repousse définitivement pour ne pas souffrir. Je n'ai plus à m'offrir. Ce serait ne plus l'aimer.

— Roger se trompe sur vous. Comment faire pour le ramener à la raison ?

— J’ai tout essayé, dit Oriane. Il n’écoute pas la raison. Il a peur que je le provoque et cède à sa faiblesse. Il m'éloigne de lui.

— Je crains qu’il ne m’écoute pas non plus, dit Alain. Je réagis comme vous. Tenez-vous à rester fidèle ?

— La fidélité ne me pesait pas, mais si vous tenez, avec votre femme, à ce que je ne le sois pas, je serai infidèle pour l'enfant, surtout si Roger m'y pousse. Il accepte que j'aie un amant. Il croit que la malédiction n'atteindrait pas plus cet enfant que ceux de ses copines. Je n'ai pas essayé de lui expliquer que mon enfant pourrait être sujet à la malédiction telle qu'il devrait la concevoir.

— Roger va bientôt mourir. Il ne changera pas d’avis. Ne cherchons pas à lui attirer des soucis supplémentaires. Je n'ai pas expliqué à Roger que votre enfant pourrait être touché. J'ai jugé que c'était inutile. Je lui ai dit, ainsi qu'à Martine, qu'il n'y a pas de malédiction, que c'était prouvé par votre enquête. C'est bien ce qui est logique. Ne lui fourrons pas d'autre idée dans la tête. Votre enfant ne craint rien. Faites plaisir à ma femme et à moi. Oublions la malédiction et faites l’enfant.

— Avec qui ? Roger s’en moque si ce n'est pas lui. Je suivrai votre avis.

— N’avez-vous pas eu un amant avant de vous marier ?

— Si.

— Il est tout désigné.

— Non. J’ai accepté André parce que j’étais à sa portée, que ça lui faisait plaisir et que je voulais savoir si je réagissais normalement. Je l’ai aimé, mais sans excès. Je m’en passais facilement. C'était plus pour m'informer que le désir. C'était agréable, mais je n’allais pas le chercher. Je le prenais quand il venait. C'était presque uniquement physique, parce qu'il ne parlait pas. Nous n'avons jamais eu de véritable conversation. André est maintenant marié et respecte le mariage. Il ne s’est plus jamais manifesté. Je l’ai perdu de vue.

— Vous passez-vous facilement de Roger ?

— Je m’en passe, mais pas facilement. Roger faisait beaucoup l’amour avec moi. J’étais habituée, et maintenant, je manque d’amour. J’ai des fantasmes. Faire l'amour avec lui me convenait.

— André ne vous manquait-il pas, avant Roger ?

— Je n'ai jamais considéré André comme un véritable amant. Un homme me manquait, moins que maintenant. J'attendais le mariage, comme beaucoup de jeunes filles.

— Roger n'est pas irremplaçable. Quel genre d'homme pourrait vous plaire ?

— Je souhaite un homme que j'aime, dit Oriane, cultivé et qui me dépasse dans plusieurs domaines, comme Roger. J'ai appris beaucoup de choses de Roger. Je ne voudrais pas d'un imbécile que je mépriserais. Je vous fais confiance pour me désigner celui qui vous donnera un héritier.

— Je vais d'abord poser le problème du donneur à ma femme, dit Alain. Martine a peut-être une idée.

*

— Chère enfant, dit la femme d’Alain. Je suis heureuse de vous recevoir.

— Je ne resterai pas longtemps, dit Oriane. Vous m’avez demandé de venir, mais je ne veux pas vous fatiguer.

— Je suis encore capable de tenir une petite conversation, dit Martine. Mon fils ne veut pas de vous. C’est un imbécile, et je lui ai dit. Cette histoire de viol ne tient pas debout. Il ne vous viole pas.

— Il est seulement malade. Il est très perturbé. Il a plus de satisfactions avec Léa et Odile. Il faut le comprendre.

— Oui, et il s’entête bêtement. Il a inventé votre viol par peur de communiquer sa maladie. J’aurais mieux fait de ne pas lui en parler. Il croit à la malédiction. Vous en pâtissez, et j'en suis responsable. On peut vivre longtemps en étant malade. J’en suis l’exemple. Que faites-vous pour l’enfant ? Il nous faut un enfant. Je veux un héritier, et il faut agir rapidement si Roger meure avant moi.

— Je ne sais pas comment faire.

— Savez-vous comment on fait un enfant ?

— Oui. Bien sûr.

— Alors, vous en faites un.

— Avec qui ?

— Avez-vous des préférences ?

— Je ne connais que Roger, dit Oriane. Il ne veut pas.

— Il ne veut pas parce qu’il a surtout peur de transmettre notre maladie, dit Martine. Il a trouvé ce prétexte de frigidité et de viol pour ne pas avouer qu’il refuse un enfant qui ne serait pas normal. Il ne veut pas d'une descendance sous malédiction.

— Croyez-vous ? Sa maladie est-elle transmissible ?

— Mon père disait qu’elle l’est, et il le croyait. Je ne vois pas d’autre explication.

— Je parle de sa maladie, et non de la malédiction. Une malédiction n'est pas une maladie transmissible. Je peux avoir un enfant sain de Roger si sa maladie actuelle ne perturbe pas ses fonctions reproductrices. Le docteur dit-il qu'il est préférable qu'il n'ait pas d'enfant ?

— J'ai interrogé le docteur. Seule, la malédiction est à redouter pour l'enfant.

— Je ne crois pas à la malédiction.

— Alors ? Avez-vous bien envie de faire l’amour avec lui ?

— Oui, mais je n’aurai pas d’enfant s’il ne se décide pas.

— Il ne se décidera pas, car il est aussi têtu que moi, et il croit à la malédiction. Il vous faut un autre homme. J’en connais un qui répondrait à mon souhait.

— Qui donc ?

— Alain. Cela lui ferait du bien d’aller avec vous au lieu de se masturber. Moi, je ne peux plus le supporter, et le médecin m'interdit les relations sexuelles. Alain m’a toujours été fidèle. C’est l’homme que j’aime le plus, et je lui ai été fidèle dans le mariage. J’ai passé avec lui des années merveilleuses. Mon seul regret est de ne pas lui avoir donné d’enfant en dehors de Roger qui n’est pas de lui. J’ai eu deux amants avant le mariage avec Alain. Je tenais à vous le dire, car pour moi, il n’est pas interdit d’avoir un amant. Votre enfant ne sera pas malade s’il n’est pas de Roger. Ce serait une bonne chose d'écarter ainsi la malédiction, même si nous n'y croyons pas. Est-ce qu’Alain vous va ? Il ne transmettra pas de maladie à l’enfant. Il dit qu'il baisse, mais il a encore des possibilités. Avec moi, il était encore assez actif jusqu'à ce que je ne le supporte plus. L'amour n'est plus pour moi. Profitez de lui pendant que c'est encore possible.

— Est-il d’accord ?

— Ce ne sera pas facile de le décider, mais j’en fais mon affaire. J’y arriverai.

— Ai-je le droit d’aller avec mon beau-père ?

— C’est malheureusement très mal vu, mais ce n’est de l’inceste que pour ceux qui ne comprennent rien à l’hérédité. L’enfant ne risque pas énormément plus de tares avec un père âgé comme lui qu'avec un jeune. Le médecin dit qu'il est encore fertile. C'est le principal. Il faut seulement qu'il parvienne à féconder. Êtes-vous consentante ?

— Oui. J’aime bien Alain. Travailler avec lui est agréable. Je ne sais pas s'il m'aime. Je pense que oui, mais je peux me tromper. Je ne veux pas le forcer.

— N'ayez pas de crainte. Ce ne sera pas un viol. Il vous aime depuis toujours. N’attendez pas. Mettez-vous y le plus rapidement possible. Roger peut mourir avant moi. L’enfant héritera de moi si vous vous pressez.

— Je ne voudrais pas que ça s’ébruite si c’est mal vu.

— Je n’en dirais rien, et Alain non plus. Je vous souhaite bien du plaisir avec Alain. Il est très bien si vous ne le faites pas trop attendre, car ses érections ne durent pas longtemps. On s'y fait. Vous verrez. Dès qu'il est actif, vous vous donnez sans attendre. Écourtez au maximum les préliminaires, sinon, il s'effondre. Trouvez les moments favorables, dès que vous voyez que c'est possible, et ne le surmenez pas.

— Est-il malade ?

— Non. C'est l'âge. Alain n'est plus jeune. Ce n'est pas Roger. Il est limité. Je n'ai pas à vous proposer mieux. Si vous avez des envies supplémentaires, ou désirez avoir de longs moments d'amour, cherchez un autre amant plus jeune, mais je serais déçue si vous écartiez Alain.

— J'irai avec Alain, dit Oriane. Je l'aime bien.

— Comme moi, dit Martine. Dès qu’Alain sera d’accord, je vous préviendrai. Maintenant, ma chère enfant, laissez-moi reposer.

*

— Alain, dit Martine. Tu fais l’enfant d’Oriane. Ne proteste pas. Je ne te supporte plus et Oriane est d’accord. C’est la meilleure solution. Tu passeras tes envies en couchant avec elle.

— Je n’ai jamais couché qu’avec toi.

— Il n’est pas trop tard pour que tu apprennes avec Oriane qu’il y a quelques agréments avec d'autres femmes que moi. Physiquement, elle est mieux que moi et en pleine santé. Roger dit qu'elle est facile. Tu devrais t'en accommoder. L’aimes-tu ?

— Oui, mais par pour coucher. Une jeune comme elle ne veut pas d’un vieux. Elle ne peut que me refuser, et avec raison.

— Tu n’es pas si vieux. Tu es en bonne santé et elle ne m’a pas dit te refuser. J’ai même l’impression qu’elle t’aime beaucoup, et je suis à peu près certaine de ne pas me tromper.

— Je n'ai plus les possibilités d'un jeune de vingt ans.

— Raison de plus pour ne pas tarder à utiliser celles qui te restent. Tu te consacres entièrement à elle. Roger te laisse la place. Tu l'as entièrement pour toi. Elle aura la patience nécessaire.

— Elle sera frustrée.

— Elle sera encore plus frustrée de n'avoir personne. Oriane est sans amour actuellement. C'est intenable. J'ai évité cette situation. J'ai toujours eu un amant ou un mari, jusqu'à ce que je ne puisse plus.

— Déjà avec toi, mes possibilités étaient limitées. Je suis presque incapable, comparé à Roger.

— Taratata ! Tu es encore fort capable puisque tu te masturbes. Ne perds pas ton sperme. Garde-le pour Oriane en utilisant tous tes moyens. Va chez le médecin qui te prescrira de quoi être capable. J'en ai parlé avec lui. Il dit que ce serait possible si tu as encore des restes. Oriane souhaite que cela ne s’ébruite pas, ce qui est naturel pour une belle-fille. Un beau-père est considéré comme une sorte de père de sa bru, et il est honteux qu’un père aille avec sa fille. Mais, dans le cas présent, c’est parfaitement justifié. Tu seras son amant caché. Tu ne dois jamais le révéler pour ne pas choquer. Je ne te demande pas de te marier avec elle. On pourrait te critiquer et te désapprouver : d'abord comme belle-fille, et ensuite parce que tu serais insuffisant pour elle. Quand je serai morte, tu te marieras assez vite avec une femme connaissant les affaires, de façon à les améliorer, mais en continuant de soutenir Oriane. Tu laisseras à ta femme le droit d'avoir des amants puisque tu ne seras plus assez capable pour elle. Travaille toujours avec Oriane, et cherche-lui un bon mari de son âge. Promets-moi de faire ce que je souhaite.

— Ce n’est pas une promesse à faire à la légère, dit Alain. Une affaire pareille ne se décide pas sur un coup de tête.

— Penses-y, dit Martine, et décide-toi.

*

— Oriane, dit Alain. Ma femme me dit d’aller avec vous si ça reste secret.

— Elle m’a prévenu que nous avons à en discuter.

— Il faut voir le pour et le contre.

— Oui, dit Oriane. D’abord, nous faut-il un enfant ? Roger et votre femme vont bientôt mourir. Le plus tard possible est le mieux, mais les médecins disent que c’est inéluctable dans un délai court. Il ne restera bientôt plus que nous deux avec ou sans enfant.

— Ce serait à vous de porter l’enfant et d’en être la mère.

— Je suis capable de l’élever. Ce n’est pas un problème.

— Mais aurez-vous du plaisir à être mère ?

— Oui.

— Je me vois bien en grand-père, dit Alain. On travaillerait pour qu’il nous succède.

— Cet enfant aurait donc sa place. Êtes-vous partant pour me le faire ? C’est le vœu de votre femme. Elle y tient beaucoup.

— Oui, et j'ai aussi promis à son père de sortir la famille d'une malédiction héréditaire. Je ne voyais pas comment c'était possible, mais un enfant d'un autre que Roger aurait été une solution tant qu'on la voyait héréditaire. La malédiction n'existe maintenant que dans la tête de Roger. Elle disparaîtra avec lui. Vous pouvez faire plaisir à ma femme et à moi. Cependant, il n'est pas indispensable que l'enfant soit de moi. Choisissez un garçon de votre âge. C'est plus logique.

— La logique me pousse vers un homme comme vous, et vous êtes le seul que j'aime en dehors de Roger. Avec Roger, j'ai toujours pensé à vous. Il était celui que vous aimiez. Je l'ai aimé, et je l'aime toujours.

— C'est de moi dont il s'agit, dit Alain. Me voyez-vous dans votre lit ? Il ne faut pas espérer qu’une fois suffise. Cela demandera de très nombreuses relations sexuelles, donc du temps : des semaines ou des mois, peut-être des années. Les probabilités ne sont pas favorables. Plus l'homme est âgé, et moins il est fertile.

— Je vous aime, mais jusqu'à maintenant, je ne vous avais jamais envisagé comme possible.

— Je ne l'ai jamais envisagé non plus. Je suis trop âgé pour vous, et ce que ma femme désire est bien proche de l’inceste pour beaucoup de gens. Nous sommes trop réticents pour nous engager dans cette voie. Je vais dire à Martine que nous n’aurons pas d’enfant ensemble, et Roger n’apprécierait pas que je prenne sa place. Il est quand même concerné. Je n’irai pas contre mon fils. J’ai à le ménager autant que Martine. Cette idée d’enfant en urgence n’est pas bonne.

*

— Martine, dit Alain, Oriane et moi ne faisons pas l’enfant. Ce serait ne pas tenir compte de Roger. Il ne peut pas m'envisager comme donneur.

— Envoie-moi Roger, dit Martine.

*

— Roger, dit Martine. Tu es séparé d’Oriane et tu ne l’aimes plus.

— Je suis effectivement séparé en ne couchant plus avec elle, mais je ne reproche rien à Oriane, et je l'aime. Elle est ce qu’elle est. Elle ne peut pas se changer. Moi non plus. Jusqu'à ma mort, je la garde. Elle est toujours ma femme.

— Bien, mais je ne suis pas étonnée que ça cloche. Oriane est si particulière qu’elle n’est pas beaucoup aimée. Je t’approuve d’en préférer d’autres. Elle n'a pas beaucoup de sentiments.

— Pourtant, tu m’as orienté vers Oriane, comme papa.

— C’est ton père qui t’a orienté vers Oriane. J’ai laissé faire parce qu’il tenait à Oriane. Pour lui, Oriane est la femme parfaite. Si tu avais eu la moindre répulsion pour Oriane quand tu t’es marié, je n’aurais pas voulu que tu te maries avec elle. C’est seulement maintenant que tu es marié, et depuis longtemps, que tu nous informes de tes répulsions. Moi, en toute bonne foi, je croyais que tu l’aimais. Tu as bien couché avec elle avant de te marier pendant plusieurs mois, et ensuite, tu nous disais toujours que tu l’aimais. Tu as changé d’avis brusquement. Pourquoi ?

— J’ai mis du temps à me rendre compte que je préférais Léa, dit Roger.

— Donc, tu rejoins l’idée que j’avais d’Oriane dès le début. Elle n’est pas faite pour toi.

— Pourquoi me l’avoir proposée ?

— Ton père a estimé qu’elle était bien pour toi.

— N’étiez-vous pas du même avis ?

— Alain a de bons avis, dit Martine. Je balançais, mais pas lui. J’ai cru qu’il avait raison quand avant le mariage, tu nous as déclaré que tu étais très bien avec Oriane. Tu faisais l’amour avec elle et tu en étais content. Elle était facile. Il aurait sans doute fallu que tu restes plus longtemps avec Oriane avant de décider du mariage. Il aurait fallu attendre jusqu’à maintenant, et Oriane serait partie avec un garçon que ton père lui aurait trouvé. Souhaites-tu engager un divorce ? En veux-tu à Oriane ?

— Non. Oriane est irréprochable. Un divorce serait mal vu. Pourquoi papa était-il pour Oriane ?

— Alain est un homme d’affaires. Il m’a choisie pour les affaires. Il a choisi Oriane parce qu’elle est bonne en affaires. Elle a un caractère qui lui plaît. Elle est en bonne santé et physiquement très bien. Il a sincèrement cru bien faire en te la proposant. Il n’y a pas à le critiquer. Il faut admettre que nous avons tous agi sincèrement dans le sens du mariage avec Oriane et que ce n’est pas rectifiable. C’est du passé. Nous avons à bâtir l’avenir en fonction du présent.

— Ton avenir et le mien sont plutôt limités dans le temps.

— Oui, mais Alain et Oriane ont plus d’avenir. Nous avons à les aider dans la mesure du possible.

— Comment ?

— Ton père m’aime et il t’aime. Je le connais bien. Il ne fera rien qui puisse nous nuire. Même quand nous serons morts, il défendra notre réputation. Il est incapable de mal se comporter. Il est le plus loyal des hommes en affaires et dans la vie courante.

— Oui, dit Roger. Papa est un très bon père.

— Je souhaite faire ce qui est le mieux pour lui.

— Moi aussi.

— Pour Oriane également ?

— Oui.

— Quel avenir vois-tu pour Alain quand nous ne serons plus là ?

— Il peut se remarier, dit Roger. Un homme a besoin d’une femme. J’en sais quelque chose. Je ne m'en passe pas facilement.

— Oui. Je suis aussi pour qu’il se remarie. Alain était encore assez actif jusqu’à ce que je lui dise d’arrêter avec moi, et je lui manque certainement. Comme je ne suis plus bonne à rien, il devrait se mettre avec une femme en attendant ma fin, puis se marier assez rapidement.

— Avec qui ?

— Celle qu’il choisira. Une femme forte en affaires, pour agrandir ses affaires.

— Comme toi, Léa, Odile ou Oriane.

— Je suis exclue par la santé. Les autres sont mariées. On ne peut pas les envisager pour le mariage avec Alain.

— Oriane sera disponible quand je ne serai plus.

— Étant sa belle-fille, elle est exclue aussi. On les montrerait du doigt. Je ne sais même pas si les lois le permettraient, et Alain ne voudrait pas braver l’opinion. Le mariage d’Alain avec Oriane n’est pas une bonne solution, même si je suis certaine qu’Alain aime Oriane et qu’Oriane aime Alain. Si Oriane se marie avec Alain, elle est comme moi quand j'avais son âge, donc dix fois plus active que lui. D'ici quelques années, Alain sera impuissant. Pour son équilibre, Oriane aura besoin d'un amant. C'est lui rendre un mauvais service de la mettre avec Alain. Ce mariage éloignerait les amants d'Oriane. Oriane n'a pas d'amant en étant mariée avec toi. Elle ne trouvera pas d'amant. Seul, le mariage avec un homme de son âge peut la satisfaire, comme elle a fait avec toi.

— Oriane et Alain s’aiment-ils vraiment ?

— Es-tu aveugle ? Cela crève les yeux, mon garçon, mais ils savent se tenir. Alain ne touchera pas à Oriane sans mon feu vert et le tien. Oriane t’obéira jusqu’à ton dernier souffle et même au-delà. Il n’empêche qu’Alain adore travailler avec Oriane et Oriane avec Alain. Ils s'aiment à travers les affaires qu'ils traitent. Ils sont faits psychologiquement l’un pour l’autre. Alain, en te donnant Oriane, a montré son amour pour toi et sa ferme volonté de m’être fidèle.

— Crois-tu vraiment à cet amour réciproque ?

— Veux-tu le savoir ? Donne ton feu vert. Je donne le mien.

— Ils ne peuvent pas se marier. Tu l'as dit toi-même. Mon feu vert ne sert à rien.

— Ils peuvent être des amants cachés, et même faire un enfant. Ils ne gêneront personne en le faisant, et ça me ferait grand plaisir. Tu couvres l’avenir de l’enfant possible tant que tu n’es pas mort. Il sera en principe de toi. Personne ne pourra te critiquer d’avoir un enfant avec ta femme.

— Que me conseilles-tu ?

— Tu leur dis de faire l’enfant sous ton couvert. Au moins, celui-là n’aura pas la malédiction. L'avenir de notre famille est en jeu.

— Tu me disais que cette malédiction était une idée en l’air de ton père. As-tu changé d’avis ?

— Oui, depuis que tu es malade. Tu es soumis à cette malédiction. Alain n'y croit pas. Je n'ai pas essayé de le contredire. Elle abat tous les descendants, n’en laissant qu’un en état de procréer pour assurer la descendance.

— Mais, si je ne fais pas d’enfant à Oriane, il n’y a pas de descendance. Ce serait la fin de la malédiction.

— À condition que tu n’aies pas de descendant ailleurs. N’as-tu pas couché avec une Roseline, une Léa et une Odile ? Elles ont des enfants. Si la malédiction existe, tu as eu certainement au moins un enfant avec tes amantes cachées. Je ne donne pas cher de la durée de vie de ceux qui ne sont pas destinés à transmettre la malédiction. C'est malheureux pour eux, mais ce serait bien pour nous. Ne prends pas le risque de faire un enfant à Oriane. Il pourrait recevoir la malédiction.

— Oui, dit Roger. Mais dans ton cas, n’as-tu eu que moi ? Es-tu sûre de m'avoir transmis la malédiction ?

— J’ai fait quatre fausses couches après toi. Cela compte peut-être dans la malédiction. Je n'ai que toi comme enfant. Elle m’a permis de t’avoir. Elle est gentille quand elle veut.

— Je demanderai à papa de se renseigner sur mes enfants possibles et de s’en occuper à ma place. Il ne faut pas les abandonner.

— Donnes-tu le feu vert à Alain et à Oriane ? J'aurais un descendant sans malédiction.

— Oui, maman, pour te faire plaisir.

— Bien mon garçon, dit Martine. Le dis-tu à ton père ?

— Oui, maman, dit Roger.

*

 

— Papa, dit Roger. Tu peux faire un enfant à Oriane. Maman, m’a convaincu. Il faut qu'il soit officiellement mon enfant, donc que ton intervention reste discrète, car normalement, un beau-père ne doit pas toucher à sa belle-fille.

— Vous vous coalisez pour m’obliger à le faire.

— Maman dit que tu aimes Oriane. Elle te facilite la tâche. Peux-tu aimer une fille qui n’a pas de sentiments ?

— Oriane a des sentiments.

— Je ne les perçois pas.

— Il suffit de l’écouter. Tout ce qu’elle dit est vrai. Oriane est parfaite.

— Oriane dit m’aimer et elle ne m’aime pas, dit Roger.

— Je suis persuadé qu’Oriane t’aime si elle l’affirme. Fais l’amour avec cette fille qui t’aime.

— Oriane le dit et ne le pense pas.

— Mais si, mon fils.

— Non, papa.

— Oriane n'est pas frigide.

— Comment le sais-tu ? As-tu couché avec elle ?

— Je crois Oriane.

— Moi, j'ai observé Oriane faisant l'amour.

— Tu ne dois pas être un bon observateur. Il y a des signes physiques qui ne trompent pas.

— En amour, elle est imperturbable, sans réaction. Je ne me trompe pas.

— Tu dis qu'elle est facile. Une femme facile a des sécrétions. Elle t'aime.

— C'est possible, dit Roger. Il n'empêche qu'elle n'aura pas d'enfant de moi.

— À cause de la malédiction ?

— Oui.

— Tu aurais mieux fait de dire à Oriane que c'était la malédiction qui t'empêchait d'aller avec elle.

— Elle ne croit pas à la malédiction. Ce n'est pas un argument pour elle.

— Pour moi non plus, mais nous sommes capables de respecter tes idées. Tu te défies de nous, mais nous t'aimons. Oriane est perturbée par ton refus de l'aimer. Elle ne s'estime pas frigide. Elle peut comprendre ta croyance en la malédiction qui explique que tu l'écartes de ton lit.

— Je dirai à Oriane qu'elle n'est pas frigide et que je crois à la malédiction. Es-tu content ?

— Bien, mon fils. La vérité est bonne à dire.

— Si Oriane dit t’aimer, feras-tu l’amour avec elle ? Nous sommes tous d’accord pour qu’elle nous fasse un enfant de toi. C'est une méthode pour éloigner la malédiction. Nous avons l’unanimité de la famille.

— Même d’Oriane ?

— Tu n’as qu’à lui demander, puisque ce qu'elle dit est vrai.

*

— Oriane ? M’aimez-vous ?

— Voulez-vous dire, physiquement ou intellectuellement ?

— L’intellectuel est le plus important facteur sexuel chez l’Homme, dit Alain. On l’estime à plus de 80%.

— Oui, dit Oriane. Je vous aime beaucoup intellectuellement.

— Et le physique ?

— Quand je suis près de vous, j’ai des réactions hormonales qui m’envahissent. J’ai toujours eu du mal à résister, mais j'ai résisté et j'ai été fidèle à Roger. J’ai donné mon amour à Roger. Il fait de moi ce qu’il veut, amour compris.

— Roger souhaite que je fasse l’amour avec vous en cachette, dit Alain.

— Je peux donc vous aimer en cachette.

— Faisons-nous cet enfant ?

— Oui, dit Oriane.

— Je dois donc me remettre à l’amour, dit Alain.

— M’aimez-vous ?

— Oui, intellectuellement, mais il faut remettre la machine en marche. Elle est rouillée. Déjà, avec Martine, les rapports s'espaçaient. Je n'ai plus la virilité d'antan. Mes érections ne durent pas très longtemps. Je dois agir avant leur disparition. Il peut en résulter des frustrations. L'amour n'est pas complet avec moi.

— Faites pour le mieux, dit Oriane. Je vous aime. Même si vous me battiez, je serais contente.

*

 

 

— Alors, ma fille ? Comment est-ce avec Alain ?

— Très bien, dit Oriane. C'est moins fréquent, mais aussi bien qu’avec Roger. Pour qu'il y arrive, il suffit d'aller vite, comme vous me l'avez conseillé. La méthode est bonne. Il me satisfait.

— Donc, dit Martine, vous l’aimer réellement ?

— Oui. Je n’ai pas de problème pour l’aimer. Je suis heureuse.

— Pourquoi Roger ne vous aime-t-il plus ? Alain me dit que vous faites très bien l'amour.

— Roger dit qu’il m’aime. Il m’aime à sa façon. Il est très gentil avec moi. Il n'a pas cessé de m'aimer, mais il m'écarte à cause de la malédiction.

— Je préfère la façon d’Alain. Et vous ?

— Moi aussi, dit Oriane. C’est plus satisfaisant, mais il faut comprendre Roger. Je ne suis pas l’idéal pour lui. Je ne sais pas être chaleureuse. Cela lui manque. Il est mieux avec ses copines qu'avec moi. C'est très bien qu'elles satisfassent Roger sans que la malédiction l'en empêche.

— Sachez qu’Alain vous aime beaucoup. Il vous a aimé à travers Roger. Soyez indulgente s'il est moins actif qu'un jeune. Promettez-moi d’aller avec lui tant que Roger vous refuse, et si vous ne voyez personne d’autre à aimer.

— Je vous le promets, dit Oriane.

*

 

 

Alain aime bien Oriane, mais il est honteux d’aller avec une jeune en cachette tout en étant marié et en trompant son fils. Il veut s’arrêter, mais Martine impose à Alain de continuer avec Oriane tant que Roger la refusera. Alain obéit à sa femme. Oriane accepte encore si ça reste secret. Elle est mieux avec Alain que de n’être avec personne. Elle allait avec Roger parce que c’était le désir d’Alain. Elle aime Alain encore plus que Roger. Comme elle travaille avec lui, le secret est facile à garder. Ils se concentrent sur les périodes les plus propices. Oriane est enceinte au bout de six mois. L’échographie révèle que ce sera un fils. Roger sera le père officiel. Martine peut mourir, heureuse d’avoir l'héritier sans malédiction qu’elle a souhaité.

*

 

 Roger disparaît

 

La continuité de la famille par Oriane est assurée. La maladie tenaille Roger qui se sent maintenant inutile. Il n’est plus bon à rien. Même sa présence n'est plus indispensable. Il peut disparaître.

*

Roger a un rendez-vous périodique habituel avec Léa ou Odile. Odile l’attend, mais il ne vient pas. Elle s’inquiète. Elle contacte Léa par téléphone.

 

— Roger ne vient pas. Me suis-je trompée de jour ?

— Non, dit Léa. Le rendez-vous est le même que d’habitude. Il ne l’a pas changé, mais il s’est peut-être trompé de jour.

— Qu’est-ce que je fais ?

— Roger a eu certainement un empêchement. Je regarde s’il m’a envoyé un courriel… Rien. Il est trop tard pour que Roger vienne. Tu laisses un mot pour dire où tu es, et tu reviens ici. Paul sera content de t’avoir. J’envoie un courriel pour savoir ce qu’il en est.

*

Le lendemain, Léa et Odile ont l’explication dans les médias locaux. Roger est tombé accidentellement de la terrasse de son immeuble. Il est mort sur le coup. Elles sont consternées, mais elles ne peuvent rien faire pour changer la situation. Étant des amantes cachées, elles n’iront pas aux funérailles organisées par Oriane. Tout est fini avec Roger.

*

 

La police enquête, à la mort de Roger. Il y a trois solutions : accident, suicide ou meurtre. À première vue, c’est un accident. La veuve et les parents sont éplorés. La terrasse d’où Roger est tombé est en réalité le toit de l’immeuble, où Roger montait souvent par un minuscule escalier de service collé contre le local de l’ascenseur. Il n’aurait pas dû monter, car la bordure du toit n’avait pas de rambarde, mais seulement un rebord pour l’écoulement des eaux. Robert adorait la vue des lumières de la ville. L’immeuble était au maximum de la hauteur autorisée, et donc sans rambarde, mais le toit était en principe interdit, car non sécurisé. Le cadenas de la porte de l’escalier avait disparu depuis longtemps. Roger a été retrouvé au pied de l’immeuble. Il a dû trébucher.

Roger n’a jamais eu à faire avec la psychiatrie, et on n'a jamais signalé de dépression. Quant au meurtre, il est peu probable, car on ne voit pas qui aurait eu intérêt à le tuer. La police accrédite donc l’accident, mais elle enquête quand même par routine. Les proches de Roger sont interrogés et les affaires personnelles de Roger sont prises par la police pour être examinées.

La police découvre Roseline dans les comptes de Roger. Ils se renseignent sur elle et cherchent la raison de la pension versée par Roger. Ils découvrent que Roger a fréquenté Roseline et que la pension est probablement pour l’enfant. Les enfants laissés par les riches sont assez nombreux pour qu’ils n’en soient pas étonnés. Celui-là a payé sa faute. Ce n’est pas une raison pour qu’il soit assassiné par Roseline. Elle pourrait y perdre la pension.

*

 

 Roseline aux affaires

 

La police n’a pas été très discrète avec l’enquête sur Roseline. Roger est connu pour la grande fortune de son père, Alain. Un journaliste sent la bonne affaire. Il va voir Roseline, et lui propose de raconter son histoire avec Roger. Elle n’a qu’à l’écrire ou plutôt répondre à quelques questions du journaliste. Il se charge de tout rédiger de façon que cela plaise aux lecteurs. Elle sera bien rémunérée. Roseline se laisse convaincre. La somme fixe qu’on lui propose est rondelette, mais elle peut aussi choisir de participer aux bénéfices, en prenant le risque de ne rien toucher si l’histoire ne se vend pas.

Roseline joue toujours de petites sommes au loto. Elle prend un risque, mais un risque mineur. Jamais elle ne mise une grosse somme. Elle répond aux questions du journaliste pendant une heure et signe les papiers du contrat de participation aux bénéfices, parce qu’elle ne risque pas grand-chose. Soit elle ne gagne rien, soit elle gagne beaucoup. Il faut seulement se presser. Elle se pressera.

Deux jours plus tard, le document du journaliste arrive vers 21 heures sur l’ordinateur de Roseline, et son téléphone portable la prévient. Elle a jusqu’au lendemain à 4 heures du matin pour le lire, rectifier éventuellement, fournir quelques images d’elle, et donner son accord. Il y a urgence si on veut profiter de la mort récente de Roger. Un retard pourrait coûter très cher. Le journaliste a écrit un roman d’amour à faire pleurer dans les chaumières. Roseline y découvre des sentiments qu’elle n’a jamais eus, des discussions avec Roger totalement inventées, des passages émouvants, et parfois un peu de ce qu’elle a répondu aux questions. Elle a sommeil et n’a pas le temps de tout lire. L’écran de l'ordinateur lui fait mal aux yeux. Elle lit les têtes de paragraphes et quelques passages plus sérieusement. Elle est l’héroïne du roman, ce qui la flatte. Elle rectifie deux phrases en une heure, car elle s’emmêle dans les commandes du logiciel de traitement de texte, joint des images que son mari a prises avec son appareil numérique, et envoie son accord.

Le roman paraît immédiatement sous sa forme numérique téléchargeable. L’édition papier suit, et est distribuée en urgence. Un magazine en publie en exclusivité des extraits. Les médias sont alertés, et la publicité vante le roman. Roseline certifie qu’elle l’a écrit avec le souci d’être objective.

Ce roman d’amour entre une belle jeune fille et un beau jeune garçon héritier d’une fortune, qui se termine par la mort encore toute fraîche de l’amant caché, émeut profondément l’opinion. Après les évocations à la télévision du roman et de la réelle fin tragique de Roger, le roman s'arrache. Cela ne dure que quelques jours, mais le tirage est suffisant pour rentabiliser l’opération. Roseline a eu raison de prendre le risque. Elle gagne. Les quelques heures qu’elle a consacré au roman lui ont rapporté une belle somme.

Un magazine a mis l’image de Roseline en couverture. Son tirage fait un bon qui est, d’après l’analyse des experts, provoqué par l’image. Roseline n’est plus seulement auteure de romans. Elle est aussi une image qui se vend. Elle est assaillie par des demandes. Roseline monnaie ses images, et fait monter les prix. Pour en avoir de plus belles, elle va dans le studio d’un bon photographe. Pour améliorer son image, elle a recours à une esthéticienne, à une maquilleuse, à une coiffeuse et à des tenues coûteuses. Elle refuse la chirurgie esthétique trop lente à donner un résultat. Après le boum, les prix se stabilisent et sont suivis d’une forte baisse. Roseline revient aux images obtenues sans coût à la maison, et avec les vêtements qu’elle a en stock. Ses meilleures images sont celles que son mari a prises quand elle était jeune fille. Elle interdit seulement à son mari de vendre celles où elle est trop déshabillée, le risque de perdre sa réputation étant trop grand, mais elle livre des photos presque décentes prises sur la plage en petite tenue. Petit à petit le revenu du roman et des images se tarit.

Le tapage fait par Roseline autour de sa liaison avec Roger ne lui rapporte plus rien, si ce n’est qu’elle est encore une vedette de certains magazines, et qu’on la montre du doigt dans la rue. C’est légèrement gênant d’être interpellée, un risque qu’elle avait mal évalué, mais elle a gagné de quoi payer plus rapidement une partie de sa maison. Pour Roseline, le bilan est positif. Elle recommencerait si c’était à refaire. Elle a bien manœuvré. Elle a un mari qu’elle aime, un enfant adorable, une maison si belle qu’elle n’aurait jamais espéré l’avoir, un surplus de revenu inespéré et des propositions d’admirateurs pour passer quelques jours avec elle. Roseline est heureuse. Elle va examiner sérieusement ces propositions. Quelques-unes peuvent être rentables. Son mari ne s’y opposera pas. Il sait qu’elle lui reviendra, comme avec Roger, même s’il doit s’éclipser et faire celui qui ne voit rien pour lui faciliter la tâche. Roseline ne prend pas de risque inconsidéré, mais saisit les occasions.

Un autre roman paraît sur Roseline et Roger. Il prend le contre-pied du sien. Elle y est la méchante qui se fait engrosser pour pousser Roger au mariage, et n’y parvenant pas, le fait chanter pour ne pas révéler que son enfant est celui de Roger. Ce roman, arrivant tardivement après la mort de Roger, n’a pas le succès du sien.

Un avocat propose à Roseline d’attaquer l’auteur en diffamation. Il y a des précédents qu’elle juge peu encourageants. Roseline obtiendrait des dommages et intérêts, mais le revenu irait presque entièrement à l’avocat. Trop d’ennuis pendant des années pour un résultat aléatoire et trop lointain. Roseline refuse. Elle tient à sa réputation qui pourrait pâtir d’un procès scandaleux. Ce serait une publicité pour l’autre roman qui la traîne dans la boue. Mieux vaut ne pas promouvoir ce roman en le laissant tomber dans l’oubli. Seul l’avocat serait gagnant.

L’histoire de Roger avec Roseline ne passionne plus les foules, et le calme revient.

*

 

 Alain

 

La police découvre que Roger a un appartement à son nom. Ils s’informent. On a vu Roger de temps en temps ; il l’occupait donc, et on a vu aussi des lumières aux fenêtres. Cela ressemble à une garçonnière. Roger avait-il des maîtresses ? L’une d’elles ou sa femme auraient pu être jalouses. Ils enquêtent pour en savoir plus. Sauf Roger, aucune personne n’a été remarquée à l’étage de l’appartement en dehors des locataires des studios.

*

Oriane accouche de son fils. Quelques mois plus tard, Martine, la femme d’Alain, décède de sa longue maladie.

*

— Chère Oriane, dit Alain. Vous avez été assez aimable pour obéir aux désirs de ma femme qui voulait que je vous aime jusqu’à ce qu’elle disparaisse. La chance nous a souri. Martine a eu le petit-fils qu'elle souhaitait. Son autre désir était que je vous trouve un mari de votre âge, digne de vous. Sachez cependant que je vous aime et que je vous aimerai toujours. Ne me quittez pas. Je serai heureux de vous avoir près de moi. Il y a de quoi s'occuper. Nous ne chômerons pas. Votre père m'est aussi d'un précieux secours. Nous formons un petit groupe solide qui a fait ses preuves. Allons de l'avant. Je souhaite continuer la collaboration, et étendre celle-ci a d'autres personnes, pour remplacer Martine et Roger. Vous prendrez la direction quand je disparaîtrai, car votre compétence est indiscutable.

— Allez-vous vous remarier ? Si vous le souhaitez, je me marie avec vous.

— Le désir de ma femme était que je me remarie, mais pas avec vous, car vous êtes ma belle-fille. J’ai déjà des propositions de celles qui visent un mari riche. Il y en a même de très jeunes et belles, comme vous. Une bonne affaire pour elles, mais pas pour moi. Je me donne le temps de réfléchir et d'étudier les propositions. La femme que je cherche doit pouvoir nous aider aux affaires qui se développent et avoir de la culture. Ce serait un mariage d'affaires.

— Pendant que vous réfléchissez, vous pouvez continuer d'être avec moi.

— Oui, dit Alain, provisoirement, en attendant celui qui sera pour vous. Martine n'y était pas opposée. J'aime beaucoup votre compagnie, mais vous avez l'expérience de ma piètre valeur sexuelle, qui n'est pas à la hauteur de la vôtre. Vous me supportez, parce que vous êtes gentille, mais il vous faut un mari comme l'était Roger, avec un rythme sexuel adapté, et non un vieux. Ma femme souhaitait que votre enfant ne soit pas lésé par l'âge de celui que vous choisirez. Il a besoin d'un vrai père qui ne disparaisse pas prématurément. Par la fortune dont votre enfant hérite de ma femme, et par celle que vous commencez à avoir par le travail de vos parents et le vôtre, vous êtes une veuve attractive, ce qui attire des prétendants.

— Je n’ai personne, en réalité. Les garçons qui me veulent ne sont pas mieux que les filles qui vous sollicitent.

— J’en conviens pour le tout-venant, mais une proposition sérieuse peut se rencontrer au milieu des moins bonnes.

— Je ne veux pas d'un imbécile plein d'addictions. J’aurais aimé me marier avec vous. J'ai l'habitude de coucher avec vous. Je souhaite continuer.

— Si j'avais votre âge, j'aurais été tenté, malgré Martine et Roger, qui ne voulaient pas des cancans. J’ai un âge avancé qui ne convient pas à une jeune femme. Je ne peux assurer qu'une transition, en amant caché, jusqu'à ce que nous trouvions à vous marier.

— C’est dommage de changer. Je suis bien avec vous.

— Soyez objective. J'ai eu un enfant avec vous, mais c'est presque un miracle. Je ne suis plus bon pour l'amour. J’ai des érections qui ne durent pas. Convenez-en. Vous l'avez constaté. Je dois me presser avant qu’elles s’arrêtent, et vous bousculer pour pouvoir les utiliser. Je ne parviens maintenant à faire raisonnablement l'amour que grâce aux pilules qui prolongent la vigueur, et même comme cela je ne peux pas vous satisfaire pleinement, car mon rythme d’homme âgé est plus lent que le vôtre. Je baisse de plus en plus. Je vous fais attendre, et vous avez l'amabilité de ne pas m'en vouloir, et ce sera bientôt la fin. M'engager avec vous, c'est vous priver d'une vie sexuelle normale. N'ai-je pas raison ?

— Cela ne fait rien. Même sans relation sexuelle, j’aime être avec vous. Je ne cherche pas à vous surmener. Je suis bien, dans le lit contre vous. Je reste avec vous tant que je peux.

— Bon. Je prolonge, car vous n'avez personne, que j'aime bien vous regarder dormir, et vous sentir près de moi. J’ai été fidèle à Martine, jusqu’à ce qu’elle m’envoie dans votre lit. Je n’ai connu qu’elle avant vous. Mon amour pour vous s'ajoute à celui que j'avais pour elle, sans le dépasser. Je dois respecter la promesse que je lui ai faite. Je cherche donc à vous marier. Êtes-vous fâchée que je doive vous abandonner ? De toute façon, d'ici quelques années, je ne pourrai plus avoir de relations sexuelles, et vous en avez besoin. Votre avenir n'est pas avec moi. Vous poursuivrez nos affaires quand je ne serai plus là.

— Je m’étais faite à vous comme à Roger. Je me suis adaptée. Restez avec moi tant que vous pouvez. J'ai avec vous tout ce que je souhaite.

— Roger ne voulait pas plus braver l’opinion que Martine. Il ne voulait pas que je me marie avec vous, et tenait à votre réputation. Je lui ai promis, comme à ma femme, d'essayer de vous marier.

— Oui. Il me l’a dit.

— Il faut comprendre que je ne dois pas accaparer votre enfant. Il est le vôtre et celui de Roger. Il le reste et n’est pas le mien. Je ne suis qu'un donneur qui était là, mais qui n'a pas à revendiquer l'enfant comme père. Je suis le grand-père. Vous avez besoin d'amour. Vous pouvez être mon amante secrète en attendant mieux, mais pas plus. Vous êtes douée en affaires, mais pas pour choisir un garçon. Je vous aiderai à trouver un mari convenable, appréciant vos talents en affaires et qui sera un bon père. J’ai quelques idées sur les garçons à vous proposer, mais laissez-moi un peu de temps. Je réunis actuellement des dossiers sur eux, et je ne veux pas d’un échec. Je souhaite que vous aimiez l’un d’eux.

— Mon sort est entre vos mains et de celles de mes parents. Je vous fais confiance.

— J’ai lancé une recherche. J’attends les résultats. J’ai aussi des devoirs envers Robert. Je dois m’occuper de tout ce qu’il a laissé derrière lui.

— C’est à moi de m’occuper de mon défunt mari.

— Nous pouvons le faire ensemble. Je pense surtout aux filles qu’il a connues. Êtes-vous informée ?

— Oui. Il m’a parlé d’un enfant qu'il aurait eu avec Roseline avant de se mettre avec Léa et Odile, qu’il est allé voir plus assidûment quand il n’a plus voulu de moi. C'était bon pour lui. Il les aimait. Il était discret, pour éviter les on-dit, mais il ne me cachait pas qu'il allait avec elles. Je ne lui offrais pas ce qu'il cherchait. Je ne lui convenais plus. Je ne peux pas lui en vouloir. Il m'a toujours bien traitée.

— J’ai des renseignements plus précis que les vôtres sur ses amours, car j'ai surveillé ses amies pour que Roger soit en sécurité. Roseline a fait toute une histoire de son enfant pour le monnayer, bien qu'il ne soit pas de Roger. L’affaire est réglée. Roger versait une pension, et c’est moi qui la verse maintenant à sa place.

— C’est à moi de la verser. Je vous rembourserai.

— Comme vous voulez, mais remboursez d’abord les dettes de votre père. Je verse la pension jusqu’à ce que vous puissiez le faire. Avec les autres filles, c’est plus compliqué. Il a souvent couché avec ces filles, qui sont mariées et ont des enfants, mais je ne sais pas de qui. Si Roger est père de ce côté-là, je dois assurer l'avenir des enfants et des mères.

— Elles doivent savoir qui est père. Ont-elles demandé une pension à Roger ?

— Non, car il m’en aurait parlé. Depuis la mort de Roger, ces filles ne se sont pas manifestées. Il est probable qu’étant mariées, elles ne veulent pas qu’on sache qu’elles étaient aussi avec Roger. Il était amant caché, mais, pour sa sécurité, il m’a fait prendre des renseignements sur elles. Ces femmes sont irréprochables. Il aurait pu se marier avec Léa s'il n'était pas allé avec vous. N’allant plus avec vous, il est retourné avec elles, et comme il avait un appartement qui lui servait de garçonnière, quand il y allait, ce n’était pas pour enfiler des perles. Il a eu de nombreuses relations avec elles, avant, pendant, et après vous, mais ses amies n'étaient pas dangereuses. Leur discrétion en est une preuve.

— Oui. Roger se défoulait avec ses amies qu'il aimait. Je n'allais pas le critiquer. Je lui avais accordé la liberté sexuelle avant de me marier, et il m'avait donné la mienne. Je l'ai utilisée avec vous. S'il y a faute d'infidélité, la mienne est aussi grande que la sienne.

— Je suis allé dans l’appartement meublé qui était sa garçonnière. Il y avait des restes provenant d’une fille qui devait être souvent là. La valeur des restes étant faible, je n’ai pas cherché le propriétaire de la brosse à dents, de la crème de peau et du dentifrice. C’est donc là qu’il la retrouvait. C’était propre, mais tout était prêt pour qu’elle revienne. Il y a eu Roseline, puis les deux filles. Je cherche à compléter mes informations sur elles et leurs enfants.

— Dans quel but ? Laissez-les tranquilles. Si elles ne se manifestent pas, elles ne réclament rien.

— Ma femme n’était pas de cet avis. Pour Martine, si Roger s’était mal conduit avec elles, il fallait réparer.

— Soyez discret, dit Oriane. Ne causez pas de drame. Elles sont mariées. Les maris peuvent être jaloux. Ne révélez pas que leurs femmes sont allées avec Roger. Sa mémoire pourrait en être affectée.

— Je serai prudent, dit Alain, mais, avec les indiscrétions de la police, ils doivent tout savoir sur les relations de leurs femmes avec Roger. Ils n'ont pas l'air d'en avoir été affectés.

*

Michel est victime d’un accident de la circulation. Michel s’occupait beaucoup des enfants et il a engagé des affaires qui le réclament. Léa, la jeune veuve, fait face avec ses trois enfants et ses amis. Odile et Paul sont là pour soutenir Léa, mais c’est un rude coup.

*

 

Alain décide de se faire connaître de Léa.

 

— J’ai appris le décès de votre mari, dit Alain. Je sais pour avoir perdu ma femme, ce que vous pouvez ressentir. Je compatis. Mon fils Roger a été avec vous avant de mourir. Il vous aimait. Si je peux faire quelque chose pour vous, je suis prêt à le faire. Je suis dans les affaires : je peux vous aider. Si vous avez besoin de capitaux, je les mets à votre disposition.

— Roger m’a parlé de vous et de vos affaires, dit Léa. Il vous aimait bien. Je vais me débrouiller. Je peux vendre quelques valeurs et retrouver l’équilibre. Seulement un peu de travail supplémentaire pour me mettre au courant de ce que Michel faisait : du retard, mais rien d'important.

— Remettez-moi les valeurs que vous désirez vendre. Je les achète et je vous les rendrai quand vous voudrez.

— Je suppose au prix d’achat.

— Oui.

— Sans intérêt ? C’est très généreux.

— Je pourrais l’être plus, mais je ne veux pas vous froisser.

— Quel intérêt avez-vous à faire ça ?

— C’est en mémoire de mon fils. Il vous aimait. Je tiens à réparer les erreurs que Roger a pu commettre.

— Roger n’a fait aucune erreur avec moi, dit Léa. Il n’y a rien à réparer. S’il y en a, c’est plutôt dans l’autre sens. Il m’a hébergée. J’ai bénéficié de sa charité. Je lui dois des loyers. Je vous les paie avec intérêt, et nous sommes quittes. Je vous fais un chèque et je me débrouillerai sans vous.

— Je suis venu en ami, dit Alain.

— Je suis votre amie, mais les bons comptes font les bons amis.

— Je suis votre ami et vous êtes mon amie. Ne nous disputons pas pour des questions d’argent. J’en ai assez pour ne pas avoir besoin du vôtre et vous me faites comprendre que vous ne voulez pas du mien. Je serais à votre place, j’agirais comme vous. Permettez-moi d’admirer l’image de mon double : celle d’une personne qui agit comme moi.

— Admirez tant que vous voulez. Pour moi, Roger, c’est du passé. Roger n’existe plus et mon mari non plus. Je le déplore, et j'ai un bon souvenir d'eux, mais je m’occupe en priorité des vivants, de ma famille et de mes affaires. Si vous avez des affaires à traiter avec moi, nous pouvons en discuter, mais jusqu’à maintenant, nous n’avons eu que des affaires séparées, même si Roger me parlait des vôtres.

— J’aimerais faire des affaires avec vous. Si un jour vous voulez, je serai à votre disposition.

— Bien, dit Léa. J’aviserai, mais actuellement, je suis assez occupée. Faites-moi un dossier sur ce que vous proposez.

— Vous l’aurez. Je m’occupe des vivants, comme vous. Me permettrez-vous de doter l’enfant que vous avez de Roger ?

— Parce que vous savez ça ?

— Oui, dit Alain. Vous avez un enfant de Roger et Odile aussi.

— Ne me dites pas lequel, dit Léa. Je ne veux pas savoir.

— D’accord, dit Alain.

— Comment le savez-vous ?

— Je me suis permis de faire des analyses génétiques. Vos trois enfants ont des pères différents. Roger est le père de l'un d'eux.

— Avez-vous eu le culot de récupérer des échantillons de mes enfants en cachette !

— Je voulais savoir si Roger avait des enfants ici. C’est un devoir pour moi de m’en occuper.

— Ces enfants sont à moi, à moi seule puisque leur père n’est plus là. Je suis seule responsable. Je ne permettrai pas que quelqu’un vienne introduire une différence entre mes enfants. Ils sont tous égaux. Vous pouvez prendre la porte. Je ne veux plus entendre parler de vous.

— Ne vous fâchez pas, dit Alain. Je doterai vos trois enfants de la même façon. Je me retire. Excusez-moi de vous avoir dérangée. Je n’avais pas de mauvaises intentions.

— Qu’allez-vous faire pour l’enfant d’Odile ? N’allez pas lui dire qu’il est de Roger.

— Il faut bien que je le dote comme les vôtres.

— C’est dire à Odile que son enfant n’est pas de Paul. Il serait désolé d’être certain de ne pas avoir d’enfant avec elle.

— Avec trois pères, c’est bien vous deux qui avez compliqué la situation. Vous l'avez cherché. Je me retire si vous voulez et j’essaierai de doter indirectement tous ces enfants. Vous prendrez un billet de loterie pour tous les enfants et ils gagneront. Ils ne sauront pas que ça vient de moi.

— Il y aura des impôts différents de ceux de la loterie.

— On n’échappe pas au fisc avec une dotation, même déguisée, et ce serait illégal. Le fisc n’a jamais eu à redresser mes comptes. Je ne fraude pas. Les affaires rapportent assez sans frauder.

— Tenez-vous tellement à doter ces enfants ?

— Je les considère comme les miens. Je ne les abandonnerai pas. Ils peuvent compter sur moi. D'ailleurs, légalement, les enfants adultérins ont les mêmes droits que les autres. Ils doivent hériter. Vous ne pouvez aller contre la loi.

— Sauf que la loi reconnaît mon mari décédé comme père. Actuellement, vous n'êtes que le père d'un donneur anonyme qu'elle ignore.

— Permettez que je ne les ignore pas.

— Vous voulez donc être un père pour eux.

— Oui. J’aime les enfants.

— Moi, je suis la mère, et vous n’êtes pas le père. Leur père est mort. Ils n’ont plus qu’une mère qui entretiendra le souvenir de leur père Michel et s’occupera d’eux. Je leur trouverai un autre père en me remariant.

— J’aurais aimé tenir ce rôle, être auprès d’eux, mais vous avez raison, je suis trop vieux. Un père de votre âge est préférable. Peut-être allez-vous vous remarier ?

— J'ai trois enfants, dit Léa. Si je me remariais, ce serait pour en avoir d'autres. Il faudra que j'y pense. J'ai encore quelques années devant moi pour avoir des enfants.

— Vous avez montré que le mari n'était pas indispensable pour avoir des enfants.

— C'est faux dans mon cas. Je n'aurai jamais d'enfants sans être mariée. Mon mari Michel a eu trois enfants avec moi, et ce sont les siens. Si je souhaite un autre enfant, je me marie au préalable avec le père de mes futurs enfants.

— En les faisant faire par d'autres que le mari ?

— Par le mari ou des amants cachés, comme l'était Roger. Je suis une femme libre. Je fais mes enfants de cette façon, avec des hommes que j'aime. Il serait temps que je me mette à un autre enfant avant de vieillir. Je dois me marier. Je vais chercher un mari.

— De quel genre ?

— Du genre masculin, gentil, aimant les enfants, sans gros défauts, et pour m'aider dans les affaires : une perle, en somme.

— J'en voudrais un comme cela pour Oriane, la veuve de mon fils. Je cherche le même genre d'homme que vous.

— Cherchons ensemble.

— Pour le moment, je ne trouve pas. Une veuve avec enfant comme Oriane n'attire pas. Seul son argent attire beaucoup, ce qui brouille la recherche.

— Je sais, dit Léa. C'est aussi mon cas. Être riche a ses inconvénients. Donc personne de valable dans vos connaissances ?

— Uniquement des incapables en affaires. Et dans les vôtres ?

— Rien.

— Ma belle-fille en était au point de vouloir se marier avec moi. Vous rendez-vous compte ? Ce serait très mal vu, et sexuellement, je ne suis plus très apte. Oriane n'a pas vos possibilités sexuelles de femme libre. Elle n'a pas d'amants comme vous. Elle n'a que moi comme amant. Les hommes s'en écartent. Oriane est une fille merveilleuse, mais je suis le seul à m’en rendre compte.

— Roger m'a parlé d'Oriane et de vous. Il était content que vous ayez fait un enfant à Oriane, comme sa mère le souhaitait. Il n'y croyait pas beaucoup, mais vous l'avez fécondée. Il a été surpris quand c'est arrivé. Il m'en a beaucoup parlé. Il était fier de vous.

— Vous savez cela. Roger parlait donc sur l'oreiller. Mes performances étant limitées, le médecin ne croyait pas que j'arriverais à avoir un enfant avec Oriane. Je n'ai pas voulu contrarier ma femme et Roger. J'ai couché avec Oriane, et l'enfant est venu, mais je ne suis pas un bon amant comme Roger. Oriane est objective. Elle en convient.

— Pauvre Oriane sans bon amant. Mes amants sont capables de me contenter. Je n'ai pas ce problème.

— Vous avez démontré qu'ils pouvaient vous faire des enfants, dit Alain.

— Oui, dit Léa. Cependant, même vieux, vous pouvez tenir le rôle de père vis-à-vis de la loi. Épousez-moi si vous voulez. Je cherche un mari. Vous êtes ce que je cherche.

— Je ne suis plus capable de me comporter en mari actif d'une femme aussi jeune que vous. Ma vigueur n'est plus suffisante. Je serai dépassé. Êtes-vous sérieuse ? Une jeune veuve comme vous peut trouver un mari jeune. Le mariage avec moi n'a pas de sens.

 — Oh si ! Ce n’est pas facile de récupérer le mari que je désire, puisqu'ils visent mon argent. Je peux y mettre des années. Je suis pressée. Vous êtes veuf comme moi et disponible. L’occasion est trop belle pour que je la manque. Marions-nous. Avec vous, je peux encore avoir des enfants, et dès maintenant. Vous ne me visez pas mon argent puisque vous en avez assez et vous voulez doter les enfants. Je serais bien avec vous pour élever mes enfants et en avoir d’autres. Je vous connais par les affaires, où vous êtes honnête. Roger m'a aussi bien informé sur vous. Il vous adorait. Vous répondez à mes critères de choix. Me marier avec vous est possible. Si nous marions nos affaires, ce serait encore mieux, mais je ne vous y oblige pas. Voulez-vous des renseignements sur moi ?

— Je vous connais bien. J’ai longtemps enquêté sur vous. Vous êtes bonne en affaires, trop jeune pour moi, mais j’ai promis de me marier à ma femme, et si j'étais jeune, vous auriez le profil que je cherche.

— Je suis libre en amour, donc, je peux me contenter avec des amants. Je vous prendrais pour les affaires et la paternité des enfants.

 — Une sorte de mariage blanc. Les enfants seront alors à nous deux, mais je ne vous imposerai pas ma présence dans votre lit. Vous resterez libre de vos amours. À votre âge, il est normal que vous en ayez. Je souhaite seulement la discrétion.

— Vous l'aurez. Je suis très liée à Odile. Nous élevons nos enfants ensemble.

— Je serai heureux de m'occuper aussi du fils d'Odile. Je crois que Michel était aussi le père de cet enfant puisqu’il s’en occupait comme des siens. Je serai père comme Michel. Nous ne ferons pas de différence entre vos enfants et celui d’Odile. S’il y en a d’autres à venir, nous respecterons l’égalité.

— Promettez de ne plus faire d’analyse génétique, et Odile ne doit pas savoir. Ne gardons que l'hérédité officielle.

— Oui.

— J'aurai probablement quelques besoins sexuels en dehors de vous, dit Léa, et non seulement pour avoir des enfants. Si un jour je vais avec Paul sans trop me cacher de vous, que faites-vous ?

— Je dirai à Paul qu’il a la chance d’avoir une femme qui lui permette. Si je ne vous accordais pas la liberté sexuelle, vous ne m’accepteriez pas. Ai-je tort ? Mes renseignements sont-ils bons ?

— Vous connaissez mon profil. J’y tiens. Mais viendrez-vous à moi, si je vous appelle dans mon lit ?

— Je vous aime bien, mais je suis là surtout pour les enfants. Il est probable que, bientôt, je serai incapable de faire l’amour. Je suis trop vieux pour vous satisfaire pleinement, et j'ai des obligations sexuelles avec la veuve de mon fils qui me détourneront de vous. Je la sers en priorité. Je ferai chambre à part. Vous serez plus libre ainsi.

— J'accepte de passer en second, après Oriane, mais j'aimerai vous tester. Je ne me marie pas avec vous si l'amour est impossible avec vous. Je tiens à aimer complètement mon conjoint. Je couche avec mon mari quand il est là, et si je veux un enfant, je vous mettrai à contribution.

— Oriane n'a que moi, mais vous pourrez être avec moi quand je ne serai pas avec elle. J’ai encore quelques restes, et les pilules redonnent de la vigueur. Je les utiliserai si vous le souhaitez, mais j'ai des limites, et il faut espacer les pilules, ne pas en abuser d'après le médecin, les utiliser à bon escient.

— Si Odile vous demande, que faites-vous ?

— J'ai des obligations envers Odile comparables à celles que j'ai envers vous, dit Alain. J’obéis à Odile comme à vous, car ni Odile, ni vous, ne faites rien que je réprouve.

— Je me marie avec vous, dit Léa. Vous savez mener les affaires et vous êtes encore jeune d'esprit. Quant à la chambre, nous commencerons par une chambre commune, et ensuite, nous verrons. Si je suis contente de vous, vous ne refuserez pas Odile. Pensez à Odile. Paul n’est pas très fertile. Sans Michel et Roger, Odile n’est pas bien servie. Je me marie avec vous pour elle aussi. Je vous l’aurais proposée au choix avec moi si elle n’était pas mariée à Paul.

*

 

— Ma chère Oriane, dit Alain. J’ai trouvé à me marier avec Léa, cette gentille veuve que Roger connaissait. Je vais me trouver en famille avec de jeunes enfants. Ma future femme va fusionner ses affaires avec les miennes et vous allez donc être avec nous. Par contre, je serai moins disponible pour coucher avec vous, car Léa souhaite aussi que je couche avec elle. Elle est comme vous, demandeuse malgré mes déficiences. Je ne peux pas refuser : elle est très gentille avec moi.

— Je comprends, dit Oriane.

— Je vous réserve une place. Léa le permet.

— Vous avez pensé à moi, mais vous n’êtes pas obligé. Je m'efface devant Léa.

— Martine m’aurait obligé. Vous n’avez pas encore de mari. Je serai votre amant caché jusqu’à ce que je le trouve, un piètre amant obligé de se doper, et vous aurez priorité sur Léa. C'est entendu avec elle, et cela conditionne mon mariage.

— Merci d’être avec moi, dit Oriane. Obéissons à Martine.

*

— J’ai des nouvelles de votre ancien jeune voisin, dit Alain à Oriane. Votre père sait où il est.

— André ?

— Oui. Savez-vous pourquoi il a déménagé ?

— Non.

— Vos parents ont offert une somme aux siens.

— Papa a fait ça ? Il nous a séparés ? Pourtant, pour lui, André était sans addiction. C'était un garçon bien, comme Roger.

— Il a cru bien faire. Il souhaitait comme nous le mariage avec Roger. Ne lui en voulez pas. Vous ne seriez peut-être pas ici. Moi, je ne me plains pas de vous avoir avec moi. Je suis très satisfait de vous.

— Comment l’avez-vous su ?

— Votre père me l’a dit, tout simplement. Il a confiance en moi. Il est un peu honteux de ce qu’il a fait, car il s'est rendu compte que vous étiez attachée à André, mais après coup. Il n'a vu que le désir du père d'André qui manquait d'argent pour pouvoir aller s'installer ailleurs. Votre mère était inquiète pour vous, parce que vous lui aviez caché André, et la mère d’André était inquiète pour son fils qui lui cachait Oriane. Votre père a avancé l’argent qui manquait pour partir, et André ne vous a plus vu. De toute façon, ils seraient partis, mais quelques mois plus tard. Il est certain que vous n'aviez plus la satisfaction de recevoir André.

— Ce n'était pas souvent. Pourquoi vous intéressez-vous à André ?

— S’il vous revenait, l’accepteriez-vous ?

— Papa m'a dit qu’il est marié ; je doute qu’il me revienne. Je l'aime encore, mais il fait sa vie ailleurs.

— Je me renseigne.

— Tenez-moi informée.

*

— Léa, dit Alain. Vous savez que j’ai des obligations envers Oriane, dont je suis l'amant. Ma femme m’y avait obligé pour qu'elle ait un héritier, et j’aime maintenant Oriane. J’envisageais de trouver un mari à Oriane, mais c’est difficile. J'ai présumé de mes capacités à en trouver un rapidement. Les seuls intéressés n’en veulent qu’à son argent. Aucun ne l’aime vraiment. Se marier avec un de ceux-là serait pire que la situation actuelle. La placidité d'Oriane ne l’aide pas. Elle est facile à comprendre, mais son impassibilité est mystérieuse pour la très grande majorité des gens. Je suis obligé de continuer avec elle puisqu’elle n’a pas d'autres soutient. Je n’ai pas à vous infliger une maîtresse que je servirai plus que vous. Si vous ne l’acceptez pas, je ne me marie pas avec vous.

— Moi, dit Léa, je vous aime, donc, je me marie. J’accepte bien sûr que vous continuiez avec votre maîtresse, mais il faut aussi que vous couchiez avec Odile pour lui faire ses enfants, puisque Paul n’en est pas capable.

— Vous avez un enfant avec Paul. Il est donc capable.

— Paul fonctionne avec moi, mais pas avec Odile. Son enfant a dû se faufiler en moi pour faire mentir les probabilités qui sont contre lui. Avec Paul, Odile n’a pas d’enfant, et ce n’est pas faute d’avoir couché avec lui. Elle n'est pas en cause puisqu'elle a un enfant de Roger. Elle a besoin de vous plus que moi. Faites un autre enfant à Odile. Je suis sûre que vous l’apprécierez. D'après Paul et Roger, Odile fait mieux l’amour que moi.

— Me voilà donc avec trois femmes jeunes et actives qui me réclament. Moi qui étais fidèle à la mienne, je ne sais que penser. La probabilité d'enfant avec moi devient très faible si je me partage entre trois.

— Ne vous en faites pas. Nous nous entendons bien avec Oriane. Ce n’est pas une fille désagréable et elle fait bien sa part de travail. Son enfant est déjà le nôtre. Nous serons heureux avec vous. J’ai à légitimer mes futurs enfants. Marions-nous. Le mariage est indispensable pour fusionner nos familles. Si vous n'êtes pas capable de nous donner des enfants, c'est secondaire. Nous trouverons des amants pour les faire.

*

— Voilà mes informations sur André, dit Alain à Oriane. En résumé, il est marié et a un enfant. André est employé dans une banque et il est bien noté avec un bon salaire. Je pense qu’il vaut mieux ne pas les déranger.

— Oui, dit Oriane.

— Je serai toujours à votre service, dit Alain. Vous êtes pour moi la femme idéale. Votre impassibilité m’a toujours plu. Je cherche encore un mari pour vous.

— Êtes-vous bien avec Léa ?

— Oui. Je l’aime bien.

— Vous n’avez donc plus besoin de moi. Ne venez plus dans mon lit.

— Ne me dites pas que vous n’avez pas envie de continuer avec moi. Je ne vous croirais pas. Je sais que vous avez des sentiments pour moi. Vous ne mentez pas.

— Je ne le dis pas, mais je dois le faire, puisque vous êtes marié avec Léa.

— Oui, mais Léa me laisse aller avec vous. Sans ça, je ne me serais pas mariée avec elle avant de vous avoir trouvé votre mari. Il n’est pas question de vous abandonner. Je serai votre amant caché tant qu’il faudra.

— Léa est-elle d’accord ?

— Oui. Vous êtes toujours prioritaire.

— Je préfère cette solution à un mari mal adapté. Ne cherchez plus pour moi. Si vous me revenez, je peux vous attendre longtemps. Je ne gênerai pas Léa. Je me ferai toute petite. Je n'abuserai pas de la priorité. Léa en aura plus que moi.

— Sauf que Léa exigera l’équilibre.

— C’est-à-dire ?

— Une répartition équitable entre vous, elle et Odile.

— Odile aussi ?

— Oui. Paul est stérile. Il n’y a que moi pour faire les enfants. Il vaut mieux contenter Léa. Elle n’en démordra pas. Elle a ses principes. Pour elle, vous avez autant de droits sur moi qu'elle.

— Ne peut-on aller contre ?

— Si, mais on n’y gagne rien. Il vaut mieux s’adapter. Léa est charmante quand on ne la contrarie pas. Ses principes ne sont pas plus mauvais que d’autres. Faisons-lui plaisir. Vous adaptez-vous comme moi ?

— Oui, dit Oriane.

*

 

 

Alain parle de la malédiction et de ses interprétations à Léa et à Odile.

 

— Je ne crois pas plus que vous à cette malédiction, dit Léa.

— Moi non plus, dit Odile.

— Bien, dit Alain, mais tout se passe comme si elle existait. J’ai étudié les archives. La loi que je vous ai expliquée est bien établie dans le passé, sur plusieurs siècles, mais prévoit-elle l’avenir ? Je n’en sais rien.

— Elle a l’avantage d’assurer au moins une descendance, dit Odile. La chaîne n’a jamais été rompue.

— Y a-t-il une maladie reconnue qui serait transmise ? Non, dit Léa. Les morts sont de tous les types, comme les morts habituels. Cette malédiction rentre dans le cadre général de la mort qui nous touchera tous. L’accident de Michel était imprévisible. Il rentre pour moi dans les aléas de la vie. Cette malédiction est une vue de l’esprit fondée sur des statistiques trop étroites. Il n’y a pas à s’en préoccuper.

— Oui, dit Odile, mais dans l’incertitude, j’aurais préféré Michel à Roger pour mon fils.

— On ne peut rien contre la fatalité, dit Léa. En ayant plusieurs enfants, j’augmente la possibilité d’en perdre, mais je diminue la probabilité de tous les perdre. Ma chère Odile : fais des enfants comme moi : il t’en restera. Comme Paul n’est pas l’idéal, tu as à utiliser Alain. Passe Paul à Oriane. Elle nous laissera Alain. J’espère que Paul et Oriane s’accepteront.

— Je ne suis pas échangiste, dit Odile. Alain, acceptez-vous quand même l’échange si Paul et Oriane acceptent ?

— Les femmes me mènent par le bout du nez, dit Alain. Je passe de l’une à l’autre. Certains disent qu’elles ne sont pas bonnes en affaires. Moi, je dis que tout repose sur elles. Je suis dans les tourbillons des amours. Heureusement que nous ne nous heurtons pas.

*

 

— Comme vous n'êtes pas mariée, dit Léa à Oriane, vous ne pouvez pas avoir d’enfant légitime. Alain met un préservatif avec vous, ce qui est du gâchis. Si nous vous passons Paul, Alain sera plus disponible pour Odile et moi. Voulez-vous de Paul ? Il accepterait, et Alain aussi. Vous pourriez même ne pas mettre de préservatif avec lui. Il est stérile.

— Je voudrais un autre enfant d'Alain, dit Oriane, mais Alain ne me trouve pas de mari pour le légitimer. Paul risque de ne pas m'aimer.

— Peut-il essayer ? Il admire beaucoup votre compétence en affaires. Il pourrait bénéficier de votre savoir. Il est curieux de vous rencontrer, et souhaite sincèrement un autre enfant pour Odile. Vous passons-nous Paul à la place d’Alain ? Si ça ne va pas, nous n'insisterons pas. Paul ne s'impose pas.

— Si Alain est d'accord, dit Oriane, essayons. Faites comme vous voulez. Paul est sans addiction. Il a le minimum pour que je le prenne avec moi. Odile et vous avez raison de vouloir un enfant d'Alain. Vous me rendrez Alain quand vous n’en aurez plus besoin.

— Merci, Oriane, dit Léa. Vous êtes une chique fille. Vous ne perdez pas tout avec Paul. Il va vous réveiller. Il est dix fois plus actif qu'Alain. Moi, je le trouve agréable. Je prends tout.

*

 

 

Quand Paul va voir Oriane, elle lui ouvre son lit et, sans un mot, s'offre à lui. Cette rapidité de mise en action étonne Paul, car il était disposé à de longs préliminaires, mais il fait tout pour satisfaire Oriane. Il se surmène même un peu, en recherchant les réactions d'Oriane, qui se plie à ses désirs, sans manifester aucune fatigue ou contentement. Paul est dubitatif. Oriane accepte tout de lui. Il savait Oriane particulière, mais son impassibilité le perturbe. Il cherche ce qui peut plaire, mais Oriane est toujours placide. Comment savoir ce qu'elle ressent. Fatigué, Paul s'endort près d'elle.

Au matin, Paul se décide à parler de son inquiétude. Il souhaite savoir ce qui se passe en elle.

 

— Odile m'a dit de faire avec vous comme avec elle. Vous ne me dites rien. J'aimerais savoir. Êtes-vous satisfaite de mon comportement ?

— Oui, dit Oriane.

— Vous n'aimez peut-être pas tout ce que je fais, dit Paul. J'ai cherché, mais sans trouver. Dites-moi ce qui vous convient. Je peux m'adapter.

— Je m'adapte aussi. Si c'est ce que vous faites avec Odile, continuez.

— Avec Odile, je me rends compte de ce qui lui plaît. Avec vous, c'est plus difficile. J'ai essayé plusieurs choses, sans savoir si ce sont les bonnes. Je suis dans l'incertitude.

— Je sais. Je ne m'extériorise pas. C'est mon défaut. Je n'y peux rien. Si ça vous gêne, nous ne sommes pas obligés de continuer.

— J'aimerais savoir ce qui vous plairait.

— Vous faites comme vous voulez. Je n'ai pas de critique. Tout ce que vous avez fait me convient.

— Comme vous aimez Alain, je pourrais copier sur lui.

— Ce n'est pas possible. Il n'est pas comme vous.

— Mon amour n'est-il pas à la hauteur du sien ?

— N'essayez pas de le comparer. Il est très différent du vôtre. Chacun a ses qualités.

— Je voudrais vous plaire.

— Mais vous me plaisez.

— En quoi ?

— Vous m'offrez des plaisirs que je n'ai pas avec Alain. Par exemple, en nombre d'orgasmes, vous le battez. Je n'ai pas compté ceux de cette nuit, mais ils sont nombreux. L'amour avec lui est limité dans le temps. Il ne me sature pas comme vous. Une petite relation, et c'est fini.

— Donc, vous aimez être avec moi ?

— Oui, dit Oriane. Et ça me change. Je retrouve des sensations que j'avais avec Roger. D'après Alain, c'est bon pour moi d'être avec un homme actif.

— Alain a raison.

— Je l'admets. La raison vous permet-elle d'aller avec moi ? Sans passion ?

— Oui, dit Paul. Vous me permettez tout. Je suis honoré de votre accueil.

— J'en suis heureuse. Vous voudriez être avec Odile, je suppose.

— Bien sûr. Je l'aime, mais je n'ai pas d'addiction pour elle. Je peux aller avec vous.

— Retournez avec elle. Alain ne doit pas énormément l'occuper. Ce que vous me faites est bon pour elle. Je la vole.

— Odile m'a dit de vous consacrer mes nuits, puisqu'elle passe les siennes avec Alain. Elle n'aime pas avoir deux amours en même temps. Le régime que je vous offre, ne vous convient-il pas ?

— Pour être honnête, dit Oriane, il me convient, mais c'est aux dépens d'Odile. Retournez avec elle.

— Non, dit Paul. Odile ne voudra pas en période fécondable. L'enfant passe avant tout. Si Alain peut nous en donner un, nous le prenons. Je l'approuve. Odile souhaite que vous ayez une compensation avec moi. Je suis en mission près de vous.

— Le mieux est-il donc de rester ensemble ?

— Oui, dit Paul.

*

 

— Que pensez-vous d'Odile, demande Paul à Alain ?

— Avec un comprimé dopant, tout s'est bien passé. J'aime bien Odile.

— Par rapport à Oriane ?

— Elles sont très différentes, dit Alain. J'ai un faible pour Oriane. J'ai l'habitude d'elle, ce qui l'explique, mais je ne dénigre pas Odile. Je suis honoré de la place qu'elle me réserve près d'elle. Vous avez sans doute une réaction analogue. Pour vous, Odile doit être la préférée.

— Oui, dit Paul. Oriane me déroute. Dites-moi comment me comporter avec elle. J'ai essayé plusieurs choses avec elle. Je ne sais pas ce qui est le meilleur. Elle ne réagit pas. Elle ne me guide pas comme Odile ou Léa. Je cherche.

— Vous êtes donc perdu, dit Alain.

— Mais vous ne l'êtes pas avec elle. Comment faites-vous ?

— Je connais Oriane depuis qu'elle était toute petite. J'ai longtemps travaillé avec elle. Elle a une logique supérieure à la mienne, et une maîtrise d'elle-même incomparable. Elle ne fonctionne pas comme les autres femmes, mais une fois qu'on a compris sa façon d'être, tout devient limpide. Je ne peux qu'admirer son comportement. Pour moi, elle est parfaite. J'aimerais un monde où tous les gens seraient comme elle. J'aime sa froide logique. Elle épluche un dossier d'affaire trois fois plus vite que moi ou Léa. Elle est remarquable.

— Mais comment faites-vous en amour ? Elle n'a pas l'air d'avoir de préférences. Elle est passive.

— Oriane a des préférences, et des interdits. Je ne trouve pas de mari pour elle, car elle est difficile. Vous êtes privilégié si elle vous accepte. Ne dit-elle pas qu'elle me préfère à vous ?

— Si.

— Faites comme moi. Croyez ce qu'elle vous dit, et soyez vous-même. Oriane ne vous rejette pas, parce qu'elle accepte mon jugement sur vous, et qu'elle m'aime. Pour elle, ce comportement est logique. Elle a confiance en moi, et moi en vous. Elle est capable d'aimer plusieurs hommes. Elle nous le démontre. Elle a aimé Roger à l'égal de vous.

— Mais a-t-elle du plaisir à faire l'amour avec moi ?

— Si elle dit qu'elle en a, croyez-la.

— Elle dit avoir des orgasmes avec moi. Je peux donc continuer avec elle ?

— Mais oui.

— Je préfère être avec Odile, dit Paul.

— Et moi avec Oriane, dit Alain. Odile s'offre beaucoup, et je ne peux répondre. Odile préfère être avec vous, et Oriane être avec moi, même si je ne peux pas la satisfaire pleinement, mais la logique est pour l'état actuel. La logique change notre vie, mais nous agissons logiquement pour le bien de tous. Ne me dites pas que nous en souffrons. Est-il difficile de faire l'amour avec Oriane ?

— Non. Elle accepte tout de moi.

— Persuadez-vous qu'Oriane vous aime, et tout ira bien.

— Vous avez raison, dit Paul. Elle m'aime.

*

 

 L’inconnu

 

Sur l’ordinateur de Roger, que la police a saisi comme pièce à conviction, se trouvent les références à une boîte aux lettres informatique. La correspondance avec Léa s’y trouve. Tous les rendez-vous sont datés. Léa était sa maîtresse et Odile aussi. La police perquisitionne chez Léa et Odile. Celles-ci confirment qu’elles étaient effectivement des maîtresses, et que Roger venait à elles aux dates des rendez-vous.

La police en resterait là, mais la presse s’empare de l’information. Roger, l’amant caché, n’est plus caché du tout. Odile, plus sexy que Léa, fait les premières pages des magazines à scandale. Les journalistes n’ont que l’image de son visage, mais ils lui dénichent un corps d’emprunt pour la montrer en petite tenue. Roger avait eu un enfant de Roseline. Il avait deux autres maîtresses bien cachées quand il est mort. Est-il tombé de sa terrasse accidentellement ? L’affaire rebondit. Il y avait probablement de la jalousie entre les maîtresses. La femme de Roger peut être impliquée. Tout cela peut conduire à un meurtre.

Il y a de nombreux suspects : la police a du travail.

*

Dans les affaires d’Alain, la police trouve les analyses génétiques de lui-même, de Roger, des enfants de Roseline, de Léa, d’Odile et d’Oriane.

Alain est le père du fils d’Oriane. Roger n’est pas le fils d’Alain. Les enfants de Léa ont trois pères différents. Roger est le seul connu. Il est père d'un enfant de Léa, et de celui d’Odile.

*

Oriane est observée, son passé épluché. Alain ayant un enfant avec Oriane, alors qu'elle était mariée avec Roger, il devient immédiatement suspect du meurtre de son fils. Une fuite vers la presse, et les magazines à scandales titrent sur le père qui tue le fils par jalousie. Alain et Oriane sont assiégés par les journalistes. Ni Alain, ni Oriane ne se démontent : ils n’ont pas tué Roger. Ils travaillent ensemble. Alain aime sa femme, et sa femme affirme qu'étant malade, elle a poussé Alain vers Oriane. Oriane aimait Roger et maintenant Alain. Le reste est privé.

Sans preuve que Roger ait été assassiné par eux, Oriane et Alain sont laissés en liberté. S’ils ont couché ensemble, c’était leur droit, mais les journalistes en font des gorges chaudes : le père et le fils se partageaient les mêmes femmes. Oriane, Odile et Léa, seraient des esclaves du sexe ou des prostituées. La police perquisitionne chez tous les suspects. Aucun proxénète n’est trouvé et les femmes ne portent pas plainte.

*

 

— Alain, dit Oriane. Notre réputation est faite. À quelque chose, malheur est bon. Vous pouvez maintenant me faire l’autre enfant que je souhaite.

— Oui, dit Alain. Je vous mets à égalité avec Léa et Odile. Il n'y aura plus de préservatif, mais je doute du résultat. Le médecin n'a pas changé son avis sur mes capacités de fécondation.

— Nous prendrons ce qui viendra, dit Oriane.

*

— Mon cher mari, dit Léa à Alain. Le rapport de police sur les analyses génétiques ne correspond pas à ce que tu m’en as dit. Tu t’es trompé. Tu t’es emmêlé dans les pères. J’ai toujours pensé que tu t’étais trompé.

— Si tu as vérifié, dit Alain, tu as raison, mais de toute façon, la situation reste la même.

— Pas exactement, dit Léa. J'ai trois enfants de pères différents.

— Oui, dit Alain : Roger, Paul et Michel.

— Sauf que Paul ne peut pas avoir d’enfant, sauf in vitro. C’est l’avis de deux laboratoires différents. Comme je n’ai pas été fécondée in vitro, tu t’es trompé sur Paul en lui attribuant un enfant. Qui est le troisième concepteur ?

— Tu dois savoir.

— Et bien non. Je n’ai jamais couché qu’avec Roger, Paul et Michel avant toi. Je ne suis pas folle. Je n'ai pas multiplié les amants. S’il y en avait un autre, je devrais le savoir.

— Je vois le problème, mais est-ce important ? Tu as accepté les enfants et moi aussi. Ils sont adorables nos enfants. J’en suis satisfait. Gardons-les.

— Michel adorait tous ses enfants. Il n’est pas question d’en renier un, et ils sont à nous, mais je voudrais savoir. Satisfais ma curiosité. Tu fais l’analyse génétique de Paul et de Michel pour en avoir le cœur net.

— Michel a été incinéré. As-tu des restes de Michel ?

— Non, mais à la réflexion, Paul suffit.

*

— Quels sont les résultats ?

— Tu as un enfant de Roger et de deux autres pères, dit Alain. Paul n’a pas d’enfant puisque ses gènes ne se retrouvent chez aucun des enfants.

— Cela confirme ce que je soupçonnais, dit Léa. Nous sommes maintenant fixés sur la stérilité de Paul. Je ne suis pas étonnée : Paul n’a pas d’enfant d’Odile. Il n’en a pas non plus de moi, ce qui confirme que son sperme est mauvais. Il ne peut avoir d’enfant de lui que par la méthode in vitro, et je ne l'ai pas pratiquée. J’en ai probablement un de Michel. Par contre, je ne vois pas qui est l’inconnu, ce troisième homme qui m’aurait fécondée. Quel est l’enfant de l’inconnu ?

— Le premier ou le dernier puisque le second est de Roger.

— Que s’est-il passé quand je l’ai conçu ? J’allais avec Michel, Paul et Roger, et ce n’est pas d’eux. T’es-tu encore trompé ?

— Non. Pas cette fois-ci. Toutes les analyses que je demande sont faites en parallèle dans des laboratoires différents et donnent le même résultat. J’ai la copie des résultats. Vérifie si tu veux.

— Je cherche qui est l’inconnu.

— Je ne peux pas beaucoup t’aider dans ta recherche. Je n’étais pas là à l’époque.

— Il faut que je reconstitue ce que j’ai fait.

*

Léa n’a pas un souvenir précis des époques où elle a conçu le premier et le dernier de ses enfants. Elle était avec ses trois hommes, et elle se donnait à eux sans retenue, sans vouloir savoir qui la féconderait. Elle n’est pas capable de reconstituer parfaitement combien de fois elle s’est donnée à l’un ou à l’autre. Elle pourrait demander à Paul, mais Michel et Roger ne peuvent plus l’aider dans cette recherche. D’ailleurs, c’est l’inconnu qu’il faut trouver.

Léa a des agendas et des fichiers datés sur l’ordinateur. Elle s’attache à reconstituer l’emploi du temps des quelques semaines où les fécondations ont pu se produire.

Pendant les deux périodes en cause, elle a certainement fait l’amour avec les trois hommes, car elle n’était pas capable d’en désigner un avec certitude quand elle s’est retrouvée enceinte, ni la première, ni la dernière fois. Même s’il n’y avait pas égalité, les trois hommes étaient possibles. Son agenda montre qu’elle n'a rien fait de spécial la première fois, mais si elle couchait avec Michel, elle ne négligeait pas Paul, et Roger avait sa part. Pour son dernier, c’était pareil, et elle est partie en affaires pendant cinq jours. Léa explore les courriels de l’époque des cinq jours. Elle avait une affaire à traiter dans la ville où réside son oncle Victor. Elle l'invite quand il passe près de chez elle, et il l’invite quand elle passe près de chez lui. Elle entre généralement en coup de vent, pour dire seulement bonjour, et repart, mais là, elle a résidé quelques jours chez lui et elle a couché dans la chambre d’amis.

Léa a emmené Toto, comme toutes les fois où elle voyage assez longtemps, et maintenant, elle se souvient bien : elle l’a utilisé tous les soirs, donc quatre fois et avec éjection de gel par le programme habituel optimal, et sans préservatif. Mais Toto ne sait pas faire un enfant. Que s’est-il passé chez l’oncle ?

Le gel de Toto pourrait être remplacé par du sperme, mais Léa ferme la petite mallette. La mallette ne paye pas de mine, et elle n’a jamais été forcée. Chaque fois que la mallette est ouverte, un compteur s’incrémente, et elle le regarde. Le sperme devrait aussi être frais pour être efficace, et qui saurait utiliser Toto ? Elle a mis du temps à comprendre les détails du fonctionnement de Toto, et elle n’a pas mis le mode d’emploi dans la mallette. Non : personne n’a utilisé Toto en dehors d’elle, et personne ne sait ce qu’il y a dans la mallette. Toto est son amant le mieux caché. Elle met la mallette dans sa valise personnelle que personne ne va fouiller. Personne ne sait qu’elle utilise parfois Toto.

L’oncle est marié avec une veuve qui a un fils Antoine avec qui Léa a joué quand elle était adolescente. Ce fils est gentil, et elle l’aime bien, mais il n’a jamais été son amant. Elle était avec lui en fin de journée et le matin. Le soir, il lui apportait une tisane dans sa chambre avant qu’elle se mette au lit. Antoine aurait volontiers couché avec elle, et il la sollicitait, mais c’est tout : un solliciteur parmi d’autres. Elle a encore du charme, et ceux qui se proposent sont nombreux, d’autant plus qu’elle n’est pas pauvre. Antoine n’a pas couché avec elle. Elle aurait pu se donner à lui, parce qu’elle en avait envie, et elle pouvait utiliser sa liberté. Personne ne l’aurait critiquée, mais elle ne l’a pas fait. Elle a été embrassée par Antoine, mais même s’il en a profité en la malaxant à travers sa chemise, et même sous la chemise avec ses doigts, ce n’est pas allé jusqu’à la relation sexuelle, car ses affaires étaient plus urgentes, et Antoine l'a compris. Il n'a pas dépassé les limites

Léa dort la nuit. Elle a donc dormi, mais si Antoine était venu dans son lit, elle l'aurait vu. Elle a un sommeil profond, mais quand un de ses hommes a une envie nocturne urgente ou se bat à côté d’elle dans un cauchemar, elle se réveille. Ce n’est pas fréquent parce qu’ils savent qu’elle aime dormir, et ils prennent des précautions, mais elle se réveille quand ils bougent trop à côté d’elle. Elle aime s’endormir dans leurs bras ou contre eux, mais ils ne doivent plus remuer. Elle dort profondément et longtemps, mais seulement si c’est au calme. Il suffit d’allumer, ou qu’un bruit anormal retentisse dans la maison, ou qu’on la secoue, pour qu’elle se réveille. Elle entend le réveil quand il sonne, et à n’importe quelle heure.

Léa pose le problème à Alain, sans parler de Toto qui n’est pas en cause.

*

— Si je comprends bien, dit Alain, tu aurais fait l’amour sans t’en rendre compte avec Antoine.

— Ce n'est pas possible, dit Léa. On ne fait pas l'amour sans s'en rendre compte.

— Détrompe-toi. Une étude a été menée sur un grand nombre de jeunes couples volontaires par des scientifiques. Ils ont été observés pendant les nuits. Ils avaient la consigne de ne pas faire l'amour avant de s'endormir, pour avoir plus d'envie. Il a été constaté qu'une personne sur douze était capable de faire l'amour en dormant sans se réveiller, et en ne s'en souvenant pas au réveil.

— C'est un pourcentage énorme.

— Oui. Les enquêteurs ont un peu poussé sur les résultats pour les présenter de façon à être remarqués. Pourcentage à diminuer, car le partenaire pouvait se réveiller, même si une fois, il ne s'est pas réveillé. Donc l'un des deux ne dormait pas. On a choisi des couples faisant l'amour souvent, donc en ayant une grande habitude, et couchant dans le même lit. Je diviserai au moins par dix ce pourcentage pour être plus réaliste. Mais, même diminué, il reste non nul. C'est une sorte de somnambulisme, plus fréquent que le vrai somnambulisme des promeneurs endormis. La masturbation en dormant est encore plus fréquente. Les gestes habituels deviennent des réflexes, et peuvent être répétés en dormant. Quand le partenaire s'y prête, qu’il est tout près et disponible, le réveil n'a pas toujours lieu. D'ailleurs, quand tu te colles contre moi en dormant, tu es pratiquement à ma disposition, en bonne position. Je pourrais en profiter.

— Pourquoi ne le fais-tu pas ?

— Il y a plus de onze chances sur douze pour que je te réveille, ce que tu n'aimes pas. Je préférerais le faire avant que tu dormes, pour toi comme pour moi, et je suis incapable sans me doper auparavant. Mon geste doit être prémédité par un vieux comme moi. Mes créneaux d’érection sont de plus en plus réduits et rares.

— Bon. Pour avoir un enfant, j’ai fait l’amour en somnambule, ou du sperme a été déposé en moi par un moyen que j’ignore, ou alors c’est l’opération du Saint-Esprit. C'est incompréhensible qu'Antoine soit parvenu à me féconder, car mon sommeil n'est pas lourd au point de ne pas m'en rendre compte.

— Le résultat est là.

— Je n'ai pas couché avec Antoine comme dans ton enquête.

— Oui, il a pu coucher avec toi. Le sommeil peut être rendu plus profond. Ton petit malin d’Antoine a pu te droguer. Dans une tisane, c’est facile. Tu as bu une tisane avant de t'endormir.

— Ce serait donc ça ?

— Je ne vois pas d’autre explication. Dans les boîtes de nuit, des drogues sont vendues pour cet usage. Les filles ne se souviennent de rien. Elles n’ont que des traces quand il y en a. Quand on se saoule, on ne se souvient de rien.

— Ce garnement serait-il à l’origine de mon dernier enfant ?

— Antoine t'a fécondée à un moment propice. Il t’a violée sans que tu t’en doutes.

— Je n’ai rien senti, dit Léa, et il aurait pu faire l'amour avec moi sans me violer. Je ne l'aurais pas empêché. J'avais aussi envie de lui. Il ne m'a pas poussée sur le lit. Il ne m'a pas forcée.

— Il t'a endormie.

— La probabilité de fécondation est quand même faible. Quatre nuits : ce n’est pas beaucoup. J’ai mis des mois d'amour intense pour les autres enfants.

— Si tu étais fécondable, il suffit parfois d’une fois. Le sperme d’Antoine a peut-être des qualités que n’ont pas les autres et que tes muqueuses ont bien acceptées. Tu ne sais même pas combien de fois, il t’a violée. Il a pu t’utiliser à fond pendant des heures en se soulageant au maximum toutes les nuits que tu as passées chez lui. À mon avis, il ne t’a pas ratée. C’est l’explication la plus plausible. Moi, j'ai fécondé Oriane, alors que les probabilités étaient infimes.

— Antoine aurait pu mettre un préservatif.

— Mais savait-il que tu étais fécondable ? La plupart des femmes prennent la pilule, ou elles ont un timbre sur la peau, un implant ou un stérilet. Elles ne se reposent pas sur la prudence du mari ou de l’amant, ou elles font chambre à part. Tu t'es exposée avec Antoine. Il a dû comprendre que tu avais envie de lui, et que tu le laissais entrer dans ta chambre parce que tu avais pris tes précautions.

— Oui, dit Léa. Sa copine Cécile avait un stérilet. J’aurais dû me méfier et fermer la porte. Il n'aurait pas pu entrer. C’était facile de verrouiller pour protéger mon sommeil. Je suis responsable.

— Voilà ta faute. Tu as compris ce qui t’est arrivé par imprudence. Que vas-tu faire ? Es-tu choquée ? Vas-tu intenter une action en justice contre Antoine ? Avec son empreinte génétique et celle que j'ai de son fils, tu as un argument imparable. Il peut passer des années en prison si tu le dénonces, mais tu vas encore nous créer du scandale. Il faudra un bon avocat pour plaider ta cause. Tu risques qu’on t’accuse de l’avoir provoqué en ne fermant pas.

— Antoine ne m’a pas traumatisée, dit Léa, et il n’a pas dû penser à mal. Son enfant est comme je le souhaitais. Cela prouve bien qu’on peut prendre n’importe quel homme pour avoir un enfant aussi convenable que les autres, si le donneur ne s’empoisonne pas avec une drogue comme l’alcool, toxique pour sa semence. Je passe des tests périodiquement. Je n’ai pas attrapé de maladie transmissible. C’est de l’histoire ancienne. Je pardonne à Antoine. On n’en parle plus. Je ne le rencontrerai plus jamais. Inutile de soulever des problèmes là où il n’y en a pas.

— C’est très sage, dit Alain.

*

Léa pense à Toto. Il est peut-être responsable, car si son gel remédie à sa sécheresse, il augmente aussi l’efficacité des spermatozoïdes d’après la notice. Si Antoine est venu peu après l’usage de Toto, celui-ci a pu favoriser la fécondation. Elle a bu la tisane après Toto et éteint la lampe. Léa n’avait constaté ni restes collés sur ses poils ou sa peau difficiles à enlever le matin, ni taches sur les draps ou la chemise. Antoine aurait procédé proprement ou elle n’aurait pas fait assez attention. Moralité de cette histoire : elle mettra du gel avec Alain pour être plus facilement enceinte. Elle n’accuse pas Toto.

*

 

 S'adapter

 

— Alain a des pannes fréquentes avec moi, dit Léa.

— De quel genre, dit Odile ?

— Il n’y arrive plus.

— Oui. Ses érections sont insuffisantes. Il fait sans doute trop l’amour. Nous le surchargeons. J’ai demandé à Oriane : elle a le même avis.

— Alain est malade. Je lui dis d’aller voir son médecin.

*

— Que dit le médecin ?

— Il dit que ce n'est rien, dit Alain. C'est l'âge, et un peu de surmenage. Je dois me reposer, et j'irai mieux. C'est tout. Rien de grave. Je n’ai plus le tonus suffisant sans aide, et d’ici peu, je serai complètement impuissant, même avec l'aide. L’amour physique est presque fini pour moi. Seul mon cerveau reste amoureux. Vous êtes avec un vieil homme.

— Te donne-t-il des médicaments ?

— Le comprimé miracle pour plus de tonus, et un peu de sport pour la bonne santé. Je devrais être content qu'un comprimé me permette de vous contenter, mais le médecin me dit de me limiter à une ou deux fois par semaine. L’enfant d’Oriane est déjà venu grâce à lui. Sans comprimé, c’est de plus en plus souvent sans aboutissement. Je dois me résigner. J’aime et j’ai toujours des envies, mais rien de physique ne suit facilement. Les médicaments n’agissent plus beaucoup dans mon cas. Je suis pratiquement impuissant. Je suis très diminué, mais c’est normal. Beaucoup d'hommes sont dans mon cas. Je suis trop vieux.

— As-tu du plaisir ?

— Le même avec ou sans médicament : le plaisir psychologique, celui de la présence, des baisers, des contacts et des caresses sexuelles. Je vous aime beaucoup. Comme tu es apte au plaisir physique complet, tu mérites plus que ce que je peux te donner. Seul un homme normal plus jeune y parvient facilement. Je t'avais prévenu. Tu resteras souvent sur ta faim avec moi, donc, je préconise de ne plus coucher ensemble. T’exciter sans aboutissement est mauvais. J’ai eu assez de pannes ces derniers temps pour me rendre compte que c’est très désagréable pour celle qui le subit. Je vais prévenir Oriane et Odile que l’expertise médicale conclut que je ne suis plus bon à rien. Je ne vous ferai pas d’enfant. Je deviens sexuellement inapte, et cela ne s’arrangera pas. Il n’y a pas à s’en voiler la face. Je m’occupe encore des enfants, mais sexuellement vous devez dès maintenant chercher ailleurs. Heureusement que vous acceptez les amants.

— Quand tu seras reposé, y aura-t-il une amélioration ? Ton impuissance est-elle définitive ? L'amour avec toi est-il terminé ?

— D'après le médecin, j'ai encore quelques années d'amour physique limité.

— Nous pouvons donc encore profiter de toi si ce qui t'arrive est une fausse alerte. Je souhaite coucher avec toi pour recevoir tes caresses, car je ne crains pas le non-aboutissement. Je ferai appel à des amants s’il le faut en plus de toi. Odile a Paul, donc, elle peut se passer de toi, mais va avec elle si elle te demande. Je ne sais pas pour Oriane.

— Si Oriane veut aussi des caresses, je lui donnerai, mais personne n’est plus capable ici de vous donner des enfants.

— J’ai eu trois enfants, dit Léa. J’ai eu raison de me presser pour les avoir. Oriane et Odile en ont chacune un. Nous ne sommes pas complètement démunis d’enfants. Nous en avons cinq.

— Vous en vouliez encore.

— Oui, mais la situation a changé. Nous n’allons pas aller chercher un homme que nous n’aimons pas. L’urgence ne justifie pas tout. Pour faire un enfant, il faut disposer d’un homme actif qu’on aime, et ce ne sont pas les masturbations ou des caresses qui suffisent. Odile est comme moi. Elle ne veut pas n’importe qui, et je doute qu’Oriane soit facile à satisfaire.

— Quand j’étais jeune, dit Alain, j’avais des érections pendant des heures. J’en suis maintenant à quelques minutes. Le temps de se préparer, et j'ai fini. Sans comprimé, vous n’avez rien. Nous devons chercher un jeune homme que vous pouvez aimer.

— Si tu as une idée, dit Léa, tu m’en fais part. Les seuls qui se proposent sont des prédateurs visant notre fortune. De ceux-là, nous ne voulons pas.

— Pourtant, ta théorie est que tous les hommes se valent pour faire un enfant.

— Je n’ai jamais dit ça. Je n’accepte que de ceux que j’aime, et il n’y en a pas beaucoup. Pour un enfant, et pour aimer, il faut un homme sans addiction. Je pense parfois à Eugène, mais il est peut-être mon père et maman n'a jamais voulu que je sache avec certitude qui est mon père. Elle ne serait pas contente si je cherchais du côté d'Eugène.

— Eugène baisse comme moi, dit Alain. Ne dérangeons pas Eugène. Et Antoine ? Aimes-tu Antoine ? Voilà l'homme qu'il vous faudrait. Il vous a fait un enfant.

— Je ne sais pas si j’aime Antoine, dit Léa. Comment veux-tu que je sache ? Je n’ai jamais testé Antoine. Il est encore pour moi, un homme qui m’a désirée et avec qui je n’ai jamais fait l’amour. Je ne me suis pas plus livrée à lui qu’à d’autres candidats à une aventure avec moi. J’ai eu des élans vers lui comme j’en ai eu avec d’autres, mais sans suite. Il m’a imposé l’enfant et rien d’autre, par fécondation sans amour. Je ne sais pas comment il a opéré. Je m’en doute, mais j’étais inconsciente. Il m'a injecté son sperme sans que je le remarque. C’est de la fécondation artificielle. Je n’aime que consciemment, avec mes sens en éveil. Je n’ai eu ni souffrance, ni plaisir avec Antoine, aucune sensation. L’enfant est venu indépendamment de ma volonté. Je suis coupable d’imprudence, en le laissant me tâter, en le laissant approcher de moi et en l'ayant excité, mais cette imprudence a abouti à un enfant que j’ai aimé autant que les autres et que Michel a adoré. C’est le destin, le même destin qui m’a rendue veuve. Je n’ai pas changé. Pour avoir un enfant que je désire, il me faut un homme que j’aime, et Odile est comme moi. L’homme ne doit avoir aucune addiction, ce qui réduit le choix. Je rejette un homme que je n’aime pas.

— Antoine n'a pas addictions, que je sache.

— Il n'en a aucune. Il a été élevé par mon oncle Victor, qui, comme maman, m'a élevée en famille en me préservant des addictions. Son enfant a un père sans addiction. Michel l'adorait. Il était fier de notre enfant.

— Antoine serait donc un amant possible ici ?

— Encore faudrait-il l'aimer. Je l'aime certainement moins que Paul ou toi. Je préfère un enfant de toi.

— Pourquoi ?

— Le caractère d'Antoine est trop primaire. Ce n’est pas bon pour nos affaires. N’est-ce pas ?

— Oui. Regrettes-tu d'avoir un enfant de lui.

— Non. Je n’aime pas que les hommes bons en affaires. Roger n’était pas merveilleux en affaires, et je l’aimais. Dans de nombreux domaines, il me surpassait. Antoine aussi. Ils sont intéressants. Je préfère avoir un enfant d'Antoine plutôt que de ne pas en avoir. J'ai eu quelques velléités d'amour pour Antoine, une certaine attirance physique. J'aurais pu faire l'amour avec lui pour voir si je m'accordais, et j'étais presque disposée envers lui. En l'absence de donneur que j'aime plus qu'Antoine, il serait peut-être le bienvenu pour faire un enfant. Si Antoine était ici, je serais amenée à le solliciter. Là où il est, ce n'est pas envisageable.

— Si je vois un homme pour vous, dit Alain, je vous l’amène.

— Oui, dit Léa. Si j’ai ton accord, nous le testerons pour savoir si nous pouvons l’aimer.

— Tu as mon accord.

*

 

— Je vous ai réuni pour envisager comment améliorer la situation, dit Léa. Alain est en panne. Il se surmène. Nous en sommes responsables. L'amour avec nous trois ne lui convient pas.

— Nous lui demandons trop d'amour, dit Odile. Je m'arrête avec lui.

— Moi aussi, dit Oriane.

— Je ne pense pas que ce soit trop d'amour, dit Alain. J'ai été longtemps avec toi, Oriane, et je faisais au moins autant l'amour qu'avec vous trois ensemble. C'est plutôt de la fatigue, mais qui n'est pas reliée au nombre de relations sexuelles. Elles sont réparties et je les refuse quand je ne me sens pas bien. Elles ne me fatiguent pas quand j'y arrive, et j'aime être avec vous. Je m'arrête quand ce n'est plus possible. Vous l'avez constaté. Je suis volontaire pour faire l'amour quand j'y parviens. La fatigue vient d'ailleurs. Je devrais dormir plus.

— Oui, dit Paul, mais si Odile vous sollicite comme elle le fait avec moi, elle doit vous empêcher de dormir. Comme Alain, j'ai l'habitude de nos trois charmantes femmes. Odile est la plus dérangeante, et Léa la moins.

— Pourquoi suis-je la moins dérangeante ?

— Léa, vous faites l'amour puis vous vous endormez dans votre coin. Oriane recherche la proximité et s'offre, même si c'est passivement. Odile s'offre activement. Elle réclame.

— Il est inutile de solliciter quand on sait que c'est sans aboutissement, dit Léa. Alain n'est pas capable de recommencer comme Paul.

— Je suis la plus accusée, dit Odile. Je n'irai plus avec Alain. C'est la seule solution. Ce n'est pas facile de se retenir quand on aime. Près d'Alain, je suis comme avec Paul. Je l'aime.

— Oui, dit Oriane. C'est normal. Alain nous excite par sa présence. Laissons Alain avec Léa. Ne le surmenons pas.

— Moi, dit Léa, je partage, et s'il ne fallait en laisser qu'une, ce serait vous, Oriane. Avec vous seule, il était bien, et cela a duré longtemps. Vous pourriez continuer avec lui sans nous. Il faut laisser dormir Alain. C'est impératif. Où Alain est-il le mieux pour dormir ?

— Dans mon lit, dit Alain.

— Actuellement, dit Léa, tu passes d'un lit à l'autre. Dans le tien avec moi, puis dans celui d'Oriane, puis dans celui d'Odile, et tu reviens avec moi. En plus, ce n'est pas régulier. Tu peux aller une dizaine de fois avec l'une de nous, avant de passer à une autre, pour suivre le calendrier de nos périodes féminines. Tu es ballotté d'un lit à l'autre. Il est préférable qu'Oriane et Odile viennent dans ton lit. Reste dans ton lit. Il est celui où tu te sens bien.

— C'est vrai, dit Alain.

— Cela ne change pas grand-chose, si Oriane et Odile sont dérangeantes, dit Paul. Alain ne dormira pas. Elles disent que c'est plus fort qu'elles d'agir comme elles le font.

— Je suis capable de m'éloigner, dit Odile. J'ai compris la leçon. Je ne veux pas faire de mal à Alain.

— Oui, dit Paul, mais ce n'est pas facile.

— Pourquoi rester avec Alain pour l'empêcher de dormir, dit Léa ? Après avoir été servies, s'il le peut, bien sûr, vous pouvez retourner dans votre lit. Et s'il ne peut pas, ce n'est pas la peine d'insister. Inutile de dormir avec Alain puisqu'il est désactivé. Vous vous présentez à lui le soir quand c'est votre tour, mais la nuit, il pourra dormir seul sans être gêné. Vous allez le voir. Il fait ce qu'il peut, et vous partez.

— Je te récupère après Alain, dit Paul à Odile. Tu peux m'exciter à loisir. J'aime tes façons de faire, mon amour.

— Je serai à égalité avec vous en laissant Alain seul dans son lit, dit Léa. Je me prépare une autre chambre. J'irai le voir à mon tour, en suivant le calendrier. Faisons-nous comme cela ?

— Oui, dit Alain. Ta solution me semble bonne.

*

 

Alain, choyé par ses trois compagnes, bien remis de ses défaillances, donne le maximum compatible avec sa santé. Il ne baisse que lentement. Aucun autre enfant n'est annoncé. Le temps passe.

Alain est saturé, mais Léa et Oriane manquent d'amour. Elles recherchent un donneur possible, pour améliorer la situation, mais aucun homme n’est jugé digne de satisfaire aux exigences minimales pour accéder à la place libre d’amant caché. Michel est regretté. Odile est avec Paul la plupart du temps. Paul est poussé par Odile vers Léa ou Oriane. Léa et Oriane acceptent quelques courts moments passés avec Paul, bien qu'elles sachent Odile non échangiste. Très souvent, Alain prévient qu'il est inutile de se déplacer. Léa complète avec Toto, ce qu'Alain et Paul lui procurent. Oriane est privilégiée par Alain. Il la fait venir, même quand il est incapable de faire l'amour. Il la garde près de lui, et elle ne quitte Alain que quand il s'est endormi contre elle. Parfois, elle s'endort aussi et reste avec Alain jusqu'au matin.

*

 

 Antoine et Léa

 

— Bonjour, dit Antoine.

— Bonjour, Monsieur, dit Léa… Mais c’est Antoine ! Je ne vous avais pas reconnu. Quelle surprise de vous voir ici ! Êtes-vous de passage ?

— Non. Mon travail m’amène ici. J’ai tout simplement le désir de vous voir. Sommes-nous toujours amis ?

— Entrez donc… Installons-nous au salon… C’est gentil de me rendre visite.

— J’ai toujours été gentil avec vous.

— N’avez-vous pas amené votre femme ?

— Je ne suis pas marié.

— Nous aurions accepté votre copine.

— Je suis seul. J'en ai eu une, après Cécile, mais elle n'a pas voulu me suivre ici.

— Pourquoi ?

— Elle a préféré me quitter, car elle tenait à rester. D’ailleurs, il lui fallait de l'amour rapide. Nous n'étions pas bien adaptés. Nous nous sommes séparés sans nous fâcher.

— Qu’est devenue Cécile ? Vous sembliez très liés la dernière fois que je vous ai vu.

— J’étais lié, et je souhaitais la garder, mais elle s’est déliée.

— Ne vous aimait-elle plus ?

— Voulez-vous que je satisfasse votre curiosité ?

— Si vous voulez, dit Léa. J’ai le temps.

— Moi aussi. J’étais lié et tout allait bien avec Cécile. Elle me convenait parfaitement. Je faisais l’amour comme je voulais et elle le trouvait bien. C'était l’idéal et ça pouvait durer : elle aimait ma façon d’aimer.

— Votre façon, c’est d’aimer longtemps.

— C’est la façon que je préfère. Elle y était favorable, et je cherchais à la satisfaire. Pour moi, tout allait bien. Je me forçais même pour qu’elle soit encore plus satisfaite, en allongeant le temps.

— Dormait-elle ?

— C’était le problème. Nous ne dormions pas assez, car le matin, nous avions des impératifs qui nous obligeaient à nous lever. Nous ne négligions pas notre travail.

— C’est gênant, dit Léa. Je n’aime pas me passer de sommeil.

— Je sais. C’était pareil pour nous. Cécile a proposé un somnifère, qu'elle utilisait de temps en temps, et qui lui convenait. Nous l’avons pris pour dormir. Nous avons dormi. Le matin, nous étions frais et dispos. Ce somnifère n’avait pas d’effets secondaires. Nous l’avons adopté.

— Donc, tout allait bien.

— Sauf dans le lit avec elle, car je n’avais pas seulement envie de dormir tous les soirs et elle non plus. Quand nous faisions l’amour, c’était trop longtemps, et le somnifère débordait sur la matinée si nous le prenions après, car il imposait ses heures de sommeil, et pas moins. Le doser en en prenant moins n’était pas pertinent. Il agissait sur la profondeur du sommeil, mais pas sur le temps de sommeil qui restait fixe. Cécile ne voulait pas des autres somnifères courants qui donnaient selon elle un mauvais réveil, et des effets secondaires. J’aurais pu écourter l’amour, mais elle savait que nous préférions longtemps. Elle manquait de sommeil. Je tenais mieux le coup, mais je faisais la sieste, ce qui compensait.

— Vous étiez également mal adaptés.

— Trop bien adaptés à l'amour. Mais Cécile ne voulait pas être en retard le matin. Le travail passait avant l'amour. Le somnifère devait être pris avant une certaine heure qu’il ne fallait pas dépasser, sous peine de ne pas se réveiller le matin. Elle a pris le somnifère quand elle a jugé que c’était nécessaire pour se réveiller à l’heure, et je n’ai rien pris puisque je pouvais m’en passer. J’ai continué l’amour jusqu’à ce qu’elle s’endorme. C’était encore agréable pour moi. Je ne l’ai pas lâchée. J’ai pris la fin de mon plaisir sans me presser. Quand le désir est revenu, elle était là, et j’en ai disposé sans la réveiller. C’était pour moi la méthode pour nous adapter l’un à l’autre. J’étais satisfait, mais je n’ai pas compris qu’elle n’était pas aussi satisfaite que moi. L’aboutissement lui manquait. Elle perdait le meilleur. J’étais plus satisfait qu’elle.

— Maintenant, vous avez compris.

— Oui, mais trop tard. Elle est partie pour se mettre avec son mari actuel juste après que vous êtes passée chez moi.

— Juste après ? En serais-je en cause ?

— Non. C'était moi d'après elle, et non vous. J’ai fait quelque chose qui ne lui plaisait pas. Je ne sais pas trop quoi. Elle s’est braquée contre moi, et l'amour a été fini avec elle. Plus rien. Relations coupées. Comme si je l'avais horrifiée. Elle a claqué la porte et elle a disparu. Je ne la vois plus. Rupture totale.

— Et depuis, où en êtes-vous ?

— Mon travail m’amène ici.

— Ce travail vous convient-il ?

— Oui. Mes employeurs sont contents de moi. Je leur suis indispensable. C’est facile pour moi. Je gagne bien. Je suis encore amoureux de vous.

— Avez-vous une compagne ici ?

— Pas encore. J’aimerais en avoir une dans le genre de Cécile, mais les filles d'ici ne sont pas très sérieuses. Vous savez ce que c’est. Elles sont pleines d’addictions. Je n'ose m'y frotter, et papa n’est pas là pour m’en dénicher une convenable. Je ne sais pas comment faire pour en détecter une bonne. J’ai horreur de celles qui boivent ou fument, et elles boivent toutes plus ou moins.

— Avez-vous pensé à moi ?

— Je l’avoue. Une fille comme vous ne s’oublie pas, et vous ne buvez pas. Vous me faites penser à Cécile. Vous êtes parfaite.

— Je suis mariée. J’ai une famille et j’aime mon mari.

— Mais restez-vous une femme libre ? Puis-je espérer ?

— Êtes-vous capable de faire l’amour rapidement ?

— Oui, dit Antoine, si on me le demande, mais je préfère long, même si court est possible. Voulez-vous de moi ? Je n'ai personne d'autre. J'irai vite en amour pour vous faire plaisir.

— Je suis libre de préférer mon mari et d’autres hommes, et je les préfère. Donc, votre seul statut possible est amant caché venant en dernier, et encore faut-il que je vous accepte et que l’environnement s’y prête pour que je sois une amante cachée. Une amante cachée ne remplace pas une épouse, une copine habituelle ou une fiancée. Elle n’est pas disponible à volonté pour l’amant caché. L’amant caché venant en dernier ne dispose que de restes, même s’il est accepté.

— J’avais déjà compris votre point de vue quand vous avez passé cinq jours avec moi. Vous m’aviez refusé pour raison géographique. Maintenant, la géographie n’est plus contre moi puisque je suis ici. Amant en dernier est mieux que rien. Je me mets sur les rangs. Quand me voulez-vous ?

— Vous ne devez gêner, ni mon mari, ni mes autres amants.

— Je n’ai pas l’intention de me substituer à vos amants, mais je sollicite votre bienveillance, une entrée par une petite porte, en espérant vous plaire.

— Ne brûlons pas les étapes. Modérez-vous. J'ai à consulter mon mari à votre sujet. Pouvez-vous revenir demain à la même heure ?

— Oui.

— À demain.

*

— Antoine travaille maintenant ici, dit Léa à Alain. Il me sollicite. Que fais-je ? Dois-je m’en encombrer ?

— Voilà un amant possible qui peut être donneur. A-t-il ton agrément ? Je croyais que oui.

— Il y a du pour et du contre. Je l'aime, mais je te préfère cent fois à lui.

— Mais il fera cent fois mieux que moi.

— Il m'a violée. Il en reste quelque chose.

— Un enfant que nous aimons. Tu lui as pardonné. Il est réussi cet enfant.

— Oui, dit Léa. Voudras-tu être père d'un enfant de lui ?

— Je le veux si tu veux un enfant, dit Alain. C'est le seul moyen raisonnable d'en avoir un. Tes exigences sur le donneur te conduisent à lui. Il n'y a personne d'autre ici pouvant nous donner un enfant.

— Il y a toi, dit Léa, avec une espérance non nulle.

— Presque nulle. Le tout est de savoir si tu souhaites vraiment un autre enfant, ou seulement l'espoir d'en avoir un.

— J'en voudrais encore au moins un de façon sûre.

— Voilà une obligation que tu te donnes. Tu sais ce qu'il faut faire. Les probabilités te l'imposent. Antoine est indispensable. Tu as la chance qu'il soit là. Profite de sa présence.

— Je ne voudrais pas perdre tes possibilités, dit Léa.

— Sois réaliste, dit Alain. Te réserver pour moi quand tu es fécondable, c'est pratiquement perdre tes ovulations. Je ne suis plus assez actif. Tu dois te donner à Antoine au bon moment. Quand tu auras l'enfant, tu seras libre de faire ce que tu veux si tu ne souhaites pas trop fort un enfant supplémentaire, auquel cas il faudrait encore solliciter Antoine.

— Fais tout ce que tu peux avec moi, et j'ajoute Antoine.

— Tu passes tes nuits avec Antoine, et j'ajoute si je peux.

*

— Qu'avez-vous décidé, demande Antoine ?

— J’ai des exigences qui peuvent ne pas vous plaire, dit Léa, et un arriéré à apurer.

— Je suis disposé à en tenir compte en m’adaptant à vos désirs. Il est normal que tout ne plaise pas chez l’autre, mais le bilan peut être positif.

— Avant de voir le positif, parlons du négatif, de ce qui fâche si vous le voulez bien.

— Oui, dit Antoine. Mettons tout au clair.

— Qu’est-ce qui ne vous plaît pas en moi ?

— Que vous ne soyez pas entièrement à moi, mais je ne vous reproche pas d’être mariée et d’avoir des amants. Si vous m’aimiez beaucoup, ce serait mieux.

— Je peux donc coucher avec vous si je vous accepte, dit Léa. Mais je ne changerai pas ma situation familiale. Tous ceux qui sont avec moi passent avant vous. J’ai du plaisir avec eux.

— Puis-je espérer quelque chose ?

— Je n’ai encore rien décidé. Si je regarde le passé, ce serait plutôt non, car je n’ai pas tout apprécié de vous.

— Qu’ai-je fait pour vous déplaire ? J'ai toujours essayé de ne pas vous heurter, de faire pour le mieux.

— Ne vous en doutez-vous pas ?

— Je cherche. Je ne vois pas.

— Cherchez ce que vous avez fait avec moi quand j’ai passé quelques jours chez vous. C’est critiquable.

— Je vous ai un peu bousculée quand nous nous sommes embrassés dès le premier soir. C'était pour montrer mon amour pour vous, mais vous sembliez en avoir aussi pour moi. Vous n’aviez pas de répulsion. J’ai senti que mon contact vous plaisait. Vous n'avez empêché aucune de mes caresses. Vous aviez envie de moi, mais vous ne vouliez pas le montrer. Me suis-je trompé ?

— Non, mais vous n’y êtes pas allé de main morte non plus. J'ai tout de suite compris que vous aviez une forte envie de moi, comme aujourd’hui, et que je devais me méfier. Mais encore ?

— J’ai recommencé les soirs suivants, et j’ai cherché à vous exciter pour vous inciter à faire l’amour avec moi. J'ai tout tenté, mais vous êtes restée de marbre.

— Je n’étais pas explicitement consentante. J'étais là pour le travail, et non pour la bagatelle.

— Vous vouliez être en forme le jour suivant. Votre refus s’expliquait. C’est ce que j’ai compris.

— C'était la réalité. Et ensuite ?

— Je n’ai pas insisté. Je vous dérangeais. Je suis parti.

— En me donnant quoi à boire ?

— Une tisane.

— Destinée à quoi ?

— À vous faire dormir. Vous aviez réclamé une tisane pour dormir. Je vous ai apporté la tisane pour dormir de Cécile dès qu’elle a été prête.

— Et ensuite ?

— J’avais les mains encombrées par la tisane qui était à ras bord. Je ne voulais pas la renverser. J’ai ouvert avec le coude et je suis entré à reculons. Je n'ai eu aucun mal à l’ouvrir. La porte a un verrou pour quand on désire ne pas être dérangé. J’aurais compris si elle avait été fermée.

— J’attendais la tisane. Je n’avais pas à fermer.

— Donc, en me retournant, je vous ai vue en chemise, ce qui m’a fait un choc. Vous ne vous en êtes peut-être pas rendu compte, mais vous étiez désirable. À travers la chemise, je voyais tout. J’ai eu très envie de vous, mais je suis parti puisque vous ne m'avez pas invité. Ce n’était pas facile. J’ai dû me réprimer.

— Vous êtes revenu quand j’ai été endormie.

— Ah non ! Je ne vous ai pas empêchée de dormir. Vous étiez en forme le matin. Le lit vous a semblé bon. Vous n’êtes pas allée à l’hôtel pour mieux dormir. Vous aviez ce que vous vouliez. C’est moi qui ai mal dormi, à cause de vous.

— Qu’avez-vous fait le lendemain ?

— Vous m’avez attendu pour le baiser du soir et la tisane dans la chambre. Vous étiez avec cette chemise si fine et légère, comme le premier soir. Vous m'avez embrassé et vous ne m’avez rien interdit. J’avais le droit de vous toucher. C'était presque comme s'il n'y avait pas eu de tissu. Il ne gênait pas pour toucher. J'ai tout caressé. Vous étiez aussi désirable que Céline. J’avais envie de vous pousser sur le lit, et j’ai eu l’impression que vous vous y attendiez, mais que la forme du matin vous incitait à ne pas céder.

— C’est exact. J’avais des affaires importantes à traiter.

— Oui. C’était comme le premier soir. J’ai compris votre refus. Je suis parti.

— Sans rien dans la tisane ?

— La tisane était seulement la tisane somnifère de Cécile pour aider à dormir, comme le premier soir. Vous réclamiez ce genre de tisane. Le sachet que j’ai utilisé : je l’ai retiré de la tasse et laissé dans la soucoupe quand j’ai posé la tisane près de votre lit. Vous avez bien dormi dès la première nuit. N’est-ce pas ? Vous étiez toujours en forme le matin de toutes les nuits, preuve que vous aviez raison de la réclamer.

— N’êtes-vous pas venu dans ma chambre pendant que je dormais ?

— Je ne vous ai pas dérangée le premier jour. Je ne voulais pas que la forme vous manque le matin. J'ai constaté qu'elle était bonne. La tisane somnifère vous convenait comme à Cécile. Elle vous faisait dormir sans vous troubler.

— Mais le second soir, êtes-vous entré ?

— J’ai attendu que vous dormiez après l’extinction de la lampe. Je suis allé voir comment vous dormiez. Vous n’aviez pas verrouillé la porte. C’était une invitation à entrer. J’ai entrouvert. Vous dormiez à poings fermés, avec la respiration régulière du sommeil. Je ne vous ai pas réveillée. Je ne pouvais pas manquer le spectacle de la belle endormie. J'ai mis un peu de lumière pour bien vous voir. C’était la suite de ce que j’avais entrevu auparavant. Vous êtes encore plus belle endormie que réveillée.

— M’avez-vous seulement regardée ? N’avez-vous pas fait autre chose ?

— C’est donc ça. J’ai caressé. Vous êtes comme Céline. Je me suis conduit comme avec Céline. J’ai soulevé le voile pour mieux caresser. Longtemps, j’ai caressé. Vous étiez offerte comme elle, prête à recevoir, et c’était tentant. Vous ne réagissiez pas quand je vous touchais. Je pouvais même vous déplacer, placer une jambe comme je le voulais. Le sommeil était profond. Vous ne vous souviendriez de rien le matin, comme Céline. Je n’ai pas résisté. J’en ai profité. Cela n’allait pas vous gêner pour les affaires. Il vous manquait les préliminaires, donc, vous pouviez être sèche. Je serais allé chercher un tube de crème hydratante pour éviter les difficultés de pénétration, mais j'ai tâté, et il était inutile, car j’ai constaté que vous étiez humide et gluante à souhait, comme Cécile quand elle me voulait. Vous rêviez peut-être d'amour, où vous êtes naturellement comme ça, donc, vous n'étiez pas sèche du tout. Vous faisiez déjà certainement l'amour avec moi dans votre sommeil. Vos grandes étaient excitées. C'était une invitation. J'ai répondu à votre appel. C’était facile. Il n’y a eu aucune résistance. J’étais à l’aise. Vous étiez accueillante et c’était divin pour moi. Je vous ai soigneusement nettoyée avant de partir. J’ai vérifié la propreté sur vous et sous vous, et tout remis en place. Comme avant que j’arrive, vous étiez dans la même position, intacte. J’ai replacé le voile et la literie. Vous n’avez pas eu de réaction évidente, comme Céline, mais il aurait fallu vous réveiller pour que vous profitiez de ma présence. Vous dormiez toujours. J'aurais eu honte de vous réveiller et de vous faire manquer des affaires. La forme du lendemain était primordiale. J’ai constaté qu’elle avait été bonne le premier matin et les suivants, donc, la tisane agissait comme vous le vouliez. Vous n'étiez pas gênée par ma présence. Comment l’avez-vous su ? Il fallait m’en parler dès que vous l’avez soupçonné. Je vous aurais expliqué que c’était mieux ainsi. Quelqu’un m’a-t-il vu aller dans votre chambre ? Qui l’a su ? Mes parents ne pouvaient pas nous observer. Ils étaient à l'autre bout de la maison.

— Mon petit doigt me l'a dit, et vous venez de l'avouer. Avez-vous pris des précautions ?

— Les précautions habituelles, dit Antoine. Je n’allais pas les oublier. Je savais que vous étiez sérieuse comme Céline, donc, pas de risque pour moi avec vous. Vous aviez un stérilet. Le stérilet est rarement défectueux. Vous m’aviez dit en avoir un. Je pouvais éjaculer. C'était merveilleux.

— Bien, dit Léa. Mais vous n'aviez pas mon autorisation. Le somnifère peut aussi être toxique. On peut en avoir l’addiction. Vous étiez donc en faute.

— Vous exposer pratiquement nue était une façon de m’inviter. Je l’ai bien compris. Vous ne l'auriez pas fait sans m'aimer au moins un peu. Ajouté à la porte laissée ouverte, j'aurais été bête de ne pas en profiter. Vous aviez sans conteste envie de moi. Pour moi, c'était évident. Vous n'aviez pas de répulsion, et seulement de la réserve à cause des affaires. Je pouvais donc faire l'amour avec vous à condition que ça ne vous gêne pas en affaires. N'est-ce pas ?

— Je l'admets. Mais comment saviez-vous que je n'avais pas de maladie ?

— Une femme comme vous est saine. Vous êtes méfiante. Il n’y avait pas ce risque.

— Vous auriez pu m’infecter.

— Non. Jusqu’à vous, je n’avais fait l’amour qu’avec Cécile. Je suis sain aussi. Cécile y veillait et moi aussi.

— Céline était-elle sans risque ? Elle a couché de son côté.

— Vous aussi, mais j’avais confiance. Papa me l’avait choisie spécialement, et j'avais l'autorisation de faire l'amour avec Cécile, tout comme il me l'avait donnée quand je vous ai rencontrée en vacances autrefois. Cécile est bien, même si elle m’a lâché. Elle prenait des précautions infinies. Ce ne sera pas elle qui attrapera une maladie transmissible. J’étais en sécurité avec elle. Je ne vais pas avec les filles douteuses ou inconscientes. Je n’allais qu’avec elle. Je regrette encore Cécile. Elle me convenait, mais elle est partie faire sa vie ailleurs.

— Pour quelle raison ?

— Elle s’est braquée et a claqué la porte. Elle ne voulait plus de moi. Je n’ai pas bien compris. Je ne la croyais pas comme ça, capable de se retourner d’un seul coup. On a parfois des surprises. Pour une vétille, elle m'a quitté sans que je puisse m’expliquer. Je lui en ai voulu sur le moment.

— Quelle explication vouliez-vous lui donner ?

— Que tout ce que je faisais avait un sens, et qu’elle n’avait aucune raison de me quitter. Elle a refusé de m’écouter.

— Vous n’étiez plus d’accord. Dans ce cas-là, la séparation s’impose.

— Oui, et papa m’a dit de ne pas courir après elle. Je l’avais déçue. Elle avait claqué la porte. Je devais l’accepter. Les femmes sont libres d'aimer qui elles veulent.

— Cécile avait peut-être trouvé mieux que vous ? Était-elle partie pour tester un nouvel amant ?

— Je n’en sais rien, mais elle s’est mise tout de suite avec un autre copain. Je n’ai pas dû lui manquer. Elle n’a pas traîné. Le lendemain, elle était déjà avec lui. J’en ai pris mon parti.

— Ce copain était-il un amant caché ?

— Cécile ne m'en a jamais parlé. Papa m'avait dit de ne pas questionner Cécile sur ses amours. Je ne sais pas si elle était vierge quand elle est venue à moi. Je n'ai jamais cherché à m'occuper de ce qu'une femme libre pouvait faire en dehors de moi. Est-ce bien ce qu'une femme libre comme vous exige de ceux qu'elle fréquente ? Suis-je digne de vous et de Cécile sur ce point ?

— Oui, dit Léa. Cécile vous a donc quitté librement. Vous avez de votre côté trouvé une autre copine.

— Oui. Papa s’en est chargé. Il est bien placé pour trouver les jeunes filles intéressantes qui militent avec lui. Dès qu’il a été au courant, il m’en a fourni une que j’ai gardée jusqu’à ce que mon travail m’amène ici. Je préférais Céline, mais j'étais mieux avec elle que sans copine.

— Revenons à nous, et à ces cinq jours que j'ai passés avec vous. Qu’avez-vous fait les nuits suivantes avec moi ?

— La même chose. Au matin, vous aviez encore la forme. Tout allait bien. Votre sommeil n’était pas perturbé. J’ai continué. C'était bien agréable. J'en ai un bon souvenir.

— Pendant trois nuits, dit Léa, vous avez ainsi fait l’amour avec moi ?

— Oui.

— Donc trois relations sexuelles ?

— J’en ai eu plusieurs dans la nuit, dit Antoine, surtout la première fois : j’avais du retard de plusieurs nuits puisque Cécile était partie.

— Coquin, dit Léa. Vous en avez profité. Étais-je encore bien disposée ?

— C'était sans problème, dit Antoine.

*

 

 Les gages

 

— Nous savons ce qui s'est passé, dit Léa à Antoine. Vous m’avez endormie et vous avez profité de la situation pour prendre votre plaisir sans vous préoccuper du mien. Vous avez abusé de moi.

— Pas beaucoup, dit Antoine. Vous n’en avez pas souffert. Vous n’avez subi aucune brutalité. J’ai été le plus doux possible. En réalité, je vous ai dorlotée en soignant votre confort pour que vous gardiez votre forme.

— Exact, mais vous avez caché vos actes.

— Comme vous. Vous cachez vos amants.

— Sauf que je ne suis pas cachée à mes amants. Nous agissons de concert, en commun. Vous m’avez imposé votre volonté sans vous préoccuper de mon avis. Vous êtes en tort.

— C’est le jeu de l’amour. J’ai utilisé mes atouts.

— Nous avons joué ensemble autrefois. Celui qui trichait devait un gage à l’autre. Je vous propose de régler cet arriéré comme nous le faisions autrefois, par des gages.

— Je suis d'accord. Vous méritez une compensation. J’ai eu plus de plaisir que vous. Je vous dois du plaisir.

— Trois fois, vous êtes venu dans ma chambre sans mon autorisation.

— Oui. J’ai eu trois fois plus de plaisir que vous.

— Vous me devez trois gages.

— Si vous voulez. Quels gages me donnez-vous ? Ils doivent être proportionnés à mes torts. Que puis-je faire pour vous faire grandement plaisir ?

— Vous avez fait l'amour avec moi, dit Léa, mais je n'ai jamais fait l'amour avec vous consciemment. Je suis curieuse de savoir si je peux vous aimer. Je peux vous prendre à l’essai, sous ma direction, et comme je le désire, en vous faisant faire ce qui me plaît, à ma façon et non la vôtre.

— Ce genre de gage me plaît. Je suis prêt à satisfaire votre curiosité.

— Mon mari Alain est presque impuissant. Nous désirons un enfant. Si j’arrivais à vous aimer, le gage serait de lui donner un enfant de moi. Il n'est pas jaloux. Il accepte mes amants.

— N’avez-vous pas déjà des enfants de lui ?

— J’ai changé de mari. Mes trois enfants sont du premier lit.

— Comment envisagez-vous cet essai ?

— Vous venez coucher avec moi, et si je vous supporte, nous continuerons en faisant l'enfant.

— Je coucherais comme avec Céline dès aujourd’hui ?

— Non. Pour commencer, je veux un certificat concernant les maladies transmissibles. Je vous fournirai le mien. Ensuite, je ferai l'essai avec préservatif, car j'ai demandé la dépose du stérilet puisque je souhaite avoir un enfant. Je vous prendrais dans mon lit les nuits que je souhaite. En amour, je n’aime pas les séances longues qui vous plaisent. Vous iriez à mon rythme en me laissant dormir ensuite sans somnifère. Je ne me livre pas endormie comme Céline. Je ne fais l’amour que les yeux ouverts et sans me droguer, en début de nuit.

— Ne prendrez-vous pas le temps de bien savourer ? C’est ça la bonne méthode.

— Vous savourez longtemps, mais pas moi. Ma méthode est d’aller vite pour dormir ensuite naturellement, sans interruption et sans me relancer. C’est mon gage et non le vôtre. Vous faites ce que je souhaite ou vous ne faites rien. Si faire l’amour avec moi à ma façon ne vous intéresse pas, je ne vous force pas. Je trouverai un autre gage.

— Bon. Je ferai comme vous voulez. Quand commençons-nous ?

— Il n’y a pas de temps à perdre. Je veux savoir si je peux vous aimer. Si j’arrive à vous aimer, je ferai un enfant avec vous. Je vous inviterai en début des nuits pendant l'essai. Au bout d'une semaine ou deux d'essai, je devrais pouvoir vous dire si je me lance avec vous pour faire l'enfant sans préservatif. Vous viendriez les nuits des périodes où je serai fécondable.

— Je suis partant, mais votre mari ?

— Il sera d’accord, dit Léa, et garde priorité sur vous. Il sait que je souhaite un enfant et qu'il n'est plus très capable. J’espère vous aimer suffisamment pour obtenir cet enfant, de lui ou de vous. Vous n'aurez aucun droit sur l'enfant.

— Je vous obéis, dit Antoine, comme toujours.

— Si je vous tolère, vous serez mon amant caché jusqu’à ce que je sois enceinte. Sinon, vous disparaissez dès que je vous rejette. Je ne fais pas un enfant avec un homme que je n’aime pas.

— Vous ne pouvez pas ne pas m’aimer.

— C’est moi qui décide si j’aime ou non, et non vous. L’essai me fixera. Si vous me lâchez à mi-parcours, c’en est fini entre nous.

— Je ne vous lâcherai pas. Et après, si vous êtes enceinte ?

— Le gage sera terminé. Il n’est pas certain que je vous garde comme amant. J’ai d’autres amours qui passeront certainement avant vous. Tant pis si vous avez la portion congrue et si je ne vous satisfais pas pleinement. Tant mieux si vous y prenez du plaisir. J’ai la liberté de vous refuser ou de vous faire passer en dernier. Je ne suis pas à votre service. L’enfant que je cherche est le premier gage que je vous inflige. À vous d’essayer d’y parvenir pour me satisfaire.

— Je ne peux pas refuser, dit Antoine. Pour améliorer votre plaisir, entre vos périodes fécondables, aurais-je encore quelques nuits ? Des nuits de plaisir simple avec un amant caché ?

— Non, sauf si je vous appelle. Ce n’est pas le plaisir qui me guide, ni le mien, ni le vôtre. J’ai d’autres amours qui passent avant le vôtre.

— Quels seront les deux autres gages ?

— Je vais y réfléchir, dit Léa. Partons sur le premier.

*

 

Léa est en sécurité avec Antoine, comme avec ses autres hommes. Elle exige le préservatif, par principe pendant l'essai, parce qu'elle pourrait refuser de continuer, si par hasard, elle ne supportait pas Antoine. Elle a donc demandé l'essai, mais elle a suffisamment fantasmé sur Antoine pour savoir que ça va aller tout seul avec lui. Elle sait ce qu'elle attend d'Antoine : tout ce qu'elle a obtenu dans ses fantasmes, qu'elle a répétés à l'infini. Il doit seulement se plier à son rythme, et Antoine est d'accord. C'est avec impatience qu'elle se couche avec lui. Ses fantasmes vont se transformer en réalité. Tout va se dérouler de la même façon. Antoine est bien là, et fait l'amour avec elle.

Mais Léa ne ressent pas le plaisir qu'elle attend. Pourquoi ? Antoine fait tout ce qu'il faut, et elle n'a pas la satisfaction de l'amour parfait de ses fantasmes. Dépitée, Léa ne dit rien à Antoine, mais se demande ce qui se passe. Premier échec en amour. Que faut-il en penser ?

Léa cherche ce qui ne va pas. Les fois suivantes : mêmes déceptions. Léa s'inquiète. Faut-il qu'elle abandonne le projet d'enfant ? Doit-elle rejeter Antoine ? Non. Elle est décidée. Même sans plaisir, elle ira jusqu'au bout. L'enfant qu'elle a déjà d'Antoine est réussi. Elle en aura un second. Elle déclare à Antoine que l'essai est terminé, et qu'elle passe à la fécondation. Elle couche avec Antoine dans les périodes propices, et seulement pendant ces périodes. Antoine n'en est pas étonné : elle l'avait prévenu.

 

 

 

— Es-tu bien avec Antoine ? demande Alain à Léa.

— Ce n'est pas parfait, dit Léa. Je n'ai pas le plaisir que j'escomptais. Je suis bien mieux avec toi. Je renais dans tes bras.

— Plaisir avec moi, mais pas avec Antoine. Pourtant, Antoine étant ton premier amour, tout devrait bien aller.

— Oui, mais Antoine ne correspond pas à l'image que je m'en étais faite. J'aime l'Antoine de mes fantasmes. L'Antoine réel ne me satisfait pas. Mon amour avec lui n'aboutit pas. Je reste sur ma faim. Avec Roger, Paul, Michel ou toi, j'ai toujours eu des orgasmes. Je suis déçue par Antoine. Je ne suis pas certaine de continuer longtemps avec lui. Il est heureux de faire l'amour, mais pas moi : je me force. Vivement que je sois enceinte !

— Est-ce pénible ?

— Il ne me viole pas, et je fais bonne figure. Je suis consentante, mais c'est presque une corvée. C'est sans comparaison avec ce que j'ai avec toi, et pourtant, tu n'es pas aidé avec ton âge. On me parlait des femmes qui n'ont pas de plaisir. Maintenant, je les comprends mieux. Je ne pensais pas que le plaisir était si important. Sans lui, l'amour est décevant.

— Le plaisir peut encore venir.

— J'en doute de plus en plus. Chaque fois, je l'attends, et je déchante. C'est énervant de ne pas obtenir ce que j'ai toujours eu facilement. Je ne suis bien qu'avec toi et Paul. J'étais bien avec Michel et Roger. Même si au début, ce n'était pas parfait, car il faut s'habituer, j'ai eu très vite des orgasmes. Je n'envisageais pas cette situation. Je le fais pour l'enfant. Je pense qu'avec Antoine, c'est mieux que la fécondation artificielle ou l'adoption, mais j'espère que ça ne durera pas trop longtemps. Après le gage, je ne le prendrai pas comme amant.

— C'est quand même curieux que tu n'aies pas de plaisir avec l'homme qui t'a fait découvrir l'amour. C'est certainement un désordre psychologique. Y a-t-il une raison physique ?

— Il fait l'amour comme vous autres, et comme je lui demande. Il n'est pas en cause. Logiquement, je devrais aboutir aux mêmes orgasmes qu'avec vous, mais je le subis sans plaisir.

— C'est donc bien ta psychologie qui est en cause, dit Alain. Dans tes fantasmes, faisais-tu l'amour avec Antoine ?

— Oui. Pratiquement toujours. Je me lâchais.

— Avec orgasmes ? Toute seule ?

— Oui. Je faisais le nécessaire pour les obtenir, mais c'était en pensant à Antoine. Sans lui, je n'en avais pas aussi facilement.

— N'es-tu pas angoissée, avec l'Antoine actuel ?

— Je voudrais que ça marche. Avec lui, l'amour comme je l'imaginais n'est plus possible. Je ne le retrouve pas. Il m'échappe.

— Et comme ça ne marche pas, tu t’angoisses encore plus.

— Oui. Je m'énerve intérieurement. Je m'en veux de ne pas arriver à ce que je souhaite.

— Tu te déstabilises toute seule. Retombe sur tes pieds.

— Oui. Je pense trop à bien faire.

— Maintenant, avec le diagnostic, tu as la solution. Pars sur de nouvelles bases. Déconnecte-toi de tes fantasmes.

— Oui, dit Léa. J'ai fait fausse route en idéalisant Antoine. Je dois me décontracter et ne plus chercher l'Antoine de mes rêves. Je dois voir Antoine objectivement.

— Voilà, dit Alain. Tu obtiendras le véritable Antoine, qui est probablement aussi agréable que celui que tu imaginais.

 

 

Suivant les recommandations d'Alain, Léa se débarrasse du souvenir et de ses désillusions. Ce n'est pas facile, mais elle y parvient. Antoine n'est ni Toto, ni une chimère. Elle s'en persuade. Elle voit Antoine plus objectivement : un homme au-dessus de la normale, qu'elle a le droit d'aimer, car il est plein de qualités, et mérite d'être aimé. Elle n'est plus bloquée dans l'attente de l'être inaccessible qu'elle a élaboré au fil des années, et qui la contentait dans ses fantasmes. Elle a un amant nouveau, qu'elle prend tel qu'il est. Elle l'observe, au lui de chercher à ce qu'il concorde avec ce qu'elle voulait qu'il soit, et qu'il n'est pas. Antoine n'impose rien et est à son service, aux petits soins avec elle. Il est de si bonne volonté qu'elle en est émue. Elle avait oublié qu'il est charmant. Antoine l'aime vraiment. Miracle. Les hormones agissent et le plaisir s'installe. Léa aime son donneur. Elle limite la rapidité d’Antoine, en la réglant à sa convenance, comme elle l’a fait avec Toto. Elle avait envisagé de réduire la période où elle se donnait. Elle la rallonge.

Léa a maintenant un autre amant : l'Antoine réel. Elle n'abandonne pas l'Antoine des fantasmes, apparenté à Toto, qui lui donnera encore toujours satisfaction. L'Antoine imaginaire reste l'animateur des périodes creuses.

Les nuits où Léa convoque Antoine, il est à l’heure au discret rendez-vous. Il fait tout ce qu’elle veut. Au bout de quatre mois, Léa est enceinte. Il est probable que l'enfant sera d'Antoine, mais Léa ne veut pas de test de paternité. Le père est Alain, sans discussion.

*

— Je vous remercie, dit Léa à Antoine. Mon mari et moi aurons un nouvel enfant. Le premier gage est terminé. Êtes-vous satisfait des nuits que nous avons passées ensemble ?

— Bien sûr. Je continuerais volontiers.

 — Non. Alain et mes amants auraient leur part réduite. Je vous ai beaucoup donné. Laissez-moi souffler.

— Avez-vous du plaisir avec Alain ?

— Pas autant qu’avec vous, en additionnant tout sur nos quatre mois, mais du plaisir quand même.

— Vous voyez que vous avez besoin de moi. Je vous en donne plus.

— C’est vrai physiquement, car vous êtes actif, mais le plaisir que je donne à Alain compense celui que je perds avec vous. Il est un mari parfait.

— Faites-moi plaisir, et vous en même temps. En plus d’Alain, je prendrai seulement ce qu’il laisse.

— Une femme vous manque-t-elle ?

— Oui. D'autant plus que je me suis habitué à vous. J'aspire à la continuité.

— Le gage est fini avec moi. J’envisage un second gage qui ne m’implique pas. Connaissez-vous Odile ?

— Oui. Elle travaille avec vous, mais elle est distante, et vous ne me l'avez pas présentée. Elle est mariée avec Paul. Je ne les connais que de vue. Je la trouve belle. J'aimerais en savoir plus sur elle.

— Odile a beaucoup de points communs avec moi. C’est ma meilleure amie et vous n'êtes pas le seul à remarquer sa beauté. Elle croule sous les propositions de ses admirateurs. Des peintres et des photographes veulent faire son portrait. Elle pourrait vivre de son image. J’avoue qu’elle est mieux que moi. Paul l’adore, et il a raison. Si j'influençais Odile pour qu’elle vous prenne, vous plairait-elle ?

— Peut-être. Est-elle libre comme vous, avec des amants ?

— Oui, mais elle aime beaucoup Paul, et elle est très difficile sur ses amants. Actuellement, elle n’en a pas et elle n'en prend pas sans raison. Elle est assez fidèle à Paul.

— Elle est inaccessible à un garçon comme moi. Je n’ai rien de plus qu’un autre. Une femme mariée avec un mari normal n’est pas pour moi.

— Pas si sûr. Odile aime les gens gentils et intelligents, et vous l'êtes. Comme nous, vous ne buvez ni ne fumez. Vous n'avez pas les défauts habituels des garçons. C’est pour elle un atout important qui a déjà joué en votre faveur avec moi. Vous faites partie des rares hommes que nous pouvons accepter. Son mari Paul ne lui donne pas d’enfant et ils en désirent un second. Elle est dans le même cas que moi. Je vous ai pris avec moi parce que Paul ne convenait pas. Je peux plaider en faveur de votre candidature à lui faire un enfant en toute discrétion. Il faudrait procéder comme avec moi.

— Tenez-vous à ce que j’aille avec elle ?

— Oui, si elle le souhaite. Paul et Odile voudraient un autre enfant. Il leur faut un donneur.

— Pourquoi moi ?

— Vous êtes tout désigné. Ce sera vous, si j’influe en votre faveur. Vous avez prouvé votre efficacité. Paul s'effacera devant un donneur sain confirmé. Odile a mon exemple. Elle attire plus les garçons que moi, mais il est très difficile d'avoir un donneur disponible, répondant à nos critères. Il n’y a que vous actuellement. La place est libre. Elle n’a pas le choix. C’est vous ou personne. Je doute qu’Odile vous déplaise. Couchez avec elle, et je récupère Paul les jours où elle a besoin de vous. Tout se passerait comme avec moi. Vous seriez avec elle les jours qu'elle vous désignerait.

— Veut-elle de moi ?

— C’est mon idée. Je ne lui en ai pas parlé, mais elle me suivra probablement. Il n’y a pas d’alternative dans son cas. Si vous avez besoin d’une amante sérieuse, Odile peut jouer ce rôle de la même façon que moi pendant quelque temps. Préférez-vous une fille des rues pour passer vos envies ?

— Je ne veux pas d’une fille des rues. Elles sont trop dangereuses. Je n’irai jamais avec une fille des rues. Papa ne l'accepterait pas.

— Odile est préférable. Elle est sérieuse.

— Bien sûr. Vos critères sont les miens… Si vous récupérez Paul, vous perdez Alain. Que va-t-il devenir ?

— D'abord, Paul continuera avec Odile. Vous n'aurez pas tout, et moi non plus. Alain s’occupe d’Oriane en plus de moi. Il va continuer, et Oriane est capable de me suppléer auprès de lui. Avec sa jeunesse, elle peut l’occuper pleinement. Il n’y a pas d’obstacle majeur. Si ça vous gêne d’aller avec Odile, si elle est trop bien pour vous, n’en parlons plus, et je vous donnerai un autre gage. Il faut aussi qu’Odile soit satisfaite. Il est évident qu’elle peut vous rejeter si elle trouve quelque chose qui cloche en vous. Il n'est pas certain qu'elle ait du plaisir avec vous. Que fais-je ? Ce gage-ci a-t-il votre accord ? Il est du même genre que le précédent que vous vouliez prolonger. Logiquement, il devrait vous plaire.

— Oui, dit Antoine. Je prends Odile. Je me lance avec votre amie. Je n’ai rien à y perdre. Si elle n’est pas comme je le souhaite, je la rejette illico, mais si elle est mieux que vous, pourquoi n’essaierais-je pas ?

— Nous partons donc pour un essai éventuel, dit Léa. Je m’en occupe, mais sachez qu’Odile n’aime pas plus l’amour interminable que moi. Ne faites pas l’erreur de lui proposer des prolongations non désirées. À la rigueur, elle accepte des relances. Obéissez à Odile comme à moi. Si vous vous comportiez avec elle comme avec moi, ça devrait aller.

*

— Odile, dit Léa. Que penses-tu d’Antoine ?

— Le fils de la femme de ton oncle ? Ton ami d'enfance ? Tu m'as dit l'avoir toujours aimé. Maintenant qu'il est là, tu en profites.

— Oui.

— Il vient de temps en temps te voir en soirée pour passer la nuit avec toi. Je sais que tu n'exposes pas tes amants. Tu es gentille de ne pas me le cacher plus. Vous faites ce que vous voulez. Ce ne sont pas mes affaires. Je n’ai pas beaucoup de renseignements sur lui.

— Lui non plus sur toi, mais je vous connais tous les deux. Antoine est un de mes amants cachés. J’en suis assez satisfaite. Comme je suis enceinte, je te le passe si tu veux. Je n’ai plus autant besoin de lui.

— Paul est bien avec moi, dit Odile. Je ne cherche pas ailleurs. Je n'ai pas besoin d'un amant supplémentaire.

— Oui, mais si tu veux un enfant, il faut passer comme moi par un amant. J'ai mis quatre mois, sans lâcher Alain. Je me suis concentrée sur Antoine dans les périodes favorables, car avec Alain, c'est aléatoire, et je doute que l'enfant soit d'Alain. Antoine est capable de te féconder. Il vient de le prouver avec moi. Je l’ai pris parce que je l’aime et qu’il me fallait un donneur. Il répond à nos critères communs de choix. Il est là, et il est assez malléable pour que tu puisses exiger ce que tu désires de lui. Maintenant que je l’ai utilisé, il est disponible pour toi. Alors ? Il cherche une femme sans addiction. Il n'y en a pas beaucoup de non mariées, surtout ici. D'ici qu'il la trouve, tu peux lui demander un enfant. J'ai saisi l'occasion. Tu peux me copier. Il ne devrait pas te refuser si je te conseille à lui.

— Me garantis-tu Antoine ?

— Oui. Il ne vaut pas Paul, mais il fait bien l’amour et est très gentil. J'ai eu un peu de difficulté à m'habituer à lui, car je cherchais en lui ce qu'il n'est pas, mais je me suis adaptée. Tu devrais pouvoir le faire. Antoine n’est pas une merveille, mais il est mieux qu’un donneur anonyme sélectionné uniquement sur son aspect analogue à celui du mari, et dont on t’injecte le sperme en clinique. Si cet inconnu est alcoolique, on ne te le dira pas. Antoine ne l’est pas. Je prends Paul le temps nécessaire pour te libérer. Il m'aime presque autant que toi.

— D’accord, dit Odile. Je te fais confiance.

— Tu verras : Antoine est convenable pour ce qu’on lui demande et il ne proteste pas trop quand on le contrarie. Si ça ne va pas, tu n'as qu'à lui dire. Tu ne le prends que pour l'enfant, qu'il te donne sans contrepartie. Paul sera le père, et en sera heureux.

*

 

 Le dernier gage

 

— Que vas-tu faire d’Antoine quand Odile sera enceinte, demande Alain à Léa ?

— Je ne sais pas encore. Je souhaite qu’il reste notre ami et qu'il trouve la femme qu'il lui faut.

— Amant caché ?

— Antoine est notre ami. Il y en a peu comme lui. Ne coupons pas les ponts. Tant qu'il est avec Odile, il vaut mieux que je lui laisse, mais ensuite, je me dois à lui. Tant qu'il ne trouvera personne, je me sens presque obligée d'être son amante.

— C'est bien, dit Alain. Il est capable de me suppléer puisque tu as obtenu le plaisir avec lui. Je me dope pour tenir ma place au lit, mais tu as besoin d'Antoine. J’ai le souvenir de mes prestations quand j’étais plus jeune. Je suis devenu pitoyable en amour physique. Tu l’aimes assez pour le prendre avec toi. Ne me dis pas que c’est désagréable d’être avec lui. Je ne te croirais pas. Tu peux te le réserver. Il ne gêne pas.

— C’est vrai, dit Léa, mais je n’ai pas envie de le prendre en permanence avec moi. Je ne souhaite pas être une amante principale. Il doit chercher ailleurs.

— Pourquoi ? Est-ce par principe ?

— Par principe, bien sûr, mais nous ne sommes pas au même rythme en amour. L'un des deux impose sa méthode au détriment de l’autre. Je lui ai imposé la mienne parce qu’il avait un gage. Il a bien voulu, mais nous ne sommes pas en harmonie parfaite. Roger me convenait mieux. Avec Odile, c’est comparable. Elle l’accepte parce que j’ai imposé à Antoine le rythme qu’Odile aime, mais ce n’est pas ce qu’il souhaite. Odile préfère Paul, et moi aussi. Il vaudrait mieux qu’Antoine trouve une fille comme Cécile, adaptée à lui. C’est lui rendre un mauvais service de le mettre avec moi. Ce sera toujours bancal. Il préfère d'autres femmes, et moi d'autres hommes.

— Il continue quand même avec Odile.

— Comme il l’a fait avec moi, parce qu’il n’a pas trouvé sa Cécile et qu'il aime faire l'amour. C'est un pis-aller. Il réclame des amours plus longs. Je n’ai eu besoin de lui que pour l’enfant. Je n’envisage pas d’avoir un autre enfant avec lui.

— Vous avez des orgasmes avec lui.

— Ce n'est pas suffisant. Je t'aime plus que lui.

— Odile et toi exploitez Antoine. Il a droit à plus d'égards.

— Nous ne l’exploitons pas en lui faisant faire l’amour, dit Léa. Il est volontaire. Nous ne l'obligeons pas. Les hommes actifs ne demandent que ça, et je ne leur reproche pas. Les femmes en profitent, mais sans exploiter. Ils se défoulent avec nous au lieu de se masturber. Même quand ils ne peuvent plus comme toi, ils aiment encore être avec nous. Plus ils font l’amour physique, et plus ils sont contents. Grâce à ça, nous avons des enfants et des amants, mais ce n’est pas le grand amour comme avec toi. Lui, je l'accepte ; toi, je te cherche. Je suis aux anges avec toi.

— Ne désires-tu plus Antoine ?

— Tu es gentil de me proposer Antoine, mais je préfère être avec toi, même si tu es sans possibilité physique importante, et si je dois te partager avec Oriane.

— Je me demande si Antoine conviendrait à Oriane ?

— Je doute qu’Oriane séduise Antoine. Il n'y a que toi pour avoir été séduit par Oriane. Roger aussi, mais tu as influencé Roger. Il t’a suivi et son amour a mal tourné.

— Après Odile, te reste-t-il bien un gage ? Tu peux disposer d’Antoine.

— Oui. As-tu une proposition ?

— Mets Antoine avec Oriane, dit Alain.

— Oriane ne voudra pas d’enfant sans être mariée. À sa place, je refuserais. La première chose est de lui trouver un mari. Ensuite, elle pourra avoir un autre enfant.

— Aucun mari actuellement. Elle refusera effectivement l’enfant d’Antoine, puisque nous lui déconseillons, mais elle ne refusera pas d’essayer Antoine si je lui demande, en amant caché.

— Qu’espères-tu ?

— Oriane manque d’amour. Cela ne se voit pas, mais elle me le dit, et Oriane est objective : c’est un manque physique sérieux. Elle est jeune. Elle a besoin d’amour, même si elle arrive à s’en passer. La masturbation n'est pas aussi satisfaisante que l'amour. Il n’y a eu que Roger en son temps pour la satisfaire, et le régime lui convenait : je le voyais au travail avec moi. C’était bénéfique pour elle. Elle était plus détendue. Mariée, elle était heureuse. Cela a été un drame pour elle quand Roger l’a délaissée. Elle était en manque d'amour manifeste. Ici, elle n’a que moi, et je suis un piètre amant qui doit en plus se partager avec toi. Je ne suis pas à la hauteur de ses désirs. Il lui faut un homme au niveau de son ardeur naturelle. Je ne trouve personne de convenable pour s’intéresser à elle. J’en suis à me demander si je ne dois pas lui payer un gigolo. Bien sûr, elle n’en veut pas, car elle ne l’aimerait pas. Comme nous, elle a de la répulsion pour les addictions, et les gigolos en ont. Je ne lui trouve pas de mari. C'est désespérant. Un amant comme Antoine lui fera du bien, même transitoirement, je l'espère. Elle ne regrette pas d’avoir fait l’amour avec Roger. Antoine est convenable. Il ne lui fera pas de mal. Il est gentil. Il faudrait seulement qu'il accepte Oriane. Tu as le pouvoir de lui amener Antoine et j’ai le pouvoir de le faire accepter à Oriane.

— La relation va tout de suite casser, dit Léa. Il faut un homme calme comme toi pour Oriane.

— Je suis moins pessimiste que toi, dit Alain. Ce chaud lapin d’Antoine a des besoins sexuels comparables à ceux d’Oriane. Antoine s'adapte à vous bien qu'il préfère une Céline. En attendant qu’il trouve une compagne, il peut nous dépanner quelque temps en faisant l’amour avec Oriane, même si elle ne lui plaît pas beaucoup. En dirigeant le gage comme tu as fait, Oriane se servira d’Antoine à sa convenance. Elle est capable, comme toi, de le mener, de lui dire comment faire avec elle. Ce serait bon pour elle, même si le gage ne dure pas. Impose à Antoine le gage d’un minimum de quelques semaines ou mois d’amour avec Oriane, en obéissant à Oriane. Je cherche pour compenser une fille pour Antoine. Il est plus facile de trouver une fille pour Antoine que de chercher un garçon pour Oriane. Les filles aiment un garçon comme Antoine. Le plus difficile est d'en trouver une qui n'ait pas d'addiction, car c'est ce critère qui isole Antoine. Elle sera heureuse d'avoir un garçon n'en ayant pas.

— Mais Antoine ne va pas plaire à Oriane.

— Si Oriane n’arrive pas à guider Antoine vers ce qu’elle souhaite et le refuse, le gage s’arrête. Il n’est pas question de la forcer, mais l’essai me semble utile. Antoine est malléable.

— Si Oriane aime Antoine, que feras-tu quand il n’en voudra plus ?

— Elle retombera dans l’état actuel, mais nous aurons gagné quelques mois.

— Que fais-tu des sentiments d’Oriane et d’Antoine ?

— Je connais les sentiments d’Oriane, dit Alain. Elle m’aime et a besoin d’amour. Elle fera l’amour avec Antoine en pensant à moi. Avec Roger, elle pensait déjà à moi. Roger n’avait pas complètement tort de se plaindre d’Oriane. Elle est allée avec lui pour être avec moi, au moins dans le travail. Elle le trompait en pensée avec moi. Je le sais maintenant. Elle me l’a dit, mais elle n’en souffrait pas. Pour elle, Roger, c'était moi, auquel j'avais délégué l'amour. Elle était mieux avec Roger que sans Roger. Antoine sera celui que je désire pour elle. Elle sera mieux avec lui que sans lui, même si elle pense à moi. Pour les sentiments d’Antoine, c’est à toi de me dire. Tu le connais mieux que moi.

— Antoine est accroché aux préceptes de son père, dit Léa. Victor l'a marqué pour la vie. Il ne fera rien contre les idées de Victor, et il a un respect total pour les femmes. Il est gentil, mais il ne sera jamais aussi logique que nous. Il réussit dans son métier parce qu'il est intelligent, mais dans le nôtre, il ne réussira pas. Il a une grande envie de faire l'amour, mais il fera ce que je lui dirai de faire en accord avec son père, parce qu'il a confiance en nous. Il sait que nous faisons pour le mieux avec lui. Dès qu'Odile la libérera, je l'orienterai vers Oriane si elle l'accepte. Es-tu d'accord ?

— Oui, dit Alain. L'essai est à faire.

*

 

— Odile est enceinte, dit Léa à Antoine. Elle n’a plus besoin de vous. Elle reprend Paul en exclusivité.

— Vous n’aurez plus Paul, dit Antoine.

— Moins souvent, mais Odile ne le monopolisera pas. J'aime bien Paul, et Odile me l'envoie de temps en temps.

— Me reprenez-vous ?

— Comme amant caché si vous le souhaitez, mais à l’occasion seulement, si je vous appelle. Rien pour le moment.

— Rien pour le moment ? C’est maigre.

— Après moi et Odile, dit Léa, je m’en doute. Odile vous a saturé, mais c'était provisoire. Paul préfère Odile à moi. La préférez-vous aussi ?

— Odile est très bien.

— Cela signifie qu'elle est mieux que moi, et c'est vrai. Vous avez fait ce qu’il fallait ensemble, et peut-être même plus, d’après ce qu’elle m’a dit. Elle a fait l’effort l’aller avec vous, et elle a cédé plus que moi à vos désirs, aux dépens de Paul, mais elle savait que Paul pouvait venir à moi pour compenser. N’en demandez pas plus à Odile. Odile aime Paul beaucoup plus que vous. Vous a-t-elle proposé de continuer ?

— Non, mais je lui ai procuré plus d’orgasmes qu’à vous, et je doute qu'elle simule. Elle m’aime quand même. D'ailleurs, elle me l’a dit.

— Ce n’est pas une raison pour qu’elle vous aime autant que Paul. Odile vous a congédié pour rependre Paul. Il faut en prendre votre parti. Ne vous plaignez pas. Vous avez bénéficié d’une femme admirable que les hommes recherchent. Vous êtes un privilégié d'avoir eu une telle beauté avec vous.

— Je ne le suis plus. Allez-vous vous passer d’homme, comme moi de femme ?

— Je peux m’en passer. Je me passe de vous.

— Alors ? Plus rien à espérer ici ? Vous dis-je adieu ? Je vais chercher une compagne.

— C’est le mieux à faire, dit Léa. L’avenir est de vous marier avec une femme aussi active que vous. Il n’en manque pas. Il est bon que je ne vous utilise pas. Vous ne chercheriez pas.

— Le problème est que je ne sais pas à qui m’adresser, dit Antoine. Celles qui se présentent ne m’inspirent pas. Elles cumulent les défauts. Papa ne serait pas content que je prenne une femme dont il ne voudrait pas. Il a donné son aval pour vous et Odile. Je n’ai pas envie de me brouiller avec lui.

— Suivez les avis de votre père. Je suis ceux de ma mère. Faut-il vous aider ?

— Je ne refuse pas une aide. Je l’ai prouvé avec vous et Odile. Nous nous sommes aidés mutuellement. Ce n’était pas parfait, mais je recommencerais volontiers avec vous ou Odile.

— Vous avez passé une épreuve avec moi, puis avec Odile. Nous sommes contentes des résultats, comme vous. Voulez-vous une autre épreuve ? Ce serait mon dernier gage.

— Dites toujours.

— Je n’avais pas d’idée précise pour ce gage-là. Alain m'a suggéré ce dernier gage. Il s’occupe d’Oriane qui travaille avec nous. Il fait pour le mieux avec elle. Oriane est particulière, mais il est possible qu’elle vous satisfasse. Elle a tous les attributs d’une jolie femme, même si elle est moins belle qu’Odile. Voulez-vous faire un essai avec elle ? Je ne garantis pas le résultat. Avec Odile, je savais où j’allais. Je sais comment elle réagit. C’est moins sûr avec Oriane. En dehors d’Alain, Oriane refroidit les hommes, mais Alain pense que vous pourriez vous entendre avec Oriane. Je fais confiance à Alain. Maman contactera Victor pour vous permettre d'aller avec Oriane.

— Serait-ce pour lui faire un enfant ?

— Je ne sais pas si Oriane en désire comme Odile et moi. C’est à discuter avec elle, et je lui en parlerai. Sans aller jusque-là, il faudrait déjà l’amour. Le gage ne va pas jusqu’à l’enfant, car Oriane n’étant pas mariée, l’enfant pose des problèmes qu’Odile et moi n’avions pas. Ces enfants ont des pères. Celui d’Oriane n’en aurait pas. Nous ne souhaitons pas qu’elle ait un enfant sans être mariée, ce qui ternirait sa réputation. Les affaires en souffriraient. Nos principes s'y opposent. Il faudrait utiliser une protection.

— Ce serait donc pour passer des nuits d’amour avec elle. Comment Alain s’y prend-il avec Oriane ?

— Il la comprend, ce qui n’est pas facile.

— Et en amour, Oriane est-elle facile ?

— Pour Alain, elle l’est. Pour les autres, Oriane est un bout de bois décourageant sans réaction. Roger, le précédent mari d’Oriane, ne l’a pas supporté. Il s’était séparé d’elle sans divorcer avant de mourir, car il l’accusait de ne pas l’aimer. Vous voyez que ce n’est pas simple. Oriane n'est pas aisément acceptée.

— Alors pourquoi me la proposez-vous ? Je n’aime pas les bouts de bois.

— Bien sûr, mais elle plairait à votre père puisqu’elle n’a pas d’addiction. Oriane est la seule femme que nous puissions vous proposer, ayant cette caractéristique, et qui vous rapproche. Alain cherche à caser Oriane. Si par hasard, vous la supportiez, nous en serions heureux, pour vous et pour elle.

— Si Oriane ne me plaît pas, dit Antoine, je la refuse. Pour que j’aime, il faut un minimum. Si Oriane n’est pas une femme normale, je la rejette. Comme elle est riche, elle peut se payer un copain.

— Oriane n'est pas à vendre. Nous cherchons à caser Oriane avec un homme qui ne lorgne pas sa fortune, et qui nous plaise. Oriane n’a pas d’addiction, comme vous. Cette concordance est rare, et c’est notre motivation principale.

— Comment savez-vous que je ne lorgne pas sa fortune ?

— Parce que je vous connais. Vous n’avez jamais essayé de soutirer de l’argent, ni à moi, ni à Odile. Vous êtes assez intelligent pour gagner votre argent tout seul.

— Je préfère une femme riche à une femme pauvre, dit Antoine, même si elle est plus riche que moi.

— Et moi un homme riche à un homme pauvre. Je suis avec Alain qui est très riche.

— Tenez-vous à ce que je couche avec Oriane ?

— Au moins à l’essai, dit Léa. Vous arrêtez si elle est trop bout de bois. Je ne vous martyriserai pas avec ce dernier gage. Tâchez de la supporter quelque temps.

— Combien de temps ?

— Je ne sais pas. Quel temps estimez-vous pouvoir la supporter ?

— Est-elle colérique ?

— C’est plutôt le contraire. Elle ne dit rien si on ne l’interroge pas.

— C’est déjà ça. Je n’aime pas les bavardes. Trois ou quatre mois ? Je fais l'effort pour vous. Cela vous va-t-il ?

— Oui, dit Léa. C’est une bonne durée. Si ça ne va pas, je compenserai.

— C'est gentil, dit Antoine. Je ne prends pas Oriane, et vous compensez.

— Non. Je ne compense pas. Passez déjà quelques semaines avec elle, et dites-moi si Oriane ne vous convient pas.

*

— Oriane, dit Alain. Léa peut donner un dernier gage à Antoine. Il aurait à coucher avec vous pendant quelques mois. Antoine l’accepte, mais l’acceptez-vous ?

— Le souhaitez-vous ?

— Oui. J’en ai eu l’idée.

— Je vous accepte, dit Oriane. Paul aussi. Pourquoi Antoine ? Je ne le connais pas. Il ne m'a jamais adressé la parole.

— Vous non plus, mais vous savez qu'il est là avec nous depuis quelques mois. Il vient de faire un enfant à Léa puis à Odile. Elles peuvent se passer de lui. Paul a maintenant Odile et Léa. Je ne compte pas beaucoup. C’est trop peu pour vous trois. Antoine est le seul homme libre que vous puissiez accepter dans ceux que nous connaissons. Tous les autres sont à déconseiller. Léa et Odile ont supporté Antoine, sans que ce soit trop difficile pour elles. Il serait bon de savoir si vous en êtes capable.

— Je vous aime. Je souhaite continuer avec vous.

— Ce serait pour aller avec lui en plus de moi, et voir si vous pouvez l’aimer. Je ne vous abandonne pas. Je ferais le maximum. L'amour physique est nécessaire pour votre équilibre. Vous dormiriez avec Antoine.

— Bien, dit Oriane. J’accepte, puisque je peux rester au maximum avec vous.

*

 

— Où en êtes-vous avec Oriane, dit Léa à Antoine ?

— En dehors des affaires, où elle est intarissable, Oriane n’est pas bavarde, mais elle répond.

— Oui, dit Léa. Elle se consacre aux affaires et y réussit.

— Au lit, elle n’est pas comme vous. Elle est moins pressée. Elle a la patience de m’attendre. Elle est le genre de fille qui me plaît.

— N’avez-vous pas à l’endormir comme vous faisiez avec Cécile ?

— Non. Elle est à mon rythme. Elle a le même plaisir que moi.

— La comprenez-vous ?

— Comme Alain certainement. Oriane est parfaite. Je ne comprends pas ceux qui la dénigrent. Elle est très intelligente et a de la culture. Elle m’explique bien les affaires. Elle est très compétente. Son fils est très mignon. Il dort bien près de nous. Alain a eu raison de la mettre aux affaires. Elle y excelle. Elle n'a besoin que d'une interface dans mon genre avec le monde extérieur, pour expliquer ce qu’elle fait.

— Donc, l’essai est-il concluant ?

— Oui. Oriane est celle que je cherchais. J’envisage de me marier avec elle. Est-ce que ça vous gênerait ?

— Pas du tout. Félicitations. Oriane en amante cachée ne vous suffit-elle pas ?

— Oriane ne m’a pas encore dit si elle accepte le mariage, mais, plutôt qu’être amant, je préfère être en famille avec elle sans me cacher. Je vous remercie ainsi qu'Alain de m’avoir fait connaître Oriane. Je vais demander à papa, ce qu’il en pense. Pourrez-vous lui donner les renseignements sur elle ?

— Oui.

— Je vais me mettre aux affaires avec elle. Cela n’a pas l’air bien difficile.

— Ce n’est pas facile quand même. J’en ai l’expérience.

— Si vous avez besoin de moi, Oriane ne m’interdit rien, mais ne veut pas lâcher Alain. Quand elle sera avec Alain, je serai libre pour vous.

— Merci. Je m’arrête à quatre enfants pour le moment, dit Léa, et Odile à deux. Nous soufflons un peu. Oriane est à vous, presque entièrement. Alain vous gêne-t-il ?

— Non. Oriane me dit quand elle va avec lui. Ce n’est pas fréquent. Je ne vais pas la contrarier. Telle qu'elle est, Oriane me plaît. J'espère que papa me la conseillera.

*

— Oriane, dit Alain. Antoine se trouve bien avec vous. Qu’envisagez-vous ?

— Je souhaite rester avec vous. C’est vous que j’aime. J’aime Antoine à travers vous, comme j’aimais Roger.

— Vous me faites plaisir en étant avec lui. Antoine est un bon garçon.

— Je suis mieux avec Antoine que sans Antoine, mais c’est à vous que je pense. Je trompe Antoine, mais je n'y peux rien.

— Antoine ne s’en rendra pas plus compte que Roger. Il souhaite se marier avec vous et avoir une vie de famille. Est-ce possible ?

— Oui, s’il ne m’impose rien, et si ça reste comme maintenant.

— Il faudra faire l’amour avec lui. C’est le minimum.

— L'amour avec lui est agréable, mais j’ai besoin de liberté sexuelle.

— Dans quel but ?

— Si j’ai un autre enfant, il sera de vous. Faites toujours l’amour avec moi. Si je vous perds, je refuse le mariage avec Antoine. Je préfère cependant me marier pour que l’enfant ait un père.

— Si Antoine couche avec vous, il sera naturellement père.

— Je mettrais une protection, comme actuellement. Vous gardez seul le droit sans protection. Si j'ai un autre enfant, il sera de vous.

— Il faut qu’Antoine accepte.

— Oui, dit Oriane. Je ne me marie pas avec lui s’il n’accepte pas.

— Expliquez-lui, dit Alain. Dites-lui toute la vérité. S’il vous accepte, c’est telle que vous êtes. Partez sur des bases claires.

*

 

— Oriane est-elle d’accord pour se marier avec vous, demande Léa ?

— Oui, si je lui laisse la liberté sexuelle, dit Antoine.

— L’accordez-vous ?

— Oui. Je peux donc me consacrer à Oriane et me marier avec elle. Elle me refuse les enfants, mais j’en ai déjà deux.

— Avec qui ?

— Avec vous et Odile.

— Ce ne sont pas vos enfants.

— D’accord. J’aurai ceux d’Oriane. Elle me confie son premier, et comme les vôtres vont avec le sien, je m’occuperai d’enfants sans me préoccuper de savoir d’où ils sortent. Cela vous va-t-il ?

— Ne réclamez que la paternité des futurs enfants d’Oriane quand vous serez mariée avec elle.

— La famille est compliquée, ici.

— Non, dit Léa. Tout est expliqué sur les livrets de famille et les pièces d’identité. Nous allons former trois couples sans échanges importants.

— Mais échanges quand même !

— Quelques dérogations pour les absences prolongées et la liberté sexuelle sont indispensables. La liberté sexuelle n'existe pas sans entretien. Il est primordial de la conserver, mais vous n’êtes pas indispensable à la mienne.

— Oriane va utiliser sa liberté avec Alain de nombreuses fois, dit Antoine. Elle va l’occuper au maximum.

— Alain aime beaucoup Oriane, dit Léa. Elle lui a donné un mignon petit-fils. Il est normal qu’il s’occupe d’elle. Alain vous laisse une grande place auprès d’Oriane. Ne vous plaignez pas. Il est incapable de beaucoup vous gêner.

— Vous êtes la moins bien servie avec Alain.

— Je ne me considère pas mal servie, dit Léa. Alain s'occupe beaucoup des enfants. Je suis heureuse avec mes amours.

— Qui sont vos amants cachés ?

— Je les cache à tout le monde, donc à vous.

— J’ai une petite idée sur ceux que vous acceptez, dit Antoine.

— Vous en connaissez un puisque vous en faites partie, dit Léa, mais vous ne savez pas tout. Laissez-moi ma marge de liberté.

*

— J’ai essayé de savoir auprès de mon oncle Victor, pourquoi Cécile a quitté Antoine, dit Léa. Il ne sait pas, mais il doute que Cécile soit responsable. Il avait choisi la meilleure des militantes pour Antoine.

— Je fais une enquête, dit Alain.

*

— Cécile a quitté Antoine parce qu’elle a su qu’il avait couché avec toi, dit Alain.

— Je croyais que Cécile était pour la liberté de la femme, dit Léa. Ne donne-t-elle pas la liberté à l’homme ?

— Antoine n’a pas mis de préservatif avec toi. Elle en a été horrifiée.

— Je m’en doutais. Donc Antoine lui a dit comment il a procédé avec moi.

— Oui, et elle ne l’a pas supporté. C’est la raison de la séparation.

— Je comprends mieux. Cécile est vraiment bien. C’est ce que je craignais. Elle a détecté la faute d'Antoine. Il est un enfant, capable de faire des bêtises, et pas seulement en amour.

— L’autre copine d’Antoine le trouvait aussi un peu léger. Elle restait avec lui, mais n’était pas enthousiaste.

— Nous ne pouvons pas prendre Antoine pour les affaires. Il est trop peu fiable. Que fait-on pour Oriane ? La laisse-t-on se marier avec lui ? Ce serait le mariage de la carpe et du lapin.

— Oriane et Antoine sont très différents l'un de l'autre, mais ils se complètent. Toi aussi, tu n'es pas comme Antoine. Ne l'aimes-tu pas ?

— Antoine a été mon premier amour, dit Léa, celui dont maman m'a dit : tu peux aller avec lui : un garçon sans addiction. C'était inespéré. Je pouvais aimer, sans restriction. Mon sexe a répondu avec allégresse. Il était libéré. Je pouvais devenir une femme. J'ai mal dormi. J'étais troublée. Dans mes fantasmes, je fais encore l'amour avec Antoine. J'ai été très marquée. Il est resté longtemps un amour inachevé qui m'a bouleversée. Même avec toi, j'ai encore de l'amour pour Antoine. Je suis heureuse d'avoir des enfants de lui. Pourtant, d'avoir fait l'amour avec Antoine à retardement, cela m'a un peu éloigné de lui. Je l'idéalisais. Il est devenu un amant comme les autres. Je ne suis pas en parfaite harmonie avec lui, comme avec Michel, toi ou Paul. Physiquement, il n'est pas celui de mes fantasmes. Il ne faudrait pas, qu'à mon image, Oriane déchante.

— Oriane ne fantasme pas, dit Alain. Elle a besoin d’amour. Elle a su s’adapter à l’amour d’Antoine, et en tirer bénéfice. Elle mène Antoine par le bout du nez. Elle lui impose le préservatif et n’en met pas avec moi. Je me dope et je parvient à faire l’amour avec elle quand ce n’est pas trop souvent. Elle choisit quand elle est fécondable pour que je me stimule. Antoine est à ses pieds, comme moi, mais tout ce qu’Oriane nous propose est logique. Elle souhaite se marier en urgence avec lui pour avoir un enfant de moi légitimé par Antoine. Le dossier d'Antoine lui convient. Elle l'a épluché et a tous les éléments pour décider. Je n'ai encore jamais vu Oriane se tromper sur un dossier aussi complet que celui qu'elle possède sur Antoine. Elle ne fait pas d'erreur en se mariant avec Antoine. J'ai confiance dans son jugement. Il est plus sûr que le mien.

— Crois-tu qu’elle aura un autre enfant de toi ?

— Elle l’espère, et moi aussi pour elle. Elle ne veut pas d’enfant d’Antoine tant que je suis là. De lui, elle a actuellement le plaisir physique, et une compagnie amoureuse qui complète la mienne. Je suis son grand amour, et Antoine vient loin derrière. Quand j’aurai disparu, Antoine prendra la relève, ou elle aura un amant, si elle en trouve un. Antoine est un bon père pour les enfants. Tous nos enfants l’adorent. C'est un très bon pédagogue. Même s'il n'est pas parfait pour toi, tu peux encore l'utiliser. Antoine a sa place ici. Gardons-le.

— Bien, dit Léa. Je comprends Oriane. Nous conservons Antoine, comme amant caché de secours, pour le marier à Oriane et s’occuper des enfants. Je ne suis pas chaude pour le mettre aux affaires.

— Ni Oriane, ni moi non plus, dit Alain. Oriane aime parler des affaires ; Antoine l’écoute, mais elle sait qu’Antoine n’est que son écho. Il n’a pas la rigueur nécessaire aux affaires. Il est très apprécié dans son métier actuel, et ne voulait pas l'abandonner avant de songer aux affaires. Ne changeons rien. Il aurait des échecs en affaires.

— Si tu parviens à féconder Oriane, dit Léa, pendant qu’elle sera enceinte, penseras-tu à moi ou à Odile ?

— N’avez-vous pas assez d’enfants ?

— Si, mais ce serait bête de perdre les restes de ta semence. Si tu peux nous faire des enfants, nous les prenons. Oriane passe avant nous, mais nous pensons comme elle.

— Tenez-vous tant à moi ?

— Nous t’aimons plus qu’Antoine. Si tu fais un effort pour nous, nous ferons l’effort que ton sperme serve. Tu choisis qui tu veux : Odile ou moi ou les deux, et peut-être les trois si Oriane est de nouveau partante.

— La semence d'Antoine est meilleure que celle d'un homme âgé. Vous risquez des tares. C'est prouvé par les statistiques.

— Oui, mais l'enfant d'Oriane est réussi, et nous sommes unanimes à courir le risque.

— Et ta théorie comme quoi celui qui féconde n’a pas d’importance ?

— Elle est vraie, dit Léa, mais c’est le plaisir de faire l’amour avec un homme que nous admirons, en te permettant tout. C’est l’amour qui nous guide. Ne nous déçois pas. Antoine aura sa part. Nous l'aimons aussi.

*

Amants cachés : Fin

Jean Morly

 

 

Résumé d'Amants cachés

 Auteur : Jean Morly

 

L'amour fidèle, idéal romantique, est devenu minoritaire, avec l'allongement de la durée de vie, les progrès de la contraception, et l'évolution des mœurs. Rigide et simpliste, la morale traditionnelle, qui soutient l'amour unique, est contredite par la loi, qui a donné, en droit, la liberté et l'égalité à la femme, en tolérant l'adultère et l'infidélité. La tradition se superpose à la loi, et perdure. Les amants révoltent une partie de la population. L'ordre public impose de les cacher ainsi que sa façon de vivre.

La liberté individuelle est un idéal difficile à atteindre. La femme a atteint maintenant le droit à la liberté si elle n'empiète pas sur celle des autres, mais elle ne l'obtient que si elle sait la conquérir. Elle a la liberté intellectuelle par l'éducation de haut niveau, si elle est intelligente. Elle peut avoir la liberté matérielle en travaillant. Elle garde sa liberté en se préservant des addictions. Elle a sa liberté sexuelle si elle peut comparer plusieurs partenaires possibles, avant de choisir parmi ceux qui ne l'asserviront pas. L’amour libre est malgré tout compliqué, car la jalousie rôde. La femme doit opérer avec intelligence pour ne pas être en butte à la vindicte populaire orientée, par tradition, vers la soumission de la femme au mari et vers l'amour exclusif. Les amants cachés résolvent une partie du problème.

L'homme crée des machines pour qu'elles augmentent son efficacité et le copient, mais la copie peut être presque comme un homme, et l'homme se comporte parfois comme certaines machines. Roland et Oriane ont des comportements de machines qui perturbent leur entourage par leur manque d'affectivité, mais les machines ou leurs copies sont bien pratiques, et on les utilise. Les machines n'ayant pas de sentiments, ce sont des esclaves que l'on exploite, sans mauvaise conscience.

Léa, femme sérieuse, mais éduquée dans la liberté, a deux amants successifs soigneusement choisis : Roger et Paul, qu'elle aime beaucoup. Léa les garde comme amants cachés, même quand elle se marie avec Michel pour avoir des enfants. Elle a ses enfants, par principe et librement, sans savoir de façon sûre qui est le père parmi les trois. Odile, son amie, se marie avec Paul. Des difficultés résultent de la découverte de plusieurs pères et d'un sort jeté sur la famille de Roger. Michel et Roger décèdent. Alain, le père de Roger, se remarie avec Léa. Il s’occupe des enfants de Roger, ainsi que d’Oriane, la veuve de Roger. Antoine, ami d’enfance et amoureux de Léa, est utilisé par celle-ci pour son aptitude à dénouer une situation complexe, créée par l'application de principes conduisant à des enfants aux pères incertains et des amours croisés. L'équilibre est obtenu à l'intérieur du petit groupe acceptant les principes de Léa.